Enseignante de littérature allemande à l’Université, Yvonne - TopicsExpress



          

Enseignante de littérature allemande à l’Université, Yvonne Bollmann a d’abord publié La tentation allemande. Dans ce livre, elle entendait dénoncer la construction européenne et en dévoiler les véritables motifs. Depuis cinquante ans, la CECA, la CEE et l’Union européenne ne seraient que les paravents d’un projet de germanisation de l’Europe. Conçu dans les dernières années de la Seconde Guerre mondiale par des officiers conservateurs allemands, ce noir dessein consisterait à assurer la mainmise totale de l’Allemagne sur tout le continent européen. Cette thèse est simple, elle est même simpliste. Elle n’est pas en outre nouvelle. Dès les années 1950, gaullistes, communistes et royalistes voyaient dans les premiers traités européens le cheval de Troie du revanchisme allemand. Celui-ci tenterait de promouvoir un fédéralisme basé sur les groupes ethniques et niant les États-nations. Pour Mme Bollmann, le soutien de l’Allemagne au fédéralisme ethnique qu’elle appelle “ l’ethnisme ” signifierait la fin des États historiques hétérogènes tels que la France, la Belgique, la Grande-Bretagne ou l’Espagne au profit d’entités régionales homogènes dont la plus puissante resterait l’Allemagne. D’après ces extrapolations, cela expliquerait l’attention que portent entrepreneurs et capitaux d’outre-Rhin à l’Alsace, à la Silésie et à la Poméranie. Paru dernièrement, son nouvel essai, La Bataille des langues en Europe , s’inscrit dans la droite ligne du précédent. Une nouvelle fois, Mme Bollmann met en garde le lecteur français devant le “ monstre ethniste ” qui se cacherait derrière les fédéralistes et les régionalistes… Elle concentre ses attaques sur la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. L’auteur estime que si jamais ce document était ratifié par la France, ce serait la fin du modèle républicain et le surgissement sur la scène publique des communautés ethniques ! Si Yvonne Bollmann n’apporte rien de bien nouveau dans sa démonstration par rapport à La tentation allemande, elle se contente de répondre platement aux arguments des partisans de la Charte tels que Bernard Poignant. Mme Bollmann poursuit en revanche sa vindicte contre la mouvance fédéraliste - régionaliste. Ici, ses cibles sont la revue Europa Ethnica, la Föderalistiche Union Europäischer Volksgruppen et le Centre international de formation européenne de Nice fondé par Alexandre Marc ! Remarquons que dans ses deux livres, Mme Bollmann n’avance aucune contre-proposition. Elle se contente de dénoncer et de rassembler, au prix de multiples contorsions intellectuelles, les pièces d’un indéniable procès d’intention. Sa vision est percluse d’a-priori regrettables, de préjugés tenaces, de sous-entendus contestables. On ne peut être que choqué par une germanophobie ardente qui s’apparente à un racisme anti-allemand exécrable. Ces deux ouvrages ont cependant le mérite de montrer la piètre valeur d’une certaine littérature politique française qui se dit “ souverainiste ”. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... • Sous la direction de Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, Décentraliser en France. Idéologies, histoire et prospective, François-Xavier de Guibert, coll. Combats pour la liberté de l’esprit, Paris, 2003, 308 p., 20 €. Cet ouvrage rassemble les contributions du colloque du Centre organisé à Caen les 28 et 29 novembre 2002 portant sur un sujet d’actualité : la décentralisation. Bien que certains intervenants soient de sensibilité national-souverainiste et s’inquiètent des effets d’une décentralisation qui, liée à la construction européenne, mettraient en péril le cadre national, les textes abordent maints aspects du sujet. On y lit ainsi une remise en question de l’interprétation tocquevillienne faisant de l’Ancien Régime le précurseur des Républiques dans la centralisation administrative. La réalité est plus compliquée, dépendante