Dans les relations entre la République d’Haïti et la - TopicsExpress



          

Dans les relations entre la République d’Haïti et la République Dominicaine, le massacre des Haïtiens est un de ces faits qui, malgré leur importance, étaient complètement ignorés, ou ont laissé plusieurs générations d’ Haïtiens dans une nébuleuse interprétation des parcelles de connaissances, inexplicables et inexpliquées. Les circonstances du génocide Le 2 octobre 1937, le dictateur dominicain Raphael Leonidas Trujillo y Molina était en tournée à Dajabon. Après une réception donnée en son honneur à la résidence de Doña Isabel Mayer, Trujillo s’adressa à ses partisans venus l’acclamer. Son discours était un réquisitoire sans pitié contre les Haïtiens présents dans la province du Nord. Le dictateur déclara : « J’ai appris que les Haïtiens volent de la nourriture et du bétail aux fermiers. Aux Dominicains qui se plaignent de ces déprédations de la part des Haïtiens qui vivent parmi eux, je réponds : ‘Nous règlerons cette affaire.’ D’ailleurs, nous avons déjà commencé. Environ trois cents Haïtiens ont été tués à Banica. Et nous devons continuer à résoudre ce problème ». C’était un ordre de tuer. Le massacre commença la nuit même de ce 2 octobre et va se continuer jusqu’au 4 octobre, faisant entre 15 et 20 mille morts. Le Dr. Price-Mars explique : […] , le carnage des Haïtiens, à l’arme blanche, commença dans la ville même. Femmes, vieillards, enfants, hommes valides, tout y passa. Ce fut dans cette nuit tragique un sauve-qui-peut formidable des résidents haïtiens de Dajabon et des environs, blessés ou non, à travers la rivière pour atteindre Ouanaminthe où l’alarme fut donnée. […] Du 2 au 4 octobre, pendant trente-six heures, la symphonie rouge en nappes lourdes répandit la tristesse des sanglots, des lamentations, des hoquets d’agonie vomis par la multitude haïtienne. A Monte Cristi, les Haïtiens furent jetés à la mer pour y être dévorés par les requins. D’autres furent exécutés dans les prisons où on les avait rassemblés. Des Haïtiens furent conduits sur la route de Dajabon pour y être effroyablement assassinés. Les Haïtiens, en fuite, se hâtèrent vers la rivière Massacre où les attendaient les militaires dominicains qui leur barrèrent la route et les obligèrent à retourner par petits groupes dans les sous-bois pour y être découpés à la baïonnette et à la machette. Plusieurs dizaines d’haïtiens périrent noyés en essayant de passer le Massacre à la nage. Les femmes et les enfants ne furent pas épargnés. Leur sort fut encore plus horrible. Les femmes devaient écarter les deux bras, pour se voir enfoncer une fourche à travers le corps. Les bébés furent pris par les pieds, avant d’avoir le crâne fracassé contre les murs des maisons. Certains sont envoyés en l’air pour être accueillis avec la pointe des baïonnettes. Suzy Castor a rapporté les témoignages de certains survivants, comme Osse Saint-Vil ou Marguerite Pierrot qui perdit en une seule nuit son mari, ses neuf enfants, ses belles-sœurs, les trois enfants de celles-ci et sa mère. Les habitants de Ouanaminthe furent les témoins horrifiés et impuissants du drame. Le curé de la ville, le Père Robert, fait état de nombreux cadavres enterrés à la hâte dans des fosses communes ou tout bonnement arrosés d’essence et brûlés. Les premiers blessés arrivèrent à Ouanaminthe dès le matin du 3 octobre. On organisa rapidement leur transfert vers la ville du Cap-Haïtien. Ceux qui ont réussi à fuir, traumatisés et apeurés, faisaient le récit du monstrueux carnage. Dans tous les points de la frontière, des réfugiés, des blessés, tous rescapés du massacre affluèrent. L’on apprit alors que le simple fait de ne pas pouvoir prononcer correctement les mots « perejil » et « cotorro » équivalait à une condamnation à mort. C’est comme cela que les tueurs dominicains identifiaient, lorsqu’ils avaient un doute, l’Haïtien qui pouvait difficilement articuler ces mots espagnols. La vie d’une personne humaine n’avait tenu dans ces moments terribles que dans la prononciation d’un mot. La réaction du gouvernement haïtien : entre compromission et soumission Le gouvernement de Trujillo fit tout pour cacher l’ampleur du génocide. La presse dominicaine, muselée, n’en fit pas écho. Le gouvernement haïtien, dirigé à ce moment par le président Sténio Vincent, fut officiellement informé par un rapport de Arnold Fabre, Consul haïtien à Dajabon. Mais, les dirigeants haïtiens optèrent, dès le départ, pour une politique de compromission et de soumission face à Trujillo. Vincent s’empressa, le 10 octobre, d’écrire à « son ami » Trujillo pour solliciter une « solution juste et humanitaire ». L’ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine, Evremont Carrié, assurait le Ministre dominicain des Affaires Étrangères, Joaquim Balaguer, que le gouvernement haïtien « met hors de cause la haute personnalité du président Trujillo et son gouvernement ». Le 15 octobre 1937, l’ambassadeur signa un communiqué conjoint avec le chancelier Balaguer assurant de l’amitié des deux chefs d’État et de l’harmonie des deux peuples. Il est regrettable de voir que ce communiqué, signé par notre ambassadeur et le chancelier Joaquim Balaguer, minimise et banalise ce crime, en parlant, au lieu de tuerie, de « quelques incidents qui ont eu lieu à la frontière Nord entre Haïtiens et Dominicains. » Les gouvernements voulaient d’ailleurs prévenir par ce communiqué « des commentaires exagérés et contraires à l’harmonie et à la cordialité » des deux