Quelques propositions d’explication des remaniements démocrates - TopicsExpress



          

Quelques propositions d’explication des remaniements démocrates chrétiens47Pourquoi cette évolution a-t-elle été aussi rapide ? Comment expliquer le passage d’un programme anti-capitaliste qui se voulait une « troisième voie », à un rapprochement du capitalisme et de la droite ? Il n’y a pas une réponse mais plusieurs réponses aux questions que pose la trajectoire complexe de la D.C. entre 1964 et 1973. Des explications peuvent se trouver parmi des facteurs externes et internes à la Démocratie chrétienne. D’une part, sur le plan externe, la D.C. semble avoir introduit une rupture dans le système politique chilien. En effet, ce parti « ni de droite ni de gauche » a été élu grâce aux voix de la droite. Il véhicule les valeurs traditionnelles de la religion, la famille, le travail, la patrie, mais il veut mener une politique de gauche. Le P.D.C. en pleine ascension a gagné un électorat sur sa gauche (milieux populaires, ouvriers) et sur sa droite (femmes, paysans). Or, son arrivée au pouvoir casse la tradition de la démocratie chilienne, faite de consensus et d’alliances entre partis. Ainsi, depuis 1946, la Phalange Nationale avait décidé de mener son « propre chemin » et de ne plus s’allier à d’autres partis au pouvoir. Lorsqu’il constitue son gouvernement, Eduardo Frei Montalva choisit comme ministres des membres de son parti ou des professionnels indépendants. Les difficultés rencontrées pour faire approuver les réformes sont alors le prix à payer de l’isolement au pouvoir. 48Mais ce n’est pas tout : le programme de la Démocratie chrétienne a ouvert le champ des aspirations populaires. Depuis le Front Populaire (1938-1952), des réformes se faisaient attendre sur le plan de l’éducation, de la santé, de l’agriculture, de l’urbanisation, des logements… Or, en six ans, la D.C. n’avait pas eu le temps nécessaire pour résoudre tous les problèmes demeurés en attente depuis plus de 30 ans. Par conséquent, cette situation a aggravé les mécontentements. Enfin, pour la première fois, le P.D.C. est devenu un parti complètement soutenu par les États-Unis qui ont financé sa campagne électorale et ses projets à travers l’Alliance pour le Progrès. En effet, le programme de réformes à l’intérieur du système capitaliste coïncidait avec les ambitions étasuniennes. Ainsi, le programme de « chilénisation » du cuivre ne portait pas complètement atteinte aux intérêts américains puisque l’État chilien ne devenait propriétaire que d’une partie des compagnies exploitant le cuivre. 49De plus, l’expérience du pouvoir n’a pas laissé indemne la Démocratie chrétienne. Dès 1965, elle a été rongée par des dissensions esquissées au Congrès dit des Peluqueros (« Coiffeurs ») d’août 1946. Ces tendances peuvent être liées aux différents courants existant au sein du catholicisme, à des stratégies distinctes et à des interprétations particulières des réformes quant à leur application. Sous le gouvernement Frei, les luttes partisanes ont mis en évidence l’existence de trois courants internes. La tendance « officialiste » ou « freiste » défend une loyauté à toute épreuve au gouvernement. C’est la plus à droite, elle a des liens avec le capitalisme, les entrepreneurs et industriels chiliens et américains. La tendance « rebelle » est la plus à gauche de la D.C., elle soutient l’idée d’une alliance avec les partis de gauche et entend appliquer à la lettre le programme de 1964. Les « rebelles » défendent le principe de l’autonomie du P.D.C. face à l’exécutif. La tendance « tercériste » se situe entre les deux premières : elle critique fortement le gouvernement Frei et se montre aussi plutôt favorable à une entente avec la gauche. Toutefois, elle veut préserver l’unité du parti. Ces dissensions internes rendent difficile tout accord sur la stratégie à adopter face aux problèmes et face au gouvernement. Ce dernier intrigue aussi pour obtenir de dociles directions du P.D.C. En effet, la lutte partisane se double d’un conflit entre le P.D.C. et le gouvernement. 50Avec le passage au pouvoir, le P.D.C. s’est vu ponctionner ses meilleurs éléments. De hauts dirigeants ont participé au gouvernement et ont manqué à la vie du parti, à l’élaboration de programmes, etc. La Démocratie chrétienne a aussi montré son manque d’expérience : ses leaders étaient peu préparés au pouvoir et n’ont pas eu de projet directeur pour mener à bien les changements. Tandis que des réformes socio-économiques restaient en suspens, des travaux grandioses (construction d’aéroports, de ponts, d’un observatoire, du métro de Santiago du Chili…) ont été entrepris pour soigner semble-t-il l’image de la D.C. La Démocratie chrétienne pensait tout dominer : alors que ses leaders ont « quadrillé » le Chili, la réforme agraire a concrètement montré que la D.C. contrôlait mal le territoire chilien. Eduardo Frei aurait mal mesuré le mouvement des masses : il aurait conçu des réformes sans pour autant s’en donner les moyens. Enfin, Eduardo Frei Montalva et les démocrates chrétiens qui l’entouraient se sont rapprochés du libéralisme à la fin de leur gouvernement. Ce processus peut s’expliquer par une mauvaise évaluation des réactions de la droite. En effet, celle-ci ne pouvait accepter les expropriations de ses terres puisqu’elles portaient atteinte à des privilèges séculaires. La droite a donc eu recours à la violence. Ainsi, Hernán Mery, fonctionnaire D.C. de la CO.R.A. (Corporation de Réforme Agraire) a été assassiné par le propriétaire d’un domaine qu’il était chargé d’exproprier. Frei aurait alors cédé et entrepris des réformes sans remettre en question le système capitaliste. 