La disparition du considérant ou Georges Perec au Palais Royal _ - TopicsExpress



          

La disparition du considérant ou Georges Perec au Palais Royal _ Frédéric Rolin 07/08/2013 La question de la disparition du « considérant » dans les décisions des juridictions administratives est abordée sous langle du paradigme de la lisibilité des décisions de justice. Si lon suit les arguments du rapport Martin, le commencement de chaque paragraphe par la formule « considérant », créerait par elle-même un effet dobscurité et de complexité. En outre il générerait une syntaxe complexe en rendant difficile lécriture dune phrase unique. Il est difficile de porter une appréciation concrète sur ces points de vue, en particulier en étant spécialiste de la matière dans la mesure où leffet de sachant rend difficile à apprécier ce qui est lisible ou ne lest pas pour des personnes qui ne bénéficient pas de cette expérience. Mais on peut en revanche souligner à ce stade que la décision de déterminer ce qui est plus lisible et ce qui lest moins a été déterminé par des membres de groupe de travail ayant participé à lélaboration du rapport Martin, lequel ne comprenait que des magistrats, et que les personnes extérieures écoutées nont été que des « institutions représentatives » (représentants du Syndicat de la juridiction administrative et de l’Union syndicale des magistrats administratifs, de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, du Conseil national des barreaux, de la Conférence des bâtonniers et de l’Ordre des avocats au barreau de Paris, ainsi que cela est rappelé dans la note de bas de page n°4, p. 6 du rapport). En revanche sont singulièrement absents du périmètre des personnes concernées à la fois les justiciables eux-mêmes, mais aussi les scientifiques qui disposent dun point de vue externe sur ces questions de lisibilité : les linguistes dune part, les sociologues de ladministration dautre part (car les sociologues proprement spécialistes du contentieux étant devenus forts rares.). Réserver ainsi la détermination de laccessibilité dun texte au producteur de ce texte pose des difficultés méthodologiques très sérieuses. Dabord pour les raisons déjà dites liées à lexpérience et leffet dhabitude. Ensuite et surtout, car cela témoigne du fait quune réforme de la rédaction des décisions de justice est conçu comme une « lisibilité octroyée », et non une « lisibilité négociée» entre les différents acteurs du procès. De notre point de vue une véritable enquête sociologique sur les attentes des justiciables (ou leur absence dattente) fondée sur une méthodologie scientifique aurait dû être le point de départ dune réforme ambitieuse sur ces questions. A défaut de cette démarche bottom up, la réforme envisagée et en particulier le possible abandon du considérant exprime moins une préoccupation de lisibilité quun jeu sur les regalia de la justice administrative. En effet labandon du considérant construit une figure de la justice administrative moderne et décomplexée : abandonnant ses formes particulières elle témoigne de son absence de peur à entrer « dans le monde », de son aptitude à réduire les distances par rapport au langage commun, sans craindre dy perdre sa crédibilité ou la sécurité de sa position. Si pourtant la question avait été posée, au-delà des cercles des magistrats administratifs et des institutions représentatives précédemment évoquées, de ce que « lisibilité » veut dire, des enjeux autrement plus importants auraient été mis à jour, qui peuvent brièvement être esquissés ici autour de deux questions : une décision de justice doit-elle être lisible ? Une décision de justice peut-elle être lisible ? Une décision de justice doit-elle être lisible, est une question qui renvoie au statut même de la décision de justice en question. Destinée à trancher en droit un litige, la décision à une double portée de résolution de ce différend et d’énonciation du droit, le cas échéant à usage jurisprudentiel. En tant quelle résout le différend, la décision de justice doit donc être lisible pour permettre de mesurer la manière dont elle le résout, dont elle détermine les droits et obligations des parties ou le statut des décisions quelle a contrôlé, dans le contexte spécifique des juridictions administratives. Cette lisibilité sapplique donc en particulier au dispositif de la décision ainsi quà certains motifs particulièrement importants (et lon retrouve ici les critères classiques de la détermination de la chose jugée, ce qui nest pas un hasard). En tant quelle énonce le droit, la question de savoir si la décision doit être lisible est beaucoup plus difficile à résoudre. Sans doute lexigence de motivation, du moins dans ses origines historiques, traduit une nécessité de transparence : elle apporte la preuve que la décision nest pas arbitraire mais quelle repose bien sur des motifs