des distances, des moments, des personnes. Une autre interprétation erronée est démontée. Les Girondins ne sont que des centralisateurs modérés. Leur projet politique ne propose pas une véritable décentralisation. Celle-ci est défendue au XIXe siècle par les libéraux qui la considèrent, avec le fédéralisme, comme les seuls gages de garantir à la fois les libertés et le patriotisme, et par les différentes sensibilités catholiques, principalement attachées à revitaliser les corps intermédiaires et à résoudre la question ouvrière. Sujets d’étude captivants, Proudhon et Maurras sont deux grands penseurs fédéralistes, même si leurs analyses aboutissent à des modèles sociaux opposés. Pour Maurras, le fédéralisme est un antidote à l’individualisme républicain alors que pour Proudhon, il couronne le mutualisme, c’est-à-dire qu’ il applique une solidarité entre les individus. Outre d’intéressants éclairages sur le Félibrige provençal, l’autonomisme alsacien entre 1870 et 1940, et l’ancêtre du Mouvement normand : l’Association normande, cheville ouvrière d’un premier mouvement fédéraliste en France, on se penche aussi sur un exemple méconnu de déconcentration en Algérie entre 1896 et 1900 avec les Délégations financières. Toujours aussi percutant, François-Georges Dreyfus démontre que le régime de Vichy a essayé de conduire une certaine décentralisation. Cette politique est reprise et appliquée successivement par le gaullisme, puis par la gauche. Pour sa part, Christophe de La Mardière explique qu’une décentralisation réelle bute en France sur la lancinante question du financement des collectivités locales. Au-delà des beaux discours, celles-ci ne cessent de dépendre du bon vouloir de l’État. Or leur autonomie financière suppose la possibilité de lever l’impôt ou de fixer le taux de perception des taxes. Enfin, Gilles Lebreton juge que le régionalisme européen, présumé anti-étatique (c’est-à-dire hostile à l’État-nation), va à l’encontre de la « décentralisation à la française ». Cette autre exception française justifierait ce particularisme par « le principe révolutionnaire d’unité et d’indivisibilité de la République ». On ne peut que rester sceptique sur ce dernier point. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... • Noam Chomsky, Deux heures de lucidité. Entretiens avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Les Arènes, 2001, 191 p., 12 €. Journaliste spécialisé dans les enquêtes qui dénoncent la corruption et la mainmise des firmes transnationales sur le pouvoir politique, Denis Robert interroge le linguiste américain Noam Chomsky, internationalement reconnu pour son militantisme libertaire et sa critique radicale de la diplomatie de la Maison Blanche. Les réponses de Chomsky sont explosives. Horreur des bien-pensants ! Il n’hésite pas à dire que “ plus une société est libre, plus elle a recours à la peur et à la propagande ”. Avec une précision digne d’un entomologiste, Chomsky dissecte l’emprise croissante des trusts sur les gouvernements et leur interaction avec les nouvelles organisations économiques mondiales telles que l’O.M.C. ou le F.M.I. Pour les technofinanciers qui animent ces oligopoles planétaires, le profit maximal est le but ultime de l’existence et peu importe qu’il fasse table rase des traditions, histoires et mémoires des peuples et des personnes. Sur l’Europe, Chomsky estime que “ l’Union européenne est construite de manière à limiter la participation populaire. […] [Elle] est ainsi faite que les citoyens n’ont quasiment pas leur mot à dire ”. Le déficit démocratique qui en découle est, selon lui, l’une “ des raisons qui expliquent la montée actuelle du régionalisme. Cet accent nouveau mis sur l’identité culturelle des régions pourrait être une réaction à la centralisation antidémocratique de l’Union ”. Cependant, “ si l’Europe était vraiment unie, elle serait grosso modo à égalité avec les États-Unis : elle a une population plus importante, une industrie aussi forte et un meilleur niveau d’instruction. C’est pourquoi les États-Unis ont des sentiments ambivalents vis-à-vis de l’Europe. C’est peut-être la raison pour laquelle l’Angleterre, qui aujourd’hui n’est plus qu’une filiale des États-Unis, aide les Américains à empêcher l’Europe de s’unir ”. Quel bonheur de lire pareille affirmation sous la plume d’un Américain de cette stature ! Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... • Francis Delpérée, Le fédéralisme en Europe, PUF, coll. "Que sais-je ?", 2000, 128 p., 6,4 €, 42 F. Le fédéralisme en Europe occidentale a mauvaise presse, et les États fédéraux sont mal compris, note Francis Delpérée dont l’ouvrage est remarquable sur bien des points. En des termes clairs et accessibles, il plonge le lecteur dans les méandres du droit européen et de ses interférences (et pas seulement) avec les droits nationaux. Mieux, l’auteur s’intéresse aux liens juridiques et institutionnels établis entre les collectivités fédérées (régions, communautés, provinces, Länder…), les fédérations et l’Union européenne. Constatant que l’Union européenne compte actuellement sur quinze États membres trois États fédéraux , l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, et deux États communautaires proto-fédéraux , l’Espagne et l’Italie ( mais il oublie le Royaume-Uni avec la dévolution récente d’importantes prérogatives à l’Écosse, au Pays de Galles et, théoriquement, à l’Irlande du Nord ), Delpérée s’interroge sur la pertinence du modèle fédéral au sein de l’Union et de son influence sur ses institutions. Le sujet semble rebutant. Cependant, grâce à la clarté des démonstrations, on comprend mieux la complexité inhérente à l’association de divers États et collectivités. Si l’auteur n’hésite pas à écrire que l’Union européenne n’est actuellement ni un État, ni une fédération et encore moins une fédération de fédérations, il observe qu’“ une “ Europe infraétatique ” se construit en complément de l’Europe des États ”. Tous ceux qui voient dans l’émergence de structures subétatiques (“ l’Europe des régions ”) un risque pour les États-nations devraient méditer la réflexion suivante : “ Et la même Europe qui n’hésite pas à reconnaître aux entreprises une place particulière, notamment dans le cadre de ses procédures juridictionnelles […] hésite à franchir le pas quand il s’agit des collectivités fédérées. Cette frilosité est-elle justifiée ? ” Une nouvelle fois, "souverainistes" sincères et fédéralistes convaincus se retrouvent devant le même adversaire : le réductionnisme économique. Alors que dépérissent les fonctions classiques de l’État, le fédéralisme apparaît comme le dernier moyen de revitalisation et de renaissance. Fédéralisé, “ l’État renouvelé et, pourquoi pas ?, revigoré trouverait, dans ses missions de régulation et d’arbitrage, de nouvelles raisons d’exister ”. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... Guy Héraud, L’Europe des ethnies, Bruylant/L.G.D.J., Bruxelles/Paris, 1993, 209 pages. Bien que déjà ancien, cet ouvrage n’en conserve pas moins son intérêt. Guy Héraud y recense dans un premier les minorités ethniques d’Europe et décrit leur situation politique, selon qu’il s’agit d’ethnies sans État ou de minorités au sein d’un État. La dernière partie du livre, bien qu’elle soit la plus courte (une quinzaine de pages), n’est pas la moins intéressante : Héraud y esquisse, dans une optique fédéraliste et d’autodétermination, les procédures qui permettraient d’accompagner sans violence l’évolution désaliénante et d’asseoir sur des bases solides la convivence harmonieuse des peuples multiples qui font la richesse de l’Europe. Le droit à l’autodétermination doit, selon Guy Héraud, primer sur la démocratie interne des États : un peuple doit avoir le droit de s’affranchir d’un Etat dont il est prisonnier. La tragédie du Kosovo, encore présente dans tous les esprits, accentue d’autant plus le caractère explosif ou les limites de certaines des thèses contenues dans ce livre. