Un témoin de son temps Toute sa vie durant, Féraoun se dépense - TopicsExpress



          

Un témoin de son temps Toute sa vie durant, Féraoun se dépense sans compter pour promouvoir l’éducation et le savoir auprès des jeunes Algériens Il considère que c’est le moyen de leur affranchissement. C’est sa vocation et son métier. « Ce métier, écrit-il encore à son éditeur en mars 1956, je le remplis bien et l’aime bien. J’ai pu accéder dans ma catégorie au sommet de l’échelle ; je bénéficie de l’estime de mes collègues et des chefs ainsi que de l’affection de nombreuses générations d’élèves. Dans ce domaine, mes efforts n’ont jamais été stériles ou vains. J’ai rarement connu l’échec car, en fin de compte, l’échec n’est rien d’autre qu’un défaut de volonté et la réussite rien d’autre que le prix du travail » Ce métier d’instituteur et son activité d’homme de lettres l’ont naturellement conduit à côtoyer la population européenne vivant en pays kabyle puis dans la capitale et à entretenir des relations avec ses amis et ses correspondants à Alger et en Métropole. Feraoun se retrouve à la confluence de deux mondes, celui des «Algériens indigènes » et celui des Français, qui coexistent sans jamais se confondre. Cette position met à rude épreuve les solides convictions de l’homme, forgées à l’aune des valeurs ancestrales de la société kabyle et des idéaux républicains d’égalité et de fraternité qui lui furent dispensée à l’école normale de Bouzaréa. Témoin de l’injustice et des inégalités criantes imposées aux populations algériennes, conscient de sa propre situation « d’indigène » en dépit de sa culture, de sa fonction et de son prestige littéraire, il nourrit une hostilité déclarée au système colonial. N’a-t-il pas exhorté ses amis français parmi les libéraux à joindre leurs voix pour tenter de combler le fossé qui sépare les Algériens ? « Je crois que pour toi est venu le moment de parler utilement de nous. Songes-y. C’est peut-être une bonne action à accomplir parce que ta voix ne passera pas inaperçue. » écrit–il a Emmanuel Robles le 29 juin 1953. En dépit de tous les efforts, l’espérance d’un possible rapprochement entre les deux communautés reste vaine. Elle implique une remise en cause de l’ordre colonial. Le signal dans ce sens est venu plus tard, des premiers attentats annonciateurs du combat libérateur. Féraoun comprend le sens et la portée de l’évènement. « Le pays se réveille aveuglé par la colère et plein de pressentiments ; une force confuse monte en lui doucement. Il en est tout effrayé encore mais bientôt il en aura pleine conscience. Alors il s’en servira et demandera des comptes à ceux qui ont prolongé son sommeil. » (Journal 9 décembre 1955). A Fort national où il est encore en poste, il suit l’évolution de la situation. L’insurrection progresse rapidement en Kabylie. Elle s’enracine au sein de la population. Des nouvelles lui parviennent de Tizi-Hibel et de Taourirt Moussa où les villageois ont été rassemblés par les maquisards. Ils ont expliqué le sens du combat engagé et appelé les villageois à s’impliquer et à soutenir la lutte. Dans le même temps l’armée ratisse les villages, fouille les maisons, arrête des suspects. La guerre s’installe pour 8 ans, cruelle, inhumaine. A Fort national, la population européenne est très inquiète. L’insécurité règne. Avec elle, la méfiance, la suspicion. Les relations avec les Kabyles se tendent. Les camps se dessinent et chacun se trouve sommé de choisir. Les Français choisissent, les Kabyles aussi. Entre les deux communautés la rupture est consommée. Féraoun explique : « La vérité, c’est qu’il n’y a jamais eu mariage. Non. Les Français sont restés à l’écart. Dédaigneusement à l’écart. Les Français sont restés des étrangers. Ils croyaient que l’Algérie c’était eux. Maintenant que nous nous estimons assez forts ou que nous les croyons un peu faibles, nous leur disons : non messieurs, l’Algérie c’est nous. Vous êtes étrangers sur cette terre. Ce qu’il eût fallu pour s’aimer ? Se connaître d’abord, or nous ne nous connaissons pas….Un siècle durant, on s’est coudoyé sans curiosité, il ne reste plus qu’à récolter cette indifférence réfléchie qui est le contraire de l’amour. » C’est dans ce contexte qu’il entreprend la rédaction des notes qui ont été publiées dans Journal en 1962. Féraoun y relate avec force détails le déroulement de la guerre en Grande Kabylie. Il recueille des témoignages et consigne ses réflexions. L’ensemble constitue un témoignage précis dans lequel Feraoun livre, au fil du récit, une analyse lucide et clairvoyante des évènements et les causes du conflit. Il dresse une critique radicale de l’ordre colonial bâti sur l’oppression et la soumission des Algériens. Il n’en attend aucune concession. Les Français sont accrochés à leurs privilèges. Ils ne veulent rien lâcher. Et lorsque la menace se précise, la réaction est immédiate, d’une violence extrême. L’armée est mobilisée. Elle est massivement déployée en Kabylie avec les pleins pouvoirs pour étouffer la rébellion. Exécutions, massacres collectifs, viols, tortures et bien d’autres atrocités qui sont infligées aux populations villageoises. « Voilà, c’est la guerre et c’est affreux. Mais il n’y a rien d’autre à dire. .. Rien à dire parce qu’un mort ne peut plus parler et qu’un vivant craint de mourir