https://youtube/watch?v=enEVv02f6bo Ça se passait dans une salle - TopicsExpress



          

https://youtube/watch?v=enEVv02f6bo Ça se passait dans une salle du 104, il y a quelques jours. Un chef anglais, étiqueté « musique ancienne » nous faisait répéter « Le Barbier de Séville » de Rossini. Dans la strette du Finale de l’Acte I, il arrête soudain l’orchestre, et demande à isoler la trompette, le cor, la clarinette et la petite flûte (1’30’57, sur la video) : et là, c’est le miracle. Oui, bien sûr, en argot de compositeur, ou d’organiste, on appelle cela « planter des clous »… Sauf que… en quelques secondes, nous avons tous eu le choc de nous retrouver plongés dans l’univers de John Adams : la surprise était telle que les musiciens de l’orchestre eux-mêmes se regardaient, étonnés, amusés. La démonstration obtenue, sans autre commentaire qu’un sourire amusé, Roger Norrington poursuivait son exploration. La brèche est ouverte… Combien de critiques, de professeurs, et de compositeurs, ont exprimé leur mépris à l’égard du compositeur de Pesaro ? Il n’avait aucune technique, en matière de contrepoint, une harmonie incertaine, des principes d’orchestration ou de développements absolument primaires, et n’avait aucun sens de la forme… Berlioz et Wagner, mais encore Debussy, Tchaikovsky (le Ciel leur pardonne !) ont ainsi laissé des pages peu amènes sur Rossini… Mais, comme bien souvent, ils se sont laissé prendre au piège par l’apparence agréable, ludique, de sa musique. Et, comme bien souvent aussi, ils n’ont pas vu, ni analysé, les particularités qui en faisait un OVNI dans le monde de l’opéra, et lui ont donné une postérité qui va bien au-delà des Donizetti, Bellini, et du Verdi du « Trouvère »… Deux traits pourraient sans doute résumer l’impact de cette musique sur l’auditeur qui la découvre pour la première fois : tout d’abord, la qualité lumineuse, joyeuse, et constamment suractive qu’elle dégage, et ensuite, l’incroyable difficulté vocale, qui exige d’incroyables prouesses techniques de toutes les voix. Bien souvent, cette virtuosité vocale, caractérisée par les coloratures et le sillabato, donnent l’impression d’une musique gratuite, faite pour mettre en valeur des phénomènes hors du commun des mortels : on pense souvent que cette musique fleurie, ornée, qui semble très éloignée du langage parlé, n’est qu’abstraite… Quant au « sillabato » des rôles bouffes, il semble n’être qu’un effet comique, toujours le même, chargé, voire surchargé, un peu l’équivalent des mimiques d’un Louis de Funès, au cinéma. En général, on lui reproche… précisément ce pourquoi le public l’aime : la grâce inouïe de ses mélodies, la manière d’organiser ses numéros comme de grands crescendos gagnant toujours en intensité, et allant toujours vers une plus grande joie de vivre… même dans ses opéras sérieux, où on lui reproche de ne pas changer plus significativement de langage. On invoque souvent l’incroyable tintamarre de l’Ouverture de « Guillaume Tell »… d’ailleurs utilisé de façon particulièrement drôle par Kubrick, dans « Orange mécanique ». Les musiciens professionnels, les doctes, les savants, lui reprochent la monotonie de son écriture, l’uniformité de ses moyens… ce qui n’est pas sans contredire l’autre reproche qu’on lui fait aussi, de ne pas se conformer suffisamment aux règles formelles et techniques… En somme, on lui reproche son originalité, la séduction de sa musique, et… le fait qu’elle soit plus… jolie que belle ! Et beaucoup de gens en restent là, avec Rossini. Il est d’ailleurs des pays où on ne l’enseigne pas, dans les Conservatoires : on considère que c’est… de la sous musique, ou que ce n’est même pas de l’art. D’éminents professionnels l’ignorent. Un Nikolaus Harnoncourt aurait ainsi expliqué qu’il ne l’abordait pas… parce qu’il considérait que ce n’était pas de la musique ! Et pourtant… L’analyse de ses partitions, doublée du travail en orchestre, révèle combien