Algérie : la déchéance catastrophique de tout un peuple, - TopicsExpress



          

Algérie : la déchéance catastrophique de tout un peuple, décrite par un général-major anonyme Par sami / 10 avril 2013 / Feu Abane Ramadan, le grand dirigeant de la résistance ajgérienne liquidé sur ordre des militaires du FNL à Tétouan en février 1957 Par Sami SHERIF Cinquante cinq ans après la liquidation d’Abane Ramdane par ses pairs, les idéaux du grand stratège de la révolution algérienne restent encore du domaine du rêve de millions d’algériens. C’est avec cet assassinat crapuleux en ces temps de luttes contre l’occupant français pour l’indépendance de l’Algérie qu’avait commencé le règne des militaires d’abord sur les commandes de la révolution algérienne et par la suite sur l’Etat algérien lui-même après la libération. Viendront juste après les péripéties de la lutte que menaient dans la lignée du patriote défunt, certaines autres personnalités civiles au sein du FNL pour assurer aux politiques une certaine primauté par rapport aux officiers prétendant être les plus visionnaires de ce qui pourrait être décidé pour faire réussir la bataille contre l’occupant. Feront les frais de cette guerre larvée de nombreux leaders parmi lesquels Yousef Ben Khada lui-même et ses compagnons du Gouvernement Provisoire Algérien. Dès la libération les militaires que conduisait le Colonel Houwari Boumediene plaçaient l’un de leur appui inconditionnel en l’occurrence Ahmed Ben Bella à la tête du pays tout en le maintenant sous une étroite surveillance. Houssine Ait Ahmed se réfugia dans les Aurès où il dirigea un maquis contre le gouvernement, Boudiaf prît la voie de l’exile au Maroc et Khaydar se réfugia à Madrid où il sera liquidé à son tour. L’actuelle nature du régime algérien trouve ses origines dans ces péripéties de l’opposition radicale et tout à fait constante des militaires de l’ANL à l’égard des maquisards civils ne manquant pas de vision stratégique efficiente et ayant été dès le départ mêlés aux premiers grands succès de la révolution que ce soit dans la montagne ou dans les grandes villes du pays. Jaloux des prérogatives que leur procurait leur statut de militaires rompus aux techniques de la guerre, les officiers de l’ANL qui dans la plupart étaient à l’origine des sous-officiers de l’armée d’occupation, n’acceptaient nullement que des révoltés civiles, bien que fort avertis les dirigeaient. Le coup d’Etat de juillet 1965 mené par l’armée contrôlée par Boumediene venait attester que le pouvoir réel était dans les mains de celle-ci. L’après Boumediene ne fut qu’une consécration de ce postulat. C’est cette armée là qui choisit parmi ses rangs les successeurs de Boukharouba à la tête du pays : Ben Jdid puis Lamine Zarwal quand il a fallu mettre fin au processus électoral. C’est aussi l’armée qui désigna la troïka du FNL pour gérer provisoirement les affaires du pays et ce fut elle-même qui fit appel à feu Boudiaf pour le liquider de sang froid quelques semaines après sa désignation comme chef de l’Etat. Bouteflika lui-même est redevable à l’armée pour son avènement à la présidence et pour son maintien à sa tête pour une si long période. Il est presque visible qu’à la veille de l’appel qu’on lui fit avec insistance, l’armée n’osait nullement se présenter directement au peuple comme la seule détentrice du pouvoir. L’heure n’était pas du tout favorable Le Président algérien Bouteflika lors des festivités pour le 50 ème anniversaire de l’indépendance de son pays- pour qu’elle continue à se hisser plus haut qu’il ne fallait. Il se passait une terrible répression contre l’opposition islamiste et il fallait redorer l’image du pays en lui procurant un président en dehors de l’armée et dont la réputation n’est toujours pas ternie, faute de quoi le régime ressemblerait fort bien à celui de Pinochet au Chili. C’est depuis l’assassinat d’Aban Ramdane le 17 février 1957, que l’armée mène le peuple algérien avec une main de fer. Ses agissements ont réduit à néant la légitimité du FNL et de l’Etat algérien. Celle-ci, basée au départ sur le principe de la lutte contre le colonisateur et sa défaite, puis par la suite sur celui de la construction d’un projet socialiste, se trouve à présent déjà entamée. La nouvelle génération n’a connu ni la lutte contre l’occupant, ni profité d’un quelconque socialisme. Elle n’assiste à présent qu’à la déchéance trop visible d’un peuple ; qui à force d’avoir trop rêvé dans le passé, se trouve acculé à présent à accepter un sort qu’aucun autre ne lui envie ! Nous empruntons à notre confrère « Soleil d’Algérie » un texte d’une lettre émanant d’un Général-major algérien qui tient à ne pas divulguer son identité. Cet officier supérieur anonyme décrit dans ce texte que nous publions ci-dessous, cette déchéance avec regret et amertume. Il y retrace les différentes étapes qu’a prises cette déchéance pour s’installer et pour réduire le peuple algérien à un amas de foules seulement. Il y reconnait ses crimes macabres et financiers ainsi que ceux de ses compères et ceux de l’entourage immédiat d’un président voulant avec l’appui de cette même armée, s’ériger en « monarque présidentiel »en briguant un quatrième mandat ! Sami Shérif