Le salon international du livre d’Alger (SILA) a réussi dit-on un double exploit, celui de la « prolifération » des maisons d’éditions et l’attraction de milliers « d’acheteurs », oui, mais il y a toujours et paradoxalement cette autre donnée principale, cette autre expression algébrique qui manque à la droite du signe égal de l’équation de la lecture du livre en Algérie, ses résultats, dont cette cécité inexplicable et permanente qui frappe les cerveaux de ceux qui nous en parlent à chaque fois qu’ils essayent de nous livrer leurs brillantes analyses qui flirtent, dans leurs développements, beaucoup plus avec les crescendos de l’ancienne poésie orientale que clamaient hypocritement les courtisans de l’époque aux rois despotes des différents royaumes arabes qu’avec la désolante réalité de la sauce éducative de Algérie contemporaine. « Le SILA », « le marché du livre », « sa distribution », « des budgets colossaux », sont souvent et tristement les seuls termes que ne cessent de nous ressasser notre pitoyable presse nationale en y mettant en guise de garniture cette belle rhétorique du chiffre, procédé qui, il faut bien le dire, a retrouvé ses lettres de noblesses surtout pendant le règne de Bouteflika. « Plus de 900 éditeurs y sont venu », « plus d’un tel chiffre faramineux de livres vendus », « plus d’un tel nombre de visiteurs », or que c’est tout le monde qui voit paradoxalement tout le contraire quant à l’impact ne serait-ce qu’indirect de ces cirques budgétivores. Rien qu’ici à Bejaïa, une grande ville comprenant 500000 habitants, et où ironiquement il n’y a pas au total plus de six bibliothèques – si on exclut le fait qu’elles ne sont en effet que des librairies -, dont d’ailleurs les trois quarts de la superficie de chacune d’elles sont toujours réservés aux livres religieux et scolaires, en dehors de ces derniers, les best-sellers ne se comptent même pas en milliers. Cependant, et quoiqu’on ne peut présumer d’où et comment ces scribouillards tirent leurs fausses conclusions, ou quelle est leur source d’inspiration, le terrain culturel et plus particulièrement le terrain livresque et artistique en Algérie se donne à voir autrement qu’en bonne forme. Depuis longtemps resté dans un piètre état, le livre fait figure aujourd’hui du parent pauvre des débats quotidiens des algériens, et c’est du reste ce qu’on pourrait même remarquer ces derniers jours, où il a suffit qu’une seule semaine s’écoule après la tenue du SILA, pour que le débat autour du livre s’éteigne brusquement. Les demi-mesures qui se prennent ça et là pour améliorer le cours des choses ne changent souvent rien, en demeurant superficielles, elles ont davantage tendance à changer la manière d’exposer les livres que la mentalité et le comportement de ceux auxquels ils sont destinés. Certainement, et comme on ne peut l’omettre au risque de paraître illogique et négligeant, le niveau scolaire y est aussi pour beaucoup dans cette catastrophe culturel, et à y bien penser, je ne peux ne pas me rappeler de cet accès de colère que j’ai eu lorsque, dans un film-documentaire intitulé « Algérie (s), Un peuple sans voix », réalisé par Thierry Leclère, Malek Bensmaïl et Patrice Barrat, j’entends avec stupeur sortir de la bouche imprudente d’Ahmed Taleb-Ibrahimi ces mots, que j’ai trouvé très en déphasage avec la réalité : « Je suis très fier de ce que j’ai fait pour la culture de mon pays. J’ai fait peu avec les moyens de bord, et je n’ai jamais avancé d’un pas sans préparer les moyens. Jamais l’arabisation n’a été sauvage. Si le niveau était faible, le niveau de tous nos enseignants était faible. C’est le résultat de cent trente ans de mission civilisatrice française ». Avec l’élite au pouvoir au niveau d’analyse bien inférieur à celui de Taleb-Ibrahimi à l’époque où on l’a parachuté comme ministre de l’éducation nationale, je peux imaginer la facilité dans laquelle il s’est trouvé pour pouvoir manœuvrer la barque du côté arabo-baâthiste.
Posted on: Thu, 21 Nov 2013 03:02:41 +0000