Lislamisme, même à dose microscopique, détruit un pays lundi - TopicsExpress



          

Lislamisme, même à dose microscopique, détruit un pays lundi 26 septembre 2011 à 10h52 Boualem Sansal se défend dêtre un héros. Lécrivain algérien en a pourtant létoffe. Cest au péril de sa vie quil pousse un cri de révolte contre les islamistes qui gangrènent son pays chéri et contre un régime qui sème la haine et réduit la liberté individuelle. « Tout nest pas perdu », à condition de connaître son histoire et ses origines. Les siennes prennent racine dans la Rue Darwin (Gallimard). Un roman intense qui retrace une enfance hybride, partagée entre plusieurs identités. Une enfance « écourtée par la guerre », mais enrichie par la force des femmes. On y assiste aussi à la mutation de lAlgérie, quil décrit sans complaisance. Quels sont les observations et les combats de Boualem Sansal ? Rencontre avec le lauréat 2011 du prestigieux prix de la Paix des libraires allemands. Boualem Sansal. © C.Hélie Le Vif/LExpress : Vous écrivez que « le seul véritable inconnu, cest soi-même ». Pourquoi lidentité est-elle un thème récurrent dans votre oeuvre ? Boualem Sansal : Lidentité se lit à livre ouvert, on la révèle par sa façon dêtre. Jusquà présent, jabordais la question de lidentité collective, or pourquoi le collectif saffuble-t-il dune identité ? Quelle est celle de tout un peuple ? LEtat construit une pièce de théâtre avec ses actes et ses identités. Les pouvoirs étant dominants, ils imposent ce récit afin que ça devienne une norme. Ceux qui sen écartent sont en situation difficile. Je suis un être complexe... Héritier dune longue histoire, jai été façonné par trente-six mille choses. Etre réduit à lidentité musulmane revient à être défini sur la marge dun timbre verrouillé. On doit se mutiler pour y entrer ! Cela nous coupe les pieds, les ailes et les langues. Cest contre ça que je me rebelle. Je refuse la petite identité officielle tant elle est caricaturale. Réapproprions-nous notre identité individuelle et, si nécessaire, lidentité collective, en reconnaissant toutes ses dimensions, en comprenant toute son histoire. Cela exige un travail de reconstruction et de rejet de ce quon nous impose. On ressent, dans votre livre, la nostalgie dune époque révolue où la cohabitation, notamment avec les juifs, était possible. Ny a-t-il pas, dans des pays comme lAlgérie, une régression dans lacceptation de lautre ? Complètement. Tous les Algériens dun certain âge vivent avec cette nostalgie parce que lon a vu comment, depuis lindépendance, des espaces de liberté ont été rognés. On nous a enfermés dans des identités tellement étroites quelles deviennent, comme cela a été dit par dautres, des « identités meurtrières ». La multiplicité des identités en Algérie était extraordinaire. Par catégories sociales, nous vivions en parfaite entente. Dans le quartier de Belcourt, à Alger, jallais réviser mes devoirs à la synagogue parce que lon habitait une petite pièce où il était impossible détudier. On aurait pu conserver cela. Dans ce roman, vous faites un clin doeil à Camus, qui habitait à deux pas de chez vous. Pourquoi estimez-vous que « quand on le lit, on voit une autre Algérie qui parle à lhumain » ? Camus incarne le révolté philosophique. Avant, lidée de lidentité algérienne était extrêmement complexe, alors quaujourdhui elle est réductrice. Albert Camus a perçu quun nouveau peuple était en train de naître, ça me fascine. Les gens venaient de partout avec leur histoire, leur espérance et leur identité différente. Cest lHistoire qui les a mis ensemble sur un territoire. Un pays était en train de surgir, avec sa nouvelle géographie. Il ne sagissait ni de lAlgérie ottomane ni de lAlgérie française ou musulmane. En quoi ce pays vous a-t-il façonné ? Cest celui où je suis né, celui où jai toujours vécu. Dans ma famille, on ne sest pas laissé enfermer par une identité artificielle. Non seulement, je nai pas été embrigadé par « cet Algérien nouveau », mais, en plus, jai gardé ma liberté et mon identité plurielle. Nous ne sommes, hélas, plus quune petite minorité qui disparaît. La nouvelle génération étant totalement formatée, le travail sera difficile à faire. On ne lui explique pas lhistoire, qui a été mise sous le chapeau. Dire quil y a quinze ans on pouvait boire et fumer à une terrasse, lors du ramadan ! Même dans certaines banlieues françaises, ce nest plus possible. Les jeunes Algériens rêvent actuellement dobtenir un visa pour se réaliser en France. Pourquoi nest-ce plus possible aujourdhui ? A cause dun pouvoir qui impose une identité réductrice ? Les régimes totalitaires veulent un peuple à leur main. Ils construisent une identité. Ils se légitiment par des mensonges et des exclusions, jamais par des idées de rassemblement. Ensuite, les théoriciens théorisent