Confession du Général-major X A mon compatriote algérien, que j’ai trahi, que j’ai volé, et dont j’ai compromis l’avenir, je fais cette confession, sur les crimes innommables que nous avons commis, mes pairs et moi. Ou devrais-je dire mes compères. Je suis appelé à quitter cette vie à très brève échéance. Mon identité sera connue après ma mort. Bouteflika avec les généraux de l’armée Lorsque nous interrompîmes l’arrêt du processus électoral, en 1992, des hommes d’une grande rigueur intellectuelle, même s’ils étaient viscéralement opposés à l’islamisme, ont eu le courage d’aller à contre-courant de la psychose ambiante. Ils nous ont dénoncés sans nuances. Ils ont été trop rares malheureusement, et leurs voix ont été étouffées par les millions de lâches. Le complot qui fut la suite logique de l’interruption du processus électoral, en 1992 n’a été possible que parce que trop de consciences se sont tues. Il est difficile d’en expliquer les ressorts cachés qui l’ont animé, et ce qu’il en a résulté. Je ne m’approfondirais pas trop sur le sujet, et je me limiterai à en dire les vérités les plus cruciales, parce que le sujet est trop complexe pour être abordé d’une manière aussi superficielle que celle que je m’impose dans cette confession. Dans les dossiers qui seront bientôt rendus publics, se trouvent des informations très fouillés sur les événements qui ont découlé de cet événement sur les pratiques de ceux qui l’ont piloté. Mais mes aveux, et tout ce que pourront entreprendre les Algériens pour se libérer n’auront de sens que si ce mouvement parvient à se situer dans un ensemble bien plus vaste que celui de notre seul pays. Sinon cela ne servirait à rien. Parce que le mal est bien plus diffus qu’on ne croit. Si les Algériens parviennent à se libérer, sans intégrer l’évidence que la cause de leur malheur est bien plus importante que le piètre régime qui les a colonisés, alors ils tomberont de Charybde en Scylla. Il importe, avant de revenir sur les pénibles circonstances qui ont plongé notre pays dans le malheur, qu’ils soient situés dans leur contexte, que les mécanismes qui les meuvent, et qui sont au cœur même de la nature humaine soient mis en lumière. On a souvent tendance, lorsqu’on stigmatise un régime prédateur, de faire comme s’il était la conséquence d’abus, et de dysfonctionnements endogènes. Et pour bien accentuer toute sa monstruosité, on s’évertue à le comparer aux démocraties occidentales. Pour toutes les âmes simples, il n’y a pas photo, comme on dit. D’un côté un régime atroce, une association de malfaiteurs, qui concentre entre ses mains l’ensemble des pouvoirs, qui opprime ses concitoyens et qui les dépouille, qui érige des façades d’Institutions, juste pour faire semblant, et de l’autre, des Etats démocratiques, avec de vraies élections, de vrais élus du peuple, un partage des pouvoirs entre de vraies Institutions, le respect des Droits de l’Homme, une presse libre, et tutti quanti. Dans la réalité, malheureusement, cette vision des choses procède d’une simplification à l’emporte-pièce, qui enferme les multitudes dans une impasse de l’esprit. L’Allégorie de la caverne de Platon est très significative à cet égard. Parce que les peuples se sont adaptés à la vie qu’ils subissent, où dont ils rêvent, jusqu’à être convaincus que c’est la seule possible qu’ils ont. Il ne vient pas à l’idée du plus grand nombre de chercher à comprendre ce qui est au delà du visible. Et si d’aventure quelqu’un cherchait à les convaincre qu’ils sont enchaînés à une logique qui n’est pas la vie, et que leur vision de celle-ci n’est que partielle, il prêcherait dans le désert. On le traiterait de farfelu, ou de théoricien du complot. En fait, il n’y a pas un seul régime prédateur au monde qui aurait pu exister et prospérer s’il n’avait été aidé par ces mêmes démocraties occidentales à prendre le pouvoir ou à le garder. J’en sais quelque chose moi-même, puisque nous n’aurions jamais pu parvenir à nos fins sans la bénédiction de ces Puissances. Il existe entre elles et nous des relations très subtiles, souvent destinées à entretenir le change. Où il est de bon ton, pour nous, de ne pas rater une occasion pour les stigmatiser, de les traiter d’impérialistes, de leur demander de faire acte de repentance pour la colonisation, et pour elles, de nous rappeler à l’ordre, de temps à autre, de dénoncer certaines de nos pratiques les plus excessives, et de faire semblant de s’indigner pour des actes que nous avions commis, alors qu’ils savaient ce qui allait se passer avant même qu’il n’ait eu lieu. Ce fut le cas, par exemple lorsque nous avions interrompu le processus électoral, où lorsque nous fîmes assassiner le Président Boudiaf. Jamais nous ne serions passés à l’action, si nous n’avions eu le feu vert. Tacite ou implicite. C’est comme ça que ça se passe. Tous les régimes despotiques ne parviennent à prendre le pouvoir et le garder qu’avec la bénédiction active des puissances occidentales qui les contrôlent. Cette vérité est tellement évidente qu’elle en est devenue improbable. Ces dirigeants d’Etats qui se disent de Droit ont à notre endroit, et à celui de nos peuples, une attitude purement et exclusivement mercantile. Nous sommes pour