Sami Fehri : un an de détention, un an d’injustice Le 30 - TopicsExpress



          

Sami Fehri : un an de détention, un an d’injustice Le 30 août 2012, le producteur Sami Fehri se rend de lui-même à la justice, après un mandat d’arrêt émis contre lui, en 24 heures, dans le cadre de l’affaire Cactus. Depuis, il croupit en prison. Pourtant, le juge d’instruction chargé de son affaire a décidé auparavant de le laisser libre. La cour de cassation a également décidé de le libérer par la suite, mais sans que sa décision ne soit suivie d’effet. Mieux, dans cette même affaire, le juge a décidé de le libérer ainsi que toutes les personnes impliquées dans ce dossier Cactus, lors du procès tenu le 14 juillet dernier. Libéré dans la première affaire pour laquelle il a été détenu, il sera maintenu en détention dans une seconde tout aussi rocambolesque, suite à un nouveau mandat de dépôt émis quelques jours avant le procès relatif à la première affaire. En Tunisie, quand vous vous attaquez à l’ambassade américaine, que vous incendiez les voitures qui s’y trouvent, que vous cassiez les vitres et retiriez le drapeau, vous pouvez vous en tirer avec une peine assortie de sursis, en dépit des vidéos prouvant les faits. En Tunisie, quand vous appelez ouvertement au meurtre d’un ancien Premier ministre, alors que vous êtes un haut cadre de l’administration, vous pouvez vous en tirer avec un non-lieu tout en gardant votre poste. En Tunisie, quand vous appelez au lynchage public de vos adversaires, alors que vous êtes député du parti au pouvoir, vous n’êtes même pas interrogé. En Tunisie, quand vous incitez publiquement à la haine, alors que vous êtes membre du gouvernement, vous pouvez ignorer les différentes convocations judiciaires. En Tunisie, quand vous détournez dans un compte spécial un don étranger d’un million de dollars destiné à l’Etat, alors que vous êtes ministre, vous pouvez ignorer toute la justice et son système. Mais gare à vous si vous êtes un journaliste, artiste, producteur ou leader d’opinion. Là, on ne rigole plus ! Vous devenez un danger public qu’il faut mettre en prison pour faire éviter votre nuisance à la population. Le cas du producteur Sami Fehri, patron de Cactus et fondateur de la chaîne de télévision Ettounsiya, est emblématique. Il illustre, à lui seul, tous les abus que peut commettre le pouvoir face à ses adversaires. Avocats et magistrats ont beau montrer et prouver les vices de procédures et les atteintes au Droit, il n’y a rien à faire. Sami Fehri est en prison, il y est, il doit y rester. Et cela dure depuis un an. Depuis, d’autres artistes et journalistes subiront le même sort pour des raisons diverses. Au départ, l’opinion publique était divisée. Pour les uns, le producteur doit payer ses méfaits. Pour les autres, c’est à une justice juste et aveugle de le faire. Mais beaucoup s’accordent à dire que Sami Fehri a réussi à révolutionner le paysage médiatique et à déranger le pouvoir en place, par ses productions. Le dossier de Sami Fehri remonte au début des années 2000. Il était un simple animateur à la télé publique, mais avait beaucoup de projets ambitieux, comme plusieurs autres trentenaires. Il propose à la première chaîne nationale des émissions co-produites avec des géants mondiaux, tel Endemol. On lui rit au nez, on ne l’écoute pas et on lui dit que la télévision n’a pas les moyens pour se permettre ce type de productions dévoreuses de budgets. Belhassen Trabelsi, beau-frère de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, entre dans le capital de la société de Fehri, Cactus, à hauteur de 51%. Le discours a changé, on ne rit plus. Qui pouvait envoyer balader un associé de la famille régnante ? On écoute attentivement le jeune et nouveau producteur, mais on lui oppose le même argument : pas de budget. Déterminé, Sami Fehri propose le système de bartring, échange de productions en contrepartie d’espaces publicitaires. La télé publique, dont la priorité est de générer de l’audience, notamment pour le prime-time précédant le journal télévisé, donne son accord. Un accord qui n’est pas exclusif à Sami Fehri, d’autres producteurs bénéficient du même système. Jackpot pour le jeune producteur. L’année d’après, la télévision publique révise sa position et demande de payer les productions et de toucher, seule, les revenus publicitaires. L’accord est conclu, mais la télé n’a pas réussi à vendre les espaces pub qu’il fallait pour couvrir ses frais. Déficitaire, elle refuse de payer le producteur, jusqu’à aujourd’hui. L’année d’après, elle revient au premier accord. Sami Fehri multiplie les productions et enregistre des bénéfices pour certaines émissions et des déficits pour d’autres. Tout ceci figure noir sur blanc dans un rapport rédigé par les juges de la Cour des comptes datant de 2011 (cliquer ici pour lire le rapport). Le juge d’instruction (le doyen) planche des mois et des mois sur l’affaire et décide qu’il n’y a pas lieu de mettre en détention Sami Fehri, sans pour autant classer l’affaire, puisqu’il y a matière à juger. A Sami Fehri on reproche le dépassement des délais impartis en temps publicitaires et ce sur la base d’expertises elles mêmes contestées. Quoiqu’il en soit, c’est au tribunal de décider le degré d’implication et de juger en conséquence. Mais quoiqu’il en soit, ce qu’on lui reproche ne mérite pas la détention. Le procès s’est ouvert en juillet et le tribunal décide, en effet, de libérer le producteur. Il se trouve que, quelques jours plus tôt, on a collé une autre affaire à Sami Fehri, c’est la fameuse affaire de la Poste. Une affaire instruite suite à une plainte déposée par l’avocate Raja Haj Mansour, néo islamiste proche du pouvoir, à l’époque, avant de se raviser. On reproche à Sami Fehri d’avoir conclu des contrats publicitaires avec la Poste sans qu’il n’y ait d’appels d’offres. La pratique est courante et tous les médias tunisiens fonctionnent sans appels d’offres. Quant à La Poste, elle fixe ses critères sur la base de l’audience du support et du retour sur investissement généré. Ca tombe bien, les productions de Cactus étaient classées premières de l’audimat. Le retour sur investissement est prouvé. N’empêche, un mandat de dépôt est émis contre le producteur et contre deux PDG de la Poste, Mohamed Zouheïr Basly et Adel Gaâloul. Ce dernier était secrétaire d’Etat après la révolution et il y a une unanimité quant à la rigueur et le professionnalisme des deux PDG. Dans le milieu médiatique et dans le milieu judiciaire, on s’arrache les cheveux quant à ces injustices. On voulait en finir avec ce type de pratiques, après la révolution, elles sont devenues pires. Les médias et les magistrats tunisiens ne sont pas les seuls à dénoncer ces pratiques, le Haut commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme a dénoncé sa détention (voir notre article à ce sujet). Même condamnation chez Human Rights Watch qui a appelé à sa libération en avril dernier (voir notre article à ce sujet) ou encore la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme qui a réagi depuis décembre 2012 (voir notre article à ce sujet). Cela fait exactement un an, jour pour jour que cette injustice dure. Le 18 juin dernier, Sami Fehri a envoyé, depuis sa cellule de prison, une tribune intitulée « je suis idiot », il ne croit pas si bien dire. Nous le sommes tous. La révolution en Tunisie est loin d’être achevée, les anciennes pratiques ont la vie dure. Nizar Bahloul
Posted on: Thu, 29 Aug 2013 23:20:24 +0000

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