LA MONARCHIE MADE BY HASSAN II Si cest un despote que vous - TopicsExpress



          

LA MONARCHIE MADE BY HASSAN II Si cest un despote que vous souhaitez détrôner, assurez-vous avant tout que son trône érigé au fond de vous-mêmes soit déjà détruit (Jabrane Khalil Jabrane) Après ma chronique : Le Makhzen, cest quoi ?, voici la monarchie telle quelle fut bricolée et verrouillée par Hassan II. On remarquera le ton assez neutre de cette approche qui convoque le style du chercheur, fut-ce au détriment du militant. Fussent-ils animés des meilleures intentions, beaucoup d’analystes, d’hommes politiques occidentaux, de publicistes, et même une majorité de constitutionnalistes européens retrouvent rarement le Nord — c’est le cas de le dire — sur le territoire des sources du (des) pouvoir(s) au Maroc. En vérité, le pouvoir y ressemble à un château constitué de trois pavillons. Chaque pavillon est bâti dans une architecture qui lui est propre. Néanmoins, des corridors suffisamment larges, fluides et strictement codés lient les trois pavillons.De la même manière, au sein de la monarchie marocaine, le pouvoir se compose de trois champs à la fois distincts et communicants : l’Arbitrage, la Commanderie des Croyants et enfin l’Etat moderne. La clé de voûte de ces trois champs est le roi. Celui-ci est à la fois Souverain chérifien (soltane charif), Commandeur des Croyants (amir al-mouminine) et Chef d’Etat (raïs dawla). La monarchie marocaine est, en vérité, « une vue de l’esprit », née précisément dans celui dHassan II. Bâtie sur une conception Ummiste de la société, elle trouve sa légitimité dans la référence à l’histoire. Mais elle tient son enracinement du subtratum même de l’imaginaire socio-religieux : le Marocain est dérouté au sein de toute construction sociétale désacralisée, c’est-à-dire non monarchique, au sens anthropologique du terme. Qu’est-ce qu’alors la Monarchie à la marocaine, telle quelle a été esquissée, remembrée et imposée par Hassan II ? La plupart des analystes occidentaux et beaucoup de spécialistes marocains identifient le régime marocain davantage à n’importe quel règne de droit divin qu’à un mode de vie fortement mentalisé à la manière dun despote dont un pied est resté cloué au moyen-âge et lautre placé au seuil de la contemporanéité : la ritualisation de la naissance, le rapport à la mort, la fantasmagorie collective, le rêve, la conception communautaire du bonheur, la morale sociale, l’institution familiale, le savoir-vivre, l’habitat, voire l’art culinaire et l’habillement, évoluent sous l’emprise de l’a priori monarchique hassanien. Il nétait point de discours hassanien qui ne fût jalonné de références religieuses et conclu par un verset coranique idoine. Les fameuses causeries hassaniennes participent de cette même stratégie dinstrumentalisation des croyances, des coutumes les plus rétrogrades comme des peurs héritées de lère de la siba. Hassan II pouvait ainsi se jouer à loisir dun imaginaire pétri de communautarisme ummiste. Il pouvait y puiser les outils référentiels culpabilisateurs les plus en phase avec ses visées absolutistes. Il savait que jusques et y compris pendant les intermèdes spatiotemporels anarchiques (siba), la monarchie — au sens plus largement anthropologique — a façonné l’âme marocaine — d’essence berbère, déjà communautaire — , notamment depuis l’islamisation du pays. Jusquà nos jours, le besoin profond de sécurité des Marocains est encore exprimé, essentiellement dans les terroirs et territoires ruraux et suburbains par lexpression interrogative : Ny-t-il donc pas de Makhzen dans le bled ? De ce point de vue, la configuration monarchique — sultanale, khalifale, royale — du pouvoir n’est rien d’autre que l’image reflétée par l’entité marocaine elle-même dont le socle était fait dautoritarisme, de primauté patriarcale, de droit daînesse et de machisme. Le génie démagogique de Hassan II était celui de construire un Etat sur mesure où les concepts de communauté (umma), de peuple (cha’ab), de