Entretien avec Rui Nogueira le jeudi 1er février 2007 par - TopicsExpress



          

Entretien avec Rui Nogueira le jeudi 1er février 2007 par Rosine SCHAUTZ « Il arrive que l’amour du cinéma amène du fric, mais jamais l’amour du fric n’a amené du cinéma ! » Q: Qu’est-ce que le cinéma pour vous, aujourd’hui ? Pas ce qu’il a pu représenter autrefois, mais aujourd’hui ? Quelle serait votre définition du cinéma ? R: C’est très difficile d’essayer d’insérer dans une définition quelque chose qui est fondamentalement une porte ouverte sur le monde. Définir, c’est limiter. Mais je dirais que c’est la plus belle, la plus grande, la plus fascinante et la plus passionnante des drogues. Q: Vous trouvez que le métier de… au fait, quel est votre métier ? R: J’aime dire que je suis un montreur d’ombres, un diffuseur de mensonges… Q: Vous avez l’impression que ce métier a changé avec les nouvelles techniques ? Si oui, en quoi ? R: Oui, beaucoup. Avant, on se retrouvait dans une salle et on était à côté de gens qu’on ne connaissait pas, qu’on pouvait rencontrer vraiment, et il y avait une communication… Or aujourd’hui, on est à la pointe de la communication, et avec le DVD, le home cinema, les salles commencent à disparaître ; il y a de plus en plus de gens qui s’enferment chez eux pour voir des films avec deux-trois copains. Il n’y a plus cette fête, cette union, cette sorte de « partouze d’idées » est en train de se perdre, et ça, c’est très grave pour moi. Q: Vous avez l’impression que cela provient des directeurs de salles, ou de la qualité des films ? R: J’avais beaucoup d’idées fausses, avant de programmer des salles ; je pensais toujours que la faute venait du directeur de salle ! En fait, je crois que cela vient de la vie qui est différente. Il faudrait que le cinéma soit moins cher. Il y a un problème économique qui joue…Trop cher pour le réaliser, ou pour le voir ?Ça deviendra peut-être moins cher à réaliser avec les nouvelles techniques. On peut, aujourd’hui, faire des films avec des budgets moindres. Moi qui suis un malade des chiffres ronds, je trouve que le cinéma ne devrait pas dépasser les 10 francs. Et pour les enfants, ou l’AVS, 5 francs… Dans la mesure où il y aurait plus de public, plus de monde, plus de fête, il y aurait plus d’envies de sorties cinéma. Q: Quand vous dites cinéma, vous voyez d’abord une industrie du cinéma, et ensuite un art du cinéma, ou les deux « images » viennent en même temps ? R: Je dis toujours « par ailleurs le cinéma est une industrie »… Je pense qu’il ne faut jamais oublier que c’est une industrie, et que le côté artistique est en surcroît. Les grands auteurs de cinéma, ceux qui ont marqué l’histoire du cinéma, étaient des gens qui allaient au boulot, comme des ouvriers vont à l’usine. Ils n’y allaient pas en disant : « je vais faire mon chef-d’œuvre, mon œuvre d’art ». Ça, c’est venu beaucoup plus tard. Ce qui n’empêche pas que ceux qui ont du talent arrivent toujours à sortir du lot ! Q: Est-ce encore vrai ? Est-ce qu’un jeune cinéaste, issu des Beaux-Arts ou d’une Ecole de cinéma, ou un autodidacte, peut vraiment y arriver ? Peut arriver à développer un projet, et le tourner ensuite ? Est-ce que la carrière d’un Charlie Chaplin est plausible de nos jours ? R: C’est-à-dire qu’avec la mentalité d’un jeune d’aujourd’hui, non. Avec la mentalité de l’époque, oui. Il ne faut pas oublier qu’à la grande époque du cinéma, en France, pas seulement aux Etats-Unis, le week-end n’existait pas. Les gens dormaient dans le studio ; les comédiens, les stars avaient un hôtel à côté, mais sinon les techniciens dormaient sur place. Ils étaient toujours prêts. Q: Vous connaissez des gens qui travaillent encore comme ça ? Ken Loach ?J R: Je ne sais pas comment ils travaillent, mais ce sont des réalisateurs qui ont une rigueur, une discipline, une constance, une passion, une motivation, un engagement qui va au-delà de tout. Il arrive