s’il parle tout en sachant fort bien qu’un jour ou l’autre il mourra à son tour puisqu’on est décidé à tous nous tuer tant que nous persisterons à vouloir l’indépendance et que malheureusement cette idée d’indépendance est devenue pour tous la seule raison de vivre. Nous avons peut-être tort d’avoir laissé s’incruster en nous cette idée folle mais il n’est plus question de l’en arracher. Le cœur où elle a pris racine viendrait avec elle ; alors autant nous tuer tout de suite » (journal Page 236 10 Juin 1957) Féraoun raconte les progrès de l’insurrection en Kabylie. C’est une renaissance pour les villageois. Le moyen de recouvrer leur dignité bafouée. Ils sont prêts à tout donner pour que prenne fin la nuit coloniale. Les maquisards sont des héros. L’adhésion est totale, inconditionnelle. La population est confiante. Elle soutient, héberge, nourrit et alimente en combattants les maquis. « Les hors-la-loi sont des nôtres. Ils se comportent en Kabyles et ont soin de ne pas nous blesser. Selon le cas, ils flattent notre fanatisme, notre orgueil, nos espoirs ou alors ils partagent nos idées, nos conceptions démocratiques de la société, nos sentiments humanitaires. Ils ont de tout parmi eux… Il y a un impératif désiré par tous, un idéal à atteindre, être libre. » (Journal page 44 Novembre 1955) Féraoun comprend cette euphorie. Il la partage intérieurement. Mais il est peu à peu tourmenté par l’évolution de la situation. Des échos qui lui parviennent des discours mystiques et religieux que tiennent les maquisards pour expliquer leur combat. Il s’inquiète du décalage entre ces discours et les aspirations bien concrètes des villageois à la liberté, à la justice sociale, à la fin de l’oppression. Féraoun s’inquiète également de la volonté d’imposer aux populations un ordre nouveau fait d’interdits pas toujours justifiés par les besoins de la lutte. « Les prétentions des rebelles sont exorbitantes, décevantes. Elles comportent des interdits de toutes sortes, uniquement des interdits, dictés par le fanatisme le plus obtus, le racisme le plus intransigeant, la poigne la plus autoritaire. En somme le vrai terrorisme… Et puis il faut recevoir selon notre plus hospitalière tradition nos braves visiteurs qui prennent des allures de héros et d’apôtres tout comme les grands saints de l’Islam, d’illustre mémoire. » ( Journal p 58) En observateur averti Féraoun perçoit, au fur et à mesure de l’intensification de la guerre, un changement dans la nature des relations entre les éléments du FLN/ALN et la population. Il n’est plus question de se fondre dans la population comme un poisson dans l’eau, mais de la soumettre, de la contrôler et au moindre signe de la réprimer. Les chefs locaux se transforment en potentats s’arrogeant un droit de vie et de mort sur les citoyens. Au règne de la confiance se substitue peu à peu le règne de la terreur. Alors, pour les citoyens, c’est enfer. « Il n’est pas possible de pardonner leurs erreurs aux maquisards. Ni leurs injustices. Voilà cent ans que nous subissons tout cela, que nous pâtissons des erreurs et des injustices. Alors messieurs pourquoi vous battez-vous ? Si rien ne doit changer, épargnez les vies tout au moins et laissez-nous tranquilles. Que les soldats tuent des enfants, des femmes, des simples d’esprits, des innocents, ce n’est pas une nouveauté ni un scandale. Vous n’êtes pas des soldats français ou des gendarmes, vous. Ne vous croyez pas non plus des caids ou des administrateurs. Vous n’avez pas le droit. Et si vous le prenez ce droit, nous vous détesterons. Le jour ou le pays vous craindra ou vous détestera, vous ne serez plus rien » ( Journal page 93 Mars 1956) L’armée française profite de cette déliquescence. Elle vide des villages, en occupe d’autres. Elle isole les populations pour mieux les contrôler. C’est souvent un soulagement pour des villageois excédés. Mais, sur le fond, l’armée n’est pas dupe. La rupture avec les Kabyles est irréversible. Elle les surveille dans l’enclos des barbelés. Féraoun a conscience, pour le vivre, de l’engrenage infernal qui broie la population. Il voit bien que la dégradation de la situation sur le terrain de la lutte est le prolongement au niveau local, des dérives qui affectent le sommet du mouvement de libération, des conflits qui le traversent, des luttes de pouvoir entre ses dirigeants. N’a-t-il pas écrit en Janvier 1957, après avoir lu d’un bout à l’autre le numéro spécial du Moudjahid ? « Il y a dans ces trente pages beaucoup de foi et de désintéressement mais aussi beaucoup de démagogie, de prétention, un peu de naïveté et d’inquIétude. Si c’est ça la crème du FLN, je ne me fais pas d’illusions, ils tireront les marrons du feu pour quelques gros bourgeois, quelques vieux politiciens tapis mystérieusement dans leur courageux mutisme et qui attendent l’heure de la curée. Pauvres montagnards, pauvres étudiants, pauvres jeunes gens, vos ennemis de demain seront pires que ceux d’hier. » (Journal P187) Vision prémonitoire s’il en est, sauf que ce ne sont pas de gros bourgeois, mais une alliance de chefs civils et militaires « tapis courageusement » à l’ombre des frontières qui attendaient l’heure de la curée. Association Culturelle Mouloud feroun
Posted on: Thu, 18 Jul 2013 19:14:46 +0000

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