Après plus de deux ans de silence, Honorat De Yedagne sort de sa - TopicsExpress



          

Après plus de deux ans de silence, Honorat De Yedagne sort de sa réserve Ce que je reproche à Houphouët, Bédié, Guéi, Gbagbo et Ouattara Depuis la fin de la crise postélectorale, lex-directeur général du quotidien gouvernemental Fraternité-Matin sest mis loin des caméras et micros. Honorat De Yedagne a décidé de sortir de sa réserve. Pour asséner ses vérités, après plus de deux ans dobservation de la vie sociopolitique en Côte dIvoire, lancien président de lUnion nationale des journalistes de Côte dIvoire (UNJCI) sest confié à LIntelligent dAbidjan. Honorat De Yedagne na épargné personne dans ses critiques. Il met à nu les limites de la gestion de la Côte dIvoire par Houphouët, Bédié, Guéi, Gbagbo et Ouattara. Le journaliste a sorti des vérités crues, au moment où il sapprêtait pour une séance sportive. Loin des radars depuis un moment, que devient Honorat De Yedagne ? Je continue de porter ma croix cest-à-dire dassumer ma part dengagement pour la Côte dIvoire et pour lAfrique. Je travaille aussi à me reconstruire psychologiquement, moralement, intellectuellement pour continuer à massumer pleinement et souverainement comme une destinée en marche, donc comme un Homme debout, toujours prêt, quoi quil men coûte, à témoigner de ma part de raison, de ma part davenir, dans un pays en déliquescence morale, sans aucune perspective de sortie de crise à lhorizon, faute dun leadership efficace. Quest qui occupe le journaliste que vous êtes, aujourdhui? Cela fait sept (7) ans que jai perdu mon emploi. Pour autant, je me donne les moyens de garder toujours la tête hors de leau et de demeurer une conscience sociale critique qui peut et doit continuer à parler à la Côte dIvoire les yeux dans les yeux. Vous savez que je cultive à souhait « le parler vrai ». Cest ma marque distinctive, mon ADN, presquune vocation cléricale. Cest le prix à payer si on veut servir la grandeur de lAfrique et de la Côte dIvoire. Autrement dit, jexiste et je vis donc à ma façon à moi, mon exil intérieur, sans bruits, sans tapages, comme une grande quête de soi pour autrui. Concrètement comment vivez-vous ? En toute sincérité, en plus du soutien moral de mon épouse, je vis grâce à laide de mes amis. Et particulièrement de mes amis nordistes : preuve que cette division entre le Nord et le Sud quon nous vend est factice sinon fabriquée de toutes pièces pour servir des ambitions meurtrières et mortifères. Je vis de dons en ce moment et je nai pas honte de le dire. Ces soutiens maident énormément dans ma posture de résistance citoyenne à la tentation du pire. Le pire étant, dans les circonstances actuelles où ce pays court tous les dangers, de céder à lappel du ventre qui conduit à toutes les servitudes, à toutes les trahisons, à tous les reniements, à tous les manquements...contre votre dignité, vos convictions et votre grandeur dHomme. Vous êtes en train de dire quon veut vous trouver du travail et que vous refusez ? Ceux qui me connaissent savent que jai des opportunités et que certains de mes mentors ont la possibilité de me faire nommer si je le souhaite, si jy travaille véritablement, si je my engage en me reniant. Quest ce que vous attendez donc ? Après ma triste expérience à la tête de Fraternité Matin où ma forte personnalité, mon indépendance desprit et surtout ma vision éditoriale: « Ni neutre, ni partisan » gênaient visiblement mon ami et frère Laurent Gbagbo, jai pris la décision, et déjà sous son règne, de ne jamais servir un pouvoir dans une Côte dIvoire divisée presque irréconciliable. Votre magazine, Afrique Compétences, que vous lancez avec assez dambition est aujourdhui lombre de lui-même. Quest ce qui ne va pas ? Nous sommes le premier magazine international que la Côte dIvoire ait eu. Nous étions distribués, à partir de Paris, sur onze pays africains en plus de la Côte dIvoire. Cest donc une vitrine importante pour notre pays quand il voudra se projeter dans lavenir. La crise post- électorale a mis un coup darrêt brutal à cette belle aventure éditoriale, après quatre années dexistence. Un de nos mécènes importants, M. Yves Lamblin y a trouvé la mort. Nous sommes donc à la recherche de nouveaux financements pour nous relancer. Sinon je le revendrai. Vous évoquiez, il y a quelques années, un contentieux avec le quotidien gouvernemental Fraternité Matin. Contentieux portant sur des dédommagements.. Aujourdhui, peut-on dire que cette affaire est derrière vous ? Le contentieux a été en partie vidé grâce au ministre Sy Savané. Il reste un aspect du problème qui na pas encore été réglé. Mais aujourdhui, il ny a quun combat qui compte contre Fraternité Matin. Un combat pour tous ces travailleurs que jai fait partir et qui nont connu, depuis onze ans, aucune mesure daccompagnement social. Dix (10) jours après ma nomination, ce sont presque 2/5 de leffectif, (entre 200 et 280 personnes) que jai mis au chômage technique puis licenciés. Figurez-vous quau soir de ce vendredi 15 février 2002 -je men souviens encore comme si cétait hier- lorsque ces travailleurs ont reçu chacun leur lettre de mise en chômage technique, il ny avait aucun policier à mes côtés pour veiller à mon intégrité physique ni sur lentreprise. Et pour cause : javais agis contre lavis explicite de mon ministre de tutelle, qui luimême avait reçu injonction de feu Boga Doudou, tout puissant ministre à lépoque, de ne pas me laisser faire. Je nai pas cédé : jai mis en balance ma propre démission. Quatre mois après, tous ces travailleurs ont été licenciés, me permettant ainsi de sauver le titre. Cétait une grande première dans lhistoire des entreprises publiques : des travailleurs qui consentent à partir comme ils sont partis pour sauver leur entreprise. Leur sacrifice doit être reconnu par la nation et les effets compensatoires doivent suivre. Cest une injustice inacceptable, scandaleuse même. Quest ce que vous entendez faire pour ces ex-travailleurs de Fraternité-Matin ? Jentends donc mener ce combat pour que lEtat respecte son engagement. On avait travaillé sur une proposition qui a été presque entérinée par lEtat : des mesures daccompagnement à hauteur de 650 millions de FCFA. Malheureusement, ce dossier na pas encore trouvé de solutions. Lheure est arrivée pour que je joue un rôle pour que ces travailleurs puissent entrer dans leurs droits. Ils mont fait confiance et je ne dois pas les trahir. Jai donc une responsabilité morale vis-à-vis de ces ex-agents de Fraternité Matin. Ce sont des pères et mères de famille qui sont aujourdhui des laissés pour compte. Pourquoi la-t-on fait pour dautres travailleurs de Côte dIvoire, qui, dans les mêmes conditions, ont eu à bénéficier de mesures daccompagnement social? Il me semble que le mépris souverain, toujours affiché par lEtat à légard des journalistes et de la corporation dans son ensemble est tel quon pense que ce sont des moins que rien et quils peuvent aller crever comme de bons à rien malgré toutes ces années quils ont passées au service de leur pays. Je