Suite Il est, en outre, à peu près certain que c’est avec le - TopicsExpress



          

Suite Il est, en outre, à peu près certain que c’est avec le Gaabu qu’est apparu, pour la première fois dans la région, un réseau de commerce à longue distance étendu des rives de la mer au Niger. Ces commerçants étaient évidemment musulmans, selon la tradition déjà établie dans le monde manding, et c’est donc au Gaabu que l’Islam doit sa première implantation au sud du Sénégal, même s’il devait y rester minoritaire jusqu’au XIXe siècle. Inversement, la culture des Malinké du Gaabu, si toutes ses références symboliques sont orientées vers le berceau du Haut-Niger, montre, par bien des traits, qu’elle a été pénétrée d’influences ouest atlantiques, par exemple dans l’adoption partielle d’une succession matrilinéaire, parfaitement inconcevable pour l’ensemble du monde manding. Le Gaabu a donc été, au moins depuis le XIIIe siècle, un foyer actif de diffusion et d’échanges culturels. Il a été sans doute, pour cette région, le plus ancien modèle d’une organisation politique centralisée de grande ampleur, liée, on vient de le dire, au commerce à longue distance et à l’Islam. Il a ainsi mis en place, notamment le long de la Gambie, les structures ethniques et sociales qui allaient être utilisées par le commerce européen, à partir de la fin du XVe siècle. Il représente donc un premier grand effort de désenclavement, d’ouverture à un monde de relations, selon le modèle soudanais, qui a transformé une région certainement morcelée, jusque-là en petites unités ethno-économiques, étroitement repliées sur elles-mêmes. Les groupes côtiers qui s’échelonnent de la Basse-Casamance à la Sierra-Léone, et qui sont restés partiellement réfractaires à ces influences, nous en donnent encore l’image. Cependant, le Gaabu va perdre en importance relative, au profit de sa périphérie, à partir du XVe siècle. La localisation enclavée de son centre politique, a gêné son adaptation aux nouvelles circonstances. Il n’en reste pas moins nécessaire d’expliquer pourquoi ce pays de grande importance historique a été si longtemps négligé par les enquêtes des Européens, puis par les études africaines naissantes. C’est un fait que la documentation disponible, aussi bien écrite qu’orale, était au départ exceptionnellement pauvre. Cela résulte tout d’abord du fait que le centre politique du Gaabu se trouve situé, de façon bizarre, dans une zone relativement isolée par rapport au commerce atlantique, et qu’un partage colonial a encore marginalisée. La Casamance et le Rio Grande de Geba présentent de larges estuaires mais ceux-ci se terminent en cul-de-sac devant les contreforts nord ouest du Fuuta Jallon : ils ne permettent donc pas l’accès aux grands marchés soudanais. Plus au nord, la Gambie a été au contraire, dès la fin du XVe siècle, une des grandes voies d’accès du commerce européen vers les mines d’or de l’intérieur du continent. Mais elle représente justement la périphérie, ou plutôt la limite nord du Gaabu. Celui-ci est en outre isolé de la Côte des Rivières, surtout celle de l’actuelle Guinée Bissau, par une frange de peuples parlant des langues à classes « ouest atlantique », et à faible organisation politique, comme les Papel Balanta, ou Beafade. Ceux-ci ont été parfois plus ou moins dépendants du Gaabu, mais n’y ont jamais été intégrés. A partir du XVe siècle, les renseignements de source européenne, surtout portugaise puis britannique et française, vont naturellement concerner ces deux fronts, gambien, et atlantique, mais très peu l’intérieur des terres. Nous serons donc beaucoup mieux renseignés sur les dépendances et la périphérie du Gaabu, que sur la zone centrale. Cette situation ne changera qu’au XIXe siècle, à l’approche de la poussée impérialiste, mais on va voir que, pour le Gaabu, il sera alors trop tard. En ce qui concerne les traditions orales, on devrait s’attendre à une grande richesse dans un pays manding. Encore faut-il marquer les limites de ce qui est possible. Pour le foyer classique du Haut Niger, on trouve deux types de tradition. D’abord les épopées liées de plus ou moins près au cycle de Sunjata, qui évoquent des événements des XIIe-XIVe siècles, mais dans une forme figée, établie probablement à la fin du XVIIe siècle, et constituant un bloc erratique, isolé de la continuité naturelle de la tradition, qui s’appuie sur le présent en se fondant sur des généalogies et des listes de dignitaires. Les griots (Jali) en sont les dépositaires