Ils arrivaient à Plouigneau au début de la soirée. La petite - TopicsExpress



          

Ils arrivaient à Plouigneau au début de la soirée. La petite ferme de Gérôme comprenait trois corps de bâtiments. Il avait installé son atelier dans une ancienne grange. Après avoir présenté Francis à son épouse Soizic, il tenait à lui faire voir leur dernière création ; des chaussons pour les botoucoat, ces sabots en bois si pratiques, qui permettaient de garder les pieds au sec. Les chaussons étaient des sortes de charentaises avec une semelle en feutre de laine. Gérôme proposait à Francis d’aller dès le lendemain chez son grand-père qui était sabotier, et bien qu’à la retraite, accepterait de lui faire une paire. Il avait encore quelques ébauchons qui ne nécessiteraient que quelques retouches pour que les sabots soient à la mesure. Il habitait avec sa femme dans une l’ancienne école de Le Ponthou, à quelques kilomètres de là. Le vieux faisait encore son cidre, et pourvoyait généreusement son petit-fils de bouteilles poussiéreuses, avec un bouchon maintenu par une patte métallique. Il n’était pas rare qu’une bouteille se vide complètement après avoir été débouchée. D’ailleurs, Gérôme proposait d’aller en déguster une. Le sol de la pièce était en terre battue. Gérôme expliquait que dans les temps, quand ils faisaient une maison, les propriétaires organisaient un « festnoz » avant d’aménager, et que les gens dansaient sur le sol de la maison, toutes générations confondues, ce qui permettait de tasser l’argile avec les sabots, tout comme ils le faisaient pour les aires de battage lors des travaux communautaires. Soizic avait préparé une soupe à l’oignon, qu’ils dégustaient en sirotant le fameu cidre. Gérôme était particulièrement heureux d’avoir acheté cette calèche. Elle avait des freins à disques, et des pneus genre V.T.T., et était particulièrement adaptée pour faire du tout terrain. Il languissait de l’essayer et proposait de l’utiliser dès le lendemain, pour se rendre chez ses grands-parents. Soizic était également ravie. L’idée de se déplacer ainsi avec Frédo ; le percheron que Gérôme avait acquis l’année précédente à la foire de La Bazoche-Gouet, les réjouissait particulièrement. Gérôme se levait pour aller prendre une autre bouteille de cidre sous l’escalier. Soizic proposait une autre louche de soupe à Francis quand son téléphone se mit à vibrer dans sa poche. Il pensait de suite que ce devait être une des personnes à laquelle il avait remis sa carte pendant la foire ; peut-être son premier client. A sa grande surprise, c’était la voix de Francette qu’il entendait. Après s’être confondu en excuses, il lui annonçait qu’il se trouvait du côté de Morlaix, chez un ami qu’il ne pouvait pas quitter comme ça en plein repas, et que si elle voulait bien lui pardonner, il lui demandait de le rappeler le lendemain pour convenir d’un endroit pour se retrouver. Après avoir raccroché, il expliquait la situation à Gérôme qui l’engueula presque, lui disant qu’il aurait du leur proposer de le rejoindre, qu’ils avaient largement de quoi héberger tout se monde en organisant un coin dans l’atelier, que c’était pas la laine qui manquait pour bricoler des matelas, et qu’il allait lui faire le plaisir, quand sa bergère le rappellerait, de lui dire qu’ils étaient tous trois attendus pour midi pour déguster des crêpes. Soizic était bien d’accord avec son homme et rajoutait qu’il aurait bien de la chance si son amie le rappelait. Plus d’une femme à sa place l’aurait envoyé bouler depuis longtemps. Francis acquiesçait de la tête, l’air penaud. On aurait dit un bambin qui vient de se faire prendre les doigts dans le pot de confiture confiture. °°° Quand je revenais, les bras chargés de croissants chauds, toutes les filles étaient levées. J’étais accueilli tel le Père Noël distribuant des cadeaux çà et là. On faisait de la place sur la table basse, puis on s’installait sur les banquettes en commentant la soirée de la veille, et la qualité du groupe qui s’était produit au pub. Je surveillais quand même l’énorme pendule qui était accrochée au dessus de la porte d’entrée, vu qu’on s’était donné rendez-vous avec le type de l’autoroute autour de dix heures, devant la cathédrale. Les jumelles ne semblaient pas plus pressées que ça. Elles avaient passé une excellente nuit, et ne paraissaient plus préoccupées par quelque concurrence que ce soit. Au contraire, elles étaient complètement détendues, profitant de l’instant présent, et bavardant avec les autres filles à propos de sujets qui me dépassaient complètement. Finalement, c’est Francette qui donnait le top du départ, se levant d’un coup de la banquette, comme si elle s’était assise sur un caillou pointu. On s’embrassait en se promettant de se revoir à la première occasion, on échangeait nos adresses et je garantissais à nos hôtesses que j’avais passé d’excellents moments en leur compagnie. Les filles nous indiquaient le plus court chemin pour aller