nation (watan), de sujets (ra’iyah), de citoyens (mowatinun) s’accommodent avec les trois champs susnommés pour converger vers l’Etat dual : spiritualis temporalis. L’observateur doit, en effet, se résigner à admettre le fait que le trône marocain est avant tout le produit des certitudes de l’imaginaire collectif. Cet imaginaire rétif au libre arbitre, favorisant le nous au détriment du je, ne pourra un jour sétioler (cédant la place à un véritable et authentique Etat de droit) quà la faveur dun séisme culturel dont la nature et lampleur seraient du même ordre que ce qui se passa là où lindividu put émerger. Qui du nous ou je finira par lemporter ? Quand ? En tout cas, Hassan II avait décidé que le Maroc, qui a échappé aux despotismes mamlouk et ottoman, se devait de toujours recourir à l’instrumentalisation des symboles religieux pour perpétuer la tradition monarchique : Idrissides, Almoravides, Almohades, Mérinides, Wattassides, Saâdiens et Alaouites durent souvent s’entourer de verroux sécuritaires inspirés de la religion, déclara-t-il au publiciste et doyen Georges Vedel. A sa place, jaurais atténué le propos en plaçant à la fin de la phrase le mot religion par symbolique religieuse. Cest, en effet, armés de cette symbolique religieuse, dûment enracinée par lislam maraboutique, que les monarques marocains, toutes dynasties confondues, purent mobiliser leurs sujets contre les attaques espagnoles, portugaises et, plus tard, françaises. La primauté du nous gouverne via la monarchie, en somme. Le Marocain n’a pas identité individuelle ; il n’existe pas en dehors du groupe, mais en sa seule qualité de membre de ce dernier », dit John Waterbury. « Au Maroc, l’individu n’existe pas en tant que tel. Il n’est que membre au sein d’une communauté », écrit Rémy Leveau. L’attachement organique au groupe s’explique par la teneur du pacte fondamental passé entre l’Islam venu d’Orient et les différentes berbérités marocaines (le Souss au Sud, lAtlas et le Rif). Ayant été durement humiliés par les Phéniciens et les Romains, et après avoir été traversés par le judaïsme et les christianisme, les berbères virent en l’islam le « pacificateur » capable de fédérer les cultures saharienne, présaharienne et amazighe autour du message mohammadien. Ainsi, l’allégeance, chaque fois renouvelée aux monarques marocains, n’est rien d’autre qu’un contrat éminemment social, même si la clause de la défense de Dar al Islam en est la véritable moelle épinière. Le souverain chérifien (as-soltane ach-charif) est en lui-même une institution de nivelage ethno-politico-culturel : hormis le règne de l’alaouite Moulay Slimane (1792-1822), cette institution « a, durant toute son histoire, adopté la stratégie du mariage avec des femmes berbères dans le but de réaliser la fonction harmonisationnelle ». Paradoxalement, la diversité ethnolinguistique du Maroc a toujours constitué sa police d’assurance contre la désintégration territoriale.D’ailleurs, le Maroc ne fut longtemps appelé Empire Chérifien que pour l’extraordinaire diversité de ses ethnies et le multilinguisme de ses populations. C’est la monarchie — enracinée au plus profond d’un imaginaire marqué par la « paranoïa des razzias » — qui cimente la construction sociale dans son ensemble. Au fil des siècles, une interactivité de type projectionnel s’est instaurée entre les structures sociales (famille, corporations, tribus… etc.) et la dynamique monarchique : le chef de famille (le père, l’aîné), le représentant d’une corporation (Amine), le chef d’une tribu sont des micromonarques parmi les leurs ; ce qui ne les dispense pas de l’allégeance au Commandeur des Croyants. De plus, la sujétion qui les lie au souverain chérifien est de la même essence que celle qui fait d’eux les micromonarques qu’ils sont en fait. Ainsi, le baisemain exécuté par l’enfant à lendroit de son père est de la même nature que celui que tout Marocain se doit de — ou se plaît à — faire au roi en sa qualité à la fois de soltane charif (descendant du