LE CERVEAU GÉNÉRATEUR D’HYPOTHÈSES Les tout premiers - TopicsExpress



          

LE CERVEAU GÉNÉRATEUR D’HYPOTHÈSES Les tout premiers cerveaux, ceux qui sont apparus il y a plus d’un milliard d’années , ne comportaient que quelques neurones. Ils étaient chargés, par exemple, de coordonner les mouvements des pattes d’un arthropode. La nature a dû développer un contrôle central pour éviter, par exemple, que toutes les pattes ne se lèvent à la fois ou qu’elles ne se croisent dans leurs mouvements. De très simples réseaux neuronaux sont tout à fait capables d’une telle coordination. La pression évolutive a contribué à augmenter le nombre de neurones en favorisant des capacités nouvelles. À un moment donné de l’évolution, la nature a dû découvrir un système que nous appellerons la génération d’hypothèses ou d’attentes. Le cerveau génère continûment des prévisions sur ce qui peut se passer ensuite de manière à mieux adapter les comportements. Cette capacité a nécessité une aptitude à mémoriser des situations antérieures et de relier par abstraction analogique ces situations mémorisées aux informations sensorielles. Ce système s’est avéré tellement efficace qu’il s’est imposé chez tous les vertébrés. Imaginons: sans génération de prévisions, le cerveau serait obligé d’attendre une information complète provenant des sens pour décider quoi faire ensuite. Avec un système de génération d’attentes, le cerveau profite immédiatement de situations mémorisées que nous appellerons des patterns pour prendre ses décisions. Voir la queue du lion suffit à décider de fuir, il n’y a pas besoin d’attendre que le lion en entier soit observé. Les parties manquantes du lion sont immédiatement reconstruites, par appel de situations mémorisées antérieurement. Le terme pattern est un anglicisme, mais son origine est française puisqu’il vient du mot patron. Il indique un ensemble, donc, des éléments, il indique aussi une répétition, une récurrence d’éléments prévisibles, un réseau d’éléments interagissant. Nous l’utiliserons en parallèle avec le terme modèle, bien qu’il indique mieux que nous parlons d’un réseau de neurones regroupés, car ils sont activés simultanément pour représenter ensemble un même concept ou un même schéma mental et sont bien entendu connectés entre eux. Avec ce système de génération d’attentes, l’animal devient beaucoup plus rapide à réagir. En devenant un meilleur générateur d’hypothèses, l’animal économise de l’énergie et minimise les risques. Il y a donc un avantage évolutif évident. Ce processus est analogique et imprécis, mais il est extrêmement rapide. L’animal commence alors à vivre de plus en plus dans la réalité que lui fabriquent ses patterns mémoriels, l’observation ne servant que de mécanisme à déclencher ces patterns mémoires. La génération d’hypothèses s’est développée énormément avec l’évolution des diverses couches du cerveau jusqu’au néocortex des mammifères. Chez l’homme, le néocortex produit sans arrêt des inférences, il interprète continûment les données sensorielles en fonction de patterns mémoriels en inférant, c’est-à-dire en attribuant un sens à son observation en fonction de situations mémorisées. Pour cela, il associe les informations provenant des sens à une multitude de patterns mémoriels analogues, ayant au moins un point estimé commun. L’analogie et l’abstraction sont à la base du processus de génération d’hypothèses. L’homme s’est ainsi dégagé d’une vie vécue purement dans le présent et le futur immédiat pour accéder à une vie vécue dans ses mémorisations et ses inférences. Le néocortex et le système de génération d’hypothèses à étendu dans le temps notre vie intérieure. Le grand neuroscientifique brésilien Miguel Nicolelis, professeur à Duke university, membre de l’académie des sciences de Paris, et surtout mon très cher ami, dans son livre Beyond boundaries nous dit que: La plupart des informations qui parviennent au cerveau en tant que résultat de processus d’exploration sensorielle sont initiées par le cerveau lui-même. La perception est un processus actif du cerveau. Le cerveau, poursuit Miguel, a son propre point de vue, sa propre réalité qu’il teste continûment par divers comportements exploratoires face aux nouvelles situations qu’il rencontre. Le toucher par exemple, celui que nous ressentons en passant les doigts sur une surface nous fait ressentir des attributs tels que la texture, la forme, la douceur, la température. En réalité ces sensations sont des fabrications engendrées par le cerveau. Les attentes générées doivent être corroborées par l’information provenant de tous nos sens, sinon d’autres modèles sont immédiatement proposés. Lorsque nous devenons trop bons à prédire l’étape suivante pour une