eux des clients particulièrement fructueux, puisqu’en plus de leur permettre d’engranger de gros dividendes, nous leur sommes utiles en bien des choses. Nous alimentons secrètement leurs campagnes électorales, leurs comptes en Banque secrets, nous permettons à leurs clientèles de venir se servir chez nous, nous commandons à leurs cabinets d’experts privés des études de toute sorte, que nous leur payons grassement, et nous leur servons de pions pour leurs grandes parties d’échecs, dont les gains sont nos propres ressources naturelles. Tout est bon dans le mouton. Nous servons même à leurs politiques intérieures, à leur donner l’occasion d’agiter l’épouvantail de nos migrants, et nous leur permettons de montrer à leurs peuples qu’ils ne sont pas si mal lotis que ça, comparés aux nôtres. Les gens, de manière générale, sont convaincus que les oligarchies n’existent que dans nos pays. Rien de plus faux. Les vraies oligarchies, les vraies ploutocraties, les plus puissantes, puisqu’elles tiennent le monde entier sous leur coupe, et conduisent l’humanité entière à sa perte, sont dans le monde qu’on dit développé. Les sociétés occidentales sont conditionnées bien plus laborieusement que les nôtres. Enchaînées par des dynamiques de consommation dévastatrices, elles ne parviennent plus à discerner les évidences de la domination financière. Elles se croient vraiment libres, démocratiques, vivant dans des Etats de Droit, puissants et fondés sur des valeurs humanitaires. Et sans le savoir, sans même ressentir le besoin de se poser des questions pourtant lancinantes, ces sociétés ignorent qu’elles sont devenues des foules abruties par un besoin effréné de consommer plus, toujours plus, jusqu’à menacer d’épuiser les ressources de toute la planète, jusqu’à compromettre de façon irréversible l’avenir des générations futures. La notion même de progrès y est totalement dévoyée, puisque celui-ci ne répond plus à des besoins normaux, si je peux dire, mais à des besoins superficiels, artificiels, créés par la classe qui dirige le monde. C’est une course folle, et totalement imbécile, vers des victoires à la Pyrrhus, comme ce surarmement dont presque personne n’a vraiment idée, comme la massification du luxe inutile, le gaspillage de la nourriture, l’exploitation effrénée des hydrocarbures, des forêts, des mers. Les premières civilisations humaines sont nées il y a moins de 5000 ans, mais depuis, l’Homme n’a cessé de se fourvoyer dans des voies qui ne pouvaient mener qu’à des guerres, à des carnages, des bouleversements humains. Toutes ces civilisations se sont distinguées par une constante essentielle. Les hommes ou les groupes d’hommes qui ont pris le contrôle de leurs semblables n’ont trouvé qu’un seul moyen de se maintenir à leur tête : Celui qui leur permet d’exploiter d’autres hommes. Plus la multitude aurait de possibilités de voler, de coloniser, de réduire en esclavage, et de pressurer d’autres peuples, et plus elle aurait le sentiment d’avoir accédé à la grandeur, à la suprématie, à la supériorité. Et plus elle consommerait de biens, plus elle se satisferait de ses dirigeants. Avec le temps, et le peu de vrai développement qui se trouvait dans le faux progrès humain, les oligarchies ont conduit elles-mêmes des mouvements de société qui les ont habillées d’oripeaux démocratiques, et de professions de foi humanistes, sans en changer la véritable essence prédatrice. Des succédanés de démocraties sont nés, des monarchies se sont mises au goût du jour, des dictatures du prolétariat se sont substituées, juste un moment, aux aristocraties, avant de faire régner la terreur. Mais le substrat est resté le même. Tous ces systèmes sont restés des bidules entre les mains de profiteurs, et de manipulateurs. Avec le temps, elles se sont complexifiées à un tel point qu’elles en sont devenues presque automatiques. Elles en sont arrivées à fonctionner par elles-mêmes, quels que soient les individus qui les constituent. Mais un seul pouvoir, le seul vrai, celui de l’argent, les distinguera toutes. L’être humain a besoin de consommer quelques kilos de viande par an. Je me rappelle moi-même, quand j’étais enfant, que nous ne mangions de viande qu’une fois par semaine, en petite quantité. Mon père était pourtant dans une situation financière relativement aisée, dans notre petite dechra. Mais tout le monde trouvait indécent de consommer de la viande tous les jours. Les bêtes nous faisaient vivre parce qu’elles produisaient pour nous, leur lait, leurs œufs, leur laine, et même leurs excréments qui nous servaient de combustible. Aujourd’hui, dans les pays développés, la consommation de viande est d’environ 90 kg par individu et par an. Pour répondre à cette demande, désormais intransigeante, il existe, dans le seul domaine du bovin, un cheptel de près d’un milliard et demi de têtes, élevés dans des conditions qui feraient dégoûter de la viande ceux qui pourraient les voir. Un chiffre qui va sans doute doubler au cours des vingt prochaines années, avec la croissance des pays émergent. Plus de 60% des cultures céréalières sont destinées à leur alimentation. De quoi nourrir largement le milliard d’être humains qui souffre de la malnutrition. La production de