Mistral Perdant Maudit Mistral ! Chaque année, à l’approche - TopicsExpress



          

Mistral Perdant Maudit Mistral ! Chaque année, à l’approche de la belle saison, on le craignait dans cette contrée gorgée de soleil où l’eau était rare. Il était redoutable car, non content d’assécher les cultures, d’abîmer les récoltes, il s’époumonait pour mieux attiser les brasiers qui, régulièrement, transformaient garrigues et maquis en une vaste étendue désolée, plantée de squelettes noirâtres ; leur silhouette décharnée, se découpant dans le ciel d’azur, nous rappellerait longtemps qu’avant vivaient là, sangliers, buses, renards, lièvres, passereaux et tortues d’Hermann. Ce n’était pas une fatalité pourtant, mais la folie de quelques allumés, conjuguée avec l’appétit de prédateurs immobiliers, suffisait pour déclencher un sinistre. Nous étions à l’entame de Juillet : cela faisait trois jours que le feu dévorait tout sur son passage. Parti de Pierrefeu, il s’était précipité vers Sauvebonne pour menacer à présent Les Borrels ; avec ce putain de Mistral qui ne faiblissait pas… Le soleil était de plomb, la lumière de cendre. Au lever du jour, les Canadairs recommençaient leur noria salvatrice sous les yeux de badauds, quelques uns confiants tandis que d’autres étaient rongés d’inquiétude. Non, il ne faisait pas vraiment bon sur la plage des Salins cet été là. Mais, malgré tout, la vie continuait avec son cortège de petits bonheurs, de petites arnaques et de coups tordus… Justement, ce jour-là, à La Calanque, un petit troquet sympathique, il y en avait du monde qui faisait que la vie continue ! Loin des préoccupations de ces as – les pilotes de Canadair – quelques quidams flambaient. Pêle-mêle, mais invariablement : Le Gros, Dédé, Torpille, Pompom, Diego et Le Chat. Isolés derrière un rideau et vas-y que je blinde, servi, trois cartes, parole, tapis… Le Gros, depuis le temps qu’il venait n’avait jamais réussi qu’à être délesté non pas de kilos, mais d’euros; et pourtant, Dieu sait s’il en prenait des suées…mais le whisky maintenait l’équilibre. Dédé tentait une ènième fois de se refaire. Faut dire qu’il en avait des choses à refaire… Un futur carcéral à éviter pour une sombre histoire de climatiseurs volés, un passé bouliste, de Cannes à La Ciotat en passant par La Garde, qui le poursuivait parce qu’il avait joué avec des boules farcies achetées à Torpille, lequel Torpille, franc comme l’or des Gitans, était surveillé de près par Pompom qui le soupçonnait de tricher… Ce n’est plus la peine de se demander pourquoi on l’appelait Torpille. Diego, le carreur, lui, ne tremblait jamais : le plus fort qu’il était, c’était au moment où l’ambiance devenait pesante, lourde de transpirations et pleine de quintes de toux péniblement étouffées. Le Chat, devant lui, une bombe dans les mains – un brelan de rois – se couchait timidement, alors que l’autre avait l’estomac de blinder moyennant une minable paire de huit. Question de professionnel, disait-il. De l’autre côté du rideau, les estivants venus en goguette et quelques habitués : un vieux, jumeau proche de Marty Feldman, avec un œil sur son verre de Porto et le deuxième sur la grille de mots croisés qu’il remplissait tout en vidant son breuvage d’une aube à l’autre. Dans les environs immédiats, on pouvait voir La Pince : un café et un seul pour justifier l’épluchage gratuit de la feuille de chou journalière. Taciturne et ombrageux, il ne se livrait guère. Il avait été, paraît-il, pêcheur dans son jeune temps ; en tous les cas, aujourd’hui, il ne pêchait pas par excès, mais plutôt par mégotage…. Et puis, toujours à la même place au comptoir, devant un respectable Vittel, Momon : la soixantaine, efflanqué, le cheveu poivre-sel, plutôt sel, à la réflexion ; réflexion contenue par une casquette d’amiral vissée en permanence sur son chef. Peut-être trouvait-il qu’elle le grandissait car il aurait eu bien du mal à mener quelqu’un en bateau : il n’en avait jamais eu ! Les mauvaises langues le