MESDAMES, MESSIEURS, JEUNES ÉLÈVES, Cest une grande joie - TopicsExpress



          

MESDAMES, MESSIEURS, JEUNES ÉLÈVES, Cest une grande joie pour moi de me retrouver en ce lycée dAlbi et dy reprendre un instant la parole. Grande joie nuancée dun peu de mélancolie ; car lorsquon revient à de longs intervalles, on mesure soudain ce que linsensible fuite des jours a ôté de nous pour le donner au passé. Le temps nous avait dérobés à nous mêmes, parcelle à parcelle, et tout à coup cest un gros bloc de notre vie que nous voyons loin de nous. La longue fourmilière des minutes emportant chacune un grain chemine silencieusement, et un beau soir le grenier est vide. Mais quimporte que le temps nous retire notre force peu à peu, sil lutilise obscurément pour des oeuvres vastes en qui survit quelque chose de nous ? Il y a vingt deux ans, cest moi qui prononçais ici le discours dusage. Je me souviens (et peut-être quelquun de mes collègues dalors sen souvient-il aussi) que javais choisi comme thème : les Jugements humains. Je demandais à ceux qui mécoutaient de juger les hommes avec bienveillance, cest-à-dire avec, équité, dêtre attentifs dans les consciences les plus médiocres et les existences les plus dénuées, aux traits de lumière, aux fugitives étincelles de beauté morale par où se révèle la vocation de grandeur de la nature humaine. Je les priais dinterpréter avec indulgence le tâtonnant effort de lhumanité incertaine. Peut-être dans les années de lutte qui ont suivi, ai-je manqué plus dune fois envers des adversaires à ces conseils de généreuse équité. Ce qui me rassure un peu, cest que jimagine quon a dû y manquer aussi parfois à mon égard, et cela rétablit 1équilibre. Ce qui reste vrai, à travers toutes nos misères, à travers toutes les injustices commises ou subies, cest quil faut faire un large crédit à la nature humaine ; cest quon se condamne soi-même à ne pas comprendre lhumanité, si on na pas le sens de sa grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables. Cette confiance nest ni sotte, ni aveugle, ni frivole. Elle nignore pas les vices, les crimes, les erreurs, les préjugés, les égoïsmes de tout ordre, égoïsme des individus, égoïsme des castes, égoïsme des partis, égoïsme des classes, qui appesantissent la marche de lhomme, et absorbent souvent le cours du fleuve en un tourbillon trouble et sanglant. Elle sait que les forces bonnes, les forces de sagesse, de lumière, de justice, ne peuvent se passer du secours du temps, et que la nuit de la servitude et de lignorance nest pas dissipée par une illumination soudaine et totale, mais atténuée seulement par une lente série daurores incertaines. Oui, les hommes qui ont confiance en lhomme savent cela. Ils sont résignés davance à ne voir quune réalisation incomplète de leur vaste idéal, qui lui-même sera dépassé ; ou plutôt ils se félicitent que toutes les possibilités humaines ne se manifestent point dans les limites étroites de leur vie. Ils sont pleins dune sympathie déférente, et douloureuse pour ceux qui ayant été brutalisés par lexpérience immédiate ont conçu de pensées amères, pour ceux dont la vie a coïncidé avec des époques de servitude, dabaissement et de réaction, et qui, sous le noir nuage immobile, ont pu croire que le jour ne se lèverait plus ; Mais eux-mêmes se gardent bien dinscrire définitivement au passif de lhumanité qui dure les mécomptes des générations qui passent. Et ils affirment avec une certitude qui ne fléchit pas, quil vaut la peine de penser et dagir, que leffort humain vers la clarté et le droit nest jamais perdu. Lhistoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie linvincible espoir. Dans notre France moderne, quest-ce donc que la République ? Cest un grand acte de confiance. Instituer la République, cest proclamer que des millions d hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; quils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et lordre ; quils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions niront pas jusquà une fureur chronique de guerre civile, et quils ne chercheront jamais dans une dictature passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, cest proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté desprit pour soccuper de la chose commune. Et si cette République surgit dans un monde monarchique encore, cest assurer quelle sadaptera aux conditions compliquées de la vie internationale, sans entreprendre sur lévolution plus lente des autres peuples, mais sans rien abandonner de sa fierté juste et, sans atténuer léclat de son principe. Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte daudace. Linvention en était si audacieuse, si paradoxale, que même les hommes hardis qui, il y a cent dix ans, ont révolutionné le monde, en écartèrent dabord lidée. Les constituants de 1789 et de 1791, même les législateurs de 1792 croyaient que la monarchie traditionnelle était lenveloppe nécessaire de la société nouvelle. Ils ne renoncèrent à cet abri que sous les coups répétés de la trahison royale. Et quand enfin ils eurent déraciné la royauté, la République leur apparut moins comme un système prédestiné que comme le seul moyen de combler le vide laissé par la monarchie. Bientôt cependant, et après quelques heures détonnement et presque dinquiétude, ils ladoptèrent de toute leur pensée et de tout leur coeur. Ils résumèrent, ils confondirent en elle toute la Révolution. Et ils ne cherchèrent point à se donner le change. Ils ne cherchèrent point à se rassurer par lexemple des républiques antiques ou des républiques helvétiques et italiennes. Ils virent bien quils créaient une oeuvre, nouvelle, audacieuse et sans précédent. Ce nétait point loligarchique liberté des républiques de la Grèce, morcelées, minuscules et appuyées sur le travail servile. Ce nétait point le privilège superbe de servir la république romaine, haute citadelle doù une aristocratie conquérante dominait le monde, communiquant avec lui par une hiérarchie de droits incomplets et décroissants qui descendait jusquau néant du droit, par un escalier aux marches toujours plus dégradées et plus sombres, qui se perdait enfin dans labjection de lesclavage, limite obscure de la vie touchant à la nuit souterraine. Ce nétait pas le patriciat marchand de Venise et de Gênes. Non cétait la République dun grand peuple où il ny avait que des citoyens et où tous les citoyens étaient égaux. Cétait la République de la démocratie et du suffrage universel. Cétait une nouveauté magnifique et émouvante. Les hommes de la Révolution en avaient conscience. Et lorsque dans la fête du 10 août 1793, ils célébrèrent cette Constitution, qui pour la première fois depuis lorigine de lhistoire organisait la souveraineté nationale et la souveraineté de tous, lorsque artisans et ouvriers, forgerons, menuisiers, travailleurs des champs défilèrent dans le cortège, mêlés aux magistrats du peuple et ayant pour enseignes leurs outils, le président de la Convention put dire que cétait un jour qui ne ressemblait à aucun autre jour, le plus beau depuis que le soleil était suspendu dans limmensité de lespace Toutes les volontés se haussaient pour être à la mesure de cette nouveauté héroïque. Cest pour elle que ces hommes combattirent et moururent. Cest en son nom quils refoulèrent les rois de lEurope. Cest en son nom quils se décimèrent. Et ils concentrèrent en elle une vie si ardente et si terrible, ils produisirent par elle tant dactes et tant de pensées, quon put croire que cette République toute neuve, sans modèle comme sans traditions, avait acquis en quelques années la force et la substance des siècles. Et pourtant que de vicissitudes et dépreuves avant que cette République que les hommes de la Révolution avaient crue impérissable soit fondée enfin sur notre sol. Non seulement après quelques années dorage elle est vaincue, mais il semble quelle sefface à jamais et de lhistoire et de la mémoire même des hommes. Elle est bafouée, outragée ; plus que cela, elle est oubliée. Pendant un demi-siècle, sauf quelques coeurs profonds qui gardaient le souvenir et lespérance , les hommes, la renient ou même lignorent. Les tenants de lancien régime ne parlent delle que pour en faire honte à la Révolution : Voilà où a conduit le délire révolutionnaire. Et parmi ceux qui font profession de défendre le monde moderne, de continuer la tradition de la Révolution, la plupart désavouent la République et la démocratie. On dirait quils ne se souviennent même plus. Guizot sécrie : Le suffrage universel naura jamais son jour. Comme sil navait pas eu déjà ses grands jours dhistoire, comme si la Convention nétait pas sortie de lui. Thiers, quand il raconte la révolution du 10 août , néglige de dire quelle proclama le suffrage universel, comme si cétait là un accident sans importance et une bizarrerie dun jour. République, suffrage universel, démocratie, ce fut, à en croire les sages, le songe fiévreux des hommes de la Révolution. Leur oeuvre est restée, mais leur fièvre est éteinte et le monde moderne quils ont fondé, sil est tenu de continuer leur oeuvre, nest pas tenu de continuer leur délire. Et la brusque résurrection de la République, reparaissant en 1848 pour sévanouir en 1851, semblait en effet la brève rechute dans un cauchemar bientôt dissipé. Et voici maintenant que cette République qui dépassait de si haut lexpérience séculaire des hommes et le niveau commun de la pensée que quand elle tomba ses ruines mêmes périrent et son souvenir seffrita, voici que cette République de démocratie, de suffrage universel et duniverselle dignité humaine, qui navait pas eu de modèle et qui semblait destinée à navoir pas de lendemain, est devenu la loi durable de la nation, la forme définitive de la vie française, le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde. Or, et cest là surtout ce que je signale à vos esprits, laudace même de la tentative a contribué au succès. Lidée dun grand peuple se gouvernant lui-même était si noble quaux heures de difficulté et