« Le peuple de Turquie a exprimé sa volonté de vivre, et de - TopicsExpress



          

« Le peuple de Turquie a exprimé sa volonté de vivre, et de vivre comme il veut ». Emine Sarikartal, doctorante à l’université de Paris-Ouest Vendredi 28 juin, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales Le parc Gezi d’Istanbul a retrouvé un semblant de calme. Haut-lieu des manifestations qui ont défié le pouvoir du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, du 27 mai au 15 juin, le site est aujourd’hui investi par les jardiniers municipaux qui replantent et restaurent les espaces occupés pendants des nuits par la foule. Un tribunal administratif examine actuellement un recours contre le projet de construction de centre commercial à l’origine de la mobilisation. Ponctuellement, des manifestants se réunissent encore sur la place Taksim, mitoyenne, ou dans d’autres espaces publics de la ville. Beaucoup pensent que le mouvement de contestation contre le régime islamo-conservateur du premier ministre Erdogan resurgira, d’un jour à l’autre, pour une raison ou pour une autre. À Paris, des universitaires turcs ou spécialistes de la Turquie ont suivi avec une grande attention le mouvement du parc Gezi. Inquiet de l’évolution d’un régime qu’il juge de plus en plus liberticide, ils ont créé en novembre 2011 un Groupe international de travail « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie« . Vendredi 28 juin, autour de l’historien Vincent Duclert et de l’historien et politologue Hamit Bozarslan, ils ont organisé une réunion d’information et de débat dans l’un des amphithéâtre de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), boulevard Raspail. Parmi de nombreux intervenants, un doctorant en philosophie, Ferhat Taylan, a présenté un récit circonstancié et très vivant du déroulement des évènements sur la place Taksim du 27 mai au 13 juin. Une autre doctorante, Emine Sarikartal, a proposé une analyse humaniste et optimiste de ce mouvement politique et social. Un texte coécrit avec une autre doctorante, Ceylan Uslu. « La tension augmentait de plus en plus en Turquie » « Il serait difficile de nier que la tension augmentait de plus en plus en Turquie« , a rappelé Emine Sarikartal devant une centaine de personnes. « Les minorités ethniques, sociales et religieuses, les femmes, les jeunes et tous les groupes d’opposition ont fait l’objet d’une oppression croissante depuis au moins le début du dernier mandat du gouvernement AKP, en 2011. Ce n’est donc pas une coïncidence si ces groupes sont devenus des acteurs majeurs du mouvement« . « La diversité a fait la force » « Il s’agit avant tout d’un mouvement populaire spontané, qui n’a jamais perdu son caractère pluriel« , ajoute-t-elle. « En effet, aucun groupe politique n’a eu le monopole. La diversité a fait la force. Des groupes dont on n’imaginait même pas qu’ils pourraient se mettre ensemble, comme les musulmans et les kémalistes, les Turcs et les Kurdes, les supporteurs des équipes de football rivales et les associations LGBT, ont passé des journées et des nuits entières autour d’un mouvement qui a fini par inventer un nouveau langage« . « L’humour a été un point fort des manifestations » « Ce nouveau langage était avant tout humoristique« , raconte Emine Sarikartal. « L’humour a été un point fort des manifestations. Non seulement la ville était couverte de tags et d’images ironiques au point de se moquer littéralement de la violence policière, mais les réseaux sociaux ont diffusé cet état d’esprit, contribuant à augmenter la popularité des évènements. Ces réseaux sociaux ont d’ailleurs pris la place des grands médias turcs qui ont choisi de rester aveugles pendant longtemps. Les gens ont créé leur propre réseau de communication en remplaçant les journalistes qui ne faisaient pas leur métier« . « Les femmes ont joué un très grand rôle dans le mouvement » « Les femmes ont joué un très grand rôle et ont beaucoup contribué à sa popularisation« , poursuit la doctorante en philosophie, qui est également traductrice et éditrice. « Elles avaient fait l’objet de plusieurs controverses sous le gouvernement AKP. Il ne serait pas faux d’affirmer que la montée du conservatisme sur la scène politique a d’abord eu des influences sur la place des femmes dans la société« . « Le corps des femmes a été directement visé par les pratiques du