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... • Ariane Landuyt (s. la direction de), Europe : fédération ou nations, SEDES, collection “ Regards sur l’histoire. Histoire contemporaine ”, 1999, 268 p. Cet ouvrage collectif qui regroupe les contributions de plusieurs universitaires de France, de Belgique, d’Espagne, des Pays-Bas, du Portugal et du Royaume-Uni est le résultat d’un séminaire international qui se tint en avril 1996 à l’Université de Sienne en Italie. Europe : fédération ou nations s’interroge sur l’avenir institutionnel de l’Union européenne. Pour cela, les auteurs retracent, pour chacun des États-membres, l’élaboration plus ou moins récente de l’idée européenne et de son application fédérale. On notera que les participants ne firent pas usage de la classique langue de bois puisque Jacques Vallette décrit Jean Monnet comme “ avant tout un financier international, introduit dans les milieux de la City de Londres et de Wall Street ”. Il poursuit en dénonçant son imposture européenne. En effet, “ En parlant “ d’Europe unie ”, [Jean Monnet] poussait à la réalisation d’une organisation européenne gérée par des organes technocratiques et supranationaux, en entrant dans le cadre de la stratégie mondiale américaine. […] Ce résultat était à obtenir en dehors des processus démocratiques, sans rechercher une quelconque légitimité par l’expression de la volonté populaire ”. Monnet ou aux sources de la lancinante crise européenne… Signalons que les deux derniers chapitres sont passionnants. Le premier, de Robert Bideleux, traite du “ débat sur les implications fédéralistes de l’union monétaire européenne ”. Le second, écrit par Danièle Pasquinucci, évoque “ un autre père fondateur de l’Europe : Altiero Spinelli ”. Fédéraliste italien, Spinelli resta un grand admirateur du fédéralisme américain et ne cessa de s’opposer au fédéralisme intégral professé par Alexandre Marc. Europe : fédération ou nations est un livre instructif pour tous ceux qui souhaitent connaître ou approfondir les origines intellectuelles de l’actuelle Union européenne. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... • Sous la direction de Michel Michel, Les communautés. Une question posée à la France, L’Âge d’Homme, 2002, 214 p., 20 €. Les éditions L’Âge d’Homme ont demandé à l’universitaire grenoblois Michel Michel de rassembler et de publier les différentes contributions d’un colloque consacré à la question très actuelle des communautés. C’est le spécialiste des “ tribus ”, Michel Maffesoli, qui préface l’ensemble. Marie-Hélène Léon évoque l’esprit communautaire militaire à Saint-Cyr pendant que Patrice Cugnetti s’intéresse à “ La conception française de la communauté nationale ”. Philippe Kaminski se demande si l’on peut “ quantifier la force du lien communautaire ”. Jean-Marc Vivanza analyse les liens entre “ Culture, enracinement et communauté ”. Pour sa part, Yves Chalas développe une thèse originale et séduisante sur “ Minorités culturelles et société globale d’accueil : l’intégration à double sens ”. Quant à Michel Debay, il estime que “ le réseau [est le] degré zéro du communautaire ”. Nicolas Portier bouscule les clichés et les fausses représentations en évoquant l’“ intégration : entre la communauté et la République ”. Dans une excellente étude, l’historien polonais Witold Zaniewicki, inventeur de la notion de “ noblesse populaire ”, nous fait découvrir l’existence d’authentiques communautés populaires organiques : les pariers d’Auvergne. Ces communautés rurales extrêmement hiérarchisées et soudées existèrent dans la région de Thiers dans les Monts du Forez, du Haut Moyen Âge jusqu’aux années 1930 ! Différents des alleux, les pariers constituèrent une sorte de seigneurie communautaire autogérée. “ L’Union européenne est-elle une communauté ? ” À cette question, Jean-Luc Chabot répond négativement, car “ nos grandes patries contemporaines n’ont pas le caractère de communautés sinon par artifice