Paris nexiste pas de Robert Benayoun : C’est un film - TopicsExpress



          

Paris nexiste pas de Robert Benayoun : C’est un film étrange que ce Paris n’existe pas réédité par les éditions XIII Bis Music, ce premier des deux long-métrages réalisé par le célèbre critique de cinéma Robert Benayoun, fervent contempteur de Godard se réclamant du surréalisme. Un drôle d’objet pop, de et pour collectionneur, assorti d’un modeste essai d’imagination, tourné peu après les évènements de mai 1968 et sorti à la belle période de Gainsbourg (qui en compose la musique). Ce n’est pas un hasard si la promotion du film est axée sur la figure de Gainsbourg, dont le tournage est synchrone avec sa rencontre avec Jane Birkin (Gilles Verlant, son biographe, l’explique dans un bonus) : bien qu’il n’interprète qu’un rôle très secondaire, l’ami du personnage principal, il en ressort absolument fascinant de grâce, un rien baroque dans ses chemises à jabots, un fume-cigarettes ponctuant irrégulièrement sa parole. Trouble présence, qui éclaire un film quelque peu désincarné et désaffecté, dont la proposition de départ avait pourtant de quoi séduire. L’intrigue démarre en 1968, avec une grappe de scénettes où les mentions du temps sont (dé)montrées comme ambiguës : « je le veux pour hier soir » dit par exemple un directeur de journal. Cette entrée en matière thématique, entrecoupée de vignettes pop de bandes dessinées, est suivie de peu par une fête en huis-clos de 24h, où le rapport au temps s’est dilué. Y assistent Simon (Richard Leduc, interrogé dans un bonus), un jeune et beau peintre en crise d’inspiration et son amie mannequin Angéla, ainsi que leur ami Laurent (Serge Gainsbourg), la discussion portant sur l’avenir de l’art. En partant, Simon goûte une drogue dont les effets psychotropes se développeront les jours suivants : dans le bel appartement 1930 à la décoration design qu’il partage avec Angéla, il commence à apercevoir différents mouvements du temps passé et futur. Mouvements qui s’exercent d’abord sur des objets, puis sur des situations toutes entières : des vases changent de place, le décor de l’appartement revient quarante ans en arrière, il en aperçoit l’ancienne locataire dans son train-train quotidien, ou, à l’inverse, le vase que va casser maladroitement Angéla, un coup de téléphone qu’elle est en passe de recevoir… Peu à peu, les effets se font de plus en plus prégnants et Simon se perd dans ses contemplations, inquiétant ses amis, pour finalement perdre peu à peu ses facultés extrasensorielles. Construit à l’extrême, on sent à quel point le film est soigné, chaque couleur, vêtement, bibelot, choisis avec soin. Une pratique d’esthète, de décorateur méticuleux. Le film respire le propre, et fonctionne selon une pure logique de collectionneur (conserver, classer, exposer) : amateur d’illustrés et de cinéma d’animation, Benayoun travaille la surface et la façade. Le temps est pour Benayoun une toile de fond, un motif, une forme décorative, il n’a pas de prise sur les corps ou sur la perception. Le temps est offert au regard comme un pur document, surface résiduelle sur laquelle se posent de simples signes historiques. Le huis clos de l’appartement, assumé pendant la plus grande partie du film, au lieu de « s’ouvrir » à d’autres temporalités, semble se replier sur lui-même dans sa logique de mise en abyme : quelques objets bougent gentiment, puis l’on découvre, au lieu d’un labyrinthe temporel troué de possibles, un seul autre décor, aux beaux meubles art-déco, et une jolie jeune femme (manifestement célibataire) s’y promenant gracieusement. Pas d’interaction de Simon avec elle, rien d’autre qu’une observation muette, pas vraiment passionnée, non plus que véritablement curieuse. Alors qu’un an auparavant Resnais cisaillait Je t’aime, je t’aime de coupes temporelles, Benayoun n’utilise pas ou presque [1] les puissances du montage. Comme s’il suffisait de juxtaposer deux plans dont l’environnement diffère pour donner une « image » du temps. Pascal Kané s’en étonne dans l’article qu’il consacre au film [2] : « S’attaquant en toute innocence au problème de l’espace/temps au cinéma, c’est-à-dire à la question fondamentale que toute cinématographie moderne se doit de poser, ou plutôt de reposer aujourd’hui, Benayoun réussit le tour de force d’éluder d’emblée la véritable problématique que cela implique, à savoir le passage d’un espace/temps réel à un espace temps filmique. Deux raisons à cela : – la méconnaissance des problèmes théoriques posés par le montage ; – l’emploi totalement “innocent” des procédés cinématographiques du cinéma classique (caméra subjective, changement d’époque…). » Il conclut : « Peut-être comprendra-t-on maintenant qu’il ne suffit pas de modifier l’ameublement d’une pièce pour que, magiquement, les lois de l’espace/temps réel se trouvent perverties. » L’« innocence » de Benayoun, comme le dit Kané, (et on sent de sa part aussi un reproche politique, le film excluant volontairement tout l’état d’esprit révolutionnaire de Mai), offre au film le charme de la candeur, celle d’une bonne volonté manifeste, aux fins finalement modestes : on y voit les personnages dans un pur quotidien bourgeois (dont par ailleurs, la décoration n’est pas sans faire penser aux documents publicitaires de la Société du spectacle de Debord) dans lequel finalement, aucune sublimation n’est possible. Le voyage temporel de Simon est assez pauvre, rétréci à l’échelle du décor, d’une carte postale à taille humaine. Voir Paris n’existe pas aujourd’hui tient quelque peu de la mise en abyme amusante. Si Simon ne parvient à revenir plus de quarante ans en arrière dans le temps, le film a en 2013 lui-même cet âge : c’est donc quatre-vingt ans qu’on peut reparcourir en image. Du coup, le soin porté au décor actuel du film évoque presque, ironiquement, une parfaite reconstitution des années 1970, comme si Benayoun avait eu la conscience de documenter et exposer son présent avec le même soin que pour le passé, mettant sa « modernité » et la « désuétude » sur un pied d’égalité. Cette sorte de muséification instantanée, qui a tendance à réifier aussi les corps, intéresse aujourd’hui, mais touche peu. Paradoxalement, seul Gainsbourg, unique star (et donc d’autant plus sujet à la pétrification mythique !), se révèle moins lisse et « conforme » que les autres acteurs (qui ne sont pas mauvais, mais un peu incolores). Il réussit, aussi par sa place décalée dans l’intrigue, à gagner quelque chose qui ne se gage pas : du mouvement, et donc une forme d’émotion qui ne serait pas esthétique, mais humaine. - de Pierre Eugène
Posted on: Wed, 20 Nov 2013 14:52:08 +0000

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