pouvoir » « La question du voile, qui avait commencé il y a 10 ans avec l’avènement de ce parti au pouvoir, avait rapidement eu une portée plus générale sur l’habillement des femmes en public« , précise Emine Sarikartal. « Le premier ministre a ensuite tenu des propos beaucoup plus inquiétants en demandant aux femmes de faire au moins trois enfants. Ainsi, le corps des femmes a été directement visé par les pratiques du pouvoir comme l’ont aussi montré des discussions récentes sur le droit à l’avortement et la pilule du lendemain » « Des mères ont formé une chaîne autour du parc » « Les femmes ont manifesté ouvertement leur réaction durant les événements de Gezi, comme en témoignent les deux affiches symboles avec la femme en rouge et la femme en noir« , souligne-t-elle. « Des mères ont formé une chaîne autour du parc, à la suite des déclarations du préfet qui avait enjoint aux parents d’aller chercher leurs enfants pour mettre fin aux protestations« . « Un pacifisme puissant, signe d’un nouveau dynamisme » « Avec ces aspects novateurs, le mouvement a transformé la définition même de l’activisme politique en Turquie« , assure Emine Sarikartal. « Il se caractérise surtout par un pacifisme puissant, ce qui ne veut nullement dire qu’il s’agirait d’un mouvement faible parce que passif. Au contraire, il faut comprendre ce pacifisme comme un nouveau dynamisme. Le parc Gezi a été non seulement un lieu d’occupation mais aussi un lieu de rencontres à travers l’organisation de multiples activités telle la construction d’une bibliothèque, les ateliers de lecture, les clubs d’échecs, et même un jardin potager« . « Le mouvement se disperse en prenant d’autres formes » « Il s’agit d’une désobéissance civile dans toutes ses formes, les hommes et les femmes immobiles en étant les derniers exemples. Idem pour les forums de démocratie participative qui ont lieu dans d’autres parcs depuis la fin des rassemblements au Gezi. Il serait erroné de penser que le mouvement a pris fin. Au contraire, il se disperse dans d’autres milieux en prenant d’autres formes« . « Une demande de non-violence enracinée dans l’état de violence du pays » « Malgré les 4 morts qui sont survenu dans le pays, le mouvement n’a pas perdu son caractère non violent« , insiste la jeune philosophe. « Cette demande de non-violence est enracinée de manière paradoxale dans l’état de violence qui a marqué toute l’histoire contemporaine du pays et qui a été porté à son comble par le coup d’Etat militaire de 1980. La jeune génération qu’on accusait couramment d’un apolitisme généralisé a grandi avec les histoires de tortures dont nous avons tous un peu héritées. Le caractère pacifiste du mouvement de Gezi était une réponse à cet usage banalisé de la violence« . « Une nouvelle politique dépassant les cadres traditionnels » « Le mouvement se distingue aussi d’une forme d’activisme gauchiste qui fait l’éloge d’un héroïsme mortel, du courage de risquer sa vie au nom de ses idéaux« , souligne Emine Sarikartal. « Le mouvement du Gezi a abandonné cette posture en faveur d’un nouveau discours de l’action qui célèbre la vie. Il ne s’agit pas seulement de résister contre les oppressions et les inégalités mais d’inventer des formes d’action pour bâtir une nouvelle vie et une nouvelle politique dépassant les cadres traditionnels. Le mouvement a d’ailleurs été porteur d’une grande sensibilité écologique« . « La lutte est pour la vie, pour vivre et faire vivre » « Un slogan beaucoup utilisé disait que la ‘libération n’est possible que tous ensemble’, c’est-à-dire avec tous les êtres vivants« , précise-t-elle. « La lutte est pour la vie, pour vivre et faire vivre. Elle affirme qu’on ne va pas tuer, ni mourir. Malgré les différentes formes de violences utilisées par les autorités, la provocation n’a pas marché, la société ne s’est pas divisée en des camps opposés s’affrontant réciproquement« . « La France devrait y regarder de plus près » « La France et tous les amis de la Turquie devraient s’intéresser de plus près à ce mouvement démocratique inédit par sa diversité et par ses formes« , conclut Emine Sarikartal. « Il constitue un exemple majeur des nouvelles formes d’expression qui jouent un rôle de plus en plus importants sur la scène politique internationale ».
Posted on: Thu, 24 Oct 2013 10:19:20 +0000

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