ng Mbassi «Il faut que l’Afrique se réveille» Version - TopicsExpress



          

ng Mbassi «Il faut que l’Afrique se réveille» Version imprimable En ces temps de triomphe technocratique apolitique, l’on croyait que les convictions politiques étaient mortes. Elong Mbassi, SG du CGLUA, rassure que l’idéal qui vit en tout homme et qui constitue la toile de fond de ses convictions politiques ne doit pas mourir. En ces temps de triomphe technocratique apolitique, l’on croyait que les idéologies et les convictions politiques étaient mortes. Elong Mbassi qui nous a reçu dans son bureau de Rabat, au siège de Cglua (Cité et Gouvernement locaux unis d’Afrique) par une après midi pluvieuse du mercredi 31 octobre 2012, nous rassure tout de suite : l’idéal qui vit en tout homme et qui constitue la toile de fond de ses convictions politiques ne doit pas mourir. Les Etats Unis d’Amérique se sont forgés autour de l’American Dream. L’Afrique a elle aussi forgé son rêve dès 1963 avec le fameux «Africa must unite» de Kwame Nkrumah. Mais le rêve tarde à se réaliser et les jeunes générations africaines regardent souvent l’avenir avec inquiétude. Les Etats africains ont du mal à leur proposer une alternative mobilisatrice, alors même que l’Afrique est au centre de toutes les attentions de la part des pays développés et des pays émergents. Il n’y a pas de vents favorables pour qui ne sait où il va, disait Sénèque. Il est temps, après plusieurs décennies d’arrêt, de reprendre la construction de l’unité africaine en commençant, non pas par le toit, mais à la base, en impliquant les territoires locaux et les villes. Sans fondations solides, sans implication des populations à la base, l’Union africaine ne pourra pas prendre racine dans les sociétés et les communautés d’Afrique. Il faut éviter que le rêve d’une Afrique unie ne s’évanouisse et avec lui, l’espoir de voir l’Afrique et les Africains occuper leur juste place dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Il faut que la construction de l’Afrique redevienne la force mobilisatrice de la jeunesse africaine et lui donne sens et espoir. Cinquante ans après les indépendances réveiller ce rêve est une ardente obligation. Dixit Elong Mbassi secrétaire général du CGLUA. Interview. Les Afriques : Comment évoluent les villes et les territoires dans le paysage politique africain ? Jean Pierre Elong Mbassi : Je dirai que les lignes bougent, même si ce n’est pas aussi vite qu’on l’aurait souhaité. Les Africains doivent se persuader que la construction de l’Afrique est de leur responsabilité. C’est un problème de fond. Le professeur Joseph Ki Zerbo disait : «On ne dort jamais profondément sur la natte de quelqu’un d’autre». Il faut que l’Afrique se réveille. Cinquante ans après l’indépendance, l’exhorte de Kwamé Nkrumah est plus que jamais d’actualité : «Africa must unite». L’Asie s’est réveillée, l’Amérique Latine s’est réveillée. Quant à nous, nous en sommes encore dans la proclamation. L’unité africaine est une exigence fondamentale pour le futur de ce continent dans le monde de demain. C’est la raison pour laquelle, à Dakar, du 4 au 8 décembre 2012, le Sommet Africités a retenu comme thème de débat «Construire l’Afrique à partir de ses territoires». Nous avons hérité d’une situation qui nous a été imposée, avec des frontières héritées de la colonisation qui ont procédé au dépeçage du continent à Berlin en 1885. LA : Faudrait-il remettre en cause les frontières coloniales ? J.P.E.M. : Non, ce n’est pas mon propos. Ce ne sont pas les frontières héritées de la colonisation qui posent problème, c’est ce que nous en avons fait. Quand les pères-fondateurs ont proclamé l’inviolabilité des frontières héritées de la colonisation et l’ont consacrée dans la Charte de l’ex-Organisation de l’Unité africaine et de l’actuelle Union Africaine, c’était pour éviter de rouvrir une page douloureuse de l’histoire du continent et qui l’aurait sinon entraîner dans des conflits incessants. C’était donc sage de leur part. Par contre ce qu’on a fait de ces frontières plus tard est questionnable. Thomas Sankara disait que chaque matin les populations africaines s’efforcent d’abattre les barrières des frontières entre Etats héritées de la colonisation que les Etats postcoloniaux