Membre de la Société des explorateurs français, Stéphane - TopicsExpress



          

Membre de la Société des explorateurs français, Stéphane Dugast est reporter, auteur-réalisateur de films et de contenus multimédias. Depuis plus d’une décennie, il multiplie les enquêtes sous toutes les latitudes avec un fort « tropisme » pour la mer, les univers polaires, les aventures et les immersions en tous genres. A Gauthier Toulemonde, il offre un premier récit insulaire dédié à une île qui les unit : Clipperton. webrobinson.fr/category/recits-aventures/stephane-dugast/ WEBROBINSON / LETTRE #1 STEPHANE DUGAST Cher WebRobinson, Gauthier, tu vas bientôt vivre seul pendant quarante jours sur une île déserte. Il te faut donc de la lecture ! Une autre île nous unit. Toi, tu t’y es rendu en 2005 pour suivre les aventures du docteur et explorateur Jean-Louis Etienne en 2005. Moi, j’y ai fait « escale » en 2001, et en 2003, moi aussi avec le docteur Etienne. Cette île, c’est un atoll presque invisible sur une mappemonde : Clipperton. Tête d’épingle perdue dans l’immensité du Pacifique, l’atoll de Clipperton - devenu propriété définitive de la France depuis 1931 - est de plus en plus fréquenté depuis que nous nous y sommes rendus. La faute à sa zone économique exclusive (ZEE) attenante et à ses richesses sous-marines, paraît-il… Tu trouveras ci-dessous ma version des faits. J’ai, en effet, mené l’enquête. Car, inhabitée, austère et déserte en apparence, Clipperton attise désormais bien des convoitises. Bonne lecture à toi, sûrement à l’ombre d’un cocotier… Amitiés insulaires Stéphane DUGAST Auteur de « Clipperton, l’île mystérieuse », film documentaire diffusé sur Thalassa (France 3) et France O. Auteur de nombreux articles sur Clipperton parus dans la presse ou l’édition dont « Zéraq, la mer sur le vif » - prix Eric Tabarly 2012 (L’Elocoquent édition). stephanedugast LES TRÉSORS DE CLIPPERTON Par Stéphane DUGAST À vol d’oiseau, le Mexique est à près de 1 300 kilomètres au nord-est. Les îles Galapagos à plus de 2 200 kilomètres au sud-est. Tahiti est encore plus éloignée : 5 450 kilomètres au sud-ouest exactement. Malgré son isolement et son accès difficile du fait d’une barrière de brisants le ceinturant, l’atoll de Clipperton est l’objet de bien des convoitises. Depuis plus de deux siècles, France et Mexique se sont, en effet, longtemps disputés ce caillou du Pacifique dont 1,7km2 seulement sont des terres émergées. Les deux pays y ont mêlé leurs destinées sous l’œil bienveillant ou parfois intéressé des Etats-Unis. Juridiquement, le statut de Clipperton est kafkaïen. Possession de la France depuis son attribution définitive en 1931 à la suite d’un arbitrage international rendu par le roi d’Italie Victor Emmanuel III, Clipperton n’est ni un Département d’Outre-mer (DOM), ni un territoire d’Outre-mer (TOM) mais mais un domaine public de l’état français placé sous la juridiction du Haut-commissaire de la république en Polynésie française. Un statut juridique et une possession qu’a donc longtemps contesté le « voisin » mexicain, arguant notamment qu’aucun français n’a habité durablement sur cette île volcanique. Face à ces revendications récurrentes, la puissance souveraine n’a accordé pour l’instant à Clipperton qu’un intérêt diplomatique et juridique mesuré, veillant cependant à y dépêcher presque tous les ans un navire militaire. Objectifs affichés de la présence militaire française ? Montrer le pavillon tricolore et procéder à quelques contrôles de navires de pêche (sur)fréquentant cette zone réputée riche en thonidés, et considéré comme la plus importante au monde. « CLIPPERTON ET SA ZEE SONT PILLÉS ! » Dans la zone économique exclusive (ZEE) de Clipperton s’étendant sur près de 440 000 km², la pêche est, en effet, devenue une activité fort lucrative, profitant avant tout aux armateurs mexicains qui doivent en faire la demande auprès du haut commissariat de la République en Polynésie française à qui la France accorde des licences. Du fait d’une surveillance et de contrôles peu fréquents sur zone pour d’évidentes raisons d’éloignement et de logistique, les pêcheurs illicites sont nombreux. Concernant cette surpêche, difficile pourtant de se procurer des chiffres fiables même auprès de l’autorité compétente : l’IATTC (Inter American Tropical Tuna Commission) dont la France est un membre de plein droit et pour cause. Aucun quota n’a été défini dans les accords franco-mexicains de février 2007. Seule certitude, le nombre de pêcheurs déclarés par les mexicains resterait inchangé d’une année sur l’autre. De ce « caillou de la République » et ses imbroglios, Eric Chevreuil, ancien militaire français basé désormais aux USA devenu l’un des spécialistes, en parle sans ambages : « Clipperton et sa ZEE sont littéralement pillés ! Au train où ça va, il n’y aura bientôt plus de thons, ni de requins. A chacune de mes escales, j’ai pu le constate… ». D’autres répercussions sont également palpables selon celui qui en est devenu le « reporter » pour s’être rendu à plusieurs reprises sur l’atoll, dont récemment avec la frégate de la Marine nationale Prairial : « L’écosystème de l’île est également en train de changer depuis que des rats ont débarqué à Clipperton à cause d’un naufrage. Les crabes régulateurs de la végétation disparaissent. L’herbe revient envahir la couronne de corail et chasse les fous qui ont