Par Mohamed Benchicou La liberté de lire Le Salon du livre - TopicsExpress



          

Par Mohamed Benchicou La liberté de lire Le Salon du livre s’ouvre dans quelques heures à Alger et viendra nous rappeler que, en dépit des vilains clichés qui en font un estomac ambulant, l’Algérien sait consacrer du temps, de l’argent, et même de la passion, pour la lecture. L’ennui, c’est qu’on ne lui donne pas toujours à lire ce qui instruit l’esprit, ce qui divertit et ce qui fabrique les consciences. Pour cela, il faudrait que le livre échappe aux trois démons qui le garrottent : les affairistes, les sorciers et les censeurs. Les trois font parfois un seul, souvent bon ménage, mais il arrive à l’affairiste de se draper de vertus littéraires, au sorcier de se prétendre prophète et au censeur de s’épuiser à vouloir nous convaincre qu’il surveille nos lectures pour notre bien. Entre les trois, vivote une race d’hommes et de femmes qu’on dit en voie d’extinction, et qui ne cherchent dans le livre ni l’odeur de l’argent ni celle de Dieu et encore moins celle du pouvoir, mais seulement l’odeur, évanescente, de l’encre et du papier où se sont écrites les belles pages de l’espérance humaine. Cet attachement-là est le seul qui soit de l’ordre du sacré : il ne se négocie contre rien. L’affairiste peut troquer le livre contre un bon contrat avec le censeur, ce dernier peut brûler les livres avec l’aval du sorcier qui, lui, s’en tire toujours à bon compte, puisque les livres destinés au bûcher sont toujours ceux frappés de mécréance qui vont libérer de la place pour l’édition prédicatrice. Mais eux, ces derniers passeurs entre l’esprit anonyme et le poète, n’échangent le livre contre rien puisque rien ne vaut le livre. C’est grâce à eux que subsiste ce réverbère qui éclaire les livres quand, partout, le présent et l’avenir sont livrés à la nuit de l’ignorance. Or c’est de cette déraisonnable petite lumière qui s’aventure à éclairer les opacités du pouvoir que nos gouvernants ont peur. Ce sont eux, ces solitudes éparses, silencieuses, inoffensives, qui font trembler affairistes, sorciers, censeurs, par leur manie à vouloir agiter cette lanterne au cœur des ténèbres. Nos censeurs savent que « L’écriture est maîtresse : elle agit sur la culture et sur les civilisations. », comme l’a dit Naguib Mahfouz sur son lit dhôpital au lendemain de lagression intégriste qui a failli lui coûter la vie. C’est contre eux que s’élaborent les lois, les oukases et toutes sortes d’édits arrogants qui cherchent à réglementer la passion du livre comme on réglementerait l’activité de la pêche à la sardine. L’idée participe d’un objectif précis : contrôler la création, éviter quelle ne débouche sur léveil des masses et devienne une menace pour le régime. C’est un peu ça, ce que poursuit la prochaine loi renforçant la censure, élaborée par le clan Bouteflika et que s’apprête à présenter l’infatigable Khalida Toumi qui n’aura décidément négligé aucune entreprise de rabaissement de la culture nationale, elle qui disait partager le rêve d’illustres figures qui ont choisi de s’asseoir dans des gouvernements, armés de la culture comme seule obsession pour arriver à « transformer le destin en conscience », selon la formule de Malraux, alors ministre de la Culture sous de Gaulle, Malraux chargé par la 5e République de « rendre accessibles les plus grandes œuvres au plus grand nombre d’hommes ». Avec cette prochaine loi qui va s’ajouter à toutes celles qui ont asséché la création en Algérie, elle aura accompli l’exact contraire de l’œuvre de l’auteur de La Comédie humaine qui, lui, avait convié les hommes à regarder lhéritage culturel non plus comme un « ensemble d’œuvres qu’ils doivent respecter » mais comme un « ensemble d’œuvres qui peuvent les aider à vivre. » Nous aurions tort de mésestimer les effets politiques de la censure et de linquisition. En plus dêtre le ciment des forfaitures politiques, elles ont toujours annoncé de funestes dérives autoritaires. LAllemagne hitlérienne fut précédée par les autodafés nazis de 1933 qui, à Berlin, Brême, Dresde, Munich ou Nuremberg, condamnèrent au feu les ouvrages de Bertolt Brecht, dAlfred Döblin, de Sigmund Freud, dHeinrich Mann, de Karl Marx, de Carl von Ossietzky ou dArnold Zweig, pour ne citer que ceux-là. En Syrie, le virage dictatorial avait été annoncé par l’incinération des livres « impies », désignés au bûcher par les religieux. Comme le roman Palais de la pluie de Mamdouh Azzam, un des signataires de la déclaration, un livre envoyé au pilon parce que les fondamentalistes avaient protesté contre son contenu. Ou comme le livre de lécrivaine iranienne Shahdarot Jaffan, « Quon enlève le hidjab! », un récit frappant de lexpérience personnelle de lauteur avec le hidjab et voué aux gémonies par les intégristes. Quelques mois avant que Kilo n’entre en prison, le gouvernement syrien en avait interdit la distribution et saisi tous les exemplaires encore disponibles en librairie. Selon un opposant libéral syrien proche de Kilo, cette initiative consacrait le « mariage légal » entre le pouvoir et les islamistes. Alors bienvenue au Salon du livre puisque chaque année il nous invite à mesurer le prix qu’il faut verser pour la liberté de lire PS : j’en profite pour signaler, parmi les grandes nouveautés de ce Salon, le livre de la fille de Messali Hadj, Djanina Messali, « Une vie partagée avec mon père Messali Hadj », un regard bouleversant sur une page de notre histoire écrit par un témoin privilégié avec ce qu’il faut de pugnacité, de tendresse, d’amour… Et de mémoire !
Posted on: Sun, 03 Nov 2013 07:07:19 +0000

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