L’homme sans ombre *I Les vagues de l’équinoxe bousculaient - TopicsExpress



          

L’homme sans ombre *I Les vagues de l’équinoxe bousculaient la baie de Maora. Les algues repoussées en falaises hautes s’empilaient en montagnes improbables exhalant une puanteur moite et salée. Le sable, ravagé par l’eau, avait de faux airs d’une plage de l’Atlantique prise de remords de s’étaler si largement. La cadence des flots était agitée, nerveuse, agressive, impulsive, une valse à deux temps, pour danseur initié. Il ne faisait pas froid, au contraire, mais la peau de l’homme était bleue. Il allait et venait au gré des courants, avançant, reculant, sur le dos et parfois sur le flan, traînant sur le retour, désolé d’être reconduit vers le large, rampant sur le sol qui se dérobait. Son pied droit ne portait plus de chaussures et des algues s’étaient mêlées aux orteils aux reflets nacrés. Son joli costume Armani était sale d’eau et de frottement contre on ne savait quoi. La chemise collée au corps n’avait plus de couleur. Les yeux du cadavre fixaient le ciel, et semblaient refléter sa limpidité, tant ils étaient bleus. Un bleu sublime, qui avait toujours fait la fierté d’Andria Maxiola. Un bleu qui effectuait autrefois avec ses cheveux noirs et frisés un contraste saisissant, dont il aimait user, en présence de femmes. Mais la pupille était opaque et le blanc de l’œil, jaunâtre et injecté de sang. La bouche peinait à contenir la langue, enflée et mauve, mais qui ne risquait pas de s’échapper, car les lèvres avaient été cousues, ce qui conférait au visage un curieux air de bonhomme de neige, avec son sourire en zigzag. Les bras, largement étalés, laissaient les mains à la surface. Il y manquait l’annulaire et le majeur, arrachés ou mangés. Il était aussi à peu près certain que sous le tissu du pantalon, à l’aine, quelque chose de pénible s’était passé, car le sang avait cartonné l’étoffe d’une route brunâtre, lourde et molle malgré l’eau de mer. Il avait eu une vilaine mort, Andria, et comme la vieille Toussainte qui promenait son chien tous les matins le connaissait depuis l’enfance, elle ne survécut à sa vision que le temps d’appeler sa fille qui travaillait à la mairie de Bonifacio, sur son portable, parce que c’était le seul numéro qu’elle connût par cœur, lequel céda, en dépit des hurlements du petit King Charles aux yeux exorbités qui lui léchait le visage en gémissant. « Aghju l’orechje chì fischjanu, filia mia ! Li puzza a salute Andria, per falla più bella… », avait-elle pu encore murmurer, avant de trépasser. Joséphine, affolée, accourut au plus vite : elle connaissait les habitudes maternelles et ne tarda pas à la trouver, sur la plage, étendue aux côtés de l’homme. C’est elle qui donna l’alerte.
Posted on: Wed, 21 Aug 2013 08:24:52 +0000

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