On arrivait aux pieds du village après s’être garé bien - TopicsExpress



          

On arrivait aux pieds du village après s’être garé bien avant. Déjà une file de voitures occupait les premières places, près de l’escalier. Seules deux ou trois maisons étaient occupées et on évoluait au milieu des ruines par un étroit sentier muletier. Impossible d’accéder autrement qu’à pied. Ce qui avait séduit notre hôte était justement cela. Le fait qu’aucun véhicule ne puisse circuler conférait à l’endroit une quiétude peu commune. C’était également probablement pour ça que le hameau avait été abandonné. Tous les villages souffraient du manque de places pour se garer. Qui aurait pu prévoir, à l’époque de leurs constructions, que bien des décennies plus tard il y aurait presque d’avantage de véhicules que d’habitants ? La civilisation de l’automobile avait engendré l’individualisme. Il n’était pas rare non plus de voir des villageois s’empoigner pour une place de parking. Pierre nous racontait qu’il avait même un ami qui était en prison pour avoir incendié le 4X4 de son voisin. Peut-être le contentieux était-il plus ancien, mais c’était bel et bien la voiture qui fut l’élément déclencheur de la crise. Les villages pourtant tous aussi beaux les uns que les autres, étaient défigurés par tous ces véhicules agglutinés au plus prêt. Et tout cela empirait quand l’été arrivait, avec son lot de touristes, et surtout la diaspora ; Pierre disait la diaspo, qui voulait bien avoir tous les avantages et privilèges que seule la nostalgie leur rappelait, mais surtout pas les inconvénients. Pour résider quelques semaines par an, ils auraient voulu tout régenter, donnant leurs avis à tort et à travers sur des questions qui leur échappaient de plus en plus. Sans compter les difficultés qu’ils faisaient au nom de l’indivision, pour lâcher un lopin de terre pour lequel ils avaient encore des souvenirs. L’indivision et l’incompétence de certains maires laissaient s’écrouler des bâtisses magnifiques, comme celles que nous admirions en gravissant les dernières marches faites d’énormes pierres relativement plates. Au détour de la ruelle, nous parvenait des éclats de reggae. Tout le monde s’embrassait chaleureusement. Parmi tous les convives rassemblant plusieurs générations, quelques uns se connaissaient depuis une trentaine d’années, dont la plupart avaient fait partie à l’époque d’une bande de clampains qui avait contribué à l’organisation du festival du fium’Orbu. Ils se plaisaient à se remémorer les concerts dont la programmation éclectique avait qui tout de même rassemblé sur un même plateau des groupes et des chanteurs comme Toure Kunda, Morry cante, Malavoi, Raoul Petite, Y Muvrini, Lavilliers, Higelin et bien d’autres. Ce que Pierre aimait particulièrement raconter, était l’épisode du concert de James Brown. C’était un Samedi ; un 14 Juillet. Pendant tout l’après midi, les montagnes du Fium’Orbu retenaient de gros nuages sombres qui se rapprochaient du terrain vague où se trouvait la scène qui tournait le dos à la plage. Depuis les back stage, ils pouvaient voir avec inquiétude le ciel se charger au fur et à mesure que les premières notes s’égrenaient dans les énormes baffles empilés de part et d’autre du plateau. S’était Ray Léma qui faisait la première partie. Pierre se souvenait très bien qu’au moment précis où le chanteur levait le bras vers le ciel, d’incroyables cataractes s’abattirent sur le site. En quelques minutes, le terrain était détrempé. Tout le monde pataugeait dans une eau boueuse, ça courrait dans tous les sens pour trouver des bâches pour recouvrir tout le matos sur la scène. Une sorte de remake de woodstock. Quand l’accalmie arrivait enfin, un des responsables, muni d’un porte-voix annonçait à qui pouvait l’entendre que le concert de James Brown était reporté au lendemain, sans savoir vraiment si les américains n’annuleraient pas purement et simplement. Sur les ondes de RCFM, la radio partenaire de l’événement, des messages relatant les faits lançaient un appel à la solidarité, demandant à tous ceux qui le pouvaient d’apporter des sèche-cheveux pour sécher les micros et autres matériels. Tôt le lendemain, le Dimanche, le staff avait réussi à convaincre les gens de la D.D.E d’accepter de venir avec leurs engins. Des camions de terre et des niveleuses avaient réussi l’exploit de redonner au terrain un aspect acceptable. Les techniciens, munis des sèche-cheveux apportés en nombre remettaient tout en état. Les américains en restèrent sur le cul, impressionnés d’un tel élan de solidarité. James Brown avait accepté de rejouer. Son manager expliquait que chez eux, ils auraient tout annulé et laisser jouer les assurances et les avocats. Ce qu’il ignorait, c’est qu’il n’y avait pas plus d’assurances ou d’avocat que de tunes dans les caisses. Ne faisant pas partie de l’intelligencia locale les organisateurs ne bénéficiaient pas des mêmes réseaux et soutiens que d’autres festivals. Et puis cette bande de marginaux navait pas trop la côte. L’aventure ne pouvait pas durer, et il n’y eût que quelques éditions édulcorées après cet épisode. A l’époque, Pierre avait une petite caméra super8. Il avait fait un petit film d’une vingtaine de minutes en assemblant toutes les pellicules. Il précisait qu’on n’y voyait quasiment pas d’artistes, il avait préféré mettre l’accent sur les back stages et on pouvait y voir les bobines d’une bonne partie des bénévoles occupés à leurs tâches. Il y avait cependant une petite scène montrant un groupe aujourd’hui séparé s’amusant sur la plage, ou le bassiste pris d’une crise d’hasme au moment de faire la balance, et la chanteuse faisant des exercices de respiration. Elle ne se doutait pas alors qu’elle réaliserait le film « Y aura-t-il de la neige à Noël ? » quelques années plus tard, après avoir bossé du côté de Montpellier sur les décors du tournage des « Amants du Pont neuf », de Leos Carax.
Posted on: Sun, 20 Oct 2013 05:15:41 +0000

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