de droit et sur une appréciation des faits de lespèce. Mais énoncer le droit requiert une technicité, aujourd’hui comme hier, qui rend par nature le langage juridique hermétique. Il lest autant que les discours médicaux voire les discours scientifiques car il tente datteindre un niveau dobjectivation qui interdit imprécisions, périphrases, tournures littéraires. Imposer la lisibilité à ce discours du droit et sur le droit est sans doute une erreur car ou bien on y sacrifie le droit, ou bien on construit une rhétorique « simple » en apparence mais qui en réalité reconstruit une nouvelle complexité, comme on le verra dans le point suivant. Encore faut-il souligner ici que toutes les décisions de justice ne comprennent pas le même dosage entre ces deux composantes que sont la résolution dun différend et l’énonciation du droit, ce qui induit des enjeux importants sur le « devoir être lisible ». Cela se retrouve fort bien devant les juridictions judiciaires, comme peuvent lillustrer deux exemples. Lordonnance dun juge aux affaires familiales qui homologue une convention de divorce doit être lisible car la convention de divorce régira durant de longues années les rapports des anciens époux sera lue par eux au quotidien et de sa lisibilité dépend une part importante de la sérénité de leurs relations futures. En revanche, la décision de la Cour de cassation qui statue sur la loi applicable à une succession en droit international privé, en sappuyant sur des concepts juridiques sophistiqués ne doit pas, dabord être lisible, mais appliquer ces normes de conflit de manière adéquate, car ici, cest bien lénonciation du droit qui est première. Or, devant les juridictions administratives, le principe de lhomogénéité de rédaction à tous les niveaux juridictionnels nie cette différence de statut de la décision de justice : un jugement de Tribunal administratif ressemble à sy méprendre, on le sait, à un arrêt du Conseil dEtat. Cest pourtant dans la plus grande différenciation des décisions de première instance, dont la fonction de règlement des différends est essentielle, et de celles dappel ou de cassation, dont la fonction d’énonciation du droit devient prépondérante que devrait être trouvée une des clés de lexigence de lisibilité qui peut-être imposée aux décisions de justice. Une décision peut-elle être lisible, est une question plus linguisitique que juridique. Mais elle pourtant essentielle. On peut lillustrer par quelques conventions très classiques de rédaction des décisions des juridictions administratives : lusage du « dailleurs »,du « en tout état de cause » du « par elle-même » ou autres expressions de ce type semble ressortir du langage simple et aisément accessible. Or tous les administravistes savent que ces expressions sont en en fait très sophistiquées et que ces locutions apparemment simples sont codées et renvoient à des enjeux juridiques très précis. La simplicité et la lisibilité sont donc ici une illusion. Ce que le profane croit lire ne correspond pas au sens que le juge a donné à ces expressions. C’est quen réalité la simplicité du vocabulaire et de la syntaxe ne peut pas être un critère de la lisibilité. Il produit même des effets de fausse lisibilité dans la mesure où la technicité propre de chaque décision, comme la technicité des usages rédactionnels des juridictions prises globalement conduisent à la construction dun discours technique et cela quel que soit le vocabulaire employé. A cela sajoute que l’énonciation de la décision de justice fonctionne par des systèmes de connotations qui, en toute hypothèse ne sont lisibles que pour linitié, dire dune activité quelle est un « service public », dune clause quelle « exorbitante », dun contrat quil est « résilié » ou « résolu », dune requête quelle est « irrecevable » renvoie à des concepts juridiques qui ne sont pas, ou très partiellement explicités dans la décision elle-même. Là encore la lisibilité et l’accessibilité immédiate sont en fait des illusions pour qui ne possède pas une compréhension de ces concepts. On le voit ces questions qui ne sont ici que très succinctement esquissées soulèvent en réalité des enjeux considérables qui dépassent de très loin la possible suppression du « considérant ». Cette possible réforme est même dun certain point de vue une manière de ne pas véritablement poser ces questions en les dissimulant derrière un effet de communication. Ainsi comme celle du « e » de Pérec, la disparition du « considérant » ne résout rien. Elle est en revanche porteuse d’interrogations sur le statut de la décision de la justice, interrogations qui sont aujourdhui encore loin dêtre résolues. frederic-rolin.blogspirit/archive/2013/08/07/la-disparition-du-considerant-ou-georges-perec-au-palais-roy.html#more
Posted on: Sun, 10 Nov 2013 11:58:57 +0000

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