racontaient proche de Francis Le Belge, dans les années 70. Mais aujourd’hui, apparemment, il était rangé des voitures. On ne lui connaissait que son métier officiel : chômeur et, de surcroît, tranquille. Ce jour-là, pourtant, Steph, le barman au menton en galoche, lui fit un discret signe de la tête signifiant clairement qu’il avait quelque chose d’important à lui dire. Le substitut de marin s’approcha. Dans le creux de l’oreille et sur un ton d’alcôve, le barman lui distilla quelques propos, certainement bien sentis, qui eurent pour conséquence immédiate de le faire déguerpir précipitamment du bar, fourguant ainsi à l’encan son Vittel à peine entamé aux ladres de tout poil – les bistrots en sont pleins – intrigués par cet ersatz d’apéro. Une fois dehors, Momon, affolé par ce qu’on venait de lui délivrer – les bleus, depuis le temps qu’ils le cherchaient, étaient maintenant sur ses traces – respira un grand bol d’air. Il lui fallait, à tout prix, se rendre chez lui, prendre quelques affaires pour filer, vite fait bien fait, chez Patchou où, du moins pour quelque temps, il serait à l’abri. A l’évidence, il ne pouvait, sans courir de risque, rejoindre son domicile au volant de sa Clio : elle était certainement bien connue des services de police ; mais il était maintenant comme un animal traqué par la meute! Fuir, vite, mais au diable La Clio! Que faire alors? Y aller à pieds? Inconcevable dans ce bled où, derrière chaque trogne joviale qu’il ne manquerait pas de rencontrer sur son chemin, se cachait potentiellement un condé ; du moins, en était-il persuadé. Il les connaissait bien, avec leurs faux-semblants… Les collabos sont une race que la guerre fait proliférer, mais qui ne dorment que d’un oeil en temps de paix. Donc, pas à pieds! Putain de merde! Alors, comment ? Soudain, sur sa rétine, vinrent s’imprimer comme un flash les inscriptions suivantes : Le Chat, Poisson Frais. Tél : 06 16 95 00 35. La glacière du Chat lui tendait les bras : ce véhicule de livraison serait celui de sa délivrance ! L’espoir, qui venait de le pousser à s’engouffrer si vivement dans le fourgon isotherme, lui permit d’occulter du nez – si tant est que cela fût possible – les odeurs qui l’étreignirent à la gorge une fois la porte refermée : il déploya de prodigieux efforts pour contenir un haut-le-cœur, obligé qu’il était de voisiner avec les effluves de rougets, de rascasses, de sardines mâtinées de chapons. Chapon ! Un nom qui ne manquait pas de sel, quand on connaissait son homonyme de la Bresse profonde… En attendant le patron du véhicule qui allait le livrer chez lui – il n’y avait pas d’autre mot – Momon réfléchissait : pas de bavards, pas de police ! Qui avait bien pu les balancer ? Dédé ? Il faut savoir que Momon, bien inspiré par cet été caniculaire avait eu la lumineuse idée de « doubler » des climatiseurs avec ledit Dédé, Maradonna des boules, comme un ténor du barreau l’avait si finement surnommé, à l’occasion d’un procès en diffamation. Non, il connaissait trop bien le susnommé : combien de fois celui-ci ne lui avait-il pas demandé d’être son porte-flingue ? Continuellement présent en comparse zélé, Momon avait toujours fait de son mieux, obtenant invariablement la grâce de son manitou. L’hypothèse Dédé était donc condamnée ! Les climatiseurs étaient stockés dans des endroits différents, loués à trois faisans peu regardants sur l’odeur de l’argent. Ce n’était pas des amis, tout juste des relations qui débouchent sur une bouteille, au détour d’un comptoir. Figuraient, dans l’ordre : Le Noir, suivi de Richard Skoblar, tous deux grands supporters de l’OM avec, pour finir, l’immuable Gérard, revenu de tout… Le premier, rompu à la pratique des gradins, parlait beaucoup, fort, parfois à tort, souvent à travers. Combien de fois n’avait-il pas coupé les conversations ! Lui ? Non, il en aurait été incapable : il avait hérité de son père communiste, non pas d’une fortune, mais de la valeur d’un engagement… Skoblar alors ? Impensable ! En