Un bidon blanc ballotte en surface, comme un vulgaire immondice. Il est relié à une toute petite ficelle qui plonge dans les profondeurs. Nous descendons à plat ventre, mollets et palmes à la verticale, les yeux scrutant le noir en dessous, jetant de temps en temps un coup d’œil sur l’ordinateur qui égrène les mètres. Pas de repère, nous sommes dans la même position qu’un parachutiste en chute libre, mais moins vite. Des chapelets de bulles remontent de la noirceur. Le filin blanc se tortille vers l’infini. Au bout, l’épave apparait, ce n’est pas un bateau, c’est un avion, parfaitement à sa place dans cette univers liquide aérien. Le profondimètre affiche un score inhabituel : 54 mètres. La lumière est diffuse, comme un matin d’hiver sur une planète lointaine. Les créatures de ces eaux moins fréquentées sont plus grosses. Des congres énormes, aux yeux globuleux, nous regardent comme des importuns. Un homard à nourrir une famille entière trône là, sous l’aile, en compagnie d’un chapon géant. Le zinc est figé dans le sable. C’est un Hellcat de l’aviation navale américaine de la seconde guerre mondiale, un chasseur bombardier lourd et courtaud à l’esthétique discutable. Il semble voler encore, dans un tonneau de victoire improbable inscrit pour l’éternité. Le cadavre d’un pilote n’est pas resté aux commandes, fort heureusement. Les créatures de la mer ont pris le manche, irrémédiablement. Et la terre reprend un par un ses atomes de métal jadis arrachés à sa croûte, dévore lentement cet objet manufacturé devenu incongru au fond des flots. L’ordinateur s’affole assez vite à ces profondeurs. Paliers à trois mètres, six mètres, neuf mètres… on remonte. Doucement, tout doucement, c’est une reprise, il faut éviter de s’enivrer d’azote, de se casser les tympans, de compromettre la suite des plongées. Attendre, sous le plafond blanc de la surface, quelques minutes, l’eau est chaude, la coque du bateau n’est pas loin… j’en souris dans le détendeur.
Posted on: Mon, 23 Sep 2013 09:48:28 +0000
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