Objet : Le Hbouss de retour ? Projet de loi sur le régime du - TopicsExpress



          

Objet : Le Hbouss de retour ? Projet de loi sur le régime du Waqf (Habous) Un Etat religieux dans l’Etat civil Dans le marasme politique et économique que traverse la transition démocratique, le gouvernement soumet à l’ANC un projet de loi ressuscitant le régime du Habous, aboli au lendemain de l’indépendance... Décryptage. Tenue sans tapage, ce lundi 11 novembre, la réunion mixte des commissions des finances et des législations de l’ANC n’a pas échappé à l’attention des journalistes curieux du destin d’un projet de loi impromptu. Il porte réinstauration du régime du Waqf — gestion des biens Habous — aboli au lendemain de l’indépendance en vertu d’un décret beylical datant du 18 juillet 1957. En cinq chapitres et 27 articles, le projet vient d’être examiné en fin de semaine en conseil ministériel et, aussitôt, soumis à l’ANC dans ce qui ressemble à un cheminement d’urgence et de haute importance. Prémices de la finance islamique Incongru pour une bonne partie de l’opinion qui s’interroge sur les vrais mobiles de la restauration d’un système médiéval, en ces temps de marasmes démocratiques et économiques, le projet montre à quel point le gouvernement de transition a de la suite dans les idées quand il s’agit de réunir les ingrédients de l’islamisation progressive de la société. Le 1er mars 2013, un premier conseil ministériel examinait, sous le gouvernement Jébali, la genèse de deux projets de loi portant création d’un fonds de Zakat et d’une institution de Waqf. Selon un communiqué de la présidence du gouvernement publié à l’occasion, le conseil s’est penché sur les différents volets juridique, procédural et structurel inhérents à la création de ces deux institutions devant contribuer «au développement de l’action sociale, à l’incitation à l’investissement, à l’impulsion de la machine de développement et à l’accélération du rythme de croissance. » Présidé par Ridha Saïdi, alors ministre chargé des Affaires économiques et sociales, ce conseil s’inscrit dans le cadre de la finalisation du cadre juridique régissant la finance islamique et du suivi des travaux de la commission nationale de développement du système de la finance islamique. Parmi ses recommandations, « approfondir l’examen du cadre juridique portant création de ces deux institutions avant d’en soumettre les résultats à l’Assemblée nationale constituante». Des biens de production hors budget, hors Etat... Connue au Machrek sous l’appellation de Waqf, l’institution du Habous remonte à plusieurs siècles. Elle consiste à immobiliser un bien économique et à réserver exclusivement son revenu au profit d’une association, mosquée, cimetière, mausolée ou individus, pour une durée déterminée ou plus généralement à vie. L’institution connaît plusieurs formes en fonction des mobiles et des intentions du donateur et prend, généralement, effet, après son décès. Le régime du Waqf, système de gestion des biens habous consiste ainsi à geler une bonne partie des capitaux, des richesses et des biens de production du pays au profit d’associations ou autres groupes de sorte que, devenus sans maîtres, on ne peut les vendre, les mettre en gage, encore moins les hériter. En 1883, les biens habous en Tunisie représentaient le tiers des terres agricoles... Quel impact économique induit le waqf ? « Un énorme gaspillage, un véritable gâchis, du fait que ces biens soient gelés et mis en dehors des circuits économiques communs. N’ayant plus de maîtres, ces biens sont le plus souvent mal gérés et mal exploités et c’est d’autant plus grave qu’il s’agit souvent de terres agricoles», nous répond Hassine Dimassi, économiste, universitaire et homme politique. En quoi politiquement et idéologiquement l’institution est-elle en contradiction avec les fondements de l’Etat civil ? « L’Etat civil est par définition l’ensemble de lois communes, de ressources communes, de gestion commune. En revanche, le système des biens Habous constitue une exception et autorise des dérogations fatales à cette communauté. Il donne lieu à de graves turbulences et dysfonctionnements sur le plan économique, administratif, social et culturel». Aboli pour raison économique et morale Hors budget, hors planification, hors gouvernance, hors Etat, le système du Waqf constitue un obstacle majeur à une