URI AVNERI interview dans Le Soir, quotidien belge Mardi 19 - TopicsExpress



          

URI AVNERI interview dans Le Soir, quotidien belge Mardi 19 novembre 2013 Uri Avnery, fondateur de Goush Shalom, le bloc de la paix. Uri Avnery est une figure emblématique du camp de la paix en Israël. A nonante ans, il soutient toujours avec force le droit du peuple palestinien à établir son Etat. TEL-AVIV, DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL Vous avez 90 ans depuis quelques semaines, comment voyez-vous, avec ce recul, vos réussites et vos échecs, vous qui avez consacré une grande énergie à mobiliser le camp de la paix en Israël? Mes amis et moi présentons un bilan fait de réussites et d’échecs. Juste après la guerre d’indépendance d’Israël, en 1948, j’ai proposé la création immédiate d’un Etat palestinien, et il n’y avait pas cent personnes dans le monde qui m’auraient suivi! Désormais, il existe un consensus mondial sur cette question, également avalisé par une majorité d’Israéliens et de Palestiniens. C’est une réussite importante. Mais nous avons complètement échoué à créer une force politique qui mettrait en œuvre cette solution. Beaucoup d’erreurs ont été faites en Israël et par les Palestiniens. En fait, la tâche en elle-même s’est révélée beaucoup plus difficile que nous ne l’avons cru. Pour Israël, cela signifie changer la nature même du sionisme. Le mouvement sioniste dit: «Nous voulons faire un Etat juif sur tout Eretz Israël» (la Terre d’Israël), au moins de la mer au Jourdain. Or il y a là un peuple palestinien, qui est nié jusqu’à aujourd’hui. Qui a le droit d’établir son Etat, ce qui suppose la division de la Palestine, Jérusalem compris. La majorité d’Israéliens qui accepte la solution des deux Etats, incluant le Premier ministre Binyamin Netanyahou, estime que cette solution est en fait impossible car «les Arabes ne nous accepteront jamais». Faites l’expérience: prenez un taxi ici en sortant de chez moi, sur la rue Ben Yehouda, demandez-lui s’il veut la paix, il vous répondra qu’il est prêt à rendre les territoires occupés, même Jérusalem-Est, mais que les Arabes ne seront jamais d’accord. C’est une façon d’éluder la question et c’est l’attitude adoptée par la grande majorité des Israéliens. L’ex-Premier ministre Ehoud Barak a eu un rôle important dans l’évolution des mentalités, n’est-ce pas? Oui, il a eu un rôle bien particulier. Quand il est revenu du sommet de Camp David en juillet 2000 (organisé par Bill Clinton, avec la participation de Yasser Arafat, NDLR) qui avait connu un échec retentissant, il s’est répandu en slogans comme: «J’ai retourné chaque pierre pour trouver une solution, j’ai fait l’offre la plus généreuse de l’Histoire, et Arafat a tout rejeté, nous n’avons pas de partenaire pour la paix» (et la sanglante seconde intifada s’ensuivit, NDLR), ce qui était faux. Ses propos eurent un effet dévastateur sur l’opinion publique israélienne, surtout celle de gauche. C’est pourquoi, comme il existe des criminels de guerre, je surnomme Barak un «criminel de paix». Vos premiers pas en politique, paradoxalement, ont été faits à l’extrême droite… Je suis arrivée en Palestine d’Allemagne à dix ans. A quinze ans, je suis entré dans l’organisation juive «Irgoun», qui pratiquait le terrorisme. Quatre ans plus tard, j’ai quitté le mouvement avec lequel j’étais en désaccord, sur l’idéologie et sur les méthodes. Quelques années plus tard, j’ai fondé un mouvement, «Dans la lutte», qui proposait une alliance entre les mouvements nationaux arabe et hébreu. Mais la guerre éclata bientôt, en 1947, à laquelle j’ai participé, j’ai même été commandant de la première unité créée et ai été blessé le dernier jour. Un long séjour à l’hôpital m’a permis de réfléchir, de constater que ma conviction d’avant-guerre était obsolète, que nous avions besoin de trois choses: la paix avec le monde arabe, admettre qu’il existe une nation palestinienne et qu’il fallait aider les Palestiniens