cette alimentation du bétail bovin nécessite l’occupation de 80% des terres agricoles de la planète. En plus d’un volume effarant de la pêche qui finit en farine animale pour nourrir ce même bétail. Tout ce gâchis ne sert qu’à nourrir moins de 10% de la population mondiale. J’ai voulu te donner ces exemple, combien significatifs, pour te dire que ces occidentaux, tellement férus de beaux principes, et qui baignent dans leurs confortables convictions, ne savent pas, ou refusent de savoir, que pour ne pas se passer de leur Mac Do ou de leur rôti de veau, il faut sacrifier la vie d’un milliard de leurs semblables, qui ne connaissent même pas le goût de la viande, ni même celui de l’eau pure. Ils ne savent pas qu’au moment où ils dégustent leur viande quotidienne c’est leur frère humain qu’ils privent de sa pitance de blé, de maïs ou de soja. Et ce qui est encore plus stupide est qu’ils ne savent pas qu’ils n’ont pas besoin de toute cette viande, mais qu’ils ont été formatés pour l’acheter. Parce que c’est dans l’intérêt des oligarchies qui les manipulent. Parce que plus ils mangent de viande, et plus leurs oligarchies sont riches, et plus elles sont riches, plus elles sont puissantes. Et ce n’est là qu’un seul parmi les nombreux autres supports de ces oligarchies qui tiennent le monde. Éradication des grandes forêts, agriculture intensive, pêche intensive, industrie du médicament, de la semence, des ressources hydrocarbures, des minerais, de l’automobile, de l’armement, et la liste est encore très longue. L’Homme est resté un primitif qui s’ignore, au milieu d’une technologie de guerre des étoiles. Un homme préhistorique qui dispose des moyens technologiques pour éradiquer la vie sur terre, et qui ne sait même pas pourquoi il déploie des stratégies d’une infinie complexité pour avoir plus d’argent, et plus de pouvoir. Juste un besoin irrépressible. Un besoin inséminé. Connaître cet aspect des choses est impérieux pour les peuples qui luttent pour leur libération, parce qu’ils ne changeront rien à leurs situations s’ils ne s’impliquent pas dans un mouvement plus vaste, plus radical, qui nécessite l’engagement de l’humanité toute entière. Il est devenu urgent d’évacuer le prêt-à-penser, et de changer de mode de vie, si les hommes veulent conquérir le droit à la vraie vie. Sinon, dans l’absolu, leurs révolutions ne seraient qu’une incantation de circonstance, et même de la perte de temps, puisque le contexte qui a permis à leurs régimes de prendre le pouvoir restera le même, et que les mêmes fruits vénéneux continueront de pousser sur les mêmes buissons épineux. Seules une prise de conscience planétaire, et une union sacrée de tous les humains, où qu’ils se trouvent, et quel que soit leur niveau de vie, pourront sauver l’Homme de lui-même. J’en ai la profonde conviction. Ce ne sera pas facile. Parce que les hommes n’ont plus la capacité de penser par eux-mêmes, encore moins de penser aux générations futures. Seule une véritable révolution culturelle, et un nouveau socialisme, à visage humain cette fois-ci, pourraient ouvrir une nouvelle perspective à l’Homme. Un socialisme qui hâterait l’avènement d’un âge d’or pour toute l’humanité. Les adeptes de la bienpensance, lorsqu’ils te parlent des valeurs de la démocratie, insistent particulièrement sur certains mécanismes dont ils croient aux vertus absolues. Ils évoquent la séparation des pouvoirs, et oublient que celle-ci n’est que formelle. Le pouvoir législatif est composé de gens qui ont été désignés par les forces de l’argent, bien souvent. Le pouvoir exécutif, désigné dans les mêmes conditions, et redevable aux mêmes forces, prend garde à ne jamais sortir du cadre général qui lui a été imparti par celles-ci. Il influe fortement sur le Législatif et le Judiciaire, par des mécanismes savants qui lui permettent de mener la barque démocratie à sa convenance, ou plutôt à celle des vrais maîtres du jeu. Dans cette vaste mise en scène, où ne manquent ni les professions de foi démocratiques ni la musique qui va avec, tout le monde oublie de relever que le plus important des pouvoirs, le seul vrai et tout-puissant, celui de l’argent, n’est mentionné nulle part. Dans le savant échafaudage du mythe démocratique, on dit avoir consacré la séparation entre les pouvoirs législatifs, judiciaire et exécutif, mais personne n’a pensé, et pour cause, que le pouvoir financier n’est pas un serpent de mer. C’est cette entité, ô combien réelle, et ô combien englobante, qui décide des règles du jeu, et de la conduite à tenir dans la gestion des affaires publiques, des relations entre Etats, et des stratégies internationales qui sont mises en place en fonction des intérêts bien compris de la caste qui veille au grain. A une dimension planétaire. C’est précisément ce pouvoir là, qui est entre les mains d’une poignée d’hommes, que la révolution culturelle devra désigner aux peuples en ennemi qu’il faudra réduire. C’est pourquoi je crois que seul un vrai socialisme, embrassé par l’humanité entière, pourra s’approprier ce pouvoir immense, le neutraliser, le contrôler, et le mettre au service des peuples. Le jour où les peuples saisiront l’importance du pouvoir financier, et qu’ils en prendront totalement le