s’efforcent de rebâtir chaque soir. Au point que les frontières entre Etats africains comptent parmi les plus rigides au monde. Et l’exercice de division des territoires de l’Afrique que nous reprochons aux colons semble repartir de plus belle alors même que les colons ne sont plus là. Quand les populations Touaregs du Nord Mali disent aujourd’hui réclament leur Etat, c’est un problème à analyser non pas seulement dans le seul contexte politique malien, mais de manière plus générale pour l’ensemble de l’Afrique. Il nous faut une nouvelle approche de l’Etat africain et des rapports entre les dirigeants et les citoyens. Il nous faut aussi une nouvelle définition du concept de frontière. Ces délimitations doivent fonctionner comme des souvenirs, des traces de l’histoire et non comme obstacles à la circulation et à l’épanouissement des peuples. Entre la France et l’Allemagne, il y a eu 20 millions de morts. Pourtant ces deux Etats puissants, dont la construction remonte au moyen âge, ont pu effacer leurs frontières et renoncer à une bonne partie de leur souveraineté au profit de l’Union Européenne. Pourquoi nos Etats africains qui n’ont pas entre eux un passif aussi lourd en vies humaines perdues et qui ont tout juste cinquante ans d’existence ne pourraient pas le faire ? Les Africains doivent répondre à cette question. LA : Pourquoi l’Afrique est-elle toujours aussi fragmentée, et est-ce qu’elle est condamnée à l’être définitivement ? J.P.E.M. : Les adeptes de la théorie du complot disent que tout est fait pour que l’Afrique reste fragmentée. Pour eux, un exemple illustratif de cela est donné par la persistance de la division des pays africains, selon la langue officielle héritée de la colonisation, division délibérément entretenue par l’affiliation de ces Etats dans les organisations de solidarité liées à la langue de l’ancienne puissance coloniale. Cette division serait sciemment entretenue pour empêcher qu’une Afrique unie ne pèse sur les affaires du monde. Le maintien de la myriade de petits Etats africains qui n’ont pas la taille critique nécessaire pour influer de manière significative sur le cours des affaires au niveau international, et leur crispation sur leur souveraineté nationale toute relative souvent encouragée en sous main par les Etats puissants des autres régions du monde participeraient de cette volonté délibérée de fragmentation. Mais je ne suis pas un adepte de la théorie du complot. Si tant est que les divisions au sein de l’Afrique sont suscitées et entretenues par des puissances extérieures, rien n’interdit aux Africains d’être intelligents et de s’opposer aux démons de la division la force de l’unité. Si cela a du mal à se faire c’est que le problème est plus profond et qu’il est en nous-mêmes. Nos Etats sont la traduction de ce mal profond. Ils sont en effet nés à la suite d’un quiproquo. Alors que la colonisation avait mis en place les territoires coloniaux essentiellement aux fins d’exploitation au bénéfice de la métropole, sans jamais consulter les populations locales sur leur vivre ensemble et sur le sens du développement qui leur convient, au moment des indépendances les nouveaux maîtres des lieux qui ont remplacé les colons n’ont pas plus consulté les populations sur le vivre ensemble, ni réellement interrogé la logique coloniale qui avait présidé au découpage territorial ayant donné naissance à ces Etats. En d’autres termes à l’indépendance, des élites locales ont remplacé les colons et la même logique s’est poursuivie. Le nouvel Etat postcolonial a priorisé la construction de l’Etat-Nation en forgeant le mythe de l’unité nationale sur la négation de la diversité des communautés, pour, disait- on, ne pas exacerber le tribalisme et les tentations centrifuges. C’est à cette époque qu’a fleurie l’idéologie du Parti unique dans l’objectif d’homogénéiser à toute force l’ensemble du pays, rejetant toute demande de reconnaissance de la diversité comme une déviance condamnable. Cette négation de la diversité des contextes locaux au nom de l’unité nationale a eu des effets dommageables car la plupart des Etats ne se sont pas préoccupés de s’outiller pour pouvoir mieux conjuguer la nécessaire unité de la Nation avec le respect de la diversité des populations et des