cette écriture est stupéfiante, par son efficacité, et par la qualité de sa facture. Pour un chef d’orchestre, par exemple, chercher le « son juste » de l’orchestre de Rossini relève de savants et délicats dosages : pourtant, tout paraît simple, et transparent, sur la partition, à la table… mais il faut savoir lire entre les lignes. Le secret est ailleurs… et c’est là le miracle. Il faut avoir eu la chance de voir Teresa Berganza faire travailler un rôle comme l’Isabella de « L’Italienne à Alger » pour découvrir qu’à aucun moment les ornements, les phrasés, les accents, tout comme les vocalises, ne sont déconnectés… de la situation théâtrale, et du sens dramatique. La grande Berganza, en effet, se tourne vers différents interlocuteurs, adapte chaque phrase, selon une intention ciblée, son visage, son regard, changent à chaque accent, à chaque ornement : tout est langage, tout est expression, tout est « contact » dirigé vers l’autre… et l’effet devient proprement magique, lorsque l’interprétation débouche sur cette mobilité. A partir du moment où ce principe est acquis… la porte est ouverte. Les grands chanteurs « bouffe » soulignent combien les conventions du « sillabato » sont renouvelées, approfondies, par le compositeur de Pesaro, déployant, précisément, une complexité d’intentions, de couleurs vocales, de phrasés, qui expriment, subitement, l’adéquation géniale entre la musique et la capacité théâtrale du livret… qui devient aussi génial que la musique ! Stendhal, qui n’hésitait pas à affirmer le primat du « sensible » sur la beauté académique, et qui finissait par qualifier de « sublime » des œuvres que d’autres regardaient, avec distance, comme simplement originales, aimait passionnément Rossini. Il l’avait découvert en Italie, au cours des campagnes militaires napoléoniennes. Il a beaucoup écrit sur lui, et largement contribué à sa popularité, en France. Il a notamment répété qu’il n’avait jamais entendu de musique provoquant davantage une euphorisante de bonheur… La remarque demeure vraie aujourd’hui. Particulièrement lorsque les interprètes trouvent les paramètres justes, pour restituer la partition, on est très vite pris d’une sensation, littéralement physique, qui nous transporte, nous dépasse, et ouvre sur les visages du public un sourire de joie qu’on rencontrerait difficilement à l’écoute d’autres compositeurs… Si cela tient en partie à la qualité théâtrale, c’est aussi au génie avec lequel le compositeur construit ses scènes, les fait progresser, avec un système de tension croissante, qui débouche sur des feux d’artifice stupéfiants, d’où émergent des perles qui marquent profondément l’imaginaire… C’est sans doute pourquoi voir le « Barbier de Séville » donne l’étrange sentiment d’une intime familiarité avec cette musique : si vous l’avez entendue une fois… en fait, elle ne vous quittera plus jamais, et sommeillera, au fond de vous, comme un veilleur, qui se relèvera, à chaque fois, au signe donné. Les ensembles, les finales, sont peut-être, plus encore que les ouvertures et les airs, le sommet des opéras de Rossini. C’est là qu’on trouve les miracles les plus fous de son écriture, et des traits qui laissent l’auditeur confondu, entre le rire, et la sensation d’avoir assisté, parfois, à la manifestation artistique la plus incongrue, au pied de nez le plus audacieux… Il est des tournures mélodiques, dans certains ensembles de la « Cenerentola », qui provoquent précisément cette sensation… Et que dire du délirant finale de l’Acte I de « L’Italienne à Alger », dont l’écriture est comme un bilan dressé de ce qu’on peut faire avec des voix, en 1813, en intégrant les techniques de Clément Janequin… que Rossini ne connaissait peut-être pas, à ce moment ! https://youtube/watch?v=djmpIL5jwhI Les onomatopées sont particulièrement en relief, mais c’est surtout l’incroyable gestion… minimaliste, des rythmes, des figures musicales, du texte, qui laisse