1. Mori-Sulémani chez les Kisi Les conquêtes de Mori-Sulémani - TopicsExpress



          

1. Mori-Sulémani chez les Kisi Les conquêtes de Mori-Sulémani Savané 160 méritent la première place en raison de leur relative stabilité, et surtout de leur proximité géographique du Konyã. Leur physionomie est dailleurs bien originale car elles se sont déroulées en pleine zone préforestière, voire même en Forêt, et aux dépens dune ethnie absolument étrangère aux Mandé, celle des Kisi du Haut Nyãdã. Le particularisme Kisi Ce peuple original occupait, on la vu, une place particulière dans le monde commercial du Soudan occidental. Il avait reculé lentement devant les grandes migrations Malinké, entre Niger en Nyãdã, et la plus récente dentre elles, celle des Kurãnko, navait pas réussi à le refouler entièrement en Forêt. Il gardait donc, avec une langue à classes de la famille mèl, une structure sociale caractéristique, à la fois égalitaire et morcelée à lextrême. Les villages, très petits, ne comptant parfois quune seule lignée, se cachent jusquà présent dans des anneaux de forêt et utilisent au mieux les sites défensifs que leur offrent les reliefs tourmentés de la Dorsale. Ils sont groupés en alliances de faible étendue et de structure fort lâche, entre lesquelles des conflits saisonniers se déroulaient, en suivant un rituel si précis quon peut y voir une forme régulière des relations sociales. Ces fausses guerres visaient à rétablir un équilibre et nullement à conquérir. Les prisonniers qui en provenaient étaient généralement exportés assurément pour leur ôter tout espoir de fuite, mais aussi parce que cette société égalitaire nadmettait quun petit nombre de captifs, vite assimilés aux hommes libres. Les esclaves Kisi faisaient dailleurs prime sur les marchés du Nord en raison de leur robustesse et de leur ardeur au travail. Au début du XIXme siècle, ils étaient échangés surtout contre du sel mais aussi de la poudre et des fusils, bien que de telles armes fussent encore rares alors. Le Pays Kisi était donc particulièrement favorable au commerce des esclaves, et celui du kola ne tenant ici que la seconde place, contrairement au cas des Toma. Le développement de ces échanges était dailleurs entravé par des coutumes aberrantes pour les Malinké, car les Kisi ignoraient linstitution du marché. Les colporteurs devaient donc faire du porte à porte, et se livrer à dinnombrables petites opérations au prix dune grande perte de temps et dans des conditions de sécurité déplorables. A lexception de Mara, que nous allons étudier, les marchés apparaîtront seulement chez les Kisi du Sud, et pas avant le dernier quart du siècle. Des unités politiques importantes se formeront au même moment grâce aux armes à feu importées de la Côte. Les Kisi du Nord restaient peu abordables, malgré le voisinage séculaire des Manding, et ils savaient se défendre à loccasion, en dépit de leur extrême morcellement. Ils jouaient admirablement des montagnes et des îlots forestiers, de leur pays et ils savaient filtrer les influences des cultures étrangères pour les adapter à leur structure sociale. Bien que leur pays soit à cheval sur les versants de lAtlantique et du Niger, et que des fleuves importants comme le Nyãdã ou le Makhona y prennent leur source, aucune route commerciale ne le traversait avant lère coloniale. Acculturation des Kisi Il nest pas douteux que la société Kisi était remarquablement close mais il ne faut pas en tirer des conséquences abusives. Le monde malinké, représenté ici par les Kurãnko, la serrait de fort près. Le tracé tourmenté de la frontière linguistique en porte témoignage. A lest du Nyãdã, les Kisi ont su se défendre, en reculant pied à pied, alors que les Toma ont cédé brusquement durant le XVIIIme siècle. A louest, par contre, un effondrement a dû se produire vers la fin du XVIIme siècle, car les Kurãnko ont pu traverser le Haut Nyãdã et déboucher plus au sud, sur le versant atlantique, dans la vallée de la Mafintsa. Malgré quelques épisodes guerriers, cette poussée ne fut jamais continue et il était impossible que deux peuples simbriquent aussi étroitement sans donner lieu à un profond métissage. Lanthropologie des Kurãnko en porte témoignage et lexemple des Lélé lillustre parfaitement . Ces derniers tiennent la vallée de la Mafintsa et ce sont linguistiquement des Kurãnko, mais leur