Dessalines à la rencontre de Pétion: Au delà du slogan - TopicsExpress



          

Dessalines à la rencontre de Pétion: Au delà du slogan politique. Par André Lafontant Joseph La dernière grande manifestation anti-gouvernementale du 17 octobre 2013 et celle projetée pour le 18 novembre 2013 dans la région métropolitaine ont adopté le slogan « Dessalines pwal kay Pétion » comme pour signifier que les exclus de la société haïtienne, ceux qui en majorité habitent des bas-quartiers de la capitale vont questionner les membres de la minorité, perchés dans les hauteurs de Pétionville (1), ceux qui se sont toujours considérés comme les « ayant-droit » du pays, les « prétendus héritiers » des colons, ceux qui ont conspiré pour assassiner lempereur. Que signifie cette « rencontre » ? Dialogue ou confrontation ? Selon Joël Ducasse , avec lassassinat de Dessalines, « lautonomie promise par la place à vivres cédait le pas à une économie compradore de bord de mer dépendante qui allait imprimer sa marque sur le pays en dehors dun fer peut-être aussi chaud que celui de lesclavage. » Ducasse croit donc que les secteurs qui en 1806 ont comploté le parricide du Pont Rouge avec Alexandre Pétion étaient mus par un projet politique foncièrement opposé aux intérêts profonds du pays, projet favorable à leurs clans et aux puissances colonialistes et pré impérialistes. (2) Le principe du paiement de la dette de lindépendance négocié par Pétion et réalisé par Jean Pierre Boyer est perçu comme un changement de paradigme. Dessalines faisait fortifier le pays pour parrer au retour possible des français. Lacceptation même de la notion dune dette de lindépendance constitue en quelque sorte le reniement et lavilissement dune des révolutions les plus éclatantes de lhistoire humaine et en conséquence de la contribution de son architecte, Jean Jacques Dessalines. La reconnaissance de cette dette marquait la soumission des anciens libres mulâtres à des pères qui après les avoir déboutés ne reconnaissaient leurs droits dhéritiers que contre « paiement » dun tribut. En réalité, cétait un complot ourdi contre les cultivateurs, les anciens va-nu-pieds de lindépendance sur les épaules de qui allaient tomber les taxes à lexportation et à limportation qui, en dernière instance, devaient payer cette dette. Depuis quand les vainqueurs payaient-ils une indemnité aux vaincus ? La politique de Pétion était donc la négation de la grande victoire de 1804. Dessalines et ses conseillers avaient bel et bien formulé les esquisses dun projet économique national visant à un développement endogène. Ce projet navait pas eu le temps de se matérialiser pour les cultivateurs et les anciens soldats, ce qui consistait une faiblesse de taille de la politique de lEmpereur. Par contre, le projet économique de Pétion, dans un semblant de « lese grennen » ne consistait quà sassurer les bonnes grâces de lancienne puissance colonisatrice pour permettre à son clan de gruger les masses haïtiennes. Cest malheureusement ce projet antinational qui a inspiré la grande majorité de nos gouvernements de lassassinat du Pont Rouge à nos jours. Gaëtan Mentor rapporte une correspondance du général Étienne Victor Mentor adressé à Dessalines sur les résultats de la campagne menée dans le Sud contre les velléités des anciens libres mulâtres en ces termes: « lopération de vérification des titres de propriétés se poursuit fructueusement. Beaucoup de terres ont été rendues à lÉtat après avoir été reprises entre les mains de ceux qui les occupaient illéga-lement: ce qui nous permettra de donner satisfaction à nos pauvres frères, qui ont versé leur sang pour le triomphe de la cause de la liberté ». (3) La localisation de la capitale à Marchand Dessalines, une ville de lintérieur du pays, en dehors de la dy-namique de léconomie extravertie na pas été un acte banal. Elle signifiait non seulement une volonté de résistance militaire face à léventualité du retour des forces colonialistes mais aussi ladoption dun modèle économique basée sur une dynamique de développement endogène. Par contre, la relocalisation de la capitale à Port-au-Prince, après lassassinat de lempereur, marquait le retour au statu quo ante. Ducasse ajoute sans ambages qu« historiquement, le principal garant des intérêts de lancienne puissance coloniale et de la déshérence continue du peuple haïtien a été une minorité servant dintendance dÉtat reconnu et OPÉRANT CONTRE LA NATION ». Lopposition Dessalines Versus Pétion nest donc pas une polémique vide de sens. Reste à savoir si les politiciens qui aujourdhui la brandissent sont prêts à en assumer pleinement les conséquences, à en faire comprendre le sens exact et à en tirer une