cela ; ils construisent des slogans, des histoires. Ils sacralisent, ce qui fait quaprès il est très dangereux de déconstruire. Pourtant, on ne peut pas accepter cela. Il faut se révolter, il faut se réapproprier les choses. Jai limpression que ce moment est arrivé dans le monde arabo-musulman. Lidentité de lAlgérien nouveau que le pouvoir a voulu fasciner est-elle celle dun islamiste ? A propos de Hédi, le jeune frère islamiste de votre héros, vous suggérez que cest lécole publique qui la ainsi formaté ? A partir de lindépendance, le pouvoir a voulu construire un peuple nouveau. Par petites touches et par des phrases très simples : « Nous sommes arabes. Nous sommes musulmans. Nous sommes socialistes. » Cette période-là a conduit à léchec, trente ans après : pays détruit, chômage, industrie non productive. Les islamistes sont arrivés et ils ont dit : « Si vous avez échoué, cest parce que vous navez pas été de vrais musulmans. Le Coran est la solution. Vous devez vous convertir, partir ou mourir. » Certains se sont adaptés au péril de leur vie. Les Algériens ont-ils déjà dressé le constat de léchec de cette stratégie islamiste ? Léchec est visible sans lêtre. Les islamistes assurent nêtre pas vraiment rentrés dans le vif du sujet puisque le pouvoir est encore détenu par des « mécréants ». Dans leur entendement, il faut procéder à une épuration, prendre le pouvoir et installer une république islamique. Eux ne reconnaissent pas léchec. Nous, on voit bien que lislamisme, même à dose microscopique, détruit un pays. Par rapport à la première médication socialiste, lislamisme a cette particularité de détruire les familles. Dans nos pays, la famille est hyper-importante parce quelle est la cellule de base. Chez lêtre humain, quand quelque chose détruit la cellule, cest le cancer, les métastases, et la mort assurée. Dans votre livre, Yazid, pour rassurer sa maman et se rassurer, parle à propos de son jeune frère dislamiste modéré, de taliban politique... mais sans trop y croire. Vous aussi, vous ne croyez pas à lislamisme modéré ? Non, je ny crois pas. Lislamisme modéré relève de la stratégie. Les islamistes se repositionnent comme les partis dextrême droite qui, à un moment donné, jouent la carte de la modération pour élargir leur base sociale et atteindre le pouvoir. Lorsque surviendront les difficultés, lislamiste modéré ne pactisera pas avec le démocrate au détriment de lislamiste radical. Il ira vers lislamiste radical. Cest sa famille naturelle. En Turquie, lAKP [NDLR : Parti de la justice et du développement, au pouvoir] est un parti islamiste modéré, mais il ne fait pas alliance avec les démocrates. Il pourrait sceller cette alliance pour forcer larmée à sortir du champ politique. Non, il préfère composer avec larmée. Où placez-vous le curseur de la frontière entre islam démocratique et islamisme. Quand le chef du Conseil national de transition libyen annonce que la charia constituera la principale source de législation, quen pensez-vous ? Je suis catastrophé. Pourquoi a-t-il cru nécessaire de dire cela ? Il nen a pas le droit. Le CNT ne représente rien ; il na aucune autre légitimité que la victoire contre Kadhafi. Dans six mois, quand les Libyens disposeront de leur assemblée constituante, quil fasse cette proposition aux électeurs, soit. Cest la démocratie. Mais là, le CNT se met dans la peau des vainqueurs. Dans un contexte où il y a dautres priorités (parachever la libération du pays, assurer la sécurité, récupérer les armes...), pourquoi cette annonce ? Nest-ce pas un appel aux islamistes pour commencer, déjà, à se mobiliser ou est-ce une tactique pour éviter que les islamistes prennent le maquis ? Je suis très méfiant. Les islamistes sont de grands stratèges. Déjà dans Le Village de lAllemand, vous dénonciez lislamisation des banlieues françaises. La lutte contre lislamisme, cest le combat de votre vie ? Je nai aucune compétence pour parler du Coran et du message coranique. Mais lislam qui est enseigné depuis une cinquantaine dannées par les institutions, par les écoles coraniques, est un islam radical. Cet enseignement porte en lui les germes de lislamisme. Il ne peut pas produire des hommes de paix et de tolérance. Dans lislam sunnite, il ny a pas de clergé. Cest tout le drame du monde musulman. Il faut que, dans les pays musulmans, on commence à enseigner un autre islam. On ne peut pas être optimiste. Espérez-vous tout de même des changements des révoltes arabes ? Je suis pessimiste. Lautre drame du monde arabo-musulman est labsence de société civile. Le vecteur de la démocratie est la classe moyenne, éduquée et ouverte, et la société civile qui produit du sens pour le peuple. Notre société civile est à létranger. Son message est forcément rejeté. La seule société organisée est aujourdhui larmée. La conclusion simpose : de nouvelles dictatures sous une façade acceptable, une gestion de la société par les services secrets et le clientélisme, des marionnettes pour créer lillusion démocratique... Pourquoi restez-vous en Algérie, alors que vous y êtes menacé et censuré ? Parce quil y a une certaine utilité à rester. Tout nest pas perdu. Le « printemps arabe » est surtout vrai en Tunisie et en Egypte grâce aux réseaux sociaux. La classe moyenne y est essentielle pour traduire en propos leurs actions. Les femmes se battent aussi, leur lutte est bien plus intéressante. Comme le rappelle ce roman, vous avez été élevé et porté par les femmes. Que vous ont-elles appris de la vie ? Les femmes sont extraordinaires. Même dans les rêveries débridées elles savèrent très concrètes. On a beau gouverner ce pays par les légendes, elles ne sen satisfont pas. Lors des premières émeutes algériennes, en octobre 1988, les hommes ont vécu leuphorie. LAlgérie des femmes nétait pas faite de discours, mais de créations de centaines dassociations, existant toujours. Les seuls progrès, réalisés dans ce pays, cest aux femmes quon les doit. Celles qui mont élevé mont appris le courage et la faculté à ne pas se dérober. Cest une grande vertu, même si je ne me perçois pas comme étant courageux. Pourquoi la mort de votre mère a-t-elle donné naissance à ce roman ? Quand jétais petit, le rabbin disait que « cest aux enfants denterrer leurs parents ». A 60 ans, cest cependant terrible ! Contrairement à ma fratrie, qui a vécu dans dautres pays, je nai jamais quitté ma mère, alors jai vu la mort se dessiner sur son visage. Cela faisait longtemps que je pensais tirer un roman de notre histoire, mais cest compliqué de parler de sa propre famille. Dautant que nous avons vécu dans le silence et le secret. Je ne me sentais pas le droit de faire un livre autobiographique, or il sest imposé, afin den tirer des enseignements. Comment nous, les vivants, héritons-nous de lhistoire du passé ? Cette même question se trouvait déjà dans Le Village de lAllemand, à savoir utiliser le peu quon sait de notre histoire pour la questionner à nouveau. Après avoir abordé ce thème à travers le peuple, je lapplique à léchelle familiale et individuelle. Quel enseignement en tirez-vous ? Tout comme dans Le Village de lAllemand, il y a le devoir de savoir. Je naccepte pas lidée quon vive dans lignorance. Nous devons connaître notre histoire ! Je men veux de ne pas avoir posé de questions à ma mère, mais je nai pas osé lui faire mal ou lobliger à me mentir. Ainsi, ce livre aborde aussi le devoir de transmission. La vie est une continuité, dautres vont venir après nous. Une fois quon « sait », que faut-il transmettre à ses enfants ? Devons-nous les protéger ? Autre devoir : celui de la responsabilité. Le savoir peut engendrer des torts ou mener à la folie. Parmi les déviations, il y a la vengeance et les identités meurtrières. On vit sur les secrets et les mensonges, il faut laccepter ou y ajouter les siens. « La trahison est une plaie qui ne se referme pas. » Pourquoi est-elle au coeur de vos livres et à partir de quand se trahit-on soi-même ? A un moment donné, on se sent « traître » car on a failli à quelque chose, on a franchi une certaine ligne. Dans mon discours du prix de la Paix des libraires allemands, je vais dire que « le seul véritable chemin vers la vérité est la droiture ». La question en creux est celle de la trahison, de lirresponsabilité. Quand on ne cherche pas à savoir, on tergiverse, on louvoie, on temporise... Ma vérité ? Je ne sais pas, cest une quête sans fin. On ne peut pas répondre à certaines questions. Ce que jécris dérange, mais je nai jamais épousé de théorie ou bougé de mon coin. Le petit garçon sympathique de la rue Darwin est toujours intact en moi. PROPOS RECUEILLIS PAR GÉRALD PAPY ET KERENN ELKAÏM Rue Darwin, par Boualem Sansal, Gallimard, 255 p. Boualem Sansal EN 6 DATES 15 octobre 1949 Naissance à Theniet El Had, en Algérie. Il grandit ensuite rue Darwin, un quartier populaire dAlger. 1999 Après des études dingénieur (en Algérie et en France), un doctorat en économie et lexercice de plusieurs métiers, il publie Le Serment des barbares, prix du Premier roman. 2003 Haut fonctionnaire au ministère de lIndustrie, Boualem Sansal est licencié. Motif ? Critique du pouvoir et de larabisation de lenseignement. 2006 Son ouvrage Poste restante : Alger, lettre de colère et despoir à mes compatriotes lui vaut dêtre censuré et menacé. 2008 Le Village de lAllemand est un roman coup de poing qui ose aborder la question de la Shoah et de lislamisation des banlieues françaises. Censuré, il obtient le Grand Prix RTL-Lire et le Grand Prix de la francophonie. 2011 Sortie du roman Rue Darwin (Gallimard).
Posted on: Tue, 05 Nov 2013 13:15:25 +0000

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