idéologique ou par analogie de langage ”. Constatant que “ comme la crise de foie, la dénonciation du communautarisme est une spécialité française ”, Michel Michel envisage avec espoir une réconciliation possible entre la France et les communautés, à la condition essentielle que “ l’on retrouve les vertus fédératives de la France. Cette réconciliation est facilitée par le fait que la France n’est pas une nation ethnique ” au même titre que l’Europe, d’ailleurs. Après avoir esquissé quelques pistes de réflexion, Michel Michel conclut que “ dans un cadre de pensée laïque, opposer la raison universelle aux variations des coutumes communautaires est une absurdité ”. Un recueil original pour les problématiques posées et les réponses apportées. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... * Chantal Millon - Delsol, L’État subsidiaire. Ingérence et non-ingérence de l’Etat : le principe de subsidiarité aux fondements de l’histoire européenne, collection “ Léviathan ”, P.U.F., 1992, 233 p., 198 F. * Chantal Millon - Delsol, Le principe de subsidiarité, collection “ Que sais-je ? ”, P.U.F., 1993, 127 p., 42 F. Une analyse brillante et remarquable du principe de subsidiarité qui reste si méconnu en France. Les deux ouvrages sont complémentaires. L’État subsidiaire en retrace l’histoire depuis l’Antiquité tandis que Le principe de subsidiarité, s’inscrivant plus dans une optique de philosophie politique, évoque sa réalisation et ses problèmes institutionnels que pose son application dans les régimes fédéraux. De ces deux livres que tout fédéraliste convaincu doit lire de toute urgence, il se dégage que la subsidiarité refuse l’individualisme et l’étatisme au nom des réalités tangibles. Ce principe produit une conception tocquevillienne de la liberté. Une réflexion riche et stimulante. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... • Stéphane Pierré-Caps, La Multination. L’avenir des minorités en Europe centrale et orientale, Éditions Odile-Jacob, coll. "Sciences humaines", 2000, 341 p., 24,39 €, 160 F. Professeur en droit public à Nancy, Stéphane Pierré-Caps s’intéresse à la question nationale et au problème des minorités en Europe médiane (des pays baltes aux Balkans) sous l’angle, très riche, du droit international. Jonglant avec dextérité l’histoire et le droit, les notions géopolitiques et la philosophie politique, la sociologie et le droit électoral, l’auteur plaide en faveur d’États multinationaux. Dans une première partie, il retrace l’histoire de l’ensemble qui fut dominé par les empires. Il recense ensuite les peuples attachés à un certain messianisme national autour d’une “ grande nation” (Polonais, Lituaniens, Russes, Hongrois, Serbes, Roumains, Albanais). Il expose le cas de peuples isolés ou périphériques dont certains sont devenus des États (Slovénie, Slovaquie, Croatie, Ukraine, Lettonie…) et d’autres non (Pomaks de Grèce, Gagaouzes de Moldavie, …). Il met à part les “ minorités transnationales ” que sont les Juifs et les Tziganes. Cette typologie recoupe en partie la distinction classique entre “ nations historiques ” et “ nations sans État ”. Après avoir discuté de la pertinence des concepts d’État-nation d’origine française, de “ nation-culture ” d’origine allemande, du jus sanguinis (droit du sang) et du jus solis (droit du sol), Stéphane Pierré-Caps juge qu’au regard de l’histoire récente, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un piège dangereux. Or comment concilier identité et liberté des peuples avec l’indispensable équilibre européen ? Avant d’envisager de possibles multinations (néologisme pour désigner les États pluri-ethniques), l’auteur revient sur les vicissitudes de l’idée multinationale avec la mort de l’Autriche-Hongrie, la dislocation de la Tchécoslovaquie et le naufrage de la Yougoslavie. Sur cette dernière, il analyse le rôle que joua dans la cohésion - relative - des nationalités l’autogestion titiste qui se voulait aussi une alternative socialiste au capitalisme d’État soviétique. S’appuyant sur des penseurs fédéralistes et en particulier sur les théoriciens de l’austromarxisme Otto Bauer et Karl Renner, M. Pierré-Caps propose un “ fédéralisme personnel ”. Cet ouvrage excellent aborde avec une aisance certaine et un ton neuf de grands thèmes contemporains. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... * Bernard Poignant, Langues de France : osez l’Europe ! , Indigène Éditions, 2000, 160 p., 14,25 €. La ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires par la France suscite un vaste débat qui touche aussi les questions voisines et connexes du fédéralisme, de la décentralisation et de la construction européenne. Avec Langues de France: osez l’Europe !, Bernard Poignant y apporte sa contribution. Ancien maire de Quimper en Bretagne et actuel député européen socialiste, B. Poignant qui est universitaire et agrégé d’histoire, entend exposer son point de vue d’homme de gauche sur le sujet. Tout l’intérêt de l’ouvrage réside dans sa mise en perspective. M. Poignant ne se contente pas de discuter du bien-fonder de la ratification. Il replace le cas français dans son histoire et dans celle de l’Europe. S’appuyant sur une abondante bibliographie et citant quelques auteurs qui réfléchirent aux notions de culture et de peuple comme Montaigne, Michelet, Simone Weil, Morvan Lebesque ou Lucien Febvre, Bernard Poignant estime que la Charte peut être un formidable atout pour la France. La Charte pourrait lui faire reprendre conscience de sa diversité intrinsèque tout en prenant en compte un contexte mondialisé et interconnecté. Après avoir souligné le paradoxe que le président de la République Jacques Chirac fasse l’éloge des Inuits au Canada et s’oppose au texte au nom de l’indivisibilité française, l’auteur considère que le triptyque unitariste “ État - nation - peuple ” (sorte de “ Sainte Trinité ” jacobine) doit s’estomper au profit d’un choix cohérent en faveur d’une Europe vraiment garante de toutes les exceptions culturelles, d’une République française girondine, d’une véritable promotion politique de la francophonie et d’un multilinguisme inévitable. Du fait de l’histoire de ces deux derniers siècles, la France ne risque pas la dislocation si elle entérine sereinement ces options. Cependant, la démonstration de M. Poignant pêche parfois au risque de se contredire. Ainsi, il se montre un vibrant défenseur du département dont l’existence favoriserait la proximité entre les citoyens et les élus. Mais, il exprime, non sans humour, sa défiance envers la revendication d’un département basque. “ En France, réclamer un tel échelon, c’est réclamer un préfet, un directeur des renseignements généraux, un directeur des polices urbaines, un colonel de gendarmerie. Je ne savais pas les Basques si pressés et même si enthousiastes d’avoir près d’eux tout ce beau monde. ” Par ailleurs, l’Europe des régions est un thème qui le rend méfiant. “ En France, il y a un État; en Europe, il n’y en a pas. Il ne pourrait y avoir d’Europe des régions que s’il y avait un État européen. Et ce n’est pas demain la veille, note-t-il. Sinon, c’est la jungle : pas de solidarité, pas de péréquation, les régions riches gardent leur richesse, les régions pauvres se débrouillent comme elles peuvent. ” Écrire une pareille phrase, c’est faire fi de la subsidiarité et de la péréquation qui lui est consubstantielle ! C’est aussi oublié les fondements du fédéralisme ! Finalement, l’essai de B. Poignant est digne d’attention puisqu’il présente le point de vue d’un élu local et européen. Même s’il ne le cite qu’une seule fois, l’auteur rejoint les opinions de Jean Jaurès quand celui-ci défendait à la fois l’Internationale ouvrière et la reconnaissance des “ dialectes ”. A l’occasion de la Charte, y aurait-il la renaissance d’un courant jauressien au sein du PS ? Ce serait une bonne nouvelle. N.B. : On soulignera que Indigène Éditions (1, impasse Jules-Guesde, 34080 Montpellier, France, tél. : 04 - 67 - 10 - 03- 43, télécopie : 04 - 67 - 45 - 59 - 36, courriel : [email protected]) publient des livres consacrés aux peuples non industriels de tous les continents ou qui récusent les concepts productivistes, mondialistes et standardisés. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... • Sous la direction de Victor Scardigli, L’Europe de la diversité. La dynamique des identités régionales, C.N.R.S.-Éditions, 1993, 239 p., 22,11 €. Dans ce travail collectif, les auteurs répondent à deux questions fondamentales : “ L’Europe est-elle une ou plurielle ? Sa diversité culturelle n’est-elle pas en train de se réduire inexorablement ? ” À partir des données économiques, socio-anthropologiques, géographiques et historiques, ils s’intéressent aux cas de la Catalogne, de l’Émilie-Romagne, de Berlin et de l’Île-de-France. Dans ces quatre exemples, il apparaît qu’en dépit de l’homogénéisation du monde, les régions non seulement résistent, mais s’affirment. Mieux, leur prise de conscience encourage l’essor économique. Ce réveil régional non négligeable prend des formes variables (linguistico-culturelle, historico-politique ou socio-économique) selon l’implication, importante ou non, des acteurs sociaux. Dans la société technicienne, bénéficier du soutien des catégories d’ingénieurs ou de cadres supérieurs devient un fantastique atout. De leur comparaison, il s’établit le constat que “ la région constitue l’échelon de base où s’organise la vie collective. C’est à sa dimension qu’agissent les acteurs qui modèlent la vie quotidienne. Même dans les sociétés apparemment déterritorialisées, où les porteurs de l’identité locale sont paradoxalement des immigrants ou des fils d’immigrants - c’est le cas de trois de nos régions, et peut-être de presque toute l’Europe de demain -, l’identité réside dans ce qui est “ local ”. La mémoire régionale reste la source de l’identité; et l’ignorer, c’est tuer à sa source la cohésion sociale. Le renforcement des cohésions nationale et européenne passe en partie par la région, principal foyer de dynamisme et dimension concrète de l’identité autant que source majeure d’une diversité culturelle renouvelée ”. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions... Bassam Tibi, Europa ohne Identität ? Die Krise der multikulturellen Gesellschaft, Goldmann Verlag, Münich, 2000, 394 pages. Bassam Tibi est considéré en Allemagne comme l’un des principaux spécialistes du monde musulman. Lui-même musulman, d’origine syrienne, Tibi est aussi citoyen allemand depuis 1976. Dans cet ouvrage peu en rapport avec le reste de son œuvre, il s’inquiète de la crise de l’identité européenne face à la mondialisation et aux flux de migrants d’origine extra-européenne. Tibi souhaite une Europe sûre d’elle et de son identité, débarrassée autant de son arrogance que de ses sentiments de culpabilité. Une Europe qui sait ce qu’elle est et ce qu’elle vaut, est, selon Tibi, le meilleur gage de l’intégration des minorités extra-européennes, tandis qu’une Europe qui doute d’elle et se laisse submerger d’immigrés deviendra un foyer de conflits ethniques. C’est l’idée selon laquelle les immigrés posent moins problème en raison de leurs différence qu’en raison de la faiblesse comparative du sentiment d’appartenance et de la cohésion sociale des pays d’accueil. L’Europe doit se replonger, selon Tibi, dans le meilleur des héritages de la Renaissance, des Lumières et de leurs sources antiques. Le livre de Bassam Tibi a le grand mérite d’être sans concessions. Il renvoie dos à dos les xénophobes et les adeptes d’un multiculturalisme naïf, selon lequel toutes les cultures se valent au point que n’importe laquelle fait l’affaire (anything goes…). Tibi appelle à la rupture avec les dogmatismes et insiste sur la nécessité d’un dialogue interculturel permanent. Europe Fédéralisme, ethnies, langues, institutions...
Posted on: Fri, 09 Aug 2013 14:35:18 +0000

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