ne peux laccepter et je ne laccepterai jamais ! Un commentaire sur la gestion de Fraternité Matin version Venance Konan ? Ce quil faut savoir, cest que dès mon arrivée à la tête de Fraternité Matin, en 2002, en vue de construire un pôle éditorial diversifié mais équilibré donc pluriel et pluraliste, je suis allé chercher Venance Konan à lAssemblée nationale. Quelques années plus tôt, Il avait laissé son poste de rédacteur en chef à Ivoir Soir pour aller exercer comme chargé de Communication à lAssemblée nationale, sous feu Emile Brou. Comme cela arrive souvent dans la profession à la plupart de nos bons journalistes ou à ceux qui, comme Venance Konan lui-même ont été lauréats du prix Ebony. Pour lhistoire, Venance Konan fut le premier lauréat du prix Ebony. Cétait en 1993. Cest donc moi qui suis allé rencontrer Mamadou Koulibaly alors président de lAssemblée nationale, son nouvel employeur, chez lui à domicile, du côté de la Riviera-Palmeraie pour lui demander de le licencier. Et, je lai donc recruté à Fraternité Matin. Cela a été dautant plus facile pour moi que Mamadou Koulibaly ne voulait plus de sa collaboration. Il ma expliqué quà ses yeux, après tout ce quil a pu lire de Venance Konan dans Fraternité Matin et Ivoir Soir sur Alassane Ouattara, ce dernier était « un fieffé tribaliste». Cest la clef pour comprendre la guéguerre entre les deux hommes qui a surgit, bien plus tard, dans la presse . Il est aujourdhui le directeur général de Fraternité Matin, quest ce que vous pouvez dire sur sa gestion ? La gestion éditoriale de Fraternité-Matin par Venance Konan me rappelle de celle, sous lère Bedié, de Michel Kouamé qui avait fait de Ouattara le mouton noir de la politique ivoirienne. Sauf quaujourdhui le mouton noir a pour nom : Laurent Gbagbo. Ironie de lhistoire. Je déplore le fait quil y ait aujourdhui à Fraternité Matin une ligne éditoriale à sens unique qui ne soit pas lexpression de la pluralité des courants, des opinions et des idées qui traversent la société ivoirienne. Je déplore le fait que Venance Konan, écrivain de renom, se transforme en « plume de service » comme hier déjà sous Bédié et sous Ouattara aujourdhui. Avec des écrits qui transpirent parfois la haine du Bété et du FPI. Comme hier, il ne peut servir la réconciliation nationale aujourdhui. Cela nhonore pas lintellectuel quil prétend être et le prix Ebony quil est. Cela ne sert pas limage de la corporation et de notre métier. Vous voulez dire que la ligne éditoriale « Ni neutre, ni partisan » est brocardée et gravement mise à mal par Venance Konan ? Nous exerçons un métier noble, sauf quici, sous nos tropiques, nous avons du mal à nous soustraire à cette tentation funeste que tous ces régimes politiques dHouphouët à Ouattara en passant par Bédié, Guéi, et Gbagbo ont eu la tentation de vouloir contrôler. Ces régimes successifs nont de cesse de vouloir nous infantiliser, nous domestiquer, nous asservir, nous embrigader. Mais nous devons résister : la liberté sarrache, elle ne se donne pas. Je men vais vous faire une confidence. Cest à cause de Venance Konan que jai perdu mon poste à la tête de Fraternité Matin. Un jour, par lentremise de Jean Baptiste Akrou, mon ami et frère, le colonel Logbo, alors aide de camp du président Laurent Gbagbo, me reçoit chez une de ses amies proches, elle-même conseillère à la Présidence de la République, pour me lancer cet ultimatum: « Ou tu pars, Ou tu fais partir Venance Konan ! ». Il exprimait ainsi, sans le dire tout en le disant, un cri de ras-le-bol au sommet. Jai résisté et cest moi qui suis parti quinze jours plus tard. Venance Konan ma suivi, un ou deux mois après. La boucle était bouclée. Gbagbo et le FPI pouvaient respirer, enfin ! Pour tout dire, je ne suis donc pas étonné de voir Venance Konan à ce poste. Javais prévenu le président Laurent Gbagbo. Chaque fois quil me convoquait à son sujet pour ses écrits acerbes, je navais de cesse de lui dire : « A trop vouloir ten débarrasser, tu en feras un faux héros ». Il ne ma pas écouté et lhistoire ma donné raison. Car cinq ans plus tard, cest mon frère Jean Baptiste Akrou, une autre plume de service qui remettait son tablier à son « ennemi intime » Venance Konan. Comme quoi la roue tourne, et elle tournera encore.. La leçon que je tire de cet épisode de ma carrière à Fraternité Matin est que : il ny a pas de liberté acquise sans renoncement, sans sacrifices. Quel est votre regard sur la presse ivoirienne en général? La presse, qui, ailleurs, est respectée sinon crainte, est un métier méprisé sous nos tropiques. Cette profession est constamment victime du mépris souverain des gouvernants mais aussi des simples citoyens. Malgré le printemps de la presse et avec lui, le vent de liberté qui a soufflé sur la profession, malgré donc la parole libérée conquise, malgré la multiplication des titres, nous navons pas réussi à nous réhabiliter aux yeux des différents secteurs de lopinion nationale et à faire de notre métier un lieu dexemplarité et de respectabilité. Ce métier continue donc dêtre fait par ceux qui ne réussissent pas, ou qui ne peuvent pas réussir ailleurs, ou tout simplement par ceux dentre nous qui sont résolument passionnés. Car les meilleurs de la profession, nos lumières, finissent toujours par la quitter. Lexemple des lauréats du prix Ebony en témoigne. Le taux de renouvellement de la classe médiatique, au regard de celui de la classe politique, est le plus élevé en Côte dIvoire pour ne pas dire en Afrique. Alors que les Bédié, les Djédjé Mady, les Alassane Ouattara, les Laurent Gbagbo., etc. continuent de faire la politique, leurs équivalents dans la presse sont leurs fils ou leurs petits fils. Question : où sont passés les Laurent Dona Fologo, les Auguste Miremont, les Ben Soumahoro, les Danièle Boni Claverie, tous ces devanciers qui pouvaient leur donner la réplique ? Réponse: de lautre côté de la barrière. Cest donc un métier qui ne retient pas ses cadres, ses élites, ses talents, ses champions, ses lumières. Et pourtant. Après un tel constat, que proposez-vous donc ? Ce que je propose cest donc une réflexion globale sur léconomie de la presse. Nous sommes dans un métier où depuis 1990, date du multipartisme et de louverture démocratique et donc de la pluralité des titres, « le fameux printemps de la presse », nous navons pas déléments moteurs pour le faire évoluer durablement. Cétait comme si les ressorts étaient cassés à jamais : aucune presse de référence ou même de prestige. Il faut agir. Cest même une urgence démocratique. Mais le plus scandaleux, cest que nos gouvernants, quand ils évoquent ce triste bilan cest sous langle de ce qui les agace souverainement: ce devoir dirrévérence, cette forme dirrespect que cultive avec art et parfois avec malveillance, cette nouvelle presse. Bédié, avec son art de la dramatisation, les traitait hier de « journalistes hypocondriaques ». Nos hommes politiques ne réalisent pas que la presse est la fille aînée de la démocratie et quil faut sauver la presse ivoirienne pour sauver la démocratie ivoirienne elle-même. Mais