« Quelle chance tu as d’habiter à Paris ! » , suivi d’un - TopicsExpress



          

« Quelle chance tu as d’habiter à Paris ! » , suivi d’un soupir et des yeux qui se mettent à briller …. C’est ce que j’entends souvent en province ou à l’étranger… Laissez-moi partager avec vous les deux premières heures de cette journée phénoménale, pas tellement différente des autres jours par ailleurs, pour vous illustrer cette chance inouïe, ce privilège digne des plus grands Seigneurs et cités du Moyen Age que celui d’habiter en région Parisienne. Tiens, justement, parlons-en du Moyen Age…. Départ de chez moi à 7h30 (Sèvres –Ville d’Avray) pour arriver à Levallois à 9h pour une visite des nouveaux locaux de mon entreprise. Un trajet qui devrait me prendre 45 minutes en cas de scénario catastrophe n’enviant rien à l’Apocalypse. Comme d’habitude, le premier train visé peu avant 8h est supprimé, le prochain train partira à 8h10, mais voilà qu’une voix déjà bien familière nous annonce, que suite à un incident il y aura des retards, et des suppressions de train(s). Oui mais voilà, c’est la même annonce qui passe tous les matins depuis des mois (certes, avec quelques variantes , du style : feuilles sur les voies, incident de voyageur, problème d’adhérence aux rails, incident technique, problème technique, problème électrique, incendie, voyageurs sur les voies et bientôt le fantôme du naufrage du Titanic ). 8h10 : rien, comme d’habitude (Claude François devait déjà emprunter la ligne « L » à l’époque, c’est ce qui l’a inspiré !) 8h13 : voilà un train. Bondé, tellement bondé, que la détresse est visible sur les visages des voyageurs, et qu’une buée épaisse s’est accrochée sur les vitres, avec dedans les empreintes de centaines de personnes en pleine agonie. Pas d’autre train annoncé, je tente le tout pour le tout – et involontairement aidé par une personne qui s’élance avec un sac à dos… dans mon dos , je me retrouve malgré moi à l’intérieur, dans une posture complètement déformée qui aurait fait de l’effet au Moyen-Age, au beau milieu d’un dispensaire accueillant des victimes de la peste et/ou de la lèpre. Des minutes interminables, la sueur s’empare de tous, voilà les soubresauts du train qui se met en route, et qui font bouger bien involontairement des colonnes entières de voyageurs, qui ne peuvent ni se tenir, ni s’attaquer aux lois de la pesanteur. Arrivée à St Cloud – le train est tellement bondé, que les personnes qui souhaitent descendre, n’ont plus qu’à espérer que les personnes proches des portes en fassent de même. Sinon, c’est le purgatoire et un aller simple vers la Défense. Dante devait, lui aussi, déjà emprunter cette ligne. St Cloud étant à la croisée de plusieurs lignes, nous récupérons d’autant plus de voyageurs, déjà exaspérés, déjà déformés par un autre trajet, des images des réfugiés de Lampedusa me viennent à l’esprit. « Je me lève, et je te bouscule… » Encore CloClo – sauf qu’il n’y a aucune chance d’être assis dans ce train, qui passe invariablement de l’allure d’un escargot en fin de vie à la vitesse digne du train de la mine (Copyright Disney). La situation dégénère, le ton monte, les premières insultes fusent, des coups plus ou moins involontaires commencent à tomber. Toutes les fragrances corporelles se mélangent entre elles, et l’on sait que la chimie peut parfois provoquer des ravages . L’odeur est tellement forte que l’on passe de la phase olfactive à la phase gustative. Un gout nauséabond s’empare de mes papilles. Jérôme Bosch en 1515, quand il a réalisé le « Portement de Croix » devait, lui aussi déjà emprunter cette ligne. D’ailleurs, le matériel (train, banquettes…) est authentique, d’origine et d’époque. La Défense : le train se vide à moitié, et absorbe de nouvelles colonnes de bagnards, de forçats du trajet quotidien, le visage marqué par un ras-le-bol intense , n’ayant pas d’alternative(s) Comme d’habitude… D’autres insultes fusent, la langue française, souvent argotique fait frémir en ce froid matin. Pas besoin de parfaitement maîtriser l’argot pour comprendre les messages. Nous sommes tellement compressés, que si une personne vidait mes poches (encore faudrait-il qu’il ou elle ait la place pour le faire) , je rentrerai bredouille car dans l’impossibilité de bouger le moindre petit doigt. De mes 1m93 j’ai une vue imprenable sur toutes les maladies du cuir chevelu, et je profite pleinement de toutes les émanations et flux humains possibles (mais que je croyais impossibles). Un nez qui coule à robinets ouverts vient stopper sa course dans la capuche de la personne collée au visage de la personne devant moi. Mon voisin de gauche (ou voisine ?) vient de se débarrasserde quelque chose le long de ma jambe . In nomine patris et filii et spiritus sancti , faites que je ne sache jamais …. Saint Lazare, 8H47 soit 1H17 après avoir claqué la porte de chez moi , je quitte le train en me laissant porter par la vague, en espérant que les courants m’emmèneront à proximité de la ligne 3 du métro que je dois récupérer. Un spectacle désolant m’attend : la colonne humaine est brusquement stoppée…. Il faut faire la queue pour accéder au couloir qui lui-même nous mènera vers l’escalier qui débouchera sur le quai du métro. Vercingetorix renait en moi , mais je ne reprends que la partie la moins glorieuse de sa carrière : comme jadis devant César, je jette mon épée, mon casque et mon bouclier. Il ne sert plus à rien de se battre, tout ne serait que mener des innocents au massacre. Et je pourrais en être l’instigateur. Je jette un dernier regard sur ce champs de bataille qui ne rentrera pas dans l’histoire, et décide de retourner à la Défense, où se situe le siège de ma société actuellement. Le premier train ayant cette destination est supprimé, le deuxième, lui, sera retardé comme me l’apprend une voix qui me rappelle quelque chose. Comme un condamné, qui s’avance sur le bûcher, alors que les premières flammes crépitent déjà, je m’installe à bord du troisième train. Il partira, et j’arriverai à destination, deux heures après mon départ. Mon regard est vide, mon désespoir ravageur , mon amertume immense. Je pense au trajet que je vais faire en sens inverse, ce soir. Quelle chance j’ai d’habiter à Paris, en effet . upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/16/Hieronymus_Bosch_056.jpg
Posted on: Thu, 28 Nov 2013 10:13:26 +0000

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