dehors du Stade Vélodrome, il était aussi discret que sa taille, compensée par la possession d’une précieuse Ford Mustang, seule occupante de sa remise ; soucieux du confort, mais quelque peu crédule, il avait, sans vergogne, livré sa belle américaine aux intempéries pour climatiser le garage … De plus, il vouait une admiration sans borne aux « Gasters » comme il le disait si joliment. Eliminé de la suspicion ! Restait Gérard : là, c’était inimaginable car celui-ci était affublé d’un triple handicap : deux bras coupés et la langue itou ! Ce qui s’appelle des signes qui ne trompent pas ! Momon en était là de ses interrogations lorsque la glacière remua vivement à l’avant gauche. Pas de doute : Le Chat, épuisé par la partie de poker qu’il lui avait fallu jouer serrée, venait de se laisser tomber sur le siège du conducteur. On l’appelait Le Chat, non pour sa démarche qui n’avait rien de féline, mais pour sa propension à dormir qui aurait rendu pâle de jalousie n’importe quel inconditionnel du Temesta. Momon alluma fébrilement son portable : pas facile dans le noir ! Mais il n’eut aucun mal à se remémorer les chiffres salutaires fugitivement aperçus sur les flancs de la glacière. Eh oui, dans ce fourgon, avec l’isolation nécessaire à la fraîcheur du poisson, il eût été vain de s’égosiller en beuglant : Le Chat, Le Chat ! Celui-ci sursauta en entendant la sonnerie du portable. Si jamais c’était Simone – ça faisait trois heures qu’il était parti – il n’allait pas lui resservir le coup du pain qui n’avait pas fini de cuire, sinon c’était lui qui le serait… Il poussa un soupir de soulagement en voyant s’afficher sur l’écran un numéro d’appel inconnu et décrocha. – Allo… – Allo, Le Chat, c’est Momon. – Momon ? – Momon, Momon Deo. – Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu veux que je vienne te chercher ? – Perdu… C’est déjà fait, je suis là, derrière toi. Le Chat, interloqué, jeta rapidement un coup d’œil aux rétroviseurs extérieurs et ne vit personne. De sa voix nasillarde – certains parlent du peuple, lui parlait du nez – il reprit : – Où çà, Momon, je vois dégun ? – Là, enfermé dans la glacière ! – T’inquiète, je vais te sortir de là. – Surtout pas, si tu veux me sortir de là, laisse-moi enfermé. – ?!?!?! – Eric, écoute-moi, y’ a le feu ! – T’atterris ou quoi, ça fait trois jours ! C’est pour te protéger que tu t’es réfugié là-dedans? – Arrête tes conneries, je suis emboucané ! Eric pensa un instant que ce qualificatif était bien de mise pour quelqu’un qui était allé se fourrer de son plein gré dans un ‘clapier’ réservé habituellement à la poiscaille. – Attends, Eric, je t’explique. – T’as raison : je comprends rien. – Y faut que tu me mènes chez moi, et arrivé là-bas, tu regardes bien si y’a pas de flics à l’agachon; tu me suis ? – Ça va pas être facile : c’est moi qui conduis ! Momon, coffré dans la glacière, ne releva pas l’humour du Chat ; il n’était pas d’humeur. – J’ai des soucis, Le Chat, ça se voit pas ? Eric se retourna machinalement et, ne voyant que la paroi isotherme qui lui faisait front, trouva la question idiote. Persifleur, il répondit : – Pas vraiment ! – C’est bon, Eric, mène-moi à la maison et arrête tes blagues à deux balles! En guise de réponse, Eric alluma une Bétor, sa marque préférée, démarra et, aussi bien contraint que forcé, suivit son passager – mentalement muni de Mappy et Via Michelin mélangés – le portable greffé à l’oreille, la main sûre au volant, le nez creux exhalant rageusement la fumée de sa cigarette en direction de son « poisson » frais du jour qui, pour sûr, n’y voyait que du feu…. Momon, dans l’antichambre froide, se montrait digne de Bison Futé, un jour de grand départ. Il savait, aux changements d’allure de son carrosse de circonstance, précisément où ils se trouvaient. Ils venaient de passer devant chez Loulou, juste après La Frégate quand, soudain, Momon sentit la glacière faire un grand écart sur la droite avant de s’immobiliser. De son cellulaire, il entendit qu’Eric