Ma nuit du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic… Je commencerai en - TopicsExpress



          

Ma nuit du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic… Je commencerai en disant que je suis originaire de Montréal, où j’y ai vécu pratiquement toute ma vie. En arrivant à Lac-Mégantic, ce qui m’a énormément frappée en dehors de l’immense beauté des lieux, c’est la gentillesse et la bonté humaine. Ici, lorsque les gens te croisent dans la rue, ils te disent bonjour avec le sourire… Et à force de les croiser pratiquement tous les jours, ont fini par avoir des conversations, et parfois des amitiés se développent. Tout le monde connaît tout le monde, et tout un chacun s’entraide… Venant de Montréal où la très grande majorité des gens vivent de manière beaucoup plus individualiste, c’est quelque chose que l’on remarque vite, et qui moi, m’a toujours beaucoup touché! Le centre-ville, j’y étais tous les jours. Mon univers social au grand complet se trouvait là, dans ces lieux, avec les gens que j’y côtoyais et qui sont devenus des amis. Mon gym, ma bibliothèque, mon épicerie, ma médecin, ma pharmacie, mon centre des femmes, mon bureau de poste, ma banque, la SAQ, le tout nouveau Dollorama, etc., tout était là!… J’adorais aussi la nouvelle terrasse du Musi-Café, chaque fois je passais, je laissais ma tête effleurer les palmiers en souriant. J’avais l’impression pour un court instant de me retrouver dans les tropiques! Le centre-ville c’était aussi le parc des Vétérans où j’ai passé tant d’heures à lire et/ou à contempler les montagnes, les pieds dans lac… J’avais refait ma vie avec un sentiment d’appartenance extrêmement fort à Lac-Mégantic. Le nombre de fois où j’ai remercié là vie de m’avoir amené ici, où je me suis dit que j’avais vraiment du faire quelque chose d’exceptionnel antérieurement quelque part pour mériter de vivre dans un tel endroit… Je me promenais la tête haute dans mon p’tit centre-ville en me disant fièrement « Ici, c’est chez moi, c’est ma p’tite ville, mon p’tit coin de paradis »… Le vendredi 5 juillet était l’une de ces journées d’été magnifiques, la première que nous avions eue depuis longtemps… J’ai passé une grande partie de la journée dans le centre-ville, puis au parc des Vétérans. Je m’en suis intérieurement voulu de ne pas avoir amené mon costume de bain… Alors, à défaut de me baigner, j’ai marché dans le lac, laissant mon short se mouiller quelque peu, caressant la surface de l’eau avec mes mains. Puis je me suis dit que j’allais retourner à la maison, souper et aller au Musi-Café. Mon chum étant à Montréal, à prendre un verre avec des amis de longue date, j’avais moi aussi envie d’aller m’amuser… …C’est la vie qui en a décidé autrement et qui a contrecarré mes plans de départ et m’a finalement gardée à la maison… Vers une heure du matin, alors que je m’apprête à fermer mon ordinateur… il y a un énorme bruit sourd, et tout s’éteint. La ville au complet sombre dans le noir total. Puis, c’est comme si le jour a décidé de côtoyer la nuit, en se partageant le ciel. On dirait un lever de soleil orangé en pleine obscurité, qui éclaire une bonne partie de la ville… La première chose à laquelle je pense est que c’est un bombardement d’avion… Jusqu’à ce que mon cerveau capte qu’il n’y a aucun bruit de moteur d’avion… Je comprends donc que c’est une explosion, une grosse explosion! …Par la baie vitrée de ma chambre, je vois un feu immense... J’ai pensé qu’il venait d’y avoir une explosion à l’usine Tafisa. Je me suis donc dépêchée de sortir pour aller aider si possible. Dehors, bien qu’une partie du ciel soit éclairé de plein feu… le reste est dans une grande noirceur. Ironiquement, je n’ai jamais vu un firmament aussi beau. Le fait que la ville soit subitement sans lumière laisse un ciel où l’on voit les étoiles par centaines de milliers, qui brillent comme jamais. Durant un certain moment, par endroits, une pluie de braises rouges et orangées ainsi que des étincelles d’un blanc et d’un bleu scintillant tombent un peu partout sur la ville. On dirait presque un feu d’artifice géant… Visuellement, c’est absolument magnifique!… Mais intérieurement, j’en suis effarée. S’il pleut des tessons sur la ville, c’est que le feu qui se consume plus loin est d’une grande ampleur… Tout se passe extrêmement vite, tant dans le temps que dans ma tête. Mon cerveau ne parvient pas à tout analyser et décortiquer ce qu’il capte autour. Il y a trop d’informations jamais vues et jamais vécues qui arrivent en même temps. Alors que je cours vers le centre-ville en me disant que je dois faire vite, que des personnes ont certainement besoin d’aide. Autour de moi, les gens sont affolés, je sens l’effervescence d’une panique collective qui monte en flèche. Une peur viscérale s’empare de la population qui commence à comprendre que quelque chose de grave est en train d’arriver, sans toute fois en saisir encore réellement l’ampleur… Lorsque, je tourne le coin de rue, qui