contextes locaux. C’est la raison pour laquelle pour la majorité des populations l’Etat a été vécu comme une pièce rapportée et extérieure aux sociétés locales. Et ce qu’on n’a pas pu faire au niveau des Etats n’a pas pu se faire non plus au niveau de l’ensemble du continent. Pour prendre une image, au niveau du continent, nous avons démarré le chantier de la maison Afrique en commençant par le toit. C’est la raison pour laquelle cette construction est si fragile. Pour que la maison Afrique soit solide il lui faut des fondations solidement enracinées dans le sol. Il faut revenir à la base, et partir de là pour consolider l’édifice. C’est tout le sens du thème du Sommet de Dakar : construire l’Afrique à partir de ses territoires. Faut-il rappeler par exemple que la plupart des Etats européens sont nés à partir des territoires et des paroisses. Les collectivités locales et les communes ont joué un rôle moteur dans l’apparition de ces Etats. Partir des territoires ne signifie donc pas remettre en cause les Etats, mais leur donner une meilleure assise, leur donner de meilleures fondations, et les enraciner dans les sociétés. C’est en ce sens que lors du Sommet Africités 2012, Dakar sera en effet «Le rendez- vous de l’Afrique des peuples». LA : La construction de l’unité africaine à travers les ensembles régionaux n’est-elle pas une alternative plus réaliste ? J.P.E.M. : L’actualité politique récente de l’Afrique nous montre le contraire. Quand les blocs sont sédimentés, ils peuvent devenir des obstacles à l’unité. La SADC (Communauté des Etats de l’Afrique Australe) se comporte aujourd’hui comme si elle n’avait rien à voir avec les autres régions constitutives de l’Union africaine. La constitution des blocs ne s’est pas traduite par une augmentation du commerce intra-africain. Celui-ci n’atteint même pas 15% des échanges de la région. En Europe les échanges internes aux pays appartenant à l’Union européenne sont supérieurs à 70%. Si nous persistons dans cette logique, nous allons droit au mur car le monde de demain est celui de grands ensembles régionaux. Si des pays aussi puissants que l’Allemagne, la France ou le Royaume Uni l’ont compris et accepté de créer un ensemble intégré plus vaste et donc mieux capable de faire face aux chocs de la compétition mondiale, si le pays le plus puissant du monde a lui-même travaillé à la création de NAFTA le grand ensemble de l’Amérique du Nord, si les pays d’Amérique latine mettent en place un ensemble puissant avec le Mercosur, l’Afrique a-t-elle réellement le choix que d’aller vers une intégration la plus poussée possible au niveau de l’ensemble du continent ? LA : Que représente aujourd’hui votre organisation, Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique, (CGLU Afrique) … Quelle est sa mission ? J.P.E.M. : Notre organisation a comme vision de contribuer à l’unité de l’Afrique et à son développement en partant de la base. Nous regroupons les 40 associations nationales de collectivités territoires et 2000 principales villes du continent. Nous représentons à travers nos membres une population totale de 350 millions d’habitants… il faut savoir que seulement 40% de la population du continent relève d’une collectivité locale ; 60% sont encore administrés directement par l’Etat central. C’est dire que nous avons encore du pain sur la planche pour que chaque Africaine et chaque Africain ait le privilège d’être associé à la gestion des affaires publiques locales et d’élire son représentant au sein d’une collectivité locale. LA : S’agissant de la décentralisation et de la gestion des diversités, quel modèle vous paraît le mieux convenir au contexte africain entre l’Espagne, la Suisse ou la Belgique ? J.P.E.M. : Les systèmes politiques sont des constructions délicates qui traduisent les équilibres sociopolitiques et économiques du moment, dans une société donnée. De telles constructions ne peuvent être extraites de leur contexte d’apparition et d’évolution. Il n’y a donc pas de modèles dans ce domaine où chaque société doit trouver sa voie en fonction de son histoire et de sa géographie. Il est bon de savoir ce qui se fait ailleurs, cela fait partie du soubassement des connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées. Mais les décisions