de crise elle soffrait à la conscience de la nation. Une première fois en 1793 le peuple de France avait gravi cette cime, et il y avait goûté un si haut orgueil, que toujours sous lapparent oubli et lapparente indifférence, le besoin subsistait de retrouver cette émotion extraordinaire. Ce qui faisait la force invincible de la République, cest quelle napparaissait pas seulement de période en période, dans le désastre ou le désarroi des autres régimes, comme lexpédient nécessaire et la solution forcée. Elle était une consolation et une fierté. Elle seule avait assez de noblesse morale pour donner à la nation la force doublier les mécomptes et de dominer les désastres. Cest pourquoi elle devait avoir le dernier mot. Nombreux sont les glissements et nombreuses les chutes sur les escarpements qui mènent aux cimes ; mais les sommets ont une force attirante. La République a vaincu parce quelle est dans la direction des hauteurs, et que lhomme ne peut sélever sans monter vers elle. La loi de la pesanteur nagit pas souverainement sur les sociétés humaines ; et ce nest pas dans les lieux bas quelles trouvent leur équilibre. Ceux qui, depuis un siècle, ont mis très haut leur idéal ont été justifiés par lhistoire. Et ceux-là aussi seront justifiés qui le placent plus haut encore. Car le prolétariat dans son ensemble commence à affirmer que ce nest pas seulement dans les relations politiques des hommes, cest aussi dans leurs relations économiques et sociales quil faut faire entrer la liberté vraie, légalité, la justice. Ce nest pas seulement la cité, cest latelier, cest le travail, cest la production, cest la propriété quil veut organiser selon le type républicain. A un système qui divise et qui opprime, il entend substituer une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée. Messieurs, je noublie pas que jai seul la parole et que ce privilège mimpose beaucoup de réserve. Je nen abuserai point pour dresser dans cette fête une idée autour de laquelle se livrent et se livreront encore dâpres combats. Mais comment métait-il possible de parler devant cette jeunesse qui est lavenir, sans laisser échapper ma pensée davenir Je vous aurais offensés par trop de prudence ; car quel que soit votre sentiment sur le fond des choses, vous êtes tous des esprits trop libres pour me faire grief davoir affirmé ici cette haute espérance socialiste, qui est la lumière de ma vie. Je veux seulement dire deux choses, parce quelles touchent non au fond du problème, mais à la méthode de lesprit et à la conduite de la pensée. Dabord, envers une idée audacieuse qui doit ébranler tant dintérêts et tant dhabitudes et qui prétend renouveler le fond même de la vie, vous avez le droit dêtre exigeants. Vous avez le droit de lui demander de faire ses preuves, cest-à-dire détablir avec précision comment elle se rattache à toute lévolution politique et sociale, et comment elle peut sy insérer. Vous avez le droit de lui demander par quelle série de formes juridiques et économiques elle assurera le passage de lordre existant à lordre nouveau. Vous avez le droit dexiger delle que les premières applications qui en peuvent être faites ajoutent à la vitalité économique et morale de la nation. Et il faut quelle prouve, en se montrant capable de défendre ce quil y a déjà de noble et de bon dans le patrimoine humain, quelle ne vient pas le gaspiller, mais lagrandir. Elle aurait bien peu de foi en elle-même si elle nacceptait pas ces conditions. En revanche, vous, vous lui devez de létudier dun esprit libre, qui ne se laisse troubler par aucun intérêt de classe. Vous lui devez de ne pas lui opposer ces railleries frivoles, ces affolements aveugles ou prémédités et ce parti pris de négation ironique ou brutale que si souvent, depuis, un siècle même, les sages opposèrent à la République, maintenant acceptée de tous, au moins en sa forme. Et si vous êtes tentés de dire encore quil ne faut pas sattarder à examiner ou à discuter des songes, regardez en un de vos faubourgs. Que de railleries, que de prophéties sinistres sur loeuvre qui est là ! Que de lugubres pronostics opposés aux ouvriers qui prétendaient se diriger eux-mêmes, essayer dans une grande industrie la forme de la propriété collective et la vertu de la libre discipline. Loeuvre a duré pourtant ; elle a grandi : elle permet dentrevoir ce que peut donner la coopération collectiviste. Humble bourgeon à coup sûr mais qui atteste le travail de la sève, la lente montée des idées nouvelles la puissance de transformation de la vie. Rien nest plus menteur que le vieil adage pessimiste et réactionnaire de lEcclésiaste désabusé : II ny a rien de nouveau sous le soleil. Le soleil lui, même a été jadis une nouveauté, et la terre fut une nouveauté, et lhomme fut une nouveauté. Lhistoire humaine nest quun effort incessant dinvention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création. Cest donc dun esprit libre aussi, que vous accueillerez cette autre grande nouveauté qui sannonce par des