sous nos tropiques, comme personne ne veut ni de la démocratie ni de la presse, on tourne sans cesse en rond. Vous pensez que rien nest fait avec lassainissement du secteur entamé par le Conseil national de la presse (CNP) ? Laction du CNP tient beaucoup plus de leffet dannonce, de la politique spectacle pour exister. On sait que notre aîné Raphaël Lakpé, journaliste emblématique des années de braise, est en mission commandée pour casser la presse bleue, la presse dopposition. La vérité cest que cette presse bleue ne peut être cassée. Elle sest installée durablement et de façon résolue dans le paysage politico-médiatique ivoirien. Car la presse dopposition est une nécessité vitale pour la démocratie ivoirienne. Aujourdhui plus quhier, elle est le souffle même de cette démocratie à livoirienne, car tout est fait pour briser lopposition. Certes il y a incontestablement des dérives. Mais pour y remédier, il revient à notre pays de se transformer en se réconciliant définitivement et irrémédiablement avec la démocratie et lEtat de droit, en crédibilisant sa justice, en se donnant des institutions fortes et indépendantes. Des institutions indépendantes et aussi fortes que la Cour suprême des Etats Unis ou le Trésor américain. Par ailleurs, vous ne pouvez pas accepter que les médias publics soient domestiqués, infantilisés, téléguidés et vouloir donner des leçons de professionnalisme à la presse privée. Qui, elle, a déjà fait beaucoup deffort en matière desprit dindépendance. Hier comme aujourdhui, je soutiens cette presse dirrévérence, cette culture dirrespect. Lindignation sélective du CNP ne peut prospérer que dans une démocratie qui marche sur la tête. Car vu sous langle de la liberté de la presse, et sous bien dautres, la Côte dIvoire est un nain démocratique. Cest peut-être vague de dire que la Côte dIvoire est un nain démocratique.. La Côte dIvoire est un pays qui se refuse à entrer dans lHistoire ou plutôt dans la normalité historique. Un pays qui à chaque élection se soustrait à la normalité démocratique. Mais le drame de ce pays, cest que tout le monde se trompe sur la nature profonde, sur la cause séculaire de la crise ivoirienne. La vraie nature de la crise ivoirienne procède du fait que ce pays na que pour seuls moteurs limpunité et la corruption. Cest ce fléau qui a amené la guerre et cest ce fléau qui demain déclenchera une autre guerre. Limpunité et la corruption, ce sont les deux grosses mamelles nourricières de la crise ivoirienne. On peut divertir les gens, on peut continuer à tromper lopinion occidentale en disant que la crise ivoirienne est une crise identitaire. Cela relève du folklore émotionnel, de la pure politique de bas étage. Le moteur de la société ivoirienne, depuis Houphouët jusquà Ouattara, en passant par Bédié, Guéi et Gbagbo, cest limpunité et la corruption. Il faut que les Ivoiriens, dans leur ensemble et dans le respect de leurs différences, se mettent daccord pour changer de logiciel. Il faut un vrai sursaut moral et éthique, ce que jappelle « le choc moral ». Malheureusement, même les 3000 morts de la dernière crise postélectorale nont pas suffit à produire ce « choc moral ». En faut il davantage pour arriver à provoquer la prise de conscience nécessaire et salutaire ? Ce serait alors à désespérer de nous et de nos élites politiques. Ce serait à désespérer de notre humanité, de lêtre profond, de lAfricain qui habite en nous. On aurait atteint le point ultime de la désespérance humaine. Comment ? Soyez plus explicite! Il faut un « choc moral », un choc des consciences, il faut comme dautres lont déjà dit un vrai sursaut national, un vrai sursaut patriotique pour expurger ce pays de ses vieux démons, pour sortir de ce « mal être » ivoirien. Nous ne sommes pas condamnés à nous entretuer pour exister. Il ny a pas de fatalité historique, il ny a que des péripéties de lhistoire propres à tout peuple qui veut grandir. « Choc moral », certes, mais concrètement comment lenvisagez vous ? On peut en sortir par le bas en considérant que tous ces soubresauts, qui nous ont conduits jusqu à la guerre en sont les signes annonciateurs. Des signes qui préparent larrivée dun Jerry Rawlings ou dun Thomas Sankara, de quelquun qui par une volonté impériale expurgera notre société des deux grands maux qui sapent son fondement : limpunité et la corruption. Mais je compte sur notre intelligence collective pour sortir par le haut. Certes la Côte dIvoire, plus que jamais, a besoin dun grand visionnaire et dun homme de rupture, dun grand Homme en somme, le « Nègre Fondamental » quévoquait Aimé Césaire. Mais le triste constat est quaprès la mort du Grand Architecte des cathédrales et des basiliques, Félix Houphouët-Boigny, nous assistons à lère des tâcherons, des hommes politiques incapables de transcender leurs intérêts partisans et tribaux pour servir lintérêt national, lintérêt général, ce qui est le sens même de la politique. Reste quune sortie par le Haut simpose à nous, pour nous éviter dautres souffrances, dautres morts, dautres crimes. Alors donc, pour nos trois mille morts, tout ce que la Côte dIvoire compte comme leaders et forces sociales organisées y compris larmée si elle existe encore, doivent pousser notre classe politique à retrouver, un peu de courage politique totalement désintéressé, un peu de lucidité critique, un peu dintelligence collective émancipatrice et un peu de vision conquérante. le sens de lintérêt général, la force du renoncement sacrificiel. Bref nous devons retrouver linitiative historique. Pour projeter notre pays définitivement et de façon irréversible dans la modernité politique, en consacrant à jamais lEtat de droit. Et rompre ainsi avec lère Houphouët et son héritage, ce monstre à deux têtes et sans visage quil nous a légué : limpunité et la corruption, ce monstre qui nous détruit jusque dans le tréfonds même de notre société. Vous appelez donc la classe politique dans son ensemble au rassemblement ? Oui car, un fort et large consensus républicain simpose à chacun et à tous, à chacune et à toutes, du Nord au Sud, de lEst à lOuest sans oublier le Centre pour nous mobiliser et éloigner la Côte dIvoire des dangers qui samoncellent à lhorizon et nous sortir de cette impasse politique abyssale qui dure depuis la mort du premier des premiers, le président Félix Houphouët-Boigny. Pour construire la grande nation ivoirienne, une « République intelligente et irréprochable » simpose, un pays où chaque citoyen est reconnu par la société rien que par et pour ses talents et son savoir faire cest-à-dire pour ce quil vaut réellement. Une République irréprochable parce que fortifiée par ses institutions et où personne jusqu au Chef de lEtat ne peut et ne doit être au-dessus de la Loi.Un pays où tout le monde sans aucune exception est responsable de ses actes et rend compte des actions menées au nom de lintérêt général. Vous êtes en train de dire que les Ivoiriens payent aujourdhui le prix des dérives de lère Houphouët-Boigny. Je suis dautant plus à laise pour dresser le bilan dHouphouët que je me