Islam politique - Samir Amin : ni islamisme, ni néo-libéralisme - TopicsExpress



          

Islam politique - Samir Amin : ni islamisme, ni néo-libéralisme ! Share on facebook Imprimer E-mail Par : Augusta Conchiglia et Majed Nehmé Publié le : 25/09/13 Où va l’Égypte ? Il est impossible de répondre aujourd’hui à cette question. On peut en revanche analyser les diverses stratégies et enjeux. Nous sommes en présence de trois acteurs principaux. Tout d’abord, la force actuellement majoritaire dans le pays, qu’on peut appeler le Mouvement. Forcément hétérogène, car il rassemble des intérêts économiques et sociaux contradictoires et propose également des alternatives politiques différentes. En face, les islamistes, les Frères musulmans et les salafistes. Ce courant a connu une défaite sanglante après une année de pouvoir. Les Frères musulmans ont montré leur véritable visage, leur politique économique et sociale ultra réactionnaire et totalement soumise au triumvirat qui gouverne la région, à savoir : les États-Unis, Israël et les monarchies du Golfe. Les énormes illusions de l’élection présidentielle d’il y a un an ont complètement disparu au bout de quelques mois, le pouvoir islamiste s’étant montré au peuple égyptien dans son ensemble comme injuste et au moins aussi mauvais que celui de Moubarak. Cette cuisante défaite, qui aura certainement ses répercussions au-delà même des frontières de l’Égypte, n’est cependant qu’une défaite. Les Frères musulmans sont un groupe certes minoritaire, mais terriblement bien organisé. Tout le monde sait qu’ils ne sont pas nombreux à tenir les rênes, mais ils comptent sur des centaines de milliers de miliciens armés prêts à tout, même à commettre des actes terroristes. Le troisième acteur, c’est l’armée, également très hétérogène. Depuis l’avènement de Sadate il y a quarante ans, le commandement de l’armée a été contrôlé, acheté et corrompu par les États-Unis. Reconnaître que ce haut commandement a accepté ce rôle est exact, mais cela ne dit pas tout sur l’armée égyptienne. Il y a des milliers d’officiers dont on ne sait pas ce qu’ils pensent, et nombreux ont été ceux qui ont montré leurs sympathie et soutien au mouvement populaire anti-Morsi. Dire qu’il s’agit de nostalgiques du nassérisme comporte certainement une partie de vérité, mais il reste à savoir quelle politique correspondrait aujourd’hui à l’idéal nassérien. Il y a beaucoup de flou à cet égard. Au sein de l’armée, certains groupes ou individus ont un projet politique, mais il s’agit de forces très disparates. Comment expliquez-vous la nostalgie de l’époque nassérienne ? On n’a jamais vu autant de portraits de Nasser… Mohamed Brahmi, le député tunisien progressiste qui vient d’être assassiné, en revendiquait l’héritage. La renaissance de la figure de Nasser s’explique sans doute par l’exigence ressentie par les mouvements populaires des pays arabes, surtout après la cuisante déception des pouvoirs islamistes, de retrouver des leaders nationalistes capables de faire des choix dans l’intérêt national, en toute indépendance. Il y a eu plusieurs phases dans la gouvernance de Nasser. Le tournant nationaliste ayant forgé son image est celui qui a suivi sa participation à la conférence du Mouvement des Non-Alignés de Bandung, en 1955. Après la dramatique agression israélienne de 1967, Nasser, qui avait constaté un essoufflement de sa politique économique, a cependant emprunté un virage à droite, accentué par son successeur Sadate. Quel avenir prévoyez-vous au mouvement anti-Morsi ? Il s’agit de la majorité écrasante du peuple égyptien qui a été capable de réunir 25 millions de signatures pour la destitution de Morsi et de mobiliser au moins autant de gens dans les rues des principales villes du pays. La police a immédiatement reconnu, après le 30 juin, qu’il s’agissait de manifestations plus grandes que celle, « historique », anti-Moubarak du 25 janvier. Dans ce mouvement, il y a une droite et une gauche, même des gauches et des droites, ainsi que des centres. Mais il ne fait pas de doute que la gauche y est puissante, incarnée en partie par les partis socialiste et communiste, même si elle n’a pas été capable d’en donner la preuve en termes électoraux. Il y a environ 4 à 5 millions de travailleurs organisés dans les syndicats qui sont traditionnellement à gauche, avec des revendications précises par rapport aux salaires, aux pensions, etc. Il y a eu dans le pays 5 000 grèves en une année. Le mouvement des paysans qui résistent à la paupérisation et à l’expropriation par les paysans riches et les groupes agroalimentaires, un processus qui s’est accéléré avec les politiques néo-libérales, est aussi une composante importante du Mouvement. Tout comme les associations pour les droits démocratiques dans le domaine du travail, des droits sociaux, ou encore des droits des femmes. Les femmes des quartiers populaires ont rejoint le mouvement avec un élan tout particulier : elles ont été lucides et combatives, ont soutenu les grévistes et les manifestants, leur apportant la nourriture ou les logeant le cas échéant. La classe moyenne est aussi fortement représentée dans le Mouvement au travers des organisations des ingénieurs, avocats, juges, fonctionnaires, etc. Un reflet des avancées des forces progressistes en détriment des Frères musulmans était perceptible chez les étudiants en mars dernier, lors des élections à l’université du Caire. Les sympathisants de la gauche et du centre gauche y ont remporté 80 % des voix, contre 10 % aux Frères musulmans. Tout cela représente une force