symptôme multipliés : la paix durable entre les nations, la paix définitive. Il ne sagit point de déshonorer la guerre dans le passé. Elle a été une partie de la grande action humaine, et lhomme la ennoblie par la pensée et le courage, par lhéroïsme exalté, par le magnanime mépris de la mort. Elle a été sans doute et longtemps, dans le chaos de lhumanité désordonnée et saturée dinstincts brutaux, le seul moyen de résoudre les conflits ; elle a été aussi la dure force qui, en mettant aux prises les tribus, les peuples, les races, a mêlé les éléments humains et préparé les groupements vastes. Mais un jour vient, et tout nous signifie quil est proche, où lhumanité est assez organisée, assez maîtresse delle-même pour pouvoir résoudre par la raison, la négociation et le droit les conflits de ses groupements et de ses forces. Et la guerre, détestable et grande tant quelle était nécessaire, est atroce et scélérate quand elle commence à paraître inutile. Je ne vous propose pas un rêve idyllique et vain. Trop longtemps les idées de paix et dunité humaines nont été quune haute clarté illusoire qui éclairait ironiquement les tueries continuées. Vous souvenez-vous de ladmirable tableau que nous a laissé Virgile de la chute de Troie ? Cest la nuit : la cité surprise est envahie par le fer et le feu, par le meurtre, lincendie et le désespoir. Le palais de Priam est forcé et les portes abattues laissent apparaître la longue suite des appartements et des galeries. De chambre en chambre, les torches et les glaives poursuivent les vaincus ; enfants, femmes, vieillards se réfugient en vain auprés de lautel domestique que le laurier sacré ne protège plus contre la mort et contre 1outrage, le sang coule à flots, et toutes les bouches crient de terreur, de douleur, dinsulte et de haine. Mais par dessus la demeure bouleversée et hurlante, les cours intérieures, les toits effondrés laissent apercevoir le grand ciel serein et paisible, et toute la clameur humaine de violence et dagonie monte vers les étoiles dor : Ferit aurea sidera clamor. De même, depuis vingt siècles, et de période en période, toutes les fois quune étoile dunité et de paix sest levée sur les hommes, la terre déchirée et sombre a répondu par des clameurs de guerre. Cétait dabord 1astre impérieux de Rome conquérante qui croyait avoir absorbé tous le conflits dans le rayonnement universel de sa force. Lempire seffondre sous le choc des barbares, et un effroyable tumulte répond à la prétention superbe de la paix romaine. Puis ce fut létoile chrétienne qui enveloppa la terre dune lueur de tendresse et dune promesse de paix. Mais atténuée et douce aux horizons galiléens, elle se leva dominatrice et âpre sur lEurope féodale. La prétention de la papauté à apaiser le monde sous sa loi et au nom de 1unité catholique ne fit quajouter aux troubles et aux conflits de lhumanité misérable. Les convulsions et les meurtres des nations du moyen age, les chocs sanglants des nations modernes, furent la dérisoire réplique à la grande promesse de paix chrétienne. La Révolution à son tour lève un haut signal de paix universelle par 1universelle liberté. Et voilà que de la lutte même de la Révolution contre les forces du vieux monde, se développent des guerre formidables. Quoi donc ? La paix nous fuira-t-elle toujours ? Et la clameur des hommes, toujours forcenés et toujours déçus, continuera-t-elle à monter vers les étoiles dor, des capitales modernes incendiées par les obus, comme de lantique palais de Priam incendié par les torches Non ! non ! et malgré les conseils de prudence que nous donnent ces grandioses déceptions, jose dire, avec des millions dhommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves travaillent : la démocratie, la science méthodique, luniversel prolétariat solidaire. La guerre devient plus difficile, parce quavec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, déchanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois daggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif. Enfin, le commun idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à livresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. Oui, comme lhistoire a donné le dernier mot à la République si souvent bafouée et piétinée, elle donnera le dernier mot à la paix, si souvent raillée par les hommes et les choses, si souvent piétinée par la fureur des événements et des passions. Je ne vous dis pas : cest une certitude toute faite. Il ny a pas de certitude toute faite en histoire. Je sais combien sont nombreux encore aux jointures des nations les points malades doù peut naître soudain une passagère inflammation générale. Mais je sais aussi quil y a vers la paix des tendances si fortes, si profondes, si essentielles, quil dépend de vous, par une volonté consciente délibérée, infatigable, de systématiser ces tendances et de réaliser enfin le paradoxe de la grande paix humaine, comme vos pères ont réalisé le paradoxe de la grande liberté républicaine. Oeuvre difficile, mais