culture matérielle comme leur organisation sociale est identique à celle des Kisi du Nord 161. On a déjà signalé que ceux-ci ont adopté la circoncision et le Komo en suivant un rituel très proche des Kurãnko. Sur le plan des structures politiques également, on doit considérer ces Kisi comme acculturés car on trouve chez eux de véritables commandements territoriaux qui, malgré leur exiguïté, évoquent les kafu. Cest le cas du Firawa, vassal depuis longtemps des puissants Mãsa de Soghomaya. Cest surtout le cas du Farmaya qui occupe la boucle du Nyãdã, autour du site de la ville moderne de Kissidougou. Le Farmaya Les lignées qui dominent ce pays sont de langue et de culture Kisi, mais elles se réclament dune lointaine ascendance malinké. Cest là le processus inverse de celui qui donna naissance aux Lélé : des éléments dorigine septentrionale se sont assimilés au pays, mais non sans en modifier la culture. La tradition Kurãnko attribue à Sosowali Mara une tentative de conquête du Kisi nord qui avorta vers le début du XVIIIme siècle 162 . Sur le terrain ainsi préparé, Fadaka Kèita dont le dyamu fut bientôt remplacé par un équivalent Kisi, celui de Lèno, fonda un peu plus tard la chefferie du Farmaya 163. Malgré lappui des Kurãnko du Dyémèrèdu, il ne parvint pas à contrôler toute la boucle du Nyãdã dont lEst, connu sous le nom de Sagbè, demeura aux mains de lignées autochtones. A partir du troisième chef, Famisa, les habitudes Kisi paraissent avoir triomphé. Chaque segment du lignage simplanta en effet dans un village et reprit son autonomie. Mara, la résidence de Fadaka, ne conservait plus quun rôle rituel. Le quatrième Mãsa, Sépé, qui commanda, dit on, très longtemps, demeurait à Korodu et ne visitait le village ancestral quà loccasion des grandes fêtes. Son frère, Bura 164, qui gardait des liens étroits avec les Kurãnko et paraît avoir rêvé dune chefferie guerrière, laccusait dailleurs dinertie et dincapacité. Les deux partis qui naissaient ainsi allaient saffronter les armes à la main, une génération plus tard, quand leurs leaders respectifs furent le fils de Sépé, Esana, et le neveu de Bura, Kaba Lèno. Ce dernier, célèbre sous le nom de Kisi Kaba, simposera en jouant la carte des commerçants musulmans. Il sera considéré comme fils adoptif de Mori-Sulémani. Dyula et Kurãnko La cristallisation du Farmaya le transforma en carrefour commercial. Un modeste marché naquit à Mara, le seul sans doute qui existât dans le Kisi Nord. De là divergeaient des pistes de colportage, en direction de Kankan par le nord-est, à travers le Kurãnko oriental, ou bien vers Kouroussa ou Farana et le Futa-Dyalõ, par le nord-ouest, à travers le Kurãnko central. Par leur canal, les influences malinké filtraient désormais assez régulièrement. En labsence de tout marché Kisi, cest parmi les Kurãnko animistes que sétaient fixés les courtiers de la zone préforestière et leurs gros villages jalonnaient bien entendu ces itinéraires commerciaux. La plus grosse concentration de dyula se trouvait chez les Kurãnko de lEst, dans ce Nyumamãndu qui était la première étape des produits du Kisi oriental quand ils montaient vers Kankan. Dans cette zone, le kola lemportait nettement sur les esclaves et les produits du Farmaya ny tenaient quune faible place. Cette région appartient au monde du Milo qui nous est déjà familier. A louest du Nyãdã, dans le Kurãnko central, les îlots dyula étaient plus rares, les principaux se trouvant à Albadariya, dans le Mankwadu, sur la piste de Kouroussa, et à Sãngardo, dans le Dyémèrèdu, sur celle du Futa-Dyalõ. Ici, bien entendu, quelle que fût la place du commerce du kola, celui des esclaves savérait prépondérant. Une forte proportion des négociants étaient les fameux Bunduka qui en avaient fait leur spécialité et dont nous avons signalé le rôle sur la Côte des Rivières. Mori-Sulémani était lun deux et il venait tout naturellement sinsérer dans le milieu que nous venons de peindre. Il sera pourtant le premier à rompre avec les routines établies en quittant la zone courtière pour sinstaller parmi les producteurs et finalement à recourir aux armes pour leur imposer sa morale commerciale. Origines de Mori-Sulémani Mori-Sulémani portait le dyamu de Savané qui est léquivalent de Bèrèté chez les Dyakhãnké, cest-à-dire les dyula du Haut Sénégal et du Futa-Dyalõ. Il nappartenait pourtant pas à ce