exploitation rationnelle et moderne des biens de production. De par sa nature non structurée, il est trop souvent source de conflits sociaux inextricables, explique encore Hassine Dimassi. «Son abolition en 1957 se justifie par ses effets pervers, à savoir la mise en veilleuse de biens économiques ou leur attribution en faveur de projets improductifs». Outre la raison économique, l’économiste cite une deuxième morale. Sous sa couverture humanitaire et philanthropique, l’institution du Waqf recèle un milieu très pourri, propice à tous les détournements et toutes les escroqueries. Pour rappel, la Tunisie n’est pas le seul pays dans le monde musulman à avoir aboli l’institution du waqf. D’autres l’y ont précédée : la Turquie en 1926, le Liban en 1947, la Syrie en 1949 et l’Égypte en 1952. «On jette les bases de l’Etat religieux avant de passer à son édification » Pour quelles raisons, le gouvernement démissionnaire de Ali Laârayedh et l’ANC réduite à sa majorité tiennent-ils à passer un projet d’une telle envergure et de si peu d’acuité en ce moment particulier d’impasse politique et de crise économique ? Selon l’économiste, universitaire et homme politique Hassine Dimassi, l’objectif du gouvernement, de l’ANC et des architectes de ce projet de loi est de préparer les bases matérielles et infrastructurelles d’un Etat religieux à inclure dans une première étape dans l’Etat civil. Dans une première étape, la restauration du Waqf donnera lieu à un Etat dans l’Etat. Diversion ? « Le projet sonne plutôt comme une affaire du plus grand sérieux et de la plus haute importance. Il s’inscrit dans la stratégie mondiale d’islamisation progressive des pays arabes. Il s’agit d’une toute première étape : on crée un Etat dans l’Etat ; on jette les bases de l’Etat religieux avant de passer à l’étape de son édification». Ce qui s’est passé lundi à l’ANC lui donne raison. La séance a été rehaussée par la présence exceptionnelle du rapporteur général de la constitution, Habib Khédher et d’un groupe d’experts : un professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, un enseignant à l’université Ezzitouna, un conseiller auprès de la cour des comptes, un conservateur de la propriété foncière qui ont en commun la référence islamiste. En parfait accord avec les députés de la majorité membres des deux commissions, ils décrètent que « le projet salvateur a juste besoin d’être dépoussiéré et réformé après les dérives dont il était l’objet dans le passé ». En l’absence des députés de l’opposition, ce furent trois heures de discussions sereines, de cohésion et d’unanimité. «Le habous de retour, qu’on le veuille ou pas» Harmonie qui ne transparaît point dans les propos emportés du député Néjib Mrad qui jure devant les caméras : «Le habous sera de retour qu’on le veuille ou pas !» Tandis que le ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khadémi, se contentera vingt-quatre heures après de louer les vertus d’un système de grand intérêt public offrant à la fois les qualités d’une « œuvre philanthropique, civile, économique, sociale et culturelle où se croisent les attributs du programme de développement et les dimensions idéologiques, pédagogiques et éducatives du projet de civilisation...». Esotérisme dont les clés n’échappent pas à ce spécialiste du décodage. Il se contente de citer un exemple édifiant : «Sous le régime du Waqf, une faculté mise sous habous est tout à fait libre d’appliquer son propre règlement, ses propres programmes et ses propres orientations, sans en référer à quelconque tutelle». Dans la détermination du parti au pouvoir et la configuration actuelle de l’ANC, rien ne devrait entraver la marche d’un projet qui réunit tous les ingrédients d’une loi antirépublicaine, qui s’inscrit en faux avec l’Etat moderne. Aussi, au-delà de la question pressante de sa probable adoption en plénière, le projet de loi portant réinstauration du régime du Waqf en pose une toute autre : le régime de transition issu du 23 octobre est-il habilité à adopter un texte d’un impact économique, social et culturel aussi lourd et aussi profond ? « Ma conviction est que le bon sens des Tunisiens qui raisonnent juste ne laissera pas passer une telle loi», conclut l’économiste Hassine Dimassi. Au nom de quoi? Auteur : Hedia BARAKET
Posted on: Fri, 15 Nov 2013 13:47:30 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015