Les débuts du mouvement ouvrier en Tunisie La classe ouvrière - TopicsExpress



          

Les débuts du mouvement ouvrier en Tunisie La classe ouvrière existait en Tunisie avant la Première Guerre mondiale, mais elle était alors surtout européenne. Le 1er mai y fut célébré pour la première fois en 1904 : à l’initiative de maçons italiens, ouvriers français, italiens, mais aussi tunisiens, juifs, maltais, se solidarisèrent pour la première fois. Dans les années qui suivirent la guerre, la prolétarisation de la paysannerie et de l’artisanat traditionnel entraîna le développement d’une classe ouvrière proprement tunisienne. Les patrons, jouant sur l’hétérogénéité de la main-d’oeuvre et la division, prenaient en considération surtout les revendications des ouvriers européens. Les travailleurs arabes n’étaient pas représentés à la direction de la CGT, dont une Union Départementale fut formée en 1920. Ils étaient traités en syndiqués de seconde zone. En fait, les dirigeants de la CGT patronnée par la SFIO voyaient dans le prolétariat arabe une masse de manoeuvre inculte qu’ils méprisaient plus ou moins ouvertement. Cette attitude contribua à placer les ouvriers tunisiens sous l’influence nationaliste. Pourtant, les ouvriers tunisiens à l’époque n’étaient pas spécialement attirés par les nationalistes du Destour, gens aisés et lettrés qui aspiraient avant tout à participer à la gestion des affaires et qui n’avaient rien à leur proposer. La grève des dockers de Tunis fut à l’origine de la fondation d’un syndicat tunisien autonome. Les dockers, originaires pour la plupart de la même région de Gabès, formaient une communauté tunisienne homogène. Découragés par l’indifférence des responsables syndicaux, ils n’étaient pas syndiqués. Lorsqu’ils se lancèrent dans la grève durant l’été 1924, ils se rendirent pour lui demander conseil chez Mohammed Ali, une personnalité populaire dans le milieu des dockers. C’était un autodidacte, partisan d’un système généralisé de coopératives ouvrières. Mohammed Ali mit sur pied un comité d’action qui s’adressa avec succès à l’opinion publique de la ville arabe pour lui demander de soutenir la grève. Cet épisode montre comment les travailleurs, lorsqu’ils entraient en lutte, étaient amenés à rechercher des conseils, voire une direction. Dans les luttes de 1924-25, quelques intellectuels, à Tunis et Bizerte, se lièrent ainsi aux grévistes. Mais ils donnèrent à ces luttes une marque nationaliste, que les quelques militants communistes comme El Ayari qui s’y trouvaient associés ne parvinrent pas à contrebalancer. Lorsque Mohammed Ali et ses amis fondèrent une CGT tunisienne, la CGTT, en septembre 1924, les tentatives d’orientation d’inspiration internationaliste ne furent pas en mesure de l’emporter. Malgré ou peut-être à cause de son essor rapide parmi les travailleurs tunisiens, la CGTT souleva contre elle une union sacrée allant des milieux colons aux socialistes. Pour ces derniers, qui avaient pris l’habitude de considérer la classe ouvrière comme leur fief, c’était un coup dur. Ils lancèrent l’anathème contre la CGTT au nom d’un prétendu internationalisme. La direction de la CGTT répondit que, si le syndicat était autonome tunisien, il comptait aussi s’affilier à l’Internationale Ouvrière, comme la CGT française, et qu’il « ouvrait ses portes à tous les ouvriers sans distinction de race ni de religion ». Les socialistes firent venir Jouhaux en personne pour tenter de ramener les dissidents au bercail. Ce fut en vain. Leurs bonnes raisons étaient bien trop imprégnées de mépris, comme en témoigne cette apostrophe du leader socialiste Joachim Durel : « Nous préférons vous dire, sans ménagement au risque de vous déplaire, que ce n’est pas nous, classe ouvrière d’Europe organisée, qui avons besoin de vous, c’est vous qui avez besoin de nous, ( ... ) de nos disciplines d’organisation, d’éducation et de lutte, faute de quoi votre misère se perpétuera et vous resterez ce que vous avez toujours été : un troupeau » . Fait significatif, le Destour se désolidarisa de la CGTT, lui aussi. En France, le Cartel des Gauches était venu au gouvernement et le Destour en espérait des réformes. Il tenait à être en bons termes avec la SFIO. Il lui importait donc de se démarquer nettement à la fois du Parti Communiste et des syndicalistes un peu trop indépendants, et il finit par conclure un pacte avec les socialistes en vertu duquel il prêcha aux ouvriers tunisiens la nécessité de rejoindre la CGT française. Le gouvernement du protectorat, se trouvant en position de force, fit arrêter en février 1925 les dirigeants syndicalistes tunisiens, qui furent inculpés pour complot contre la sûreté intérieure de l’État, de même que - pour faire bonne mesure - le rédacteur en chef du journal communiste l’Avenir social. Le mouvement ouvrier tunisien naissant fut ainsi décapité. Seul le Parti Communiste qui, à la même époque, affirmait sa solidarité avec les combattants du Rif, contre l’impérialisme, en était resté solidaire jusqu’au bout. Certains de ses militants cumulèrent des condamnations pour les deux causes. Mais sa faiblesse ne lui avait pas permis de gagner une influence réelle parmi les ouvriers tunisiens. Plus tard, ce fut sa politique qui ne le lui permit plus.
Posted on: Sat, 10 Aug 2013 06:50:51 +0000

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