quasi exclusifs. Ensuite, des traditions du second type, qui sont moins spectaculaires donc parfois négligées, mais qui constituent le domaine le plus intéressant pour l’historien. Les griots y participent, mais les meilleurs informateurs sont souvent des membres des anciennes familles régnantes. Or, dans le domaine manding, ces traditions remontent facilement au début du XVIIIe siècle, difficilement au XVIIe, presque jamais au-delà. Comme des traditions du premier type se plaquent facilement sur elles, les officiers français de la conquête n’ont pas hésité, en toute innocence, à dater Sunjata des XVIe ou XVIIe siècles. Si telle est la situation sur le Haut Niger, c’est évidemment quelque chose d’analogue qu’on peut s’attendre à rencontrer dans le Gaabu, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Malgré la distance, la tradition épique du Haut Niger y reste vivante avec une fidélité remarquable, comme l’ont montré, entre autres, les travaux de Gordon Innes [7]. Par contre, s’agissant de la tradition historique qui devrait couvrir les derniers siècles, la première impression est celle d’une déception profonde. On trouve bien des données assez précises pour les Etats manding riverains de la Gambie, mais pour le cœur même du Gaabu, on arrive difficilement à regrouper des données antérieures au milieu du XIXe siècle [8]. Cette difficulté à recueillir des traditions sérieuses s’explique par un fait historique grave, qui est la destruction du vieil Etat dans les années 1867-70, sous l’assaut conjugué du Fuuta Jallon et des révoltés peuls du Puladugu. On sait d’ailleurs que le fondateur de ce dernier Etat, le fameux Alfa Moolo, a fait de grands efforts pour extirper la langue et les traditions des Manding vaincus. Quelques années plus tard, l’administration coloniale, française comme portugaise, allait se contenter de coiffer la nouvelle hiérarchie politique peule, dans le cadre d’une administration plus ou moins indirecte. Si on a conscience du caractère fonctionnel de la tradition orale, qui a surtout pour but d’expliciter et de protéger une structure sociale, il n’est pas étonnant que la tradition du Gaabu se soit trouvée terriblement affaiblie et difficile à collecter, quand ce travail a commencé durant l’ère coloniale. Partagée entre la Gambie, la Haute Casamance et la Guinée Portugaise, la région s’est trouvée en outre périphérique par rapport aux trois domaines coloniaux, et particulièrement négligée par les chercheurs. Seul le Sénégal a été un pays relativement bien étudié, mais la Haute Casamance est bien loin de Dakar. Depuis 1962, la Guinée Portugaise a, en outre, été ravagée par la guerre d’indépendance. Nous nous trouvons donc devant le cas d’une région dont le passé est d’une grande importance, pour comprendre la Sénégambie, et même une large fraction de l’Ouest africain, mais que nous ne pouvons aborder qu’avec des sources écrites rares et discontinues, qui s’ajoutent à des traditions orales remarquablement indigentes. Je pense, pour ma part, qu’il n’y a pas grand chose de nouveau à attendre d’une recherche de textes ou d’archives anciennes encore que des surprises soient toujours possibles du côté de Lisbonne comme l’a montré, à plus d’une reprise, le travail exemplaire de Teixeira Da Mota [9]. On .pourra sans doute rassembler quelques éléments, surtout pour le XIXe siècle en recourant à un examen plus minutieux des archives récentes des administrations françaises, britanniques et surtout portugaises, car celles-ci ont été négligées et étaient peu accessibles du temps de la dictature salazariste. C’est cependant dans un autre domaine, celui des sources proprement africaines, que je crois des progrès décisifs possibles, et ils ont été, à vrai dire, amorcés au cours des dix dernières années. Dans ce pays d’Islam ancien mais minoritaire, il n’est pas exclu que certains documents en arabe ou en puular puissent nous éclairer. Il faut rappeler cependant que les écrits non religieux sont très rares dans le monde manding, et que l’aristocratie politique du Gaabu est restée animiste jusqu’à la fin du XIXe siècle. Quant aux Peuls, qui ont commencé à écrire beaucoup dans leur langue depuis le XVIIIe siècle, ils pourront sans doute nous fournir des éléments, notamment quand le Fuuta Jallon et le Fuuladugu seront mieux prospectés, mais leur point de vue sera nécessairement extérieur et hostile à notre sujet.
Posted on: Sat, 17 Aug 2013 02:50:53 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015