peuples et des deux présidents Vincent et Trujillo. Ce fut une première victoire pour la diplomatie dominicaine, qui voulait absolument faire d’un crime d’Etat un simple affrontement entre paysans dominicains et haïtiens. Dans la préparation et l’exécution du crime, pour préparer l’opinion à une telle version des faits, ordre fut donné aux militaires de ne pas utiliser leurs armes à feu. Le massacre se fit à l’arme blanche, à la baïonnette et à la machette. Les Dominicains gardent en mémoire le souvenir de La Corte, la (la coupe). Les Haïtiens de la frontière parlent de Kout Kouto (coups de couteaux) lorsqu’ils évoquent le massacre. A l’analyse de ces faits, nous pouvons conclure avec Leslie Manigat que cette boucherie fut un acte d’État commis sur ordre par les militaires dominicains, non pas par de simples particuliers. [5] . La honteuse politique d’abdication du gouvernement de Vincent, pour reprendre les mots de Suzy Castor, révolta la conscience nationale. Alors que les journaux étrangers faisaient l’écho du génocide, alors que les blessés agonisaient à l’hôpital du Cap-Haïtien, alors que des milliers de nos compatriotes arrivaient, démunis et dépossédés de tout, traumatisés par trois jours d’horreur sans nom, Vincent préféra garder un profil bas, avalisant sans vergogne la position du gouvernement dominicain. Cependant, Trujillo ne put cacher l’ampleur du drame. L’opinion mondiale était alertée par des dépêches de plusieurs agences de presse, comme la United Press. Des articles du New York Times commençaient à relever les circonstances du massacre. On commençait à estimer le nombre des tués. Il fut bientôt clair que les victimes se comptaient par milliers. L’opinion nationale s’émut et commença à questionner la position du gouvernement. L’agitation gagnait Port-au-Prince, indignée et meurtrie. Des militaires profitèrent même de ce climat tendu et explosif pour méditer un coup d’Etat contre Vincent. Aux Etats-Unis, le député républicain Fisher exigea même de son gouvernement une rupture avec le sanguinaire régime de Trujillo. Vincent comprit alors qu’il lui fallait changer de position. Abandonnant les négociations directes avec Ciudad Trujillo, il recourut à l’arbitrage interaméricain. Le gouvernement haïtien utilisa la procédure prévue par le traité de Gondra de Santiago de Chili du 3 mai 1923 et la Convention de Washington du 5 janvier 1926. Le 11 décembre 1937, il saisit donc la Commission permanente de Washington. Les Etats-Unis d’Amérique, le Mexique et Cuba composèrent la commission d’enquête. Cependant, Trujillo fit des résistances. Devant son refus de coopérer, la Commission conclut, le 15 décembre, que des sanctions devraient être prises contre la République Dominicaine en application de l’accord de 1923, car l’incident était de nature à « perturber la paix dans l’hémisphère occidental. » Craignant une condamnation internationale et l’application de sanctions qui prouveraient la faute de son gouvernement, Trujillo céda. Le 17 décembre, il câbla un télégramme à la commission, par lequel il accepta l’arbitrage. L’affaire connut, cependant, un nouveau rebondissement quelques jours plus tard. Alors que la Commission allait enfin commencer ses travaux, le gouvernement d’Haïti, par une lettre adressée le 3 janvier 1938 aux gouvernements la formant, retira sa plainte et fit part de son intention de traiter directement avec le gouvernement dominicain. C’était un nouveau coup de théâtre, aussi surprenant qu’incompréhensible, dans un moment où l’opinion publique internationale était favorable à la cause haïtienne. Cette politique de lâche soumission allait aboutir à la signature d’un nouvel accord le 31 janvier 1938 à Washington. Aux termes de cet accord dégradant, le gouvernement dominicain exprime des regrets et donne l’assurance de lancer les procédures judiciaires « destinées à éclaircir ces faits et à punir les infractions ». L’ État dominicain s’engageait encore à payer 750 000 dollars, comme compensation financière aux victimes du drame. Cet argent a servi à la création de trois colonies agricoles en Haïti pour les rescapés du massacre : à D’ Osmond, près de Ouanaminthe, au morne des commissaires et à Biliguy dans le Plateau Central. Leslie Manigat indique que la République Dominicaine n’a versé en fait que 500 000 dollars américains, soit de 25 à 33 dollars par tête d’ Haïtiens tués. [6] . Il est inutile de dire que l’histoire n’a retenu le nom d’aucun Dominicain condamné pour le massacre. L’ Accord du 15 octobre 1937 et celui du 31 janvier 1938 sont appelés les « accords de la honte » par les historiens haïtiens. Sténio Vincent et son gouvernement ont écrit l’une des pages les plus tristes et les plus sombres de notre histoire et de notre diplomatie. Dans le souvenir de 1937, nous ne saurons oublier les paysans dominicains qui ont caché, à leurs risques et périls, des frères et sœurs haïtiens. On ne saurait oublier ce dévouement, ces actions héroïques de simples hommes qui apportent à d’autres hommes aussi humbles, paysans comme eux, exploités comme eux, qui connaissent les mêmes privations et portent dans leur âme les mêmes espoirs, le témoignage de leur cœur blessé. On ne saurait encore oublier ces soldats qui refusèrent de souiller leur conscience et qui furent exécutés pour avoir refusé d’obéir à l’ordre de tuer. Aux Haïtiens et Dominicains de bonne volonté de lutter pour le construire. Source: alterpresse
Posted on: Sat, 09 Nov 2013 13:58:07 +0000

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