jusqu’à la cathédrale. On s’y rendait en peu de temps. Quand le bonhomme arrivait, on pouvait constater à sa mine réjouie qu’il avait de bonnes nouvelles pour nous. Son pote mécano était avec lui. Si tôt installés dans la voiture, il nous confirmait que ce genre de panne était fréquent sur les derniers modèles, tout en tapotant sur un carton où vraisemblablement se trouvait notre pièce de rechange, et qu’il allait nous réparer ça en deux coups de cuillère à pot. Il en profitait pour nous faire un cours magistral sur l’obsolescence programmée, et qu’on pouvait s’attendre à voir les amortisseurs lâcher avant les cent cinquante miles. Nous, tout ce qu’on voulait, s’était reprendre la route et d’arriver à bon port, avant la fin de la foire. Une fois rendus sur l’aire de repos de l’autoroute, le type ne trainait pas pour remettre les choses en bon ordre. On pouvait enfin continuer notre voyage. On remerciait les deux bonshommes pour leur prévenance, puis on filait sans autre forme de procès. Il nous restait encore pas mal de bornes à nous taper. Francette reprenait le volant. Après tout, on n’était guère à plus de deux heures de notre destination. Après Orléans, on faisait une courte pose pour vérifier si tout allait bien sous le capot. Tout semblait nous sourire à présent, et nous étions tous impatients d’arriver enfin. Un embouteillage monstre ralentissait considérablement la circulation aux abords de la Bazoche. On aurait dit que toute la région se concentrait là, si bien qu’on choisissait de laisser la voiture dès qu’on pouvait se garer, et on contiunait à pied, en suivant la foule. Quand on arrivait sur le champ de foire, l’ambiance était à son comble. Sur une estrade, un animateur annonçait en gueulant dans son micro tous les prix et toutes les médailles qui avaient gratifié les différents candidats. Je trouvais ça insupportable. Peut-être n’étais-je pas dans le bain, mais tous ces beaufs pleins de cidre et de boudin qui déambulaient dans tous les sens me déconcertaient au plus haut point. Les filles n’étaient pas plus à l’aise que moi. On scrutait la foule, espérant apercevoir Francis au milieu de tout ça, mais en vain. On Questionnait quelques exposants, donnant des détails sur notre ami. Un type comme lui ne pouvait passer inaperçu. Pourtant, malgré tous les efforts qu’on déployait, personne ne pouvait nous renseigner. On se retrouvait bien embarrassés de voir la nuit tomber tout en étant bredouilles. Marie-Ange proposait qu’on boive quand même un coup de cidre et qu’on en profite pour essayer de questionner encore d’autres personnes mais en vain. C’est à ce moment là que Francette apercevait sur le comptoir une carte de visite, sur laquelle était écrit : « Francis, maréchal itinérant. Travail rapide et soigné, fers sur mesure», avec un numéro de téléphone. Ce ne pouvait être que lui ! Elle empochait aussitôt le bristol et se mettait en quête d’un endroit où elle pouvait téléphoner. Les choses semblaient se précipiter. Tout d’un coup, après tant d’incertitudes, on sentait qu’on tenait le bon bout. Marie-Ange sautillait sur place, l’air tellement heureuse de la situation. Du coup, elle se jetait à mon cou, projetant ses deux jambes autour de ma taille au risque de nous faire trébucher. Sa longue tresse pendait au raz du sol, et je devais me cambrer pour la redresser, alors qu’elle se collait tout contre moi, se foutant pas mal des types autour qui nous reluquaient d’un air abruti. Quand Francette nous rejoignait, elle n’affichait aucune expression particulière. Elle nous rendit compte de sa conversation avec Francis et se demandait si elle devait le rappeler comme il lui avait demandé ; ou pas. Marie-Ange semblait tout aussi perplexe. Je pensais que ce n’était pas une bonne chose d’abandonner si près du but, Je connaissais suffisamment mon ami pour affirmer que cette fois, il ne nous poserait pas de lapin et que c’était la crainte de l’échec et l’incertitude qui l’avaient poussé à réagir ainsi. A présent que nous étions rassurés, je proposais qu’on profite des dernières heures de la foire avant de trouver une auberge pour la nuit et qu’on apprécie pleinement ces moments où nous étions ensembles. J’ajoutais en plaisantant que se serait pour Francette l’occasion de se défouler après tout ce stress. Je n’aurais peut-être pas du dire ca. Les filles me regardaient tout d’un coup d’un air concupiscent. En un mouvement parfaitement synchronisé, elles se retournaient vers moi avec un sourire plein de sous entendu puis me lançaient en stéréo : « On va se gêner ! ». Puis elles éclataient de rire et me saisissaient par le bras pour m’entrainer vers une sorte de yourte, où ils servaient du boudin et du cidre. On faisait la queue devant un comptoir où de charmantes dames en costumes traditionnels pleins de dentelles, remplissaient des assiettes et distribuaient des couverts.
Posted on: Mon, 18 Nov 2013 17:13:02 +0000

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