jetait le sien dans l’habitacle du fourgon. – Police Nationale, Novero Marcel. – Bonjour, Le Chat, Poisson Frais, risqua l’amateur de poker dans une tentative d’humour destinée à camoufler son angoisse. – Je sais lire, merci! Jacky Mirage, mon subordonné, dit-il, tournant la tête vers son collègue qu’on aurait dit tout droit sorti du ‘ Bal des Débris’; vous avez les papiers du véhicule ? Eric s’exécuta illico en tremblant ; d’habitude, il était moins nerveux, mais là, promu, de fait, capitaine d’un boat-people avec un clandestin pour le moins chaud-bouillant… – Vous savez pourquoi on vous arrête ? – J’ai plus de batterie. – Vous nous prenez pour des imbéciles ? On vous a vu téléphoner et vous nous dites que vous n’avez plus de batterie ! De sa voix de plus en plus nasillarde, le contrevenant reprit : – C’est pas ça, c’est pour mon bateau, j’ai plus de batterie et c’est pour ça que je téléphonais. Devant cette naïveté déconcertante, Novero, rusé, matois et opportuniste comme pas deux, fit le tour de la fourgonnette d’un pas volontairement pesant, le sourcil tout en méfiance et l’œil noir. Fini son inspection, il s’adressa à Eric et, contre toute attente, lui dit bonassement : – Il vous en reste encore du poisson ? – J’en ai plus, Chef ; je viens de finir de livrer, mais, demain, je vous porte deux kilos de bouille, c’est promis, Chef. – C’est bon pour aujourd’hui, mais demain… n’oubliez pas demain, sans quoi… Bien qu’entendant ces propos qui se voulaient inquiétants, Le Chat aurait eu envie de lui embrasser les pieds pour le remercier de l’avoir laissé filer aussi vite… Si Novero apprenait un jour combien lui-même avait été dupe ce jour-là… Derrière, dans l’isotherme, Deo venait de vivre un grand moment : il n’avait pas jeté son portable et, donc, avait entendu toute la conversation du Chat avec les pandores à l’insu de leur plein gré. Lui, Momon, l’éternel second couteau qui avait toujours rêvé d’être l’égal de La Savonnette, le parrain local, venait de réussir un exploit qui allait renvoyer son idole aux oubliettes : il avait mis les condés sur écoute. Le moins que l’on puisse dire de cette écoute, c’est qu’une fois révélée, elle ferait grand bruit. L’instant était jubilatoire, c’était Momon au Panthéon !!! Enfin, pour le moment, il était toujours dans la glacière… Eric redémarra lentement, le cœur à cent à l’heure; une fois à l’abri du regard des bleus, il reprit son portable ainsi que la conversation qui allait avec : – Momon, excuse-moi, on a été coupé. – Oui, j’ai entendu. – !?!?!?!? – Eric, tu m’écoutes ? – … – Eric, tu m’écoutes ? – ….. Deo se mit à vociférer dans le portable : – Putain, Eric, tu m’écoutes ou quoi ? – Mais, Momon, je fais que ça, sinon j’aurais parlé! Avec le bon sens et la simplicité qui le caractérisaient, Eric avait bien compris que, si l’on voulait écouter les gens, il fallait, en premier lieu, rester sans mot dire pour pouvoir, ensuite, mieux les entendre. Son correspondant, désorienté - reclus dans le froid et le noir de la glacière - avait quand même de plus en plus de mal à apprécier le bon sens….. Où cela va-t-il nous mener ? – Bon, Eric, je suis un peu paumé là. – T’inquiète, on est arrivé chez toi, aux Chilèmes et, garanti, y’a pas l’ombre d’un flic ! – T’es sûr ? – Mais tu me prends pour un débile ? Je touche pas la Cotorep ! – Fais trois tours, on sait jamais. – Tu rigoles pas un peu ? Tu te files dans le fourgon pour faire discret et puis, après, tu nous la joues «Tournez Manèges » ! Tu veux pas passer à la télé aussi ? Deo, confondu par la sagesse du Chat, convint qu’il pouvait débarquer là. Au sortir de la glacière, il aperçut les bleus sur son balcon et, levant un peu plus haut les yeux vers le ciel, comme pour l’implorer, n’y trouva désespérément que les Canadairs qui continuaient d’écoper. A cette image, il ne put, alors, s’empêcher de penser : « Et moi, combien je vais prendre ? »
Posted on: Thu, 20 Jun 2013 11:57:20 +0000

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