doivent toujours être prises en fonction du contexte réel et des rapports de force et de coopération entre parties prenantes. L’Afrique a, de ce point de vue, beaucoup à offrir, notamment ses valeurs de partage et de solidarité, à condition qu’elle sorte des mimétismes et redécouvre les fondements de ses cultures. Ceci étant, il est possible de s’étalonner, surtout si l’on a le souci de la convergence des politiques, ce qui est souhaitable dans la perspective de l’intégration et de l’unité de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle, dans le domaine de la décentralisation, notre organisation a initié un exercice d’évaluation des pays selon l’environnement plus ou moins favorable qu’ils mettent en place pour l’action des villes et collectivités locales. Dix critères ont été considérés pour classer les pays suivant l’Indice de l’environnement favorable aux collectivités locales (City Enabling Environment Rating). Le rapport correspondant sera présenté le 8 décembre 2012 lors des rencontres politiques du Sommet Africités. L’originalité de notre démarche repose sur le fait qu’un pays n’est jugé que par rapport à ses lois et règlements et par rapport à leur application effective. Nous avons conscience que pour que l’exercice soit équilibré, il faut que les collectivités locales soient elles aussi classées par les Etats par rapport à leurs performances dans la manière d’exécuter les mandats qui leur sont conférés par les lois de décentralisation. C’est un sujet qui sera sans doute abordé lors des rencontres de dialogue politique entre ministres chargés des collectivités locales et maires le 8 décembre 2012. LA : Justement, en avant goût de ce classement, quels sont les Etats africains qui sont aujourd’hui le plus en avance en termes de décentralisation ? J.P.E.M. : Cet exercice n’est pas fait pour distribuer les bons points et les mauvais points. Je rappelle qu’il s’agit de juger l’environnement plus ou moins favorable à l’action des villes et collectivités locales en se basant sur la cohérence des textes de chaque pays et leur mise en application. Les pays sont classés en quatre couleurs : Pays verts : où l’environnement est tout à fait favorable à l’action des villes et collectivités locales Pays jaunes : où l’environnement est plutôt favorable à l’action des villes et collectivités locales mais demanderait des améliorations pour qu’elle soit tout à fait favorable. Pays orange : où l’environnement demande des efforts de réformes importants pour être favorable à l’action des villes et collectivités locales. Pays rouges : où l’environnement doit être changé drastiquement pour qu’il devienne favorable aux villes et autorités locales. Seul un nombre limité des pays figure dans la liste des pays verts. Parmi eux on peut citer l’Afrique du Sud, l’Ouganda, le Maroc. La majorité des pays sont soit orange, soit rouges. C’est dire s’il faut réellement faire des efforts pour que les villes et collectivités locales d’Afrique puissent bénéficier d’un environnement favorable à leurs marges d’initiatives et d’actions. Pour chaque pays toutefois, il a été identifié les réformes à conduire, si bien que le CEE Rating peut se révéler un bon guide pour la conduite des réformes de décentralisation dans chaque pays. LA : L’attachement de nos Etats à leurs frontières et à leur souveraineté ne s’explique-il pas par le fait qu’ils sont avant tout financés en grande partie par les droits de douane qui représentent entre 35 et 40% de leurs ressources budgétaires ? J.P.E.M. : Le vivre ensemble est financé par la fiscalité. Sous la colonisation, le vivre ensemble a été vécu comme un don de la colonisation alors que l’argent venait des prélèvements faits sur place. Le colonisateur s’est toujours efforcée de cacher aux colonisés que c’est leur effort qui finançait la plupart des travaux entrepris par l’administration coloniale. Il ne se privait pas de dire que c’est grâce à la magnanimité des citoyens de la métropole que les bienfaits de la modernité étaient octroyés aux colonisés. La relation financière entre les colonisés et le colon était donc tue et cachée. L’Etat postcolonial a continué cette même stratégie de dissimulation. Les citoyens ont été infantilisés, et les élites ont souvent agi comme si l’argent