que l’amour du cinéma amène du fric, mais jamais l’amour du fric n’a amené du cinéma ! Après, il y a des réalisateurs qui s’impliquent plus dans une démarche politique que cinématographique, et ce n’est pas le même métier. Un film qui s’inscrit dans un projet cinématographique, est de toute façon politique. Même les comédies de Louis de Funès sont politiques. Q: Quels sont pour vous les films qui ont vraiment une ambition cinématographique ? Les films de l’Est ? R: Je trouve que le cinéma de l’Est a beaucoup perdu avec la chute du mur de Berlin. Pas seulement en rigueur. En tout. En professionnalisme, en esprit de contestation. Et puis, je regrette beaucoup que l’on dise toujours de tel cinéaste qu’il est un petit Hitchcock, ou un nouveau ceci ou cela. Il y a un discours de Kazan aux jeunes cinéastes où il dit que l’essentiel c’est d’être soi-même, et de ne pas vivre dans l’imitation. « Dites ce que vous avez à dire avec vos mots, vos images et votre talent, n’essayez pas de copier les autres. » Quand le cinéma devient un cinéma de cinéphile… Je ne crois pas qu’il y ait moins de gens avec talent, mais il y a quelque chose qui ne va pas dans le système, les aides, etc. Je regrette aussi le manque de curiosité. Je ne veux pas parler comme un « vieux con », mais je n’aime pas cette auto-satisfaction, ce narcissisme, le fait que de plus en plus de metteurs en scène veulent jouer, être devant la caméra. Doublé d’une certaine ignorance, qui existait, qui a toujours existé, mais avant on était conscient de cela, et on essayait de diminuer les dégâts de cette ignorance. On ne se vantait pas de son ignorance. Q: Vous n’avez jamais tourné de films ? R: Non, j’ai essayé, deux ou trois fois, de monter des projets, mais c’était tellement compliqué… Et je n’avais pas le feu sacré. Mes grandes joies ont toujours été de voir des films, de découvrir des mondes, et de discuter de tout cela, et ensuite de rencontrer les cinéastes. J’ai réalisé des interviews avec les grands du muet, ceux d’avant-guerre, et ensuite avec les autres qui ont suivi. Toutes générations confondues. Q: Qu’est-ce qu’un bon film pour vous ? R: C’est tout un ensemble… La situation, la façon de la traiter. Le cinéma, c’est surtout l’art du comment, pas l’art du pourquoi. Hitchcock disait qu’il se fichait de savoir pourquoi tel ou tel mourait, mais il se souciait de la manière dont il le ferait mourir. Q: Si on vous dit « cinéma », vous pensez à un film en particulier, ou à des images de plusieurs films ? R: A des films. J’ai des films de chevet, de référence. L’un est “Seuls les anges ont des ailes”, de Howard Hawks. C’est un peu “Vol de nuit” de Saint-Exupéry. L’autre est “Le rebelle” de King Vidor. Pourquoi ? Parce que dans la vie, au niveau de l’identification, j’aimerais bien être… tous les personnages ! Après, il y en a d’autres que j’aime pour des raisons différentes, comme “L’aventure de Mme Muir” de Mankiewicz. Et puis, il y a des films que j’aime pour certaines séquences. Et enfin, j’aime les westerns. Ainsi, quand j’entends le mot cinéma, je sors mon pistolet, comme l’autre quand il entendait le mot culture ! Mais moi, c’est pour les westerns ! Q: Il y a vingt ans, que faisiez-vous, où étiez-vous ? R: C’est une question que je me pose souvent. Un jour, à Cannes, j’ai vu un film argentin avec Nicoletta, “La nuit des crayons”, de Hector Olivera, sur la dictature militaire argentine, qui a tué énormément de jeunes. C’est un film que j’aimerais bien montrer de manière répétitive, chaque année… A la sortie, je me suis tourné vers elle, et je lui ai demandé : « Mais où étions-nous quand ça s’est passé ? ». Où étions-nous quand il y a eu la Yougoslavie ? Où est-ce que j’étais il y a vingt ans ? J’étais à Genève. Tout allait bien. Pour moi. Pour les gens d’ici. Propos recueillis par Rosine Schautz
Posted on: Thu, 11 Jul 2013 04:03:30 +0000

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