m’amène sur la rue Frontenac, la rue du centre-ville, mes yeux voient le feu… Je n’ai jamais rien vu d’une telle envergure! Je sais que je dois m’arrêter, faire demi-tour et fuir, fuir à toutes jambes… mais j’avance… Je suis comme hypnotisée par ce que je vois, et je ne suis pas la seule. Nous sommes quelques-uns à être là, complètement tétanisés devant cet abîme de feu qui brûle devant nous. C’est gigantesque! Lucifer vient d’ouvrir ses portes de l’enfer… Au travers des flammes qui ravagent notre ville, une boucane noire opaque crée un mur au-delà duquel on ne peut voir. Le bruit qui nous entoure est infernal… Mais on entend… des gens hurlent… des gens qui sont en train de brûler vifs hurlent d’une douleur atroce… Jamais je n’ai entendu de tels hurlements de toute ma vie, et jamais je ne pourrai les oublier… Leurs cris transpercent le bruit des explosions, des sirènes des services d’urgence, du métal qui se tord… Il fait une chaleur extrême, mon cerveau capte que ma peau me brûle tel un gros coup de soleil… Pourtant, paradoxalement, je suis transie, d’effroi! J’ai le sang qui me glace le corps au complet et je suis paralysée de ce que j’entends et comprends… des gens à quelques pas de moi souffrent du martyr le plus effroyable qui soit… Et je ne peux rien faire pour les aider! Nous sommes quelques-uns planté là, totalement incapable de bouger, avec les larmes qui nous coulent, devant toute l’horreur qui se déroule sous nos yeux. Nous sommes littéralement envahies d’une impuissance absolue de pouvoir aider ces gens… On ne les voit pas, mais on les entend… Le feu court, il court partout en consumant tout sur son passage… Les immeubles, les fils électriques, les arbres, les voitures. Le pétrole se déverse et coule comme une rivière que le feu embrase à une vitesse phénoménale… C’est d’immenses boules de feux qui se forment à travers les trains qui cillent fortement avant d’exploser… BOUM!!! …Tout se passe en terme de secondes! Quelques personnes « miraculées » réussissent à sortir de là en courant, hurlant leur terreur, avec dans leur visage et leurs yeux une frayeur que je n’ai jamais vue sur qui que ce soit auparavant, et que je ne saurais décrire avec justesse, mais qui restera gravée dans ma mémoire… Les secours sur place sont tout aussi dévastés que nous, mais eux, ils ont une jobbe à faire… Nous sauver la vie! Alors, ils nous crient de nous en aller, de sortir de la ville … Il y a un mélange de toutes sortes d’odeurs très fortes, mais celle du pétrole domine. Mon cerveau fait soudain le lien que l’eau ne peut éteindre un feu de pétrole, au contraire. L’essence flotte sur l’eau et propage le feu! Une question se pose donc à mon esprit « Est-ce que une petite ville comme Lac-Mégantic à l’équipement nécessaire, cette mousse spéciale utilisée pour éteindre ce type de feux??? » …Lorsque je pose la question à un des pompiers, une fois rendue à l’écart du feu, à ces yeux et à l’expression de son visage, qui m’ont marquée…, je comprends que non. La réponse qu’il m’a donnée est « Quitte la ville, parce qu’elle risque d’y passer au complet » … Partout des gens crient, pleurent, paniquent, figent, klaxonnent pour avertir tout le monde… C’est carrément l’hystérie collective… Puis la ville se vide peu à peu… On entend les sirènes des services d’urgences… Mais surtout, on entend ce cillement fort et particulier avant chaque explosion de train. Le feu est tellement puissant, que même au loin, on l’entend brûler, on entend le métal se tordre et grincer… Puis une immense explosion a créé une espèce de champignon atomique gigantesque dans le ciel. Une chaleur intense nous a envahit, et nous a donné la sensation que dans les prochaines secondes, nous ferons partis du passé des gens ayant vécu à Lac-Mégantic… Cette nuit-là, j’ai réellement pensé que j’allais mourir… mais je suis en vie! Je suis profondément blessée et je suis en état de choc, mais moi, je suis en vie… Tous n’ont pas eu cette chance… J’ai perdu des amis, j’ai aussi perdu tout mon univers et mon quotidien de tous les jours… Il n’existe plus rien de l’endroit central où se passait ma vie, qui est chambardée au grand complet… Près de moi, des gens ont perdu des êtres très proches, des enfants sont orphelins de leurs deux parents… D’autres ont aussi perdu leur maison réduite en centre, leur commerce, mettant fin à leur gagne-pain… À des niveaux différents et de manières diverses, c’est toute une population qui est en état de choc en ce moment. Une de mes amies a fait une tentative de suicide suite à cette tragédie, et deux autres sont hospitalisés en psychiatrie pour des chocs nerveux importants… Les gens sont dévastés… Mais, la solidarité et l’humanité qui se vit ici sont d’une richesse énorme, ainsi que l’aide qui nous est apportée d’un peu partout. Alors, j’ose croire qu’un jour, nous pourrons nous relever de tout ça… Merci de m’avoir lu! xxx
Posted on: Sat, 20 Jul 2013 21:07:38 +0000

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