définis moi-même comme un Houphouetiste de gauche. Et le seul hommage qui lui ait été rendu sous lère Gbagbo la été à mon initiative, à lHôtel Ivoire avec la parution dun livre-témoignage et une grande exposition-photos. Incontestablement, cet homme fut un très grand visionnaire, un grand homme dEtat, un grand Africain, un homme Hors pair. Doublé dun grand animal politique: dans un contexte de guerre froide, il a su intelligemment arrimer son pays et son régime au camp occidental et protégé par ce camp, il a su créer les conditions de la stabilité politique pour nous faire entrer dans lère de la modernité sous limpulsion de politiques de développement hardies, sources de progrès social et économique incontestables. Mais, Houphouët-Boigny cétait aussi, au plan économique, le développement dune « économie de la dépendance » avec le binôme café-cacao, une économie extravertie qui dans les années 70 a commencé à connaitre ses limites. Et ses premiers craquèlements. Résultat: depuis trente ans la Côte dIvoire est placée sous les fourches caudines des institutions de Bretton Woods : Banque mondiale, FMI, ce qui, avouons-le, nest pas une marque distinctive de réussite. Mais surtout, Houphouët au plan politique, cétait aussi la corruption: « le temps des grilleurs darachide». En effet, la corruption fût lune des véritables composantes de son système politique, de son mode de régulation politique : le prix de la stabilité ; un instrument quil a su manier avec art et dextérité, en Côte dIvoire, en Afrique et même dans le monde. Le prix Félix Houphouët-Boigny décerné par lUNESCO en est une illustration. Le président équatoguinéen, avec plus de ressources que lui, y est pas parvenu plus difficilement. Cest une charge sans concession que vous faites. Houphouët-Boigny a fait de la transformation des ressources économiques en ressources politiques, cest-à-dire de la corruption, un instrument de gouvernance et cet instrument a été perpétué par tous ceux qui lui ont succédé. Au point quaujourdhui, le seul parti qui rassemble véritablement les Ivoiriens et les Ivoiriennes, le seul parti visible dans nos marchés, dans nos rues, dans nos villages, dans nos villes, dans nos administrations, dans nos commissariats, nos hôpitaux, dans nos cimetières, nos entreprises, nos écoles, dans nos mosquées, dans nos églises, dans nos temples, dans nos organisations. bref dans tous les espaces publics, dans toutes les strates de notre quotidienneté et de la société, et plus grave encore, dans nos consciences dhomme, cest le parti de la corruption. Les Ivoiriens dorment en pensant corruption et se réveillent en pensant corruption. Si le mot corruption pouvait être remplacé par celui de travail, nos prouesses économiques auraient étonné le monde entier. Je voudrais vous illustrer tout cela de façon simpliste mais loin de la caricature. Allez-y donc ? Jai établi une chaine sommaire voire symbolique de la corruption dans ce pays. Le policier subalterne vole parce quil sait que son commissaire vole ; Le Commissaire de police vole, parce quil sait que son directeur général vole, Le Directeur général de la Police vole parce quil sait que son ministre vole. Et pour ne pas froisser mon exconfrère et ami, le ministre dEtat Hamed Bakayoko, je dirai que les ministres volent parce quils savent que leur Président vole. Et le Président de la République vole parce quil sait quil na de compte à rendre à personne dans ce pays, ni à larmée, ni même à la justice. En Côte dIvoire, depuis Félix Houphouët-Boigny jusqu à Ouattara, la Présidence de la République est la première source de corruption. Cette chaîne est le moyen par lequel tous les Ivoiriens sont reliés car aucun secteur nest épargné, tout le tissu social en est imprégné jusque dans ses profondeurs. Avez-vous des chiffres, des faits. Un ordre de grandeur pour vous convaincre si besoin en est. Quand la Côte dIvoire se donne par exemple 5000 milliards FCFA de budget- un chiffre théorique sentend- ce sont 2000 milliards FCFA soit 2/5 de ce budget qui vont dans « les poches mafieuses de la République », celles, de nos dirigeants et de leurs dévoués au titre de lenrichissement illicite. Les 3000 milliards, restant, serviront à payer la dette, les salaires et à « faire du développement »( ?). La corruption dans notre pays a atteint les sommets de lEtat et la base de notre société, et sape les fondements même du vivre ensemble. Ne pas le reconnaitre cest faire preuve de cécité politique et cela est encore plus suicidaire. Un seul fait pour en témoigner. Pendant les négociations de Linas Marcoussis, en France, qui va constituer un tournant historique dans la crise ivoirienne, un des futurs ministres de la République, ma joint au téléphone pour savoir si le ministère de la Communication était un ministère riche. Lorsque je lui avais fait état jusquà la caricature de lindigence des entreprises sous tutelle dans ce ministère, et quil avait compris quil ne pouvait rien pomper comme argent, il ma lancé : « Jamais, je naccepterai ce portefeuille ministériel». Et dajouter en riant : «Moi, je ne suis pas là pour enrichir et accompagner les autres ». Et effectivement, il ne la pas accepté, le poste fut attribué à Guillaume Soro. Cest dire que nous sommes passés en trente ans dune crise économique, à une crise politique puis à une crise morale, cest-à-dire le stade ultime et fatal où, si rien nest fait, tout sétiole et périclite pour nous plonger dans les abysses du désarroi et de leffroi sans fin. Pour vous, concrètement quest ce quil faut faire pour le bien de la Côte dIvoire ? Nous devons objectivement faire ensemble le constat que la démocratie par les urnes ne nous a pas rassemblés : elle nous a divisés, elle nous pousse à nous entretuer. Et pourquoi ? Parce que nous avons commencé par la fin et non par le commencement: la démocratie par les urnes devrait être laboutissement dun processus de renaissance politique, culturelle, institutionnelle, économique, sociale de la nation. Avec une seule et unique préoccupation : quelle Côte dIvoire pour demain face au défi de la Globalisation ? Nous devons donc nous réinventer autrement. En partant des leçons du passé pour nous construire une citoyenneté nouvelle et conquérante sans exclusion : «lIvoirien nouveau ». Cela passe par des transformations, des changements, des ruptures radicales quun parti tout seul ne peut porter ou incarner. Il faut un gouvernement de sauvegarde nationale pour asseoir ce rêve dune « République Intelligente et Irréprochable » où chacun et tous, chacune et toutes ont leur place mais jamais au-dessus de la Loi. Il faut réinventer lEtat ivoirien par des réformes audacieuses et de grande ampleur au plan institutionnel, constitutionnel, politique, social, culturel et économique. Il faut réinventer de nouveaux modes de régulation sociopolitique qui sétablissent en dehors de la corruption et de limpunité et qui convoquent la transparence et la responsabilité. Il faut engager la Côte dIvoire dans une vraie modernité politique qui passe par le deuil de lère Houphouët, dans ce quil