besoin d’espace libre pour nidifier, décoller et atterrir ». DES RICHESSES À EXPLOITER Autour de cette possession française méconnue, d’autres changements devraient bientôt survenir car dans ses fonds marins « dorment » d’autres richesses, celles là encore non exploitées. C’est à l’est du Pacifique équatorial, entre les deux zones de fracture Clarion et Clipperton, que le gisement de nodules polymétalliques - des concrétions rocheuses riches en manganèse, fer, silicium, bauxite, nickel, cuivre et cobalt - serait le plus prometteur en terme d’abondance et de concentration en métal. Concernant l’exploitation à venir de ces nodules, des accords internationaux ont d’ores et déjà été signés entre plusieurs nations dont la France qui s’est vue attribué un secteur de 75 000 km2 en vue de l’exploration de ces nodules dans une zone comprise entre Hawaï et la côte ouest du Mexique. Sous l’impulsion de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et de son entité l’association française pour l’étude et la recherche des nodules (Afernod), de campagnes océanographiques sont régulièrement organisées comme celle en mai dernier à bord du navire L’Atalante dans le Pacifique nord-est. Etablir une stratégie de préservation de la biodiversité profonde dans la perspective de l’exploitation potentielle des nodules riches en métaux, tel était l’objectif de cette campagne franco-allemande intitulée « Bionod ». Autre preuve accablante de cet intérêt pour ces « pépites » sous-marines, la présence, en mai dernier, d’un navire de recherche sous marine battant pavillon russe, avec capacité de scanner en latéral à 3 000 mètres de fond, flirtant avec notre ZEE. L’extraction et l’exploitation des nodules polymétalliques étant désormais devenue rentables dixit des experts, les appétits s’aiguisent. Pour Eric Chevreuil, trois scénarios sont dès lors envisageables concernant Clipperton : « Scénario 1 : la France s’en fout et les étrangers viendront nous « capter » nos nodules dans notre dos, en plus des thons. Scénario 2 : on ne se donne pas les moyens et on loue l’île et sa ZEE aux chinois, aux russes ou aux indiens. L’écosystème en pâtira. Scénario 3 : on se donne la capacité technique et la volonté financière. On exploite la ZEE en transformant Clipperton en base avancée. Les nodules y sont chargés sur des minéraliers. L’île devient un port base pour les navires dont ceux de la Marine nationale chargée de protéger et de surveiller nos richesses ». Seule anicroche à ces prospectives d’un passionné éclairé, leurs dimensions éloignées de toutes considérations écologiques. Pour Eric Chevreuil, une solution s’impose, évidente : « Il faut faire de Clipperton une base avancée à taille humaine. Les navires de plongée et de pêche sportive nord-américains et mexicains sont utilisés pour le ravitaillement et la rotation de personnel. En échange, on leur concède des autorisations de pêches. Ces navires servent également de support à des recherches scientifiques complétant notre dispositif de surveillance ». EXPLOITER MAIS PROTÈGER ? Autant de constats et de projections qui ne semblent guère intéresser pour l’instant les décideurs politiques dans l’Hexagone. Quant aux militaires français (devoir de réserve oblige), ils déplorent en catimini le manque d’ambitions et de moyens dévolus à la surveillance de ZEE certes éloignées mais sources de richesses futures. Si la communauté scientifique œuvre régulièrement sur le terrain, une association se mobilise afin d’engager une réflexion sur la seule île française du Pacifique nord, et plus généralement sur les territoires d’Outre-mer. « Il s’agit d’initier une approche s’ouvrant aussi bien à la recherche scientifique qu’à l’écologie ou l’économie sans restriction ni tabou », préconise ainsi Christian Jost, président de l’association « Clipperton – Projets d’Outre-mer ». Fin connaisseur de l’atoll pour y avoir mené comme géographe plusieurs missions d’envergure, le scientifique basé à Tahiti est catégorique : « Le conservatisme absolu est à la fois utopique et contreproductif. Il faut accepter une présence et une activité humaine ne serait-ce que pour protéger ces îles. Cette mise en valeur et exploitation économique doit cependant s’effectuer à condition d’en respecter l’environnement, de planifier et d’encadrer strictement les activités économiques ». Une mise en garde assurément salvatrice d’autant que le contexte actuel n’incite guère à l’optimisme. L’envoi de navires de la Marine nationale dans cette région du globe reste tributaire des moyens alloués à la Défense et d’un budget annoncé en forte diminution. D’un point de vue économique, les nodules polymétalliques sont la promesse de nouveaux débouchés pour l’industrie minière, ce qui n’est pas sans inquiéter les spécialistes en biologie craignant des impacts négatifs pour les écosystèmes développés dans les fonds abyssaux. Points souvent minuscules sur une mappemonde, Clipperton - et par extension les territoires d’Outremer - ne sont donc désormais plus de simples curiosités administratives mais bien des territoires à fort intérêt qu’il faut administrer, gérer, préserver et développer fort d’une lecture des enjeux autant géopolitiques qu’environnementaux ou économiques. Le « cas » Clipperton est dès lors éclairant à bien des égards…
Posted on: Tue, 01 Oct 2013 08:15:26 +0000

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