situation donnée, nous commençons à ressentir de l’ennui. Nous tentons de rechercher des situations nouvelles nous permettant de découvrir, de fabriquer des patterns nouveaux. Notre cerveau semble avoir besoin de créer en permanence de nouvelles attentes. La création et la découverte procurent beaucoup de satisfactions pour Homo sapiens. Nous sommes capables par inférence de compléter, nous-mêmes la phrase de notre interlocuteur, si nous le connaissons bien. Nous n’avons pas besoin de lire tout le mot, les premières lettres nous suffisent pour générer le mot tout entier. Lorsque l’on vous donne une suite de nombres 2,4,6,8,… vous pouvez normalement deviner ou déduire le nombre suivant. Vous le faites en repérant non seulement les patterns correspondant aux nombres, mais aussi les patterns qui concernent des règles qui peuvent relier ces nombres, des patterns de patterns. Ainsi, les patterns sont hiérarchiques et de plus en plus abstraits. Lorsque vous rencontrez un ami, vous vous attendez à un sourire, un bonjour ou une accolade. Si cela ne se produit pas, vous êtes surpris. La réalité perçue n’a pas correspondu à l’attente et nous avons alors besoin d’explications. Explications que notre cerveau va inférer immédiatement. Confondre nos inférences avec nos observations est très commun et peut être aussi très dangereux. Décider en fonction d’une inférence qui n’a pas été validée par une série d’observations peut nous conduire à des incompréhensions et des catastrophes. Si l’inférence donne éventuellement une présomption, nous savons qu’elle ne peut pas être précise, elle ne peut pas donner de certitude. L’inférence est à la source de très nombreuses craintes qui se basent sur ce que nous imaginons être en fonction des situations mémorisées et pas sur ce que nous pouvons effectivement observer. Imaginer mordre dans un citron peut suffire à nous faire saliver. Le citron n’a pas besoin d’être présent. Le citron virtuel est suffisant. Lorsque les circonstances vous mettent devant une situation inconnue, votre cerveau ne vous présente pas de patterns adéquats et vous recommande alors la prudence ou la réserve pendant qu’à pleine vitesse vos sens explorent l’environnement pour repérer un indice qui matcherait avec des patterns connus. Autrement dit vous avez besoin de comprendre. Le sentiment de compréhension est relié au fait d’avoir repéré des patterns qui matchent. Cela signifie que nous ne comprenons que par rapport à ce que nous connaissons déjà. Cela est important pour l’éducation. Un type de connaissance attire certaines connaissances futures. Différentes personnes avec différentes cultures comprennent autrement. Cet instant de prudence, de désarroi, de silence au moment où la situation perçue ne correspond plus aux attentes est exploité dans les émissions de caméra cachée. Le principe consiste à fabriquer des situations où les prévisions et les attentes de la victime sont prises en défaut. À la fin, la victime repère la caméra cachée, cet indice supplémentaire lui permet d’appeler de nouveaux patterns qui expliquent autrement la situation. Et c’est le soulagement et le rire. Prédire continuellement l’avenir est un processus délicat que l’évolution a extrêmement bien cadré par un système de boucles en retour, de feedbacks inhibiteurs. Dans le cerveau ces inhibiteurs agissent de manière progressive et extrêmement intelligente. Sans ces circuits électriques et chimiques d’inhibition, le système peut s’emballer et perdre de ses capacités à générer des prédictions adéquates. Cela se produit malheureusement souvent chez l’homme, comme dans tous les systèmes adaptatifs complexes. Nos prédictions infondées peuvent générer les mêmes angoisses que l’observation directe. Nous savons tous ce que peut produire la panique ou la peur. La prédiction, nous le disions, peut-être extrêmement dangereuse dans un système complexe comme le cerveau. En effet, prédire, c’est injecter la prédiction dans l’état actuel du cerveau renforçant les propriétés récursives du système et le rendant beaucoup plus susceptible à des instabilités et des circularités. Le cerveau dépense plus d’énergie à assurer sa propre stabilité et son propre contrôle qu’il n’en dépense à traiter l’information sensorielle. Pour générer continûment des hypothèses, le cerveau doit continûment comparer la perception d’une situation présente avec des acquis mémorisés. Cette comparaison ne doit pas être trop précise, car elle ne donnerait que trop rarement des coïncidences et mettrait l’animal à risque. Le match doit être une comparaison analogique, un à peu près bien calibré. Si cet à-peu-près est trop large l’animal aura de la peine à distinguer les situations et les assimilera indument les unes aux