a de scandaleux et dinadapté: limpunité et la corruption mais aussi la Françafrique, le franc CFA, lemprise du binôme café-cacao, le mépris de la culture, la domestication de la presse, la fascination de lOccident, la vassalisation de larmée et de la justice, linstrumentalisation des organisations professionnelles, des corps intermédiaires et des partis politiques. Vous en appelez donc à une troisième République Il faut sortir de cette 2ème République qui nous a conduit à la guerre et à des élections calamiteuses. La démocratie par les urnes avec cette constitution de la deuxième République na pas été la seconde chance quon attendait. Depuis la mort dHouphouët-Boigny, la vie politique en Côte dIvoire sest crispée sinon figée. Il faut rééquilibrer les pouvoirs au sommet de lEtat avec des institutions fortes et indépendantes en réhabilitant lAssemblée nationale, qui aura un contrôle sur tous les actes de lExécutif jusque dans les nominations dans les hautes fonctions et lexécution du budget. Il faut consacrer, au plan constitutionnel, le principe de lappel à candidatures pour des postes stratégiques de lEtat et pour les régies financières. Il nous faut créer de grandes institutions économiques et de développement indépendantes du champ politique, à limage du MIT japonais, de lINSEE en France, etc. Déjà le BNETD (Bureau national détudes techniques de développement, ndlr) sy prête. Il faut totalement et définitivement redonner lindépendance au pouvoir judiciaire afin que, quel que soit le président qui nous gouverne, il ne puisse être au-dessus de la Loi. Il faut réhabiliter la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, etc. A lère de la globalisation et de la mondialisation, il nous faut sortir de ce modèle économique qui, depuis plus de trente ans, nous enserre dans la pauvreté et la décadence et sert plutôt la grandeur de la France et de lOccident. Nous devons créer de nouveaux sillons de développement. Revitaliser et moderniser notre secteur agricole et nos terroirs ruraux. Il nous faut convoquer le génie et linventivité de nos jeunes, de nos chercheurs, de nos universitaires, de nos entrepreneurs. Il nous faut achever toutes ces grandes réformes par linstitutionnalisation de la démocratie et laccès au pouvoir par les urnes. Cest un impératif historique et catégorique. Lheure de lancrage démocratique a sonné. Une nouvelle Côte dIvoire doit naitre des cendres de nos 3000 morts. Ils connaîtront ainsi la résurrection parce que, nous-mêmes, nous nous sommes résolument et hardiment engagés dans la voie de la rédemption ! Tous les pays qui, à un moment de leur histoire, ont été capables dun tel sursaut en termes dinnovations politiques et institutionnelles, en termes de choix économiques audacieux, ont fait des pas de géant. Ces pays pensez aux Dragons dAsie- ont réussi à faire de grands bonds qualitatifs parce quils ont choisi de se projeter résolument et souverainement dans lavenir. Avec toutes ces idées que vous développez, êtes-vous prêt à répondre aujourdhui à lappel de la Nation pour apporter votre touche au développement de la Côte dIvoire ? Je me considère comme quelquun qui a une responsabilité à assumer dans la société ivoirienne. Je lai déjà assumée hier. Je lassumerai demain. Ce sens du renoncement, cette culture de limpensé, Zadi Zaourou me la enseigné lors de nos cours didéologie politique et je lai moi-même expérimenté à Fraternité matin. Jamais, en effet, dans lhistoire de la presse publique, en général, et de Fraternité matin, en particulier, un directeur général na autant donné de sa personne pour garantir lindépendance ou plutôt lautonomie éditoriale à ses journalistes: ils nont jamais été aussi libres et aussi responsabilisés ! Je vais vous étonner ! Savez-vous que pendant mes cinq années de gestion, jamais je nai lu un seul article dun journaliste de Fraternité Matin, avant parution. La censure na jamais existé à Fraternité Matin. Elle est intervenue une seule fois sur ordre direct du président Laurent Gbagbo. Cétait pendant les heures chaudes de la crise ivoirienne. Et il ma invoqué limpératif de sécurité. Jai eu ce jour-là le sentiment que cétait malgré lui, à son corps défendant. Jamais dans lhistoire de Fraternité Matin, on a eu un directeur général qui, pendant ses cinq ans de gestion, na écrit un seul éditorial. Je me suis refusé jusquau bout à faire de Fraternité Matin la vitrine dun parti politique au pouvoir. Et les gens ont pu voir ainsi Fraternité Matin, qui était le 7ème journal au moment où je prenais fonction, redevenir, deux mois après, le premier journal de Côte dIvoire. Jai réinventé la ligne éditoriale avec le slogan Ni neutre, ni partisan. Malheureusement, ce slogan na pas survécu à mon départ. On la fait disparaitre, marquant ainsi le retour triomphal à la langue de bois. Jai toujours proclamé que mon horizon dHomme ne sarrêtait pas à un cabinet présidentiel ou encore moins à un cabinet ministériel.Cela vous donne une idée de ma vision, de ma personnalité et surtout, de mon esprit dindépendance. Jinsiste. Si on vous fait appel en ce moment pour servir la Côte dIvoire, allez-vous cracher là-dessus ? Ma norme à moi, ma profonde conviction dhomme est que je ne sers la Côte dIvoire que quand elle est réconciliée avec elle-même et avec les valeurs de progrès. Jai profondément mal à la Côte dIvoire quand elle est aussi profondément divisée : ma part dhumanité souffre avec elle et avec tous ceux qui sont victimes de cette division. Je me sens, jusquau plus profond de moi-même, solidaire de leurs destins. Je ne peux me réjouir du sort qui est fait à tant de gens en exil, ou privés de liberté, quand ils ne sont pas chassés de leurs plantations. Sans doute, pour certains, ce sont là des trophées de guerre, mais, pour moi et pour tant dautres, cest le comble de la bêtise en politique. Alors concrètement quelle est votre solution pour réconcilier les Ivoiriens? Ma solution est simple. Je prône «une réconciliation par les valeurs et par les grands principes démocratiques». Sortons du folklore émotionnel quon nous sert à longueur de journée ! Sortons des incantations verbales du genre: «il faut que le Bété salue le Dioula, il faut que le Dioula salue le Baoulé, il faut que le Baoulé salue lAdjoukrou ». Retrouvons plutôt la sagesse de lAttougblan parleur. Faisons parler le génie politique qui est en nous et en chaque peuple. Posons nous la question de savoir : doù nous venons et où nous allons ? La réponse est en nous et non hors de nous. Nallons surtout pas la chercher à Paris mais ici, dans la sagesse millénaire de nos peuples, dans notre capacité à nous réinventer, à ne pas perdre linitiative historique. Nous ne sommes pas des damnés de la terre. Collectivement et individuellement, nous nexistons pas sur la terre par hasard. Nous ne sommes pas une fiction de lHistoire. A notre façon, nous devons contribuer à réinventer cette grande fresque universelle que lOccident veut écrire sans nous en y apportant, notre part de lucidité critique, notre part dhumanité, notre singularité.. Je ne vous suis