Tarjö a connu le chômage: expérience au plus haut point - TopicsExpress



          

Tarjö a connu le chômage: expérience au plus haut point douloureuse dont il ne parle guère, sauf dans de très rares poèmes dont celui-ci: Chômage Devant l’agence pour l’emploi, (franchement le mot est trop ironique) ce n’est pas la longue file d’attente qui me gêne : Au contraire : j’y retrouve beaucoup de vieilles connaissances, et, ce qui est très agréable, il y a toujours de nouvelles têtes. Prenez Blosse, par exemple : Depuis six mois que nous nous fréquentons, nous sommes devenus presque des amis. Au début, il ne m’était pas très sympathique, je n’aimais pas cette manière qu’il a de se promener toujours en sabots alors qu’il porte une cravate : c’est vrai, ça, il faut choisir ! Mais Bosse A eu, comme beaucoup, une drôle de vie : paysan d’abord, puis électricien chez un patron, et puis à son propre compte, mais il a fait faillite. Il fume beaucoup trop depuis, je le lui dis. Il prétend qu’il n’a jamais été un bon électricien de toute façon, et ça me fend le cœur d’entendre une telle chose Parce que j’ai l’intime pressentiment que c’est vrai : pauvre Bosse, lui qui a cinq enfants. Il y a Maarko : Maarko est blond et rubicond, d’âge indéfinissable, quelque chose entre trente et cinquante ans, j’ai fini par le lui demander : il m’a répondu « vingt-neuf ans », bravo pour moi. Ce n’est pas croyable ce que l’alcool et la vie au grand air peuvent dévelouter les êtres humains Maarko était manœuvre sur des chantiers On aurait pu se rencontrer à une certaine époque Il est remarquablement fort Ce n’est pas du tout un avantage d’être costaud quand on est dans le bâtiment, n’allez pas croire cela Les contremaîtres en usent et en abusent Il faut tenir et voilà pourquoi on se met à boire Ca a failli m’arriver, v’est pourquoi je le dis Maarko a pris une poutre un jour sur le dos et s’est cassé cinq côtes Il n’avait pas respecté les consignes de sécurité, tant pis pour lui Il ne se plaint qu’à demi-mot mais depuis il vote à l’extrême droite et se plaint des étrangers Voilà le travail, enfin si l’on peut dire. Il y a EEfe : je l’aime beaucoup, Pourtant moi, on le sait les femmes ce n’est pas trop mon truc : Mais Eefe a beaucoup de charme et d’élégance quoique trop maigre et une vilaine tendance à se voûter Elle est très pauvre, moi qui la connais je sais qu’elle n’a pas grand-chose à se mettre Mais elle est capable de faire des miracles avec un simple foulard Le chic ça ne s’apprend pas Elle a longtemps travaillé à la manufacture des cigarettes Toute la journée elle triait les feuilles de tabac, sans gants, sans rien, Elle n’aime pas montrer ses doigts, jaunis, brunis et même gris par endroits Ses ongles ne tiennent que par le vernis Moi j’essaie de la réconforter je lui dis « ça va » Mais ce qui m’inquiète c’est que ses doigts ont diminué de volume, ils deviendront des griffes à force Elle voudrait bien trouver un emploi dans l’accueil ou dans l’hôtellerie Je ne comprends pas qu’on ne l’embauche pas, en même temps je lui dis l’hôtellerie attention C’est un job particulièrement dur Et là elle a une vilaine grimace : « Occupe-toi de tes affaires, toi » : et je me tais. Il y a Jaako, lui c’est un nouveau venu : Excellent cuisinier, diplômé, personne ne fait des desserts comme lui, avec es décorations de fleurs et de bruyère, et puis surtout ‘est vraiment bon Il fait des tartes aux saveurs incroyables, aux parfums lourds et prenants Son malheur à lui c’est qu’il se bat Si encore il buvait de l’alcool ! mais non, pas du tout. Il règle tous les problèmes à coups de poings, forcément cela se sait, et voici pourquoi malgré tout son talent il chôme. Je ne sais pas comment m’y prendre avec lui : il est gentil et susceptible, une clé me manque Mais je trouve terrible son regard tranchant comme une lame et qui vous laisse sans voix. Cela dit, le mauvais moment à passer C’est avec la responsable, mademoiselle Hautala. Je voudrais bien pouvoir dire qu’elle n’est pas méchante, mais c’est vrai qu’elle est antipathique : Dynamique, oui, et même encourageante : « Alors, qu’avez-vous fait comme démarches ce mois-ci ? Ah, ça c’est bien ! Et ça, eh bien ma foi c’est une excellente idée ! Et pourquoi pas l’édition, hein ? Ou l’enseignement, bâti comme vous l’êtes ? Elle fait très bien son métier, c’est une brune énergique, je crois qu’elle m’apprécie Entre nous, je sais bien que je ne vais pas rester chômeur trop longtemps, et elle le sait aussi. Ce qu’elle dit à Blosse, Maarko, Eefe, est manifestement moins aimable Et je ne lui pardonnerai jamais d’avoir vu Eefe sortir en larmes de son bureau. Une fois qu’on a passé ce contrôle, qui ravive en nous des souvenirs scolaires Nous allons prendre un verre dans un troquet pas loin Pas tout près toutefois : c’est ridicule, mais nous aurions trop honte D’être vus par mademoiselle Hautala en train de boire l’argent public qu’elle nous a attribué. %aarko prend un café, Blosse une bière, Eeffe un coca-cola. Moi, indécent, je commande une vodka au poivre. On pensera ce qu’on voudra, je m’en moque. Le soir tombe très vite : une odeur de fenouil envahit l’atmosphère. J’embrasse Eeffe en partant. Pourquoi a-t-elle ce ricanement qui lui déforme la bouche ?
Posted on: Tue, 08 Oct 2013 23:11:58 +0000

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