à mettre un Etat en place. Je n’ai plus varié de ligne depuis lors. Une polémique récurrente en Israël consiste à opposer les arguments de ceux qui soutiennent qu’un Etat peut être à la fois juif et démocratique, et de ceux qui disent que c’est impossible… Cela dépend de ce qu’on signifie par «juif». Si on veut dire qu’il a une majorité juive, ça me va. Mais si cela veut dire qu’on privilégie les Juifs, qu’ils auraient des droits spéciaux, cela n’est plus démocratique. Les Arabes en Israël jouissent d’une citoyenneté complète. En ce sens, Israël est un Etat démocratique dans les lignes d’avant 1967, même si la minorité connaît des problèmes. Mais, dans les territoires occupés, la situation des Palestiniens est à 100% antidémocratique. Certains vous répondent que les Palestiniens d’Israël sont discriminés, que des lois, même, les discriminent… Les Arabes israéliens ne sont pas plus discriminés que les Algériens en France, les Pakistanais en Grande-Bretagne ou les Noirs aux Etats-Unis. Et ils ne subissent pas l’apartheid comme les Noirs d’Afrique du Sud naguère. Netanyahou parle d’Israël comme l’Etat nation du peuple juif… Oui, ce concept n’est pas démocratique et en plus c’est dingue. La négation même du sionisme. Est-ce qu’Israël appartient à un Juif belge, russe ou américain, par exemple? C’est un concept fou mais qui est devenu la doctrine officielle du gouvernement israélien, qui veut l’imposer comme condition aux Palestiniens avant de signer la paix. Pour moi, les Palestiniens doivent reconnaître l’Etat d’Israël et nous leur Etat, ce n’est pas leur affaire de savoir comment Israël se définit lui-même. Quelle est votre position sur le mouvement qui prend de l’ampleur dans le monde contre Israël, qu’on appelle BDS (boycott, désinvestissement, sanctions)? Le mouvement auquel j’appartiens, Gush Shalon (le Bloc de la paix), appelle au boycott des produits des colonies juives dans les territoires occupés depuis 1997 et on s’y tient. Il faut être clair dans ses buts. Nous voulons isoler les colons par rapport au public israélien, c’est une précondition avant de les déloger d’où ils sont. Mais si on boycotte tout Israël, le grand public israélien va au contraire se ranger dans le camp des colons, c’est donc contre-productif. Souvenez-vous de la guerre du Vietnam, dont le sort a été décidé par l’opinion publique américaine, tout comme la question algérienne en France. On se fait des illusions si on croit qu’on peut forcer l’opinion publique israélienne, en tout cas dans les quinze prochaines années, après je ne sais pas. Parlons un peu de ces colons. Les plus extrémistes lancent des pierres contre les enfants palestiniens, coupent ou brûlent les oliviers des paysans palestiniens, etc. Comment peut-on en arriver à ce niveau de haine? Les pires choses sont arrivées sur cette planète. Il y a eu l’Holocauste. Ces colons dont vous parlez, minoritaires, sont des fascistes messianiques, des déments qui devraient être traités comme tels! Un jour, il faudra les déménager de force, cela n’est pas une perspective réjouissante. Pour appuyer une décision de les faire partir, il faut une opinion publique israélienne déterminée et un gouvernement qui partage le même but. Vous semblez toujours positif, comment faites-vous? Il y a 80 ans que je suis ici. Et j’ai toujours été optimiste par nature. J’ai vu se produire des choses qui étaient tellement inattendues, considérées comme impossibles parfois une semaine avant qu’elles n’arrivent, comme la chute du Mur de Berlin, la mort de l’Union soviétique… Et je sais aussi que le pessimisme ne mène nulle part. Seuls les optimistes font l’Histoire. J’écris un article par semaine depuis 1953, cela en fait donc des milliers, et j’ai toujours voulu que le lecteur n’en sorte pas convaincu qu’il doit se suicider, mais au contraire qu’il ait l’envie de se lever et de bouger.
Posted on: Tue, 19 Nov 2013 13:44:37 +0000

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