Il avait vu pousser ce truc en quelques jours au beau milieu du - TopicsExpress



          

Il avait vu pousser ce truc en quelques jours au beau milieu du maquis, sur ce qu’il estimait être son secteur. Bien plus tard, Anghjulu Santu m’avait avoué qu’il avait bien failli mettre le feu à la cabane : « qu’est-ce que c’est que ce type qui vient contrarier mes projets ! ». Il faut dire que le maquis était dans un état d’abandon considérable. Les terrasses jadis cultivées aussi haut que possible avaient laissé la place à une végétation que les incendies rendaient anarchique. On ne pouvait se douter qu’à cet endroit, quelques années au par avant, se trouvaient des jardins, des châtaigneraies rutilantes, des parcelles de céréales, ponctuées de quelques aires à blé judicieusement placées au passage d’un vent léger, permettant d’y séparer le bon grain de l’ivraie. A cette époque pourtant peu lointaine, on n’achetait que le sucre et le café. Bien avant encore, la Corse, longtemps sous la dominance de Gênes, fournissait bien au-delà de ses besoins. Elle vivait alors un exemple de souveraineté alimentaire. Les gens dans les villages, bien que poussés par la nécessité, n’en gardaient pas moins une forte envie de faire les choses ensemble ne serait-ce que pour tous les à côtés. Une joie de vivre, favorisée par l’abondance. Sauf de temps en temps quelques périodes difficiles, liées aux aléas de la météo. La Casinca, où se trouvait mon terrain était alors avec sa sœur la castagniccia, les jardins et greniers de la Corse. Le village qui se trouvait juste en dessous du terrain accueillait plus de huit cent âmes. Les maisons étaient pleines de familles besogneuses, et même pendant la dernière guerre, aucune famine n’avait sévit. J’apprenais tout cela avec la curiosité d’un bon élève. Il en apprenait également sur moi. Il était intarissable et sa mémoire me surprenait. Il faisait parti de ceux qui avaient non pas choisi, mais décidé de rester. Bien de ses amis d’enfance avaient suivit une autre voie, poussés par leur famille à poursuivre des études, qui feraient leur fierté. Les vieux, malgré l’interdiction de parler leur langue maternelle, pouvaient tout aussi bien s’exprimer dans le meilleur français qu’il soit, (souvent motivés par le « complexe du paysan » et allant jusqu’à nommer leur langue un patois), tout comme en langue corse avec un vocabulaire d’une richesse inouïe, que les adeptes des « Ghjame e risponde » sortes de joutes chantées, mettaient à profit en des réponses interminables de vers, où l’audace, la répartie et la beauté des mots se conjuguaient à loisir. Cette île était un chant, Anghjulu Santu était un de ses interprètes. Conteur né, il était capable de transformer n’importe quel fait divers en une aventure rocambolesque, où chaque détail donnait lieu à une suite de rebondissements qui vous tenaient en haleine une bonne partie de la soirée. Quand ce n’était pas à plusieurs voix que les histoires se racontaient. Dans ce cas, on avait droit à une infinité de versions adaptées aux circonstances, et pour peu qu’une jolie fille soit de l’assistance, et on avait droit au grand jeu.
Posted on: Sun, 01 Sep 2013 04:40:26 +0000

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