Ce monde brouillé est aussi un monde éclaté. L’ancien - TopicsExpress



          

Ce monde brouillé est aussi un monde éclaté. L’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger désignait l’équilibre et la légitimité comme les deux piliers nécessaires de l’ordre mondial : je constate que les équilibres de puissance se modifient, tandis que la perception de la légitimité du système semble reculer. Notre monde est, en effet, bouleversé par une nouvelle hiérarchie des puissances : l’Europe dominait la planète jusqu’à la première guerre mondiale. Les États-Unis ont dominé le 20ème siècle. Beaucoup estiment que les nouveaux géants que sont la Chine, l’Inde peut-être le Brésil domineront ce siècle-ci. À l’inverse, si trois pays européens comptent aujourd’hui parmi les six premières puissances économiques du monde, on n’en trouvera possiblement plus aucun en 2030. Vingt ans après, en 2050, parmi les 30 premières économies, 19 seront des pays dits « émergents », en réalité « émergés » - même si des surprises peuvent survenir entre-temps. Ce système international n’est pas qu’une hiérarchie nouvelle des puissances : son agencement et son fonctionnement se sont aussi modifiés. Autrefois bipolaire, ensuite brièvement unipolaire et organisé autour des États-Unis, le monde d’aujourd’hui n’est pas encore multipolaire, contrairement à ce qu’on affirme parfois trop rapidement. Ce monde nouveau, je le qualifierai plutôt d’apolaire ou d’éclaté, parce qu’au-delà de la pluralité des intervenants, on y constate une diversité croissante des dimensions de la puissance, et un « éclatement » de cette notion même de puissance. Ainsi, les États-Unis demeurent une puissance internationale complète, mais ils ne s’imposent vraiment au premier rang que sur le plan militaire et, de façon plus limitée, sur le plan culturel. S’agissant d’autres dimensions de la puissance, c’est le pluralisme qui domine. Par exemple, malgré ses difficultés financières, l’Union européenne reste un acteur économique de tout premier plan, capable si elle en a la volonté de faire plier Microsoft et de conclure ou non avec de grands pays des accords commerciaux favorables. La Chine, de son côté, s’impose à travers ses investissements et sa diaspora. Cette puissance de plus en plus hétérogène s’accompagne d’une multiplication des acteurs du système international : je cite parmi ces acteurs pèle mêle ONG, multinationales, groupes terroristes, organisations régionales ou groupes divers comme Anonymous ou Wikileaks. C’est une évolution qui s’accentue sous l’effet de la diffusion des techniques, notamment celles de la communication et de la destruction. Lorsqu’un groupe terroriste acquiert des drones armés ou que, dans un tout autre contexte, une organisation religieuse comme les Italiens de Sant’Egidio mènent une médiation réussie au Mozambique, l’ordre westphalien, encore une fois, s’efface pour laisser place à un monde nouveau. Ce monde nouveau, ce monde éclaté entre pôles disparates et nouveaux acteurs, suscite et rencontre des défis redoutables. Car le système d’organisations internationales mis en place après la seconde guerre mondiale, et adapté à la marge depuis lors, parvient encore plus difficilement qu’hier à répondre aux tensions d’aujourd’hui. Ce système est de plus en plus souvent grippé : on le voit aujourd’hui pour la Syrie ou pour l’Iran nucléaire, on le voit dans le blocage des négociations du round de Doha à l’OMC ou dans les difficultés que rencontrent les conférences sur le climat - un défi qui nous sera directement adressé à nous Français, pays hôte en 2015 de la grande conférence sur le changement climatique. L’une des dimensions de nos efforts diplomatiques consiste précisément à chercher à adapter ces grandes institutions du multilatéralisme pour leur permettre de réguler le monde de demain, en matière de sécurité, mais aussi de développement, de finance ou d’environnement. Un monde hésitant Ce monde brouillé et éclaté est aussi un monde hésitant. Les années 1990 furent celles de l’ouverture internationale, des progrès de la régulation (OMC, CPI, etc.) et de la construction européenne. Ce fut une période de mondialisation plutôt optimiste. Au contraire, les années 2010 sont celles de l’affirmation des souverainetés, de la crise européenne, du recul des disciplines collectives - commerce, environnement, droit. C’est l’ère de la mondialisation défiante. Cela s’explique par plusieurs facteurs. La crise financière a conduit à une crispation des souverainetés. La répartition de la puissance dans le système international semble évoluer, sans qu’on puisse savoir à quel rythme. Chacun s’observe avec méfiance en attendant de voir quelles nouvelles lignes de force vont s’imposer. C’est particulièrement vrai au sujet des puissances émergentes, qui se demandent qui va prendre le dessus, et dans le couple Chine - États-Unis. Il existe d’un côté une puissance réticente (les États-Unis), après une décennie d’activisme désordonné, de l’autre une puissance renaissante (la Chine), qui semble parfois comme encombrée de son propre poids. Leur interaction sera décisive, mais elle reste indécise. On assiste donc à un début de polarisation du monde dont personne ne sait pour l’instant quelles seront exactement les lignes de partage et la nature. Cette polarisation sera-t- elle coopérative ou non ? Aucune puissance ne semble donc capable de prendre vraiment l’initiative. Les grands acteurs semblent bloqués par une sorte d’hésitation stratégique : notre monde est attentiste, alors que les problèmes s’accumulent. **
Posted on: Fri, 02 Aug 2013 08:06:54 +0000

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