contrôle, dans une vision non plus étriquée, de peuples qui se bouffent les uns les autres, mais de justice et d’équité, alors ils pourront s’atteler à construire un monde plus juste, débarrassé de ses vampires. J’entrevois donc la crise de notre pays depuis un angle qui dépasse largement ses frontières, mais je t’ai promis des explications, et je ne m’y dérobe pas. Avant même que le FIS ne soit officiellement reconnu, nous l’avions abondamment infiltré. Nous n’avions pas pu lui refuser l’accès à la scène politique, mais nous avons cherché à le contrôler avant même qu’il soit né, et nous y avons pleinement réussi. Lors des élections communales, en 1990, il avait réussi à prendre les deux tiers des communes, dans tout le pays. C’est ce que nous voulions. Nous l’y avions même aidé. Nous savions l’incompétence qui distingue ses élus, et l’inanité de leurs discours. Nous avons donc mis en place des mécanismes pour qu’ils se discréditent davantage aux yeux de la population. Nous avons réduit à leur plus simple expression les budgets alloués à leurs communes, nous pervertissions systématiquement toutes leurs entreprises, et nous faisions tout pour les inciter à recourir à la corruption, au clientélisme et au favoritisme. Les walis avaient reçu l’instruction de pousser les élus et leurs protégés à se servir, de fermer les yeux sur tous les privilèges indus qu’ils s’octroieraient. Nous n’eûmes pas à faire trop d’efforts. Les nouveaux élus, malgré leurs professions de foi, se montrèrent particulièrement gourmands. Les communes FIS étaient devenues, en l’espace de quelques mois seulement, des entités totalement ingérables. L’incompétence et l’opportunisme des élus islamistes y a été pour beaucoup. Ils ont montré que derrière les discours moralistes se trouvaient des gens comme tout le monde, qui faisaient passer leurs intérêts personnels avant la chose publique. Les populations commençaient réellement à regretter leur choix. Au même moment, nous dotions les communes FLN de bien plus de moyens qu’ils n’en demandaient. Nous préparions ainsi un climat qui nous soit favorable pour les élections législatives qui devaient avoir lieu en décembre 1991. En plus des bâtons que nous avions mis dans les roues des communes FIS, nous avions chargé le gouvernement de mettre en place un mode de scrutin, et un découpage électoral qui devait assurer la défaite du FIS. Dans le même temps, au même moment où nous mettions une sourdine aux discours des leaders du FIS les plus raisonnables, nous amplifions ceux des Savonarole de tout poil, c’est le cas de le dire, qui annonçaient l’avènement d’une République théocratique, avec tout ce que cela suppose de châtiments corporels, de contraintes vestimentaires et autres épouvantails susceptibles de faire peur à ceux de nos compatriotes qui craignaient de perdre le peu de libertés qui leur restaient. Un leader du FIS avait déclaré que les Algériens devaient se préparer à changer leurs habitudes alimentaires et vestimentaires. Nous relayâmes cette opportune sortie, et nous l’amplifiâmes, jusqu’à créer une clameur publique. Le premier leader du FIS, porté par l’enthousiasme de ses fidèles, et questionné par un journaliste qui lui demandait s’il ne craignait pas, en cas de victoire du FIS, une fuite massive des élites algériennes, lui répondit que s’il le fallait, l’Algérie importerait des bateaux entiers de cadres et d’enseignants de tout le monde musulman, et que les cadres algériens qui menaçaient de partir n’avaient qu’à plier bagages, que ce serait un bon débarras. Nos médias, et particulièrement la presse que nous avions créée de toute pièce, mit beaucoup de zèle à relayer ce genre de déclarations, et même d’en rajouter. Nous pensions donc que la situation était mûre. Nous étions convaincus que les Algériens ne voteraient pas FIS. Parce que nous avions mesuré combien il s‘était déprécié à leurs yeux, et combien nous l’y avions aidé. Mais nous n’avions pas tenu compte du plus important. Que si les Algériens étaient déçus, voire effrayés par le FIS, ils l’étaient bien plus par nous. Ils nous exécraient tellement qu’ils auraient voté pour quiconque leur promettait de nous chasser, de nous juger, de nous dresser des gibets. Ils auraient voté pour le diable en personne, s’il pouvait les aider à se débarrasser de nous. Et c’est ce que le FIS leur promit. Ce fut donc un vote sanction. Mais le FIS tomba dans le même aveuglement que nous. Lui non plus ne comprit pas que la majorité des électeurs n’avait pas voté pour lui, mais contre nous. Et donc, malgré notre mode de scrutin, notre découpage électoral, notre action psychologique, le résultat des élections fut un coup de massue pour nous. Dès le premier tour, sur 231 sièges, le FIS en remporta 188, obtenant ainsi la majorité absolue à lui seul. Le FLN ne remporta que 15 sièges. C’est dire dans quelle considération on nous tenait. Ce fut le branle-bas de combat au sein du régime. Nos amis occidentaux qui nous avaient fait confiance, et que nous avions assuré que le FIS ne passerait pas ont même commencé à prendre langue avec certains leaders islamistes. Ils voulaient rattraper leur erreur de jugement, et ne pas insulter l’avenir. Fort heureusement pour nous, ils