51La perte du pouvoir a accentué les contradictions de la D.C. Alors qu’une déclaration de l’O.C.D.A. (Organisation des Démocraties Chrétiennes d’Amérique) condamnait en 1964 les coups d’État contre des gouvernements démocratiques, la Démocratie chrétienne chilienne a élaboré quelques années plus tard la justification institutionnelle du putsch. Tandis que le P.D.C. se dit humaniste et chrétien, il fait tirer de son siège sur la manifestation d’ouvriers qui manifestaient leur soutien à l’Unité Populaire. De plus, alors que son parti se dit anti-impérialiste, il est financé par la C.I.A. jusqu’en juillet 1974 pour soutenir la dictature. La Démocratie chrétienne qui tenait un discours nationaliste et démocratique a œuvré pour mettre fin à la démocratie la plus ancienne de l’Amérique latine. De même, sous l’Unité Populaire, la Démocratie chrétienne a choisi de défaire ce qu’elle avait durement construit et qui restait encore inachevé. Ce double jeu se retrouve chez Eduardo Frei Montalva. Le leader D.C. se présente comme un humaniste lors des conférences qu’il donne aux États-Unis et en Europe (1971-1972), mais au Chili, il cherche à renverser l’Unité Populaire. Ainsi, il donne le sentiment de s’éloigner du peuple qu’il avait courtisé en 1964. 52Ainsi, la Démocratie chrétienne proposait un projet original en 1964 : une voie anticapitaliste de développement. Elle entendait apporter une réponse chrétienne aux problèmes du Chili et de l’Amérique latine. Pourtant, cette alternative au socialisme a rapidement rencontré diverses difficultés et le mouvement populaire de 1964 s’est essoufflé dès 1967. L’ambition du pouvoir de certains leaders D.C. a dénaturé l’esprit de 1964. 53La Démocratie chrétienne a payé cher ses remaniements politiques et son soutien au coup d’État. En effet, ce putsch n’a pas été comme les autres coups d’État d’Amérique latine ou de l’histoire du Chili car les militaires ont conservé le pouvoir pendant dix-sept ans. De plus, ils ont fait disparaître les généraux constitutionnalistes qui avaient des contacts avec la D.C. (René Schneider, Alberto Bachelet, Oscar Bonilla, Carlos Prats). Les conséquences ont été énormes pour le Chili car une répression sanglante, la destruction du mouvement populaire qui appuyait Salvador Allende, la fermeture du Parlement et des mesures économiques drastiques ont suivi le putsch. La D.C. a fait une grave erreur politique : elle croyait tout contrôler et prévoyait son retour au pouvoir après l’Unité Populaire. Or, elle ne s’est pas méfiée des évolutions au sein des Forces Armées : depuis les années 1950, ce n’est plus la franc-maçonnerie qui influence les militaires mais les idées anticommunistes venues des États-Unis (Doctrine de Sécurité Nationale). Enfin, les militaires se sont eux-mêmes retournés contre le P.D.C. pour son « internationalisme » et sa « responsabilité dans le chaos du pays ». La Démocratie chrétienne a ainsi été interdite en 1977 et sa maison d’édition, sa revue et sa radio ont été censurées. Ses dirigeants ont été forcés à l’exil (Jaime Castillo Velasco, Renán Fuentealba, Andrés Zaldívar). Certains ont été la proie des militaires : Bernardo Leighton a été victime d’un attentat à Rome en 1975 et le syndicaliste D.C. Tucapel Jímenez a été assassiné le 25 février 1982. De même, la mort d’Eduardo Frei Montalva, le 22 janvier 1982, demeure suspecte : des agents de la D.I.NA. lui auraient injecté un staphylocoque doré pour faire « discrètement » disparaître un politicien reconnu qui était en passe de devenir le leader de l’opposition à Pinochet. 54Le P.D.C. a dû attendre 1990 pour parvenir à reprendre le pouvoir qu’il doit partager avec le pôle socialiste et les radicaux dans une Concertation des Partis pour la Démocratie. Mais, il avait perdu son envergure des années 1960. Après la disparition d’Eduardo Frei Montalva, le P.D.C. s’est cherché un nouveau leader et il est aujourd’hui obligé de maintenir son alliance avec d’autres partis pour rester au gouvernement. Alors que la Démocratie chrétienne continue à obtenir 20,27 % des voix aux élections municipales d’octobre 2004, elle perd son influence au sein de la coalition gouvernementale. Au contraire, le Parti Socialiste n’a obtenu que 10,95 % des voix aux mêmes élections, mais c’est sa candidate, Michelle Bachelet Jeria, qui est la candidate de la Concertation aux élections présidentielles de décembre 2005. 55Dans le Chili actuel, la D.C. continue à souffrir de ses contradictions et de ses divisions internes dans un contexte où l’Église chilienne évolue. Après la mort du cardinal Raúl Silva Henríquez, la D.C. a perdu un fidèle allié et l’Église catholique est entrée dans une période de mutation. En effet, une idéologie d’inspiration chrétienne a peu de prises face au néolibéralisme et à une population désenchantée après dix-sept ans de dictature. Des scandales de pédophilie éclatent au sein de la Démocratie chrétienne chilienne qui souffre d’une perte de vitesse à l’instar des autres Démocraties chrétiennes européennes. Malgré tout, le travail d’Eduardo Frei Montalva et des fondateurs de la D.C. a été efficace puisque le P.D.C. demeure le premier parti chilien. Haut de page
Posted on: Tue, 29 Oct 2013 00:27:55 +0000

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