de l’Etat venait d’ailleurs que de la poche des citoyens. Le financement des budgets publics par les impôts indirects et les droits de douane participent largement de cet effort de dissimulation de la relation entre les finances de l’Etat et la contribution des citoyens. Le produit des droits de douane représente effectivement près de 35 à 40% des budgets de certains Etats. Or les accords de Doha auxquels beaucoup d’Etats africains ont souscrit prévoient un plafonnement des droits de douane à 15% à l’horizon 2020/2025. Les Etats sont donc mis en demeure d’imaginer une transition fiscale qui responsabilise plus explicitement les citoyens vis-à-vis des ressources publiques, et créent une relation financière plus directe entre le citoyen et les autorités publiques. Dans cette transition fiscale, collectivités locales et Etat ont partie liée, car il s’agira désormais de tenir un langage de vérité aux populations en leur faisant comprendre que c’est eux qui paient tous les attributs de la modernité dont ils bénéficient. Ce langage va forcément mettre à l’ordre du jour l’application du principe de subsidiarité aboutissant à un meilleur partage des ressources publiques entre l’Etat et les collectivités locales. Cette évolution est inéluctable et les Etats africains feraient bien de s’y préparer sérieusement. LA : Justement, s’agissant de la gestion des services de base, projets de partenariat public privé sont des instruments en vogue permettant aux entités publiques et aux collectivités locales de suivre de près la gestion des services concédés ou délégués. Quelles sont les grands axes de réformes qui vous paraissent indispensables dans la mise en place de tels partenariats ? J.P.E.M. : La seule chose que les populations attendent de l’Etat c’est de réduire la pénibilité de leur vie par l’utilisation des connaissances scientifiques et techniques. Il y a un certain nombre de services de base (gestion de l’eau, de l’énergie, des déchets et du transport, télécommunications) qui contribuent directement à améliorer la qualité de vie des populations. Ces services ont pour support des réseaux d’infrastructures capitalistiques par nature et qui s’amortissent sur le long terme. C’est pourquoi ces réseaux sont souvent financés par des prêts dont le remboursement se fait dans la durée. Tant que les Etats africains pouvaient s’endetter, ils ont mis les infrastructures en place et ont créé des sociétés d’Etat pour gérer les services correspondants, souvent en leur imposant de fixer des prix du service en dessous de son coût, la différence étant supportée par l’ensemble des contribuables au niveau national. La crise des finances publiques des Etats de la fin des années 1980 a révélé la fragilité de ce système. Les services se sont effondrés partout. Les Etats n’avaient plus la crédibilité nécessaire pour emprunter. C’est la raison pour laquelle ils ont recherché le partenariat avec le secteur privé, le plus souvent international, pour relancer la fourniture des services de base en réseau. Ils y ont été encouragés, il est vrai par les institutions de Bretton Woods. Il y a eu tout un débat à l’époque entre ceux qui pensaient que confier la gestion d’un service de base à un privé c’était brader la souveraineté de l’Etat, et ceux qui estimaient que l’essentiel était d’avoir un bon niveau de service quel que soit son fournisseur. En réalité il s’agit d’un faux-débat, car c’est toujours l’autorité publique qui est responsable de l’organisation de la fourniture du service ainsi que de la fixation des niveaux de service et des tarifs. L’important pour les populations c’est que le service soit continu, de qualité, et financièrement accessible. Mais la crise a révélé un mal plus profond : le défaut de planification des services de base. Il faut savoir par exemple que pour avoir de l’eau courante chaque jour dans une grande ville dont la croissance est de l’ordre de 4 à 5 % par an comme c’est largement le cas dans la plupart des métropoles africaines actuelles, il faut l’avoir prévu et planifié 15 à 20 ans auparavant. Or la plupart des Etats avaient perdu de vue cette exigence de planification et de programmation, et les politiques d’ajustement structurel n’ont fait qu’empirer cet état de fait. Il est temps de