très considérable, où le réseau des jeunes, en particulier ceux à l’origine du Tamarrod (rébellion) et de la pétition des 26 millions, est très actif. Ces réseaux sont difficiles à classer politiquement, car ils sont très indépendants ; ils tiennent à ne pas s’associer aux partis, quels qu’ils soient. Pour une bonne part, ils ont le cœur à gauche : ils sont hostiles à la politique économique néo-libérale de Moubarak et de Morsi, sans nécessairement – et c’est là leur faiblesse – avoir véritablement élaboré une alternative, une autre politique économique et sociale. Les formations de la gauche ont cependant présenté des programmes qui pourraient être compris et soutenus par ces réseaux des jeunes. Dans le Mouvement, il y a un énorme segment de la classe capitaliste productive qui a été squeezée par le régime des Frères musulmans. Celui-ci avait permis à des clans en connivence avec le pouvoir – à l’instar de ce qui se passait sous Moubarak – d’accaparer des profits. La question principale est de savoir si ce mouvement est capable, en dépit de sa diversité et au-delà du débat entre capitalisme et socialisme, de fusionner ses parties et de générer un programme alternatif. Faut-il être optimiste et penser que les Égyptiens ne manqueront pas cette occasion historique ? Il faudra tout d’abord que la gauche comprenne qu’il existe une relation intime et indissociable entre le néo-libéralisme économique et la soumission du pays au trio États-Unis, Israël et les monarchies du Golfe. Le gouvernement actuel ne remet en aucune manière en question la politique néo-libérale antérieure. Beaucoup peuvent penser qu’il n’y a pas d’alternatives. Puisque, croient-ils, la page du socialisme est tournée et que l’on peut simultanément continuer à mettre en œuvre une politique libérale et entrer dans le groupe des pays émergents. Même à gauche, beaucoup croient que les pays émergents font une politique libérale. Cela n’est pas du tout vrai. Les pays qui ouvrent leurs portes, sans contrôle, au capital étranger, qui acceptent le néo-libéralisme, comme les pays africains, arabes, et l’Égypte encore aujourd’hui, se font des illusions : ils ne recevront les capitaux nécessaires à leur développement que pour avoir la tête hors de l’eau ou pour piller les ressources naturelles. Les pays émergents, et le premier d’entre eux, la Chine, ne sont pas des régimes économiques libéraux, en ce sens qu’ils ont un projet souverain pour le développement industriel et agricole, ce qui les rend attractifs aux capitaux étrangers, à l’entrée desquels ils posent d’ailleurs leurs conditions. Le succès des pays émergents nest pas le produit de leur ralliement au néo-libéralisme. Le contraire est plus proche de la réalité. Le lavage des cerveaux en Égypte est inquiétant. Dans les universités, l’économie politique a été abolie. Ce sont desbusiness schools à l’américaine qui font office de lieux pour les études d’économie. L’Égypte a-t-elle les moyens de s’émanciper de la soumission économique, politique et stratégique aux États-Unis ? L’axe de résistance que constituent les Brics aurait-il la volonté et les moyens de relever le défi, comme il l’a fait en partie avec la Syrie ? Les États-Unis ont soutenu Moubarak jusqu’à la fin. Puis ils ont soutenu Morsi, également jusqu’à la fin, en répétant inlassablement qu’il s’agissait du « président élu ». Mais quand les leaders de l’armée ont déposé Morsi, les États-Unis ont fini par accepter, ils n’avaient guère le choix. Mais ils ont tout de même exercé des pressions sur le nouveau gouvernement pour continuer la politique néo-libérale en vigueur. Les moyens de pression des États-Unis posent un double défi : économique et politique. L’Égypte est prisonnière d’une politique néo-libérale imposée par le capitalisme égyptien de connivence (voir article dans AA n°xx). Pour survivre dans ce contexte, ce pays a besoin de l’aide américaine, du soutien de la Banque mondiale ou du FMI, ainsi que des capitaux du Golfe. Politiquement, les États-Unis ne peuvent permettre à l’Égypte de sortir de cette soumission. Une Égypte indépendante, avec un projet souverain populaire et progressiste, serait un danger pour l’influence des États-Unis, pas seulement en Égypte, mais également au Moyen-Orient, dans les pays arabes et en Afrique. Cela limiterait l’expansion d’Israël en Palestine et mettrait aussi fin à l’influence des pays du Golfe. Ces pays ont un intérêt commun à tenir l’Égypte sous contrôle, comme ils ont eu intérêt à détruire l’Irak. Il y a donc besoin d’un programme commun pour affronter les défis immédiats, et notamment un programme pour sortir du piège de la néo-libéralisation de l’économie, en restaurant le pouvoir de l’État et s’ouvrant à des nouvelles relations internationales, telles celles avec les Brics, afin de mener des politiques indépendantes et sortir de l’influence américaine. Le choix est-il donc, dans le monde arabe, entre islamistes et militaires ? Oui, à court terme, il me semble bien que ce soit malheureusement le cas.Ce fut le cas en Algérie où c’est l’armée qui avait mis en déroute le FIS. On l’a vue et on le voit actuellement en Syrie. Et on le voit enfin maintenant en Egypte. La raison est tout simplement que le mouvement démocratique et populaire, en dépit de la puissance de sa mobilisation, qui a aligné, le 30 juin, quelque 33 millions de manifestants, reste divisé à l’extrême et incapable de répondre aux exigences de la construction d’un programme alternatif commun.
Posted on: Thu, 24 Oct 2013 22:22:26 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015