autres. Si elle est trop fine, il ne repérera pas suffisamment de similitudes. Le cerveau n’est pas une machine à calculer, il serait plutôt un organe à deviner de manière expérimentée. APPAREIL SENSORIEL ET REPRÉSENTATIONS Notre appareil sensoriel, comme celui des vertébrés, dépend largement de ces simulations prédictives, autrement dit, des attentes. Comme l’explique Miguel Nicolelis dans son livre Beyond Boundaries, la plupart des informations qui parviennent au cerveau en tant que résultat de processus d’exploration sensoriels sont initiées par le cerveau lui-même . Le cerveau qui cherche à confirmer ses prédictions. L’œil, par exemple, ne supporte que mal la comparaison avec un appareil photographique. L’œil est un système actif au service du cerveau, pas un récepteur passif de photons. Une différence essentielle entre un capteur photographique de vingt-cinq millions de pixels et notre système visuel est que le capteur est constitué d’une collection de photodiodes séparées qui n’interagissent pas l’une avec l’autre; alors que notre expérience visuelle est intégrée, elle constitue un tout comportant aussi des interactions entre les cellules: un système interactif complexe avec ses émergences. Il y a donc des interactions entre différents éléments du cerveau travaillant ensemble pour produire une image émergente unique. D’après Miguel, le cerveau à son propre point de vue, sa propre réalité qu’il teste continûment par divers comportements sensoriels exploratoires face aux nouvelles informations qu’il rencontre. Le toucher, par exemple, ce que nous ressentons en passant les doigts sur une surface, fait émerger des attributs que nous appelons ensuite texture, forme, douceur, température. Ces attributs ne font pas partie de la surface que nous touchons, ce sont des émergences. En réalité, poursuit Miguel, ces sensations sont des illusions engendrées par le cerveau. Si soudainement la sensation ne correspond plus à l’attente, le cerveau corrigera le désaccord en générant ce moment de surprise et d’inconfort. Poussant plus loin sa démarche, Miguel propose qu’en fait, le cerveau fonctionne effectivement comme un vaste simulateur. Son activité principale étant de générer des attentes en fonction des patterns, des modèles de comportement et de situations qu’il a précédemment générés et stockés. Ces modèles nous prédisent à chaque instant ce qui va se passer ensuite. Richard Dawkins , dans son livre The Selfish Gene , souligne l’avantage compétitif qu’il y a à générer des simulations très élaborées de la réalité pour prévoir le danger. Si un appareil photographique fonctionnait un peu à la manière de l’œil, il n’aurait besoin que de quelques pixels activés par des photons provenant de la flamme de la statue de la Liberté pour que son cerveau lui propose immédiatement une vue de New York préalablement stockée à afficher sur son écran de contrôle. Nous ne pouvons connaître que nos représentations du réel et jamais le réel lui-même, ce que le philosophe Charles Sanders Peirce appelle la primalité, elle nous est à jamais inaccessible. Mais nous savons que nos représentations sont souvent trompeuses . Elles sont infiniment plus riches que les données que nous fournissent nos sens, car nous multiplions les modèles et enrichissons constamment les connexions qui s’établissent, tant à ce niveau abstrait de patterns, que dans la matérialité du réseau neuronal. Remarquons que les données sensorielles sont extrêmement limitées et nos sens ne réagissent qu’à des gammes très étroites d’énergies et de fréquences. Notre cerveau associe des situations perçues par l’intermédiaire des sens, mais nous associons aussi des mots et des phrases entre elles, nous éveillons des sentiments, nous jouons à tous les niveaux en combinant ce que nous avons déjà construit avec ce que nous recueillons comme information. L’image 17, lorsqu’elle est retournée, montre combien nos perceptions en décomposant en éléments et en reconstituant par intégration ces éléments peuvent fournir des interprétations différentes suivant la simple orientation. Ce jeu continu et incroyable, qui se perpétue constamment dans notre cerveau entre couches diverses d’abstractions, fournit des représentations de plus en plus enrichies permettant d’engendrer des prévisions d’événements futurs pour chaque perception sensorielle. C’est le merveilleux résultat de la sélection naturelle qui fait que certaines de ces prévisions s’avèrent correspondre avec ce que la nature nous réserve. Si ce n’avait pas été le cas, notre espèce aurait disparu depuis longtemps. Ainsi, une énorme partie de notre connaissance s’est biologiquement accumulée. Une partie suffisante pour assurer la base de notre survie. La fine couche