Olivier Beaud _ L’histoire du concept de constitution en France. - TopicsExpress



          

Olivier Beaud _ L’histoire du concept de constitution en France. De la constitution politique à la constitution comme statut juridique de l’Etat Issu d’un colloque consacré à la pensée de l’historien allemand, Reinhard Koselleck, cet article tente d’évaluer le caractère fructueux des thèses de la Begriffsgeschichte (ce courant de pensée historiographique formé par ce dernier), quand on la confronte à l’histoire constitutionnelle. On a voulu ici dégager deux césures majeures dans l’histoire conceptuelle de la Constitution en France qu’on a appelées, d’une part, le « moment Montesquieu » et, d’autre part, « le moment Sieyès » en essayant de rapporter à chaque fois la pensée constitutionnelle de ces deux grands auteurs au contexte théorico-politique de leur époque. [1] « Rien ne serait plus faux de croire que le travail historique moderne pourrait se passer des notions modernes. Simplement, elles doivent nous être connues dans leur “relativité historique”. » [2] On peut emprunter à Dieter Grimm une définition suggestive de la constitution au sens moderne du terme. « Elle se caractérise par la prétention à régir globalement et unitairement, par une loi supérieure à toutes les autres normes, le pouvoir politique dans sa formation et ses modes d’exercice. » [3] Elle a l’avantage de donner une définition unitaire de la constitution alors que les juristes – et Dieter Grimm en est un – ont plutôt tendance à morceler cette notion en opposant la constitution au sens formel à la constitution au sens matériel [4]. Surtout, dans la perspective qui nous intéresse ici, elle permet de mettre en relation la constitution avec l’histoire politico-sociale. En effet, la constitution moderne témoigne de l’apparition de la distinction entre l’Etat et la société civile ; si elle se borne à limiter le pouvoir de l’Etat, c’est parce que, selon le modèle individualiste-libéral, la société doit s’auto-gouverner et que la constitution doit justement être l’un des instruments juridiques permettant la réalisation de l’autonomie de la société et des initiatives individuelles. Le fait que cette différence initiale entre l’Etat et la société civile est remise en cause depuis l’avènement de l’Etat industriel et social a pour conséquence une perte d’effectivité de la constitution « libérale » et la « matérialisation » de la constitution (inclusion de principes “matériels” dans le texte constitutionnel) [5]. Cette définition de Dieter Grimm permet de décrire la constitution comme phénomène moderne qui saisit par le droit un pouvoir politique et qui l’encadre dans toute la dimension de son action. Cette modernité est celle de la Révolution, que ce soit celle des Etats-Unis ou de la Révolution française. A la différence, en effet, de la constitution au sens anglais, qui désigne un état de fait, un ordre auquel on est soumis sans le vouloir, la constitution moderne se caractérise par le fait qu’elle est un « acte fondateur de l’ordre politique né de la volonté du corps politique » [6]. C’est ce basculement que l’on voudrait ici examiner de plus près. Autrement dit, ce qui nous intéresse, c’est la manière dont va s’opérer le changement de signification du mot de constitution à la fin du XVIIIe siècle. La question que l’on voudrait examiner dans cette introduction est celle de savoir dans quelle mesure la méthode historiographique élaborée par Reinhart Koselleck peut être utilisée pour interroger l’histoire du concept de constitution. Si l’on admet, comme on le fait aujourd’hui, que la constitution est une notion juridique, ou au moins une notion juridico-politique, il convient d’abord, d’évoquer la manière dont Koselleck perçoit le droit, objet qu’il a relativement peu étudié, mais qui forme, évidemment, l’un des nombreux domaines pouvant être investis par la Begriffsgeschichte (histoire des concepts). Dans ce cas précis – l’histoire juridique –, l’enquête porte sur un matériau particulier (le droit) en raison de sa double caractéristique. D’une part, le droit repose sur un langage particulier, même s’il s’agit d’un langage ésotérique (la langue du droit) et, d’autre part, il se singularise par un phénomène de la répétition que Koselleck appelle la « structure itérative » du droit. Dans son article consacré à l’histoire constitutionnelle, « Begriffsgeschichtliche Problem der Verfassungsgeschichtsschreibung » [7], il oppose la constitution, en tant qu’elle est structure (c’est-à-dire une forme politique, répétitive), à l’événement, l’écoulement des faits, c’est-à-dire la naissance d’une constitution qui