pas concrètement. Tout cela veut dire quoi ? Parce-que nos problèmes sont concrets : ce sont des milliers de morts qui attendent que justice leur soit rendue. Les sociétés occidentales, qui nous imposent une lecture prétendument universelle mais réellement univoque de lHistoire, sont les sociétés les plus individualistes. Dans les grandes villes, les voisins ne se saluent pas et meurent les uns après les autres, en signorant, presque dans la solitude. Et pourtant ils ne se haïssent pas au point de sentretuer tous les matins. Mieux, ils vivent en harmonie. Interrogeons-nous alors: quest ce qui les réconcilie, quest ce qui les rassemble et transcende leurs égoïsmes ? Ce sont les valeurs de justice, de droit, dégalité, de transparence et la solidarité institutionnalisée quils ont en partage et qui garantissent aux uns et aux autres les mêmes chances et les mêmes droits. Cest la démocratie, lEtat de Droit. Cest surtout le fait que ces sociétés aient élevé la vie humaine au rang de valeur sacrée. Travaillons donc à transformer la société ivoirienne par lancrage des grandes valeurs démocratiques, sociales et humaines. Cest ce que jappelle « la réconciliation par les valeurs et les principes démocratiques ». Pouvez-vous donner concrètement quelques exemples dactions qui plombent, à vos yeux, le processus de réconciliation nationale ? Je ne suis pas de ceux qui disent que si Gbagbo est à La Haye, Ouattara et Soro doivent ly rejoindre aussi. Sans doute ont-ils raison. Mais pour moi, la place de nos hommes politiques, cest ici en Côte dIvoire et nulle part ailleurs. Leurs erreurs doivent nous aider à grandir et à aller vers un seul but: élever la vie humaine, celle des Ivoiriens comme celle des autres, au rang de valeur sacrée. Gbagbo à La Haye, à mes yeux, plus quune erreur, cest une faute politique devant lHistoire. Je peux aussi joindre ma modeste voix à ceux qui dénoncent ces nominations tribales, cette justice à deux vitesses, ces médias embrigadés, ces marchés de gré à gré, cette impunité rampante pour les délits économiques, la construction de cette armée vouée à maintenir une ethnie au pouvoir, ces emprisonnements selon lhumeur du prince, . Vous connaissez savoir les conditions dans lesquelles le Président Ouattara a trouvé ce pays. Laurent Gbagbo était à peine au pouvoir que des assaillants tentaient un coup dEtat qui sest transformé en une guerre presque sans fin. Lui aussi peut prendre prétexte de cela pour justifier linjustifiable. Non ! Et non ! On nous a fait espérer un Ouattara nouveau, bonifié par les épreuves, généreux en esprit, prêt au pardon. Un peu plus de deux ans après, il nest toujours pas au rendez-vous de lHistoire, mis à part son coup de maître à luniversité. Ouattara est confronté à deux types dIvoiriens parmi ses non partisans. Il y a ceux qui sont des opposants résolus et déterminés, les irréductibles, les plus nombreux sans doute, qui souhaitent sa perte politique sinon sa mort physique. Et il y a ceux qui, comme moi, considèrent que, bien quil ait gagné une guerre et non une élection, il peut être une chance pour la Côte dIvoire ou du moins quil faut lui donner sa chance. Dans mon cas, en dehors de la facture idéologique très profonde qui nous sépare (ayant toujours considéré, hier comme aujourdhui, que les politiques ultralibérales quil nous applique, chaque fois quil est aux affaires, sont inopérantes et inefficaces en Afrique) nous nous respectons dans nos différences. Vous vous connaissez alors . Oui ! Pour lanecdote, au hasard de mes pérégrinations journalistiques, je me suis trouvé à linterviewer à Dakar au siège de la BCEAO (Banque centrale des Etats de lAfrique de lOuest, ndlr) dont il était le gouverneur. Nos échanges Off et le fait quil ait pris le temps de minterroger sur la date de parution de linterview quil venait de maccorder, mavait laissé entrevoir quil avait un agenda caché ou tout au moins quil se préparait à jouer un grand rôle en Côte dIvoire. Dailleurs, quand je lui avais fait noter la date de parution, il fit ce commentaire qui en dit long : « Cest un bon timing! » Quelques semaines après la parution de cette interview, il fut nommé président du Comité interministériel, puis, trois mois après, Premier ministre. Lui, à Washington et moi à Abidjan, nous nous sommes parfois rencontrés à des conférences internationales à Monaco, à Paris ou même à New York quand ce ne sont pas dans les avions qui nous transportaient. Ainsi, à trois mois des élections présidentielles, nous nous sommes parlé très brièvement dans lavion qui nous ramenait de Paris. Mais jamais je ne me suis prévalu de cette interview et des relations qui en sont nées pour espérer de sa part un quelconque privilège ou même un simple rendez-vous personnel. Et cela dure depuis décembre 1989. Pourquoi nallez vous pas vers lui pour vous parler, pour lui faire part de vos attentes? Laissez-moi poursuivre et vous comprendrez mes motivations ! Cette posture de renoncement qui est la mienne, cette distanciation critique que jentretiens à son égard, lavait marqué. Un jour, convié en ma qualité de président de lUnion nationale des journalistes de Côte dIvoire, par le ministre Ally Coulibaly à un cocktail de presse que le couple Ouattara, de passage à Abidjan venu de Washington, offrait, jai été présenté à son épouse par le journaliste Guy-André Kieffer avec qui elle conversait aimablement. Elle prit ainsi le temps de me faire part de ladmiration sans bornes que son mari me portait pour mon intégrité morale et le respect de mon métier. Aux yeux de Ouattara, je passais pour être un homme singulier dans la profession. Je ne sais si aujourdhui encore, il continue de le penser depuis mes dernières déclarations politiques que jassume pleinement et souverainement. Peu mimporte ! Car aujourdhui cest moi qui veux le juger sur sa capacité à étonner la Côte dIvoire, lAfrique et le Monde en projetant la Côte dIvoire dans lavenir, dans cette modernité politique. Pour me voir, moi aussi lui vouer une admiration sans bornes. Pour lheure, il nen prend pas le chemin. Justement, on peut vous prendre au mot. Vous avez, en effet, soutenu Laurent Gbagbo pendant la crise postélectorale, vous avez quitté la Côte dIvoire pour un exil sans doute doré et vous êtes rentré tranquillement au pays. Pourquoi un exil doré ? Je suis revenu au pays et alors ? Sans doute, ne suis-je pas un danger pour le régime Ouattara et pour la République des FRCI (Forces républicaines de Côte dIvoire, ndlr). Sans doute, ma grande gueule ou mon parler vrai, cest selon, font-ils partie du paysage politico-médiatique ivoirien. Je suis dans une posture de défiance et dirrévérence vis-à-vis de tous les régimes qui se sont succédé en Côte dIvoire, dabord, en tant que journaliste donc une conscience sociale critique et ensuite, en tant que président de lUNJCI donc, premier défenseur de la corporation. Et cela d Houphouët à Gbagbo sans aucune exception. Houphouët-Boigny ne vivait-il pas, lorsque jai fait appeler le prix dexcellence, attribué chaque année à nos meilleurs journalistes, Prix