de connaissances culturelle et intensionnelle s’est comme superficiellement déposée pour compléter la masse de connaissances biologiques ancestrales, sans laquelle elle n’aurait pas pu exister. Notre cerveau construit ainsi sa réalité, celle dans laquelle il va vivre, décider, choisir, agir, jouir, désirer, se lamenter, faire tout ce qu’un homme fait au cours de son existence. Cette réalité virtuelle construite, que nous avons appelée notre espace virtuel, comprend aussi notre propre image corporelle assemblée à partir des informations fragmentaires issues des sens. Un accident ou une maladie peut provoquer des sensations fantômes. Nous pouvons, longtemps après, ressentir de la douleur à un membre qui a été supprimé. Il est relativement aisé de provoquer des sensations fantômes, même chez un individu parfaitement sain. Cela devient vraiment étonnant lorsque cet enrichissement, cette extension intérieure à notre cerveau de nos représentations est poussé bien plus loin par l’usage des mathématiques. Nous pourrons alors décrire des choses aussi distantes de nos observations directes que la chute d’une étoile dans un trou noir ou la collision de deux particules. On ne voit pas dans ce cas de possible pression de sélection naturelle, comment se fait-il que notre espèce soit douée pour les maths et pourquoi les maths que nous produisons s’appliquent-elles si bien à la physique? Nous répondrons ci-dessous à cette question. Nos théories physiques actuelles sont ce que nous avons appelé assez conformes à la réalité là-dehors. En fait des milliers de physiciens sont simplement occupés à essayer de prendre nos théories en défaut. Nous aurions bien aimé ne pas trouver le boson de Higgs en juillet 2012 à l’accélérateur de particules du CERN à Genève. Cela aurait pris en défaut, du moins partiellement, le modèle standard de la physique des particules. Faire des hypothèses et chercher ensuite à les prendre en défaut en montant des expérimentations est la substance même de la méthode scientifique. La substance même de la science. C’est notre seul moyen pour comprendre cette correspondance entre le monde virtuel que nous avons construit et là-dehors. Nous ne sommes pas un spectateur extérieur qui pourrait simultanément voir le monde virtuel et là-dehors pour repérer des différences. Nous vivons dans le monde virtuel et ne pouvons repérer des différences qu’en posant des questions par l’intermédiaire d’observations ou d’expérimentations. Encore faut-il savoir quelle question poser. Je ne connais pas ma main. Je connais ce que j’ai abstrait de ma perception de ma main, ma représentation. Mais en fait j’en sais bien plus que cette première image. Je sais tout ce que j’ai bien pu étudier sur la main, tous les modèles que j’ai associés à ma main et j’infère que la mienne possède ces mêmes propriétés, je le vérifie progressivement. Je me souviens aussi des douleurs ou des sensations que j’ai ressenties liées à ma main. En combinant les acquis perceptuels, mémoriels et conceptuels, je peux prédire beaucoup de choses concernant ma main, choses que je n’ai jamais perçues et qui s’avéreront souvent correctes. Plus j’en apprends sur ma main, plus je relie tous ces concepts et modèles entre eux et plus je vois de choses en regardant ma main. De la main initialement perçue, j’ai progressivement fabriqué un modèle conceptuel abstrait de ma main infiniment plus riche et surtout largement connecté à toutes sortes d’autres modèles, concepts ou émotions tirés de mon histoire personnelle. Cette manière d’associer et de conceptualiser n’est pas propre à l’homme. Les classiques expériences de Herrnstein avec des pigeons, ou des perroquets montrent que même des animaux moins évolués que des mammifères utilisent des méthodes similaires de représentation et son capables de reconnaître en associant. Nos ordinateurs en sont pour l’instant incapables. La connaissance, si elle se nourrit de la perception, en retour élargit le champ de la perception. Mon ignorance et mon insensibilité à la peinture contemporaine m’empêchent de comprendre, d’observer, de remarquer des détails et de m’extasier devant certains tableaux qu’admire mon ami, un fin connaisseur. Le cerveau est l’acteur principal, le metteur en scène dans le processus de perception, il sélectionne ce qu’il veut voir en fonction des modèles qu’il a déjà mémorisés. Nous vivons tous animaux et humains sur la même planète là sous nos pieds, mais dans des mondes virtuels totalement différents, dans notre tête. Il nous arrive de parler de la même chose, mais ce n’est que très peu la même chose. Même se réfère au mot qui désigne la chose.
Posted on: Thu, 12 Sep 2013 08:25:17 +0000

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