admiratif, par l’équilibre inouï obtenu entre tous les paramètres. Rien n’est laissé au hasard, dans un travail d’horlogerie inattendu chez un compositeur italien. On retrouverait ce sens de l’équilibre, de l’ajustement, de l’économie, dans l’ensemble de la « Cenerentola » démarrant en duo entre Ramiro et Dandini, et se transformant en quatuor… https://youtube/watch?v=C9xiPBqYlio On découvre, au détour, avec quel soin Rossini se montre capable de développer absolument toutes les composantes musicales qu’il met en œuvre… mais en faisant toujours du développement un évènement d’abord théâtral. Il faut ajouter des techniques très personnelles à Rossini, que ses contemporains n’ont pas identifiées… On lui reprochait son manque de maîtrise du contrepoint… Pourtant, il compte parmi les compositeurs qui ont ouvert une voie nouvelle dans ce domaine : en effet, bien souvent, dans les commentaires thématiques de l’orchestre, on retrouve, précisément, des expositions contrapuntiques, énoncées aux cordes et aux vents, successivement, mais pas développées comme telles. En fait… il s’agirait plutôt de contrepoint à une voix, dispersé sur différents pupitres… un peu comme le faisait Jean Sébastien Bach dans ses partitas pour instruments seuls, par nécessité : chez Rossini, cela fonctionne plutôt comme « illustration » théâtrale, et comme un moyen de développement. Le contrepoint est suggéré, mais il développe le matériel thématique, et peut aussi décliner le matériel tonal. Il se superpose alors à un autre procédé, presque imperceptible à l’auditeur, mais sidérant, lorsqu’on lit la partition : bien des ritournelles, ou des commentaires, à l’orchestre, expriment ce procédé. Il s’agit d’incursions tonales sans conséquences harmoniques assumées… qui peuvent parfois prendre l’aspect de déconstruction chromatique… et qui fonctionnent en réalité comme des tonalités « sous-entendues »… exactement au sens où on pourrait en parler chez Beethoven, Schubert, Liszt ou Wagner, dans les enharmonies. Chez Rossini, le procédé est étonnant, parce qu’il n’est pas le résultat d’un travail de fond sur le matériel musical, mais semble être un simple artifice… Pourtant, cela suffit à ouvrir des trouées dans son langage, et à créer le sentiment d’ambiguïté : on en trouvera une illustration, par exemple, dans l’Air de Don Profondo, du « Voyage à Reims » : https://youtube/watch?v=8alwf6R4WjM Tous ceux qui ont ironisé sur les qualités formelles et le métier de Rossini doivent se trouver bien chagrins du succès de ses Ouvertures. Un miracle de jeunesse comme celle de « La scala di seta » montre combien le compositeur sait, à la fois, organiser, structurer, son discours, et utiliser les moindres ressources de l’orchestre, de manière aussi efficace, expressive, qu’originale : https://youtube/watch?v=wNyFMgi6H4M Presque toutes les ouvertures de Rossini ont acquis une popularité suffisante pour franchir le répertoire de concert des orchestres. Stendhal lui-même soulignait combien Rossini s’était manifestement penché sur les partitions de Haydn et de Schubert, pour s’approprier certaines caractéristiques des symphonistes allemands. Le miracle demeure que tout est toujours ajusté à l’effet théâtral, et à l’efficacité de la situation de communication. Alors, si Rossini est moins académique que ne l’étaient Cherubini, Mercadante, ou Spontini, sans doute pouvons-nous profiter de son originalité, de son sens de la progression, de l’ajustement, et du théâtre (probablement un des plus grands maîtres du « suspens » en musique !), et goûter toutes les « joliesses » dont il illumine ses partitions : ne serait-ce pour la joie qu’il sait susciter chez les spectateurs, et pour la sensation d’étourdissement qu’il sait savamment orchestrer, il est au cœur de nos âmes, notre bien commun à tous… (Guerre du beau contre le joli, suite)
Posted on: Fri, 21 Jun 2013 22:17:21 +0000

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