se rendirent vite compte que les islamistes étaient ingérables. Et ils décidèrent de continuer à miser sur nous. Ils nous le firent savoir, et nous sommèrent d’arrêter les frais, à n’importe quel prix. Le Chef de l’Etat, que nous avions consulté, pour connaitre ses intentions, déclara publiquement qu’il était disposé à cohabiter avec le FIS. Nous étions cernés de toute part, et nous ne savions plus que faire. Mais le FIS allait nous aider, et nous montrer le chemin. Enivré par sa victoire, il ne se contenait plus. Les plus modérés parmi ses leaders avaient senti que la situation risquait de se compliquer. Ils usaient de retenue dans leurs discours, promettant de tourner la page du passé, de n’inquiéter personne, de chercher à obtenir un large consensus. Ces politiciens islamistes avisés et prudents contrarièrent considérablement ceux des nôtres qui voulaient opter pour une aventure, pour l’interruption du processus électoral. Les Savonarole du FIS allaient nous en donner l’occasion. Ils multipliaient les déclarations outrancières, les menaces ouvertes contre nous. Ils nous sommaient déjà de rembourser les fortunes que nous avions amassées. Ils placardaient sur les murs les listes de dirigeants qu’ils promettaient de juger. Un groupe restreint de chefs de l’Armée, dont j’étais, avait décidé de mettre un coup d’arrêt à la mésaventure. Nous avons battu le rappel de nos clientèles respectives, en agitant à tous l’épouvantail des potences qu’on commençait à dresser. Un large cercle d’officiers supérieurs nous rejoignit, quasiment tous les chefs importants de l’Armée. L’un des nôtres, un général-major, celui qui exerçait une grande influence sur le Chef de l’Etat, fut dépêché en France, pour confirmer son accord pour un éventuel coup de force. La France et les USA donnèrent le feu vert, en le mitigeant de recommandations qui se voulaient légalistes, juste pour la forme. Nous comprimes que tout ce qu’ils attendaient de nous est que nous ayons toute l’armée derrière nous. Nous retournâmes dès lors voir le Président, et nous l’acculâmes. Il devait choisir : annuler les élections ou partir. Il opta pour le départ. Il démissionna. Nous annonçâmes l’interruption de processus électoral et l’annulation des résultats. Contrairement à ce qu’ont affirmé de nombreux observateurs, nous avions donc la certitude, au départ, que le FIS ne l’emporterait pas. Sa victoire nous avait pris au dépourvu, et nous avons dû improviser. Mais nous allions vite nous rattraper. Au début de l’aventure qui commençait, nous ne cherchions qu’à sauver notre peau, nos familles, nos fortunes. A plus forte raison que dès l’annulation des élections fut annoncée, le FIS appela le peuple à résister, et à défendre son choix. Pendant quelques semaines, nous avions craint le pire, et nous avions fait procéder à des milliers d’arrestations préventives. Mais nous découvrîmes très vite, à notre grande satisfaction, que le peuple ne s’impliquerait pas. Il n’avait voté FIS que pour nous chasser. Il ne se sentait pas concerné par la suite des événements. Cette passivité des Algériens nous encouragea à aller plus loin. Nous avons vite éprouvé la nécessité de contrôler tous les événements de ne pas les laisser nous déborder. Et ainsi, de fil en aiguille, nous avons mis en place un vaste plan, pour neutraliser le FIS, retourner les populations contre lui, faire peur aux opinions publiques internationales. Nous avons tout de suite prévu que l’insurrection était inévitable. Pour éviter qu’elle ne se prolonge dans le temps, nous avons opté pour une stratégie de provocation. Pour inciter les islamistes à entrer en guerre. Plus vite, et plus massivement ils se décideraient, et plus vite nous nous pouvions les réduire. Nous avons averti nos partenaires étrangers que nous tablions sur cent mille morts environ. C’était le prix à payer, et nous étions prêts à l’assumer. Nous étions d’autant plus sereins que nous avions réussi à infiltrer les islamistes de façon massive. Des centaines d’agents et d’indicateurs étaient en poste. Jusque dans les Etats majors du FIS. Nous entreprîmes de le faire sortir du terrain politique, et de le contraindre à la violence. Il tomba dans le panneau. Certains parmi ses militants commencèrent à rejoindre les maquis, d’autres à organiser des protestations de foule, après la prière du vendredi. Nous n’hésitions pas à faire tirer dans le tas. Pour affirmer notre détermination, et rendre l’engagement irréversible. Nous voulions plus de violence, pour en finir avec cette menace. Nous savions désormais que le peuple ne suivrait pas le FIS, mais nous avions décidé d’en finir avec lui de façon qui le discrédite définitivement aux yeux de la population. Nous n’avions pas imaginé que la situation se compliquerait jusqu’à faire autant de victimes. D’une certaine manière, nous n’avons pas été capables de gérer la situation que nous avions nous-mêmes créé, et qui nous a échappé. Comme je te l’ai dit précédemment, c’est nous qui avons créé l’insurrection islamiste armée. Et c’est nous qui l’avons canalisé dans sa violence contre les populations civiles. Cette violence dura une douzaine d’années. Nous avions réussi à avoir un contrôle presque total sur les groupes terroristes. Au