retrouver cette préoccupation de la planification sinon la situation peut échapper durablement à tout contrôle. La solution de la délégation de service a certes permis d’améliorer l’accès aux services mais elle s’est accompagnée de nombreux conflits entre autorités publiques et exploitants. En fait les contrats de délégation de services sont complexes, avec des clauses de délégation difficiles à évaluer. Il est dès lors indispensable que ceux qui sont mandatés pour négocier de tels contrats avec des grands groupes privés aient les capacités et les connaissances nécessaires pour défendre l’intérêt général. Ce n’est pas toujours le cas malheureusement. Par ailleurs il ne faut pas perdre de vue le contexte des villes africaines où près de 60 à 70% des populations vivent dans des zones d’habitat pauvre ou précaire. Dans ces quartiers les services de base sont fournis par les petits entrepreneurs indépendants du secteur informel. Ici aussi, il y a besoin d’une intervention publique, ne serait-ce que pour organiser la concurrence, s’assurer de la qualité du service, veiller à ce que les prix du service ne soit pas exorbitant. Dans le cas où les opérateurs du secteur informel se branchent sur le réseau opéré par un exploitant officiel, il est aussi de la responsabilité de l’autorité publique d’organiser la complémentarité entre eux, en termes de formation, de sécurité, de continuité et qualité du service, etc. LA : Quid alors de la mobilisation des fonds nécessaires à la gestion des services de base. Etesvous partisan de l’endettement des villes par des émissions obligataires ? J.P.E.M. : L’endettement n’est pas un mal en soi. Il est même inévitable, quand on met en place des investissements dont la durée d’amortissement est longue comme les réseaux d’infrastructures de transport, d’eau, d’assainissement, d’énergie… Les collectivités locales ne peuvent pas financer leurs besoins d’investissements sur leur épargne annuelle. L’emprunt et le recours au marché financier permet d’engager un investissement et de le payer dans la durée suivant un plan de financement calibré en fonction de la capacité de remboursement. Cette capacité peut être assise sur le compte d’exploitation du service objet de l’investissement. Dans ce cas la collectivité crée une société publique ou parapublique pour ce service et adosse l’emprunt ou l’émission des obligations sur les rentrées espérées des tarifs et redevances du service. C’est le modèle le plus utilisé aux Etats Unis. Mais la capacité peut aussi être calculée sur la surface financière de la collectivité en considérant ses rentrées fiscales et ses autres revenus. C’est le modèle privilégié en Europe. L’Afrique doit tracer sa voie entre ces deux approches. En ce qui me concerne, je pense qu’il serait judicieux d’encourager les emprunts libellés en monnaie locale afin d’éviter de solliciter la garantie de l’Etat et la balance des paiements. Mais pour cela il faut qu’il y ait un marché primaire et un marché secondaire des obligations municipales libellées en monnaie locale. Tous les efforts ont été concentrés dans la mise en place d’un marché primaire. L’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) a décidé qu’à partir de 2013 les émissions obligataires des municipalités pourront se faire sans garantie de l’Etat, sur la base du rating des collectivités locales. C’est sans doute une bonne initiative. Mais encore faut-il qu’il y ait un encadrement et un accompagnement pour expliquer aux collectivités la portée de cette mesure et ce qu’elles pourraient en attendre en termes de potentialités de ressources pour l’investissement. Il ne faut pas que cette réforme reste une affaire de spécialistes et de hauts fonctionnaires. L’utilisation de l’épargne africaine pour le développement local est une solution crédible pour le financement. Je suis par ailleurs étonné que rien n’ait été entrepris pour que l’argent de la diaspora, qui représente trois fois l’aide publique au développement soit réellement et mieux mobilisé pour le développement local en Afrique. LA : si la décentralisation est admise par tous les Etats africains, la collecte des principales taxes et impôts est encore du ressort de l’Etat central. N’estce pas là un facteur fragilisant les budgets des