dépend des faits politiques. D’où, explique-t-il, une forte analogie entre l’histoire constitutionnelle et la Begriffsgeschichte [8]. Le droit peut donc être un moyen de comprendre l’histoire politique et sociale car il reflète, sous sa forme cristallisée par le langage, un certain état des choses (Sachverhalt). Il est certain, selon nous, que les juristes spécialistes de droit constitutionnel auraient tout intérêt à prendre au sérieux cette dimension « structurelle » de la constitution. Mais, obsédés par la question de la valeur normative – sa suprématie au sein de la pyramide des normes – ils oublient complètement sa dimension temporelle, et donc le phénomène fondamental de la durée de la Constitution [9]. Dans cet article, Koselleck critique les historiens du droit les plus réputés de l’époque , Ernst Rudolf Huber et Fritz Hartung, à qui il reproche d’avoir réduit l’histoire constitutionnelle à l’histoire de la « constitution de l’Etat » (Staatsverfassung). Il invite, au contraire, les historiens du droit à étendre le champ de leur objet et à étudier parallèlement aux constitutions étatiques le droit qui se rapporte à la société (droit privé, droit économique ou droit du travail) et aux rapports entre Etat et société civile, afin de jeter un pont « entre l’histoire du droit prémoderne et l’histoire constitutionnelle moderne » [10]. Son mot d’ordre consiste à intégrer dans une telle étude l’histoire aussi bien « pré-étatique que post-étatique » [11]. Pour éviter une diffraction à l’infini d’une telle histoire, Koselleck fait intervenir la « Begriffsgeschichte » comme un « auxiliaire » (Hilfeleistung), c’est-à-dire comme un moyen de contrôler l’usage de l’histoire. Il mobilise la sémantique historique, comme on le comprend en lisant son article sur « l’histoire des concepts et histoire sociale » où il explique la nécessité de recourir à l’histoire du langage car c’est le moyen par lequel l’historien étudie le passé. En effet, à la différence du présent, où l’observateur peut utiliser, grâce au vécu, autant l’événement que la langue, le passé qui s’offre à l’historien voit disparaître l’événement de sorte que le langage est la trace qui reste et qui est visible [12]. En d’autres termes, l’histoire des concepts se distingue de l’histoire sociale par le fait précisément qu’elle considère les textes comme sources essentielles de l’histoire alors que l’histoire sociale ne les utilise que comme prétexte pour en déduire des faits sociaux. « L’histoire des concepts, en tant que discipline historique, a toujours affaire à des situations et des événements politiques et sociaux - mais seulement à ceux déjà saisis par le langage des sources » [13]. Il en résulte que l’on ne peut pas faire l’histoire du concept de constitution sans se référer à la sémantique historique en cause, ni d’ailleurs à l’historiographie [14]. Mais la Begriffsgeschichte « à la Koselleck » n’est pas une lexicographie historique. Ce qui en fait l’intérêt, c’est surtout l’interprétation qui est faite des changements de signification des mots. Ainsi, pour l’histoire de la constitution, l’objet de notre propos, Koselleck apporte une contribution de grande portée par le seul fait qu’il met en évidence l’importance du passage « des constitutions » au pluriel, à « la constitution » au singulier. En effet, cette substitution du « singulier collectif » au « pluriel additif » témoigne d’une réduction de la complexité du réel à un « niveau supérieur d’abstraction » [15]. Or, cette nouvelle « unité » de la constitution a des effets massifs de signification. L’un de ceux-ci tient à ce que le concept de séparation des pouvoirs peut désormais être pensé parce qu’on a une unité — la constitution — qui rend possible, la division des pouvoirs, la pluralité [16]. On pourrait, dans le même sens, ajouter le fait que la constitution n’a plus besoin de complément de nom ou d’adjectif. En effet, si auparavant, il fallait toujours préciser à quoi se référait la constitution — par exemple, la « constitution de l’Etat » ou encore la « constitution du gouvernement » — , on comprend désormais le mot de « constitution » sans adjectif qualificatif ou sans complément de nom. Enfin, cette nouvelle conception unitaire de la constitution, ancrée dans un seul texte écrit, « conduit à un changement du champ sémantique des notions qui lui sont ordonnées » [17]. Koselleck prend pour exemple le mot de « Herrschaft » qui disparaît complètement du vocabulaire allemand entre 1816 et 1898 ........ juspoliticum/L-histoire-du-concept-de.html
Posted on: Mon, 04 Nov 2013 02:43:34 +0000

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