politique nationale qui puisse faire sortir le pays de la dynamique rétrograde de la dépendance et de la domestication de lÉtat haïtien par les puissances étrangères. Disons demblée que Dessalines na jamais été un raciste anti mulâtre et que lopposition Dessalines Pétion ne peut se réduire à une résurgence du « noirisme ». À lexception du Général Étienne Victor Mentor, tous les proches conseillers de Dessalines étaient des mulâtres et plusieurs dentre eux ont été assassinés avec lui le 17 octobre 1806 ou dans les jours qui ont suivis. Marta Arnecker souligne à juste titre le fait que lorigine de classe ne détermine pas nécessairement la conscience de classe. La politique de Pétion qui a triomphé avec lassassinat de Dessalines se caractérise par lalliance avec les forces étrangères pour garantir les intérêts de la minorité des anciens libres formée en grande partie de mulâtres (ceci est un fait de lhistoire que nous ne pouvons pas changer). Dessalines, cest celui qui voulait orienter le pays vers une politique endogène à travers le développement dune élite socioéconomique « multisectorielle » (anciens libres mulâtres, anciens libres noirs, hauts gradés noirs de larmée indigène, cadres intermédiaires de larmée, etc.). Tous devaient avoir accès au principal moyen de production de lépoque: la propriété agraire. Pour Dessalines la question de la pigmentation de la peau ne se posait même pas, puisque tous les haïtiens étaient considérés comme étant des noirs. Pétionville nest plus depuis bien des années la chasse gardée de loligarchie socioéconomique. Celle-ci monte progressivement beaucoup plus haut dans les montagnes environnantes. Mais Pétionville reste un symbole tant et si bien que le gouvernement a cru bon dinterdire son accès à la seconde manifestation de lopposition encore une fois convoquée sous le slogan «Dessalines pwal kay Pétion». Lavenir dira si ce faisant, le Président Martelly naurait fait quapporter de leau au moulin de ses détracteurs, en assumant en sa défaveur la dichotomie entre héritiers de Dessalines versus ceux de Pétion, bien que ces derniers soient déjà encerclés par les premiers. Disons aussi que lhéritage de Pétion est bien plus cette assumation dune politique rétrograde plutôt quune filiation entre contemporains et anciens libres mulâtres. Dailleurs que déléments de la classe moyenne noiriste se sont depuis lors assimilés à cette oligarchie. Une analyse de la politique menée par les dirigeants politiques que nous avons connus ces dernières années, en commençant par Jean Bertrand Aristide qui lorsquil était candidat ne jurait que par le chef rebelle antiaméricain Charlemagne Péralte, pour arriver à Michel Martelly qui, lui, promettait de changer le système, en passant par le rusé René Préval, tous se sont, dans la pratique, inscrits dans la lignée dAlexandre Pétion. Tous se sont appuyés sur des forces étrangères et pire sur loccupation du pays pour asseoir leurs pouvoirs, tous ont essayé de brader les richesses nationales au profit dintérêts étrangers, tous se sont alliés à loligarchie compradore traditionnelle des descendants et héritiers directs ou indirects de Pétion, leur accordant des privilèges indus qui allaient aux détriments de la satisfaction des besoins socioéconomiques de la majorité de la population. Qui fera différemment? Les mécanismes de lasphyxie continue dHaïti par des économies étrangères ont aussi évolué. De nouveaux acteurs économiques très agressifs montrent de plus en plus leurs velléités de mains mises à travers un échange économique à sens unique (République Dominicaine - Haïti), allant bien au-delà du concept déchange inégal (4). Quel est donc le nouveau projet politique qui permettra aux uns et aux autres de se repositionner dans la lignée de Dessalines et, en conséquence, dexploiter pour une cause juste et valable la révolte légitime des défavorisés et des progressistes ? Quelle éducation historique et civique pour que la population ne soit pas simplement manipulée à travers ce nouveau slogan ? Comment éviter dêtre une fois de plus dupés « Charlemagne-Péraltement»? Ce sont là les vraies questions quinduit ce slogan. (1) Ce qui nest pas exactement le cas depuis la migration parfois encouragée par des politiciens de milliers de démunis vers les quartiers aisés. (2) Préface de louvrage Comprendre la Charte des collectivités territoriales - André Lafontant Joseph 2007 - GRIDE - Port-au-Prince. (3) Mentor Gaëtan, 1999: Histoire dun crime politique - Fondation Sogebank - Port-au-Prince. (4) Amir Samin 1988: Léchange inégal et la loi de la valeur -Economica -Paris.
Posted on: Mon, 18 Nov 2013 19:06:16 +0000

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