Noël X. Ebony ? Noël X. Ebony fut le seul journaliste de la grande époque du parti unique qui lui a résisté. Avez vous oublié la marche de protestation que jai organisée contre Robert Guéi et son régime militaire, suite à la bastonnade quil a fait infliger au journaliste Joachim Beugré (aujourdhui maire de Jacqueville) pour dénoncer « la délinquance dEtat »? Gbagbo est mon frère et mon ami, mais je nai pas hésité à linterpeller sur les antennes de RFI (Radio France Internationale, ndlr), accusant son régime dutiliser les pires méthodes dintimidation de la Gestapo quand il fit arrêter le journaliste Ouattara Mohamed Junior, installé désormais à Paris. Laurent Gbagbo était alors en visite officielle au Cameroun et avait mal pris la chose. Il me le fit savoir avec ménagement lorsque Seydou Diarra me nomma comme son conseiller à la Communication au Forum pour la Réconciliation nationale. Et sous lère Bédié ? Avez-vous oublié les arrestations dHamed Bakayoko et les autres. Qui était là pour dire « Non » ? En tant que secrétaire général de lUNJCI, jai pondu une déclaration forte et sans concession. Vous savez qui me la fait payer à lépoque ? Michel Kouamé, devenu directeur général de Fraternité Matin. Avant sa nomination à ce poste, il mavait promis par le truchement de mon ami et mentor Yao Noël son neveu, un poste de grande responsabilité. Je fus finalement le dernier chef de service quil nomma, je dirai par la force des choses et cela presque à quelques mois du coup dEtat qui le fit quitter le pays avec Bédié. Conséquence pour moi : ma carrière fut ainsi bloquée au point quavant de devenir à mon tour Directeur général de Fraternité Matin, je gagnais à peine 225 000 FCFA de salaire mensuel net. Ayant démissionné entre temps du poste de chef de service Economie pour me consacrer pleinement à lUNJCI, jai automatiquement perdu lindemnité de 50.000F de chef de service. Voilà mes faits de guerre ! Jai beaucoup donné à la Côte dIvoire pour que je la regarde dans les yeux pour dire haut et fort ce que je pense des princes qui nous dirigent. Mais cette fois nous sommes sur le terrain politique et vous avez pris position pour un camp contre un autre, en loccurrence contre le camp actuellement au pouvoir. Et vous circulez dans ce pays sans vous sentir inquiété, nest-ce pas là le signe que la réconciliation est en marche? Cest pour moi le temps de la clarification. Pendant ces élections, jai voté pour Gbagbo par reconnaissance, par amitié et par conviction. Si cétait à refaire, je le referais mille fois. Sans aucun regret. Quand la Côte dIvoire souffre, je souffre avec elle. Je ne triche pas! Jai quitté la Côte dIvoire parce que jai trouvé nécessaire de partir hors du pays pour me ressourcer. En aucun moment, ma vie na été mise en danger. Mais les domiciles de mes voisins très proches du régime Gbagbo étaient occupés par les FRCI quand ils nont pas été pillés. Ce qui nétait pas fait pour me rassurer. Mais il me faut être clair pour aujourdhui et pour demain, pour lhistoire. Je nai pas attendu les élections pour marquer mon désaccord avec les interférences néo- coloniales de la France dans la politique ivoirienne. Avez-vous déjà oublié cette lettre historique que mavait adressée dans sa colère homérique, lambassadeur de France, feu Renaud Vignal, lorsque javais pris à parti lattitude ambigüe de son pays au lendemain de lattaque du 19 septembre 2002 dontla Côte dIvoire venait dêtre victime. Une année plus tard, jai été censuré par TV5 qui sest refusée à diffuser linterview que je leur ai accordée dans le jardin de lHôtel Ivoire pour une émission consacrée à la Côte dIvoire que devait animer la journaliste vedette Epoté Durand. Dans cette interview, jexpliquais justement à cette chaîne que le problème de la Côte dIvoire, ce nest pas Ouattara et que les Ivoiriens se trompaient de combat, dobjectif mais que plutôt le problème de la Côte dIvoire, cest la France. Les évènements ne mont-ils pas donné raison ? Si TV5 garde ses archives, même pour des interviews non diffusées, vous pouvez retrouvercette intervention. Cest donc une constance chez vous la lutte contre une certaine France. Je fais partie du courant des économistes africains et tiers-mondistes qui pensent quun pays ne peut pas se développer dans la dépendance. Et cela na rien à voir avec Gbagbo ou Ouattara ou les élections en Côte dIvoire.. Moi, je suis par exemple contre le franc CFA et cela na rien à voir avec Gbagbo ou Ouattara. A mes yeux, tous ceux qui militent pour le maintien du franc CFA font partie des élites africaines corrompues. Et Gbagbo lui-même na pas échappé à cette « fatalité africaine », au contact de la réalité du pouvoir. Savez-vous ce qui sous Gbagbo a coûté à Mamadou Koulibaly le non renouvellement de son portefeuille ministériel ? Ses déclarations fracassantes, en tant que ministre de lEconomie et des Finances, sur la nécessaire flexibilité du franc CFA par rapport à leuro. Gbagbo nous avait envoyés en mission aux Etats Unis avec lancien premier ministre Seydou Diarra avec qui jentretiens une relation filiale. Et nous en sommes revenus pour lui dire ce que le FMI (Fonds monétaire internationale, ndlr) et la Banque Mondiale pensaient de ces déclarations: elles nen pensaient pas du bien. Imaginez donc ce que la France elle-même pouvait bien en penser. On ne peut pas être Africain digne de ce nom et militer pour un système néo colonial qui nous maintient dans la dépendance et donc dans lexploitation. Là-dessus, cest Malcom X qui nous avait prévenus. Il disait ceci : « Chaque fois quun Africain est applaudi par des Blancs, il faut commencer à le soupçonner ». Jen ai fait une des grilles de lecture de la vie politique internationale et du rapport de lAfrique avec lOccident. Pour conclure, je dirai que, dans labsolu on peut être ni pro-Gbagbo, ni pro-Ouattara mais pour la Côte dIvoire et contre la France. Cette approche binaire : ou pro-Gbagbo ou pro-Ouattara qui a cours dans nos médias est simplificatrice des positionnements et des situations plus complexes des uns et des autres. Donc vous considérez que la France a porté Ouattara au pouvoir ? Je répondrai à votre question sans biaiser. Mais permettez-moi de vous livrer une confidence quant à mon rôle, si modeste soit-il, de go-between dans cette crise ivoirienne. Vous savez quà un moment donné, dans cette crise ivoirienne, le médiateur international Albert Tévoédjrè, avait quelques difficultés à saccorder avec le Chef lEtat, Laurent Gbagbo, quant au recours à larticle 48 pour permettre la candidature dAlassane Ouattara aux élections présidentielles en Côte dIvoire. Jétais encore Directeur général de Fraternité Matin, lorsquAlbert Tévoédjrè me convia à un diner dans sa résidence à la Riviera Golf. Il me fit alors part de sa préoccupation qui était la suivante : faire jouer un rôle à Laurent Dona Fologo pour quil mette en place un scénario de facilitation. Et je me suis prêté au jeu. Effectivement, je suis allé persuader le président Laurent Dona Fologo quil avait une partition à jouer. Et que le temps était venu pour lui