municipalités et des régions ? J.P.E.M. : La vraie question c’est le partage des ressources publiques entre l’Etat et les collectivités locales. Le principe de subsidiarité veut que l’argent soit dépensé au plus près possible de là où il a été collecté si cette dépense de proximité est efficace et répond effectivement aux attentes de la population. Cela dit, collecter de l’argent requiert une certaine technicité que les administrations d’Etat maîtrisent beaucoup mieux que les collectivités. C’est pourquoi l’encouragement de l’insertion des collectivités locales dans la chaîne fiscale ne doit pas forcément dire que ces dernières doivent désormais faire tous les travaux concourant à la connaissance des bases fiscales, à l’émission des rôles, et au recouvrement du produit des impôts. La plupart des collectivités locales n’ont vraiment pas la technicité adéquate pour cela. J’ai une préférence pour laisser le travail de tenue des bases fiscales et de recouvrement à ceux qui sont les mieux outillés, c’est-à-dire les services de l’Etat. Toute la question est de savoir comment ensuite sont partagées les ressources collectées entre l’Etat et les collectivités locales, quelles formules sont utilisées pour répartir entre elles les sommes qui reviennent aux collectivités locales, quels mécanismes sont mis en place pour assurer la prévisibilité du versement de ces fonds, … L’objectif est de quitter la situation actuelle où les ressources des collectivités locales représentent à peine 5% des budgets de nos Etats africains contre 40% au sein de l’Union Européenne. LA : Finalement, en paraphrasant Platon, qu’estce que c’est que la Cité idéale pour l’Africain que vous-êtes ? J.P.E.M. : La Cité idéale est celle que veulent les habitants de la cité. En Afrique ce sont les habitants qui construisent la Cité par addition de quartiers. Ils le font à un rythme que la puissance publique ne peut pas suivre. C’est la raison pour laquelle je m’interroge toujours quand j’entends certains experts dire qu’il faut construire les logements avant que les populations n’arrivent en ville pour éviter d’avoir des quartiers pauvres et sous-équipés. Je ne pense pas cela possible, compte tenu du taux de croissance actuel des villes et du niveau actuel de développement des Etats africains. Par contre, je trouve inadmissible que les collectivités et les Etats ne se donnent pas les moyens de planifier l’occupation du sol. Je prétends que l’investissement le plus important pour un citadin pauvre c’est l’ordre urbain, qui lui évite de voir sa maison détruite parce qu’il a construite sur un site où doit passer une route ou qui doit recevoir un équipement public. La puissance publique a un pouvoir d’orientation important de la dynamique urbaine par la localisation des équipements structurants dont elle devrait maîtriser la planification et la réalisation. La cité idéale dans ce contexte est celle qui sait planifier et structurer son développement de sorte à permettre aux citadins de s’installer en toute sécurité pour leur logement ou leur activité. La Cité idéale est une cité inclusive qui n’accepte pas que se développent en son sein des ghettos pour pauvres côtoyant des ‘gate cities’ pour riches, qui n’accepte pas que riches et pauvres s’ignorent mutuellement et se méfient les uns des autres, qui refuse les injustices et les discriminations, qui promeut les droits pour tous et pour chacun. La cité idéale est une cité bien gérée, où les élus rendent compte de leur gestion aux citoyens et se soumettent périodiquement à la sanction du vote sans manipulation des élections. La cité idéale est celle qui permet à chacun de s’épanouir dans le respect des autres, et dans le respect de la nature, qui est la condition indépassable de tout développement soutenable. La cité idéale est aussi celle dont on rêve, et qu’on s’efforce de bâtir, seul ou avec d’autres. Le rêve qui met en mouvement et qui crée l’espoir. Puissions-nous le faire naître chez chaque Africain, dans chaque cité et dans chaque territoire pour être en mesure de concevoir et de réaliser cet autre rêve de l’Afrique unie que nous appelons tous de nos voeux. Propos recueillis par Adama Wade
Posted on: Sun, 01 Sep 2013 11:33:52 +0000

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