Prophète) d’Amir Al Mouminine (successeur du Prophète). Certains publicistes virent en l’adoption de la première constitution du Maroc indépendant (fin 1962) l’accession de celui-ci à l’occidentalisation « confirmée et irrévocable ». J. Aveille alla jusqu’à considérer le plébiscite référendaire de ladite constitution comme un événement de rupture avec le passé politique, sociétal et psychologique de l’ancien Maroc ». Les décennies qui suivirent infirmeront ce type de « désirs pris pour la réalité » : l’alchimie sociopolitique du pays aura évolué dans le sens d’une gestion duale, voire schizophrénique du pouvoir. L’Etat-nation est certes construit, mais la monarchie marocaine n’a pas pu, ou plutôt voulu évoluer en un phénomène rationnel basé sur une conséquence tangible de la lutte des idées et des intérêts. Elle demeure une réalité nouménale, un vécu mental. Plus qu’un mandala version islamique, elle est probablement la seule manifestation politique d’un Allah omnipotent et despotique sur cette terre marocaine. Car, faut-il le rappeler, en islam sûnnite et malékite, il ne peut y avoir qu’une religion, une Umma et un guide : lorsque Hassan II fit construire la plus imposante mosquée du monde, dotée de surcroît du plus haut minaret du Globe, il ne fit que s’adresser à l’imaginaire ummiste marocain. Ainsi, la monarchie marocaine made by Hassan II tient sa pérennité à la fois des forces ésotériques et du déploiement exotérique propres à l’imaginaire berbéro-arabo-musulman au pays du Couchant. « Pour détruire la royauté au Maroc, il faudrait commencer par désislamiser, déberbériser et désarabiser toute la population. Il suffirait ensuite d’imposer l’idée de l’individu en flanquant un Voltaire au cul de chaque Marocain », aurait dit en substance Lyautey. Préposé à la « pacification », le Maréchal a dit aussi : « Nous venons dans un pays à la civilisation ancienne et reconnue. Nous ne sommes pas en terre sans maître. La souveraineté de Sa Majesté le Sultan sera respectée et la population marocaine soutenue ». Le premier Résident français avait compris la puissance du symbole monarchique au Maroc. Pourtant, sa nomination eut lieu alors que l’«Empire chérifien » croulait sous l’anarchie de la siba. En effet, la monarchie dite chérifienne est inscrite dans une mémoire collective où trône le makhzen. Ce mot, qui veut dire dépôt, a fini par devenir synonyme d’autorité, de pouvoir absolu. L’imaginaire marocain l’assimile encore à un pouvoir à la fois arbitral et répressif. Eléments constitutifs de toute tradition politique, les notions, les références, les symboles, les signes et les pratiques ont longtemps milité — séparément et additionnellement — au Maroc dHassan II dans le sens de la pérennisation mentale de la monarchie, principalement par le biais des valeurs et pratiques seigneuriales.Cette mise au point est nécessaire afin que l’allure que je souhaite donner à mon propos ne soit entâchée ni de complaisance, ni d’antimonarchisme primaire, en loccurrence, contreproductif. Il est moins, dans mon intention, de conclure à quelque référentialité éthique que ce soit du régime marocain — lOmnipotent Allah saura-t-il men garder ? —, que de consigner une réalité mentale, culturelle, anthropologique, sociétale, politique et religieuse ayant pour nom Monarchie. La siba, cette négation insurrectionnelle du makhzen, fut jugulée grâce à la « pacification » sanglante entreprise par le Protectorat français. C’est donc paradoxalement ce dernier qui redonna vigueur à une monarchie marocaine qui na pas tardé à virer au cauchemar politique dès laube des années soixante. Et, je conclue en affirmant quen dépit des arrangements cosmétiques avec le droit, la démocratie et les droits humains, la même monarchie, telle que conçue et imposée naguère par Hassan II, continue à sévir. Les bémols consentis nen ont changé ni la nature exclusiviste ni la boulimie matérialiste.
Posted on: Tue, 29 Oct 2013 02:36:55 +0000

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