de la jouer. Je nai jamais donc été opposé par principe à la candidature de Ouattara à cette élection présidentielle en Côte dIvoire. Et cela était un point de divergence fondamental avec certains de mes amis de gauche, membres du FPI. Toutefois, je suis opposé à la façon dont le président Ouattara est arrivé au pouvoir. Si cétait mon ami et frère Laurent Gbagbo qui venait au pouvoir de la même façon, jy serais opposé. Comme jai été toujours opposé au coup dEtat contre Bédié en 1999. Pour ceux qui connaissaient ma proximité avec Mme Guéi, ils savent que si je navais pas été opposé au coup dEtat contre Bédié, jaurais eu à jouer un grand rôle dans ce pays déjà sous le règne du Général Robert Guéi. Jétais en effet très lié à Mme Guéi que jai soutenue pendant ses luttes syndicales pour la conquête du Syndicat national des enseignants du primaire public de Côte dIvoire. Je lai connue en tant quinstitutrice et directrice décole dans une école située à Adjamé non loin des tours administratives du Plateau. Et je my étais rendu souvent pour la rencontrer et prendre un verre avec elle. Voulez-vous dire que vous êtes toujours loin des positions alimentaires ? Mon ventre ne commande pas ma raison. Vu sous cet angle, je ne suis pas un Ivoirien. Je nai pas applaudi le coup dEtat de 1999, je nai pas adoubé le régime de Robert Guéi. Bien au contraire, jai initié une marche de protestation des journalistes, et cela pour la première fois dans lhistoire de ce pays, et de surcroît contre un régime militaire issu dun coup dEtat, pour défendre lun des nôtres. Comme tant dautres à cette époque, jaurais pu baisser la culotte (ce nest pas un jeu de mot) et dire à Mme Guéi : «écoutez vous êtes là au pouvoir, cest le temps pour vous de regarder votre ami Honorat parce que quand vous étiez en train de vous battre contre Mme Alangba au niveau du syndicat national des enseignants du primaire public, on na pas été nombreux à vous soutenir dans la presse». Il faut aussi savoir que lorsque jai perdu mon poste à Fraternité Matin, jai eu un dernier déjeuner avec le Président Laurent Gbagbo, par lentremise de son épouse Nady Bamba. Laurent Gbagbo nous a réunis à quatre après le déjeuner: lui, Nady Bamba, Kébé Yacouba et moi. Je voulais comprendre les raisons de mon limogeage et lorsque jai compris que lui, le président Laurent Gbagbo, mon ami et mon frère, y était pour quelque chose, alors yeux dans les yeux, face-à-face, je lui ai dit quà partir de cet instant là quand je serai sorti de ces lieux, quil ne me nomme à aucun poste public. Et jamais depuis que je suis parti de Fraternité Matin, je nai négocié mon retour à un poste public. Ma déclaration contre la France lors de cette émission télévisée (Une émission dune chaîne italienne sur la crise postélectorale en 2011 reprise par la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI)) ne visait donc pas à lui faire plaisir pour espérer une quelconque grâce de sa part. Ce sont des propos dun homme de conviction, dune conscience engagée pour lAfrique et pour la Côte dIvoire. Un commentaire sur la gestion de Laurent Gbagbo que vous avez côtoyé de si près. Ce nest pas le temps dexercer un quelconque droit dinventaire du régime Gbagbo. Par respect pour la situation quil vit. Attendons encore quelques jours ou quelques mois. Car jai bon espoir quil sortira de La Haye. Sa place est ici en Côte dIvoire et nombreux sont les Ivoiriens qui lattendent. Je vais juste donc me contenter de minterroger: Gbagbo a-t-il bien géré ce pays ? Si cétait le cas, pourquoi lattaque du 18 septembre 2002 a-t-elle été possible ? Je vais plus loin : si on avait eu une armée dotée dune conscience politique, les choses ne se seraient-elles pas passées autrement ? En effet, cette armée en voyant ce pays divisé en deux, ne laurait-elle pas accusé de haute trahison puis ne laurait-elle pas traduit devant une cour martiale ? Honorat De Yedagne en train de dire que larmée devrait faire partir Gbagbo dès 2002. Une simple interrogation pour susciter le débat et dans le prolongement de cette réflexion, je me pose la question de savoir si on avait à cette époque là une armée et des dirigeants dignes de ce nom. Sans doute faut-il mettre tout cela sur le fait quils étaient novices. Cette interrogation est-elle aussi valable pour lactuelle armée ivoirienne ? Y a t-il une armée en Côte divoire? Je vous pose la question. Je me pose juste la question. Est-ce à dire que vous êtes menacé ou en insécurité ? Mais pourquoi voulez-vous quon soit menacé dabord ou en état dinsécurité pour sinterroger sur lexistence dune armée républicaine à la hauteur des défis qui guettent la Côte dIvoire ? Jobserve quaujourdhui il y a une armée qui est mise en place pour maintenir un homme, un régime au pouvoir. Mais cela nen fait pas une armée républicaine. On nest pas loin du modèle togolais : une armée tribale au service dun régime et dun clan. Il faut savoir que le seul intérêt qui doit compter pour une armée républicaine, cest lintérêt national et la défense des institutions de la République. A vous entendre, doit on craindre le prochain processus électoral qui démarre en 2015 ? Cest Francis Wodié qui a eu raison avant lheure, en appelant à une conférence nationale souveraine pour vider tous les contentieux nés de lère Houphouët-Boigny. Quand on voit le tableau politique de ce pays avec tous ces clignotants qui sont au rouge : une transition politique pour asseoir une citoyenneté nouvelle en rupture avec lhéritage moral désastreux d Houphouët-Boigny simpose. La Côte dIvoire doit se retrouver avec elle-même, autour dun consensus politique fort, le plus large possible, pour réussir son entrée dans la modernité politique. Et pour arriver à ce consensus fort, il faut impliquer lensemble des partis politiques et des forces sociales organisées. Sans doute, vat-on attendre dautres morts, dautres crimes, dautres élections calamiteuses, pour voir se produire ce « choc moral » qui tuera en nous la peur de lautre et nos ambitions égoïstes et claniques. Vous avez beaucoup didées. Est-ce à dire quon vous retrouvera bientôt sur le terrain politique pour briguer un poste électif, un poste aux élections municipales ou législatives à venir ? Mon rêve pour la Côte dIvoire, cest dêtre à un niveau de responsabilité où lon travaille à faire entrer ce pays dans la modernité politique. Le propre des maires et autres, cest la course à lenrichissement illicite, aux fausses factures et aux surfacturations de toutes sortes. En Côte dIvoire, je nai jamais rencontré de maire. Je nen connais pas. Vous pouvez prendre lexemple de Cocody, sil y avait un maire digne de ce nom, Cocody ne serait pas ce quil est aujourdhui. Il faut faire une loi qui contraint les maires au résultat. Une raison de plus pour que vous-même vous descendez dans larène. Pourquoi refusez-vous dêtre dans un rôle de décideur politique ou public ? Je my refuse pour autant que la Côte dIvoire est divisée. Interview réalisée par Raymond Dibi
Posted on: Sat, 09 Nov 2013 01:56:15 +0000

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