non plus oeuvre impossible. Apaisement des préjugés et des haines, alliances et fédérations toujours plus vastes, conventions internationales dordre économique et social, arbitrage international et désarmement simultané, union des hommes dans le travail et dans la lumière : ce sera, jeunes gens, le plus haut effort et la plus haute gloire de la génération qui se lève. Non, je ne vous propose pas un rêve décevant ; je ne vous propose pas non plus un rêve affaiblissant. Que nul de vous ne croie que dans la période encore difficile et incertaine qui précédera laccord définitif des nations, nous voulons remettre au hasard de nos espérances la moindre parcelle de la sécurité, de la dignité, de la fierté de la France. Contre toute menace et toute humiliation, il faudrait la défendre ; elle est deux fois sacrée pour nous, parce quelle est la France, et parce quelle est humaine. Même laccord des nations dans la paix définitive neffacera pas les patries, qui garderont leur profonde originalité historique, leur fonction propre dans loeuvre commune de 1humanité réconciliée. Et si nous ne voulons pas attendre, pour fermer le livre de la guerre, que la force ait redressé toutes les iniquités commises par la force, si nous ne concevons pas les réparations comme des revanches, nous savons bien que lEurope, pénétrée enfin de la vertu de la démocratie et de lesprit de paix, saura trouver les formules de conciliation qui libéreront tous les vaincus des servitudes et des douleur qui sattachent à la conquête. Mais dabord, mais avant tout, il faut rompre le cercle de fatalité, le cercle de fer, le cercle de haine où les revendications mêmes justes provoquent des représailles qui se flattent de lêtre, où la guerre tourne après la guerre en un mouvement sans issue et sans fin où le droit et la violence, sous la même livrée sanglante, ne se discerneront presque plus 1un de lautre, et où lhumanité déchirée pleure de la victoire de la justice presque autant que sa défaite. Surtout, quon ne nous accuse point dabaisser, ou dénerver les courages. Lhumanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourdhui, ce nest pas de maintenir sur le monde la nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante dont on peut toujours se flatter quelle éclatera sur dautres. Le courage, ce nest pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est lexaltation de 1homme, et ceci en est 1abdication. La courage pour vous tous, courage de toutes les heures, cest de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie. Le courage, cest de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; cest de garder dans les lassitudes inévitables lhabitude du travail et de laction. Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, cest de choisir un métier et de le bien faire, quel quil soit : cest de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; cest de devenir, autant quon le peut, un technicien accompli ; cest daccepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de laction utile, et cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendue. Le courage, cest dêtre tout ensemble et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. Le courage, cest de comprendre sa propre vie, de la préciser, de lapprofondir, de létablir et de la coordonner cependant à la vie générale. Le courage, cest de surveiller exactement sa machine à filer ou tisser, pour quaucun fil ne se casse, et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés. Le courage, cest daccepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à lart, daccueillir, dexplorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant déclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de lorganiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes. Le courage, cest de dominer ses propres fautes, den souffrir, mais de nen pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, cest daimer la vie et de regarder la mort dun regard tranquille ; cest daller à lidéal et de comprendre le réel ; cest dagir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort lunivers profond, ni sil lui réserve une récompense. Le courage, cest de chercher la vérité et de la dire ; cest de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. Ah ! vraiment, comme notre conception de la vie est pauvre, comme notre science de vivre est courte, si nous croyons que, la guerre abolie, les occasions manqueront aux hommes dexercer et déprouver leur courage, et quil faut prolonger les roulements de tambours qui dans les lycées du premier Empire faisaient sauter les coeurs ! Ils sonnaient alors un son héroïque ; dans notre vingtième siècle, ils sonneraient creux. Et vous, jeunes gens, vous voulez que votre vie soit vivante, sincère et pleine. Cest pourquoi je vous ai dit, comme à des hommes, quelques-unes des choses que je portais en moi. Rechercher sur ce site | Plan du site | Webmestre Co
Posted on: Sat, 19 Oct 2013 16:03:23 +0000

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