point où même leurs fetwas sortaient de nos services. Mais nous n’avions pas imaginé que le nombre de victimes puisse atteindre un tel niveau. Le président Bouteflika a été le premier à révéler un chiffre qui se rapproche un tant soit peu de la réalité. Il a parlé de 200 000 morts. Avant lui de quelques semaines, Ouyahia, le chef du gouvernement, un fidèle parmi les fidèles, qui fait montre de beaucoup de zèle à nous servir, parce qu’il rêve de devenir Président de la République, avait déclaré, en pleine conférence de presse, que le nombre de morts ne dépassait pas 35 000, tous imputables aux terroristes. Il fut donc contredit par le Chef de l’Etat. Mais malgré cela, ce dernier aussi ne donna pas le vrai chiffre, qui dépasse les 300 000 morts. En fait, Ouahala avait divisé par 10. Tout simplement. Cette violence que nous avions manipulée, de bout en bout, jusqu’à créer ou à infiltrer tous les groupes islamistes armés, avait fait de nous les maîtres incontestés du pays. Il en fut de même de l’AQMI, que nous avons créé, et que nous avions réussi à faire adouber par El Qaeda. Voilà comment une dizaine de généraux constituèrent la junte qui devint maîtresse du pays. Elle n’est pas tombée du ciel. Ses membres les plus influents ont toujours fait partie du régime, depuis sa naissance, ou peu de temps après celle-ci. Nous avons concentré entre nos mains non pas l’essentiel du pouvoir, mais sa totalité. Plus personne ne bougeait une oreille. L’Algérie était devenue notre propriété, et celle de nos amis occidentaux. Puis celle de nos amis du Golfe, lorsque nous autorisâmes Bouteflika à devenir le Chef de l’Etat, après avoir accepté toutes nos conditions. Nous disposions de tout le pays selon notre bon plaisir, pour parler vrai. Nous avons mis en place une organisation d’une redoutable efficacité, une machine bien huilée. Nous décidions de tout, et les Institutions de façade que nous avions mises en place étaient pour nous autant de faire-valoir. Nous étions une junte d’une douzaine de généraux, plus ou moins importants, qui disposaient de tout le pays, à leur guise, avec droit de vie et de mort sur quiconque. Un droit seigneurial dont nous nous servons sans compter. Au premiers temps de la violence que nous avions déchainée, les ressources du pays n’étaient pas celles qui affluent aujourd’hui, depuis que le prix du baril a atteint des pics inespérés. Nous prenions donc ce que nous permettait la situation. Nous avons mis le pays en coupe réglée. Chacun de nous avait un monopole non-dit. L’un était Monsieur Blé, l’autre Monsieur Médicaments, et ainsi de suite. Les commissions pour les achats d’armement et d’équipements militaires étaient partagés entre nous tous. Les choses ont bien changé depuis, mais le régime est foncièrement le même. Les immenses réserves de change, que nous avons engrangé depuis que le pétrole a grimpé au plafond, près de mille milliards de dollars en une douzaine d’années, ont nécessité des réaménagements. Le pays était devenu beaucoup trop riche pour pouvoir être dirigé par un si petit groupe de gens. Nous avons dû élargir notre cercle. Aujourd’hui, nous avons admis à notre tête, mais sous des conditions très strictes, le Président Bouteflika. Il est notre pater familias. C’est lui qui distribue la rente. Il a cru nous diluer dans la masse, en nommant plus de cent cinquante Généraux, et des milliers d’officiers supérieurs. Il a cru les acheter en faisant remettre à chaque général nommé par lui une consistante enveloppe, et l’accès à de mirifiques privilèges. Il a réussi à grignoter de vrais espaces de décision, mais nous gardons le levier de commande, nous les Généraux du DRS, anciens, et nouveaux. Nous avons néanmoins dû accepter que la rente soit totalement gérée par les frères Boutef. Leur rôle dans la nouvelle configuration est réellement décisif pour tout ce qui concerne la rente et les nominations. Autant dire l’essentiel. Nous avons été contraints, par le nouveau contexte, de permettre à de nouveaux venus d’accéder à notre cercle. Des dizaines de nouveaux barons, dont les milliardaires que nous avions nous-mêmes fabriqués, qui étaient nos prête-noms, nos courtiers, avant de voler de leurs propres ailes. Le clan présidentiel s’est révélé particulièrement vorace, et il enfourne des sommes colossales, qui se chiffrent en milliards de dollars. Mais nous n’en avons cure. Il y en a pour tout le monde, et tout le monde essaie de se ménager un avenir, loin du pays, pour le jour où il s’effondrera. De nombreux observateurs ne comprennent pas pourquoi l’Algérie n’est pas entrée dans la dynamique des printemps arabes. L’explication en est, à la fois, simple et compliquée. Simple parce que nous avons toujours brandi aux populations le retour aux années tragiques, en cas d’insurrection. Façon de leur dire que si elles bougent, nous les replongeons dans une autre décennie rouge, avec des centaines de milliers de morts. L’explication est compliquée, parce qu’il y a toute une palette de causes combinées. D’abord et surtout parce que nos amis occidentaux n’ont aucun intérêt, bien au contraire, à ce que les Algériens se révoltent. Ils auraient trop à perdre. Ensuite parce que nous nous sommes servis de cette faramineuse rente pétrolière et gazière, pour procéder à une corruption de masse. Nous avons dépensé des centaines de milliards de dollars pour nous ménager des alliés naturels au sein du peuple, puisque des pans entiers de la population sont devenus nos complices, à des niveaux divers. Ils ont accédé à des statuts et à des fortunes qu’ils n’auraient jamais espérées. Sur ce plan, Bouteflika est un génie. Il a fait du pays un immense bazar. Il dépense sans compter pour acheter du n’importe quoi, au point où tous les Maghrébins viennent aujourd’hui en Algérie s’approvisionner en produits de toute sorte. Les policiers, les gendarmes et les militaires ont bénéficié d’augmentations de salaire qui leur permettent de vivre dans l’aisance. Ils sont tous véhiculés, logés, pleins aux as. Ils tueraient père et mère si quelqu’un tentait de changer les choses. Et ils sont plus d’un demi-million. La nouvelle bourgeoisie, spécialisée exclusivement dans l’import-import, brasse un argent fou. Une nouvelle classe de riches est née, qui soutiendrait ce régime quel qu’en soit le prix. Des dizaines de milliers de jeunes chômeurs ont reçu des microcrédits dont ils savent qu’ils ne les rembourseront jamais. Et ainsi de suite. Il faut savoir que nous avons dépnesé 900 milliards de dollars en douze années. De quoi propulser n’importe quelle république bananière au rang de pays développé. Sauf chez nous. Plus à cause de l’incompétence que de la rapine. Le reste de la population, qui se débat dans des problèmes insolubles, est totalement neutralisé. Les mécontents ne peuvent plus bouger, parce que leurs propres compatriotes, tous ceux qui ont ramassé les miettes, leur barreraient la route. C’est là tout leur drame, et c’est cela le nouveau visage du régime. Nous en sommes là aujourd’hui ! La situation est gravissime, encore plus, à mon avis, que pendant les années de sang. Parce que la société algérienne est divisée maintenant, parce que c’est l’avenir de tout le pays qu’on tue, sous anesthésie générale. La décennie rouge avait été provoquée à la suite d’un conflit pour le pouvoir entre deux groupes. Dans les deux, il y avait autant de gens qui se battaient pour des convictions, que pour des considérations plus vénales. Personnellement, au commencement de mes errements, je m’étais persuadé que j’étais un vrai sauveur de la république, que j’empêchais des forces rétrogrades de prendre possession de mon pays. Je devins le glaive des convictions que je m’étais forgé, avant de devenir le tiroir-caisse de mon insatiable avidité. Ce fut un glissement imperceptible. De la main droite du sauveur que je croyais être, je fauchais les vies des terroristes que j’avais moi-même créés, et des victimes utiles que j’avais moi-même désignées, dans le même temps que ma main gauche fouillait dans la poche du pays. Les multitudes étaient là, à mes pieds, informes et dépersonnalisées, et je n’avais plus que le loisir de choisir qui je frapperais, et qui je détrousserais. Ce qui aurait dû m’inquiéter, et qui ne m’inquiéta pas, fut que sous la surface tourmentée et sanglante de mon propre être, les fonds étaient apaisés et froids, où nul remous ne se produisait. Je dormais d’un sommeil tranquille et serein, après des journées de mort et de rapine. Mon sentiment était que je faisais mon travail, ou plutôt que j’accomplissais une œuvre titanesque, qui devait être réalisée sans état d’âme. Les victimes de cette immense boucherie ne m’apparaissaient pas comme des êtres de chair et de sang. Juste de la matière à traiter, que je malaxais selon les exigences de l’heure. J’ai lu de nombreux témoignages sur la tragédie, des articles de presse, des révélations d’officiers qui se sont révoltés contre nous, et qui ont livré aux opinions publiques des détails particulièrement compromettants pour nous. Mais tout cela, malgré la gravité des faits rapportés, reste très parcellaire, en comparaison avec ce qui s’est réellement passé. Nul ne peut imaginer toute la violence que nous avons déchaînée, ni les atrocités dont se sont rendus coupables nos agents. Parce que c’est tout simplement inimaginable. Personne, de toute façon, avec toute la bonne volonté du monde, et même si le régime pouvait disparaître, ne pourra dire ce qui s’est perpétré. Tout simplement parce que nos secrets sont très bien gardés, que les centres de décision, pour tout ce qui concerne la gestion de la violence sont innombrables, et que nos agents les mieux renseignés ne savent pas ce que font leurs propres collègues, dans des cercles différents. Une sorte de cloisonnement du carnage. Ce que nous avons commis de crimes est bien plus grave que tout ce qui a été rapporté jusqu’à aujourd’hui, y compris par nos propres victimes. Mais il y a autre chose, qui occulte un pan important de cette tragédie. Une dimension d’une importance décisive, manque à tous les constats qui ont été rendus publics. Ils ont tous omis de dire que nous n’étions pas seuls. On a souvent tendance, dans ce genre de situations, à désigner les concepteurs, et les décideurs de telles pratiques comme étant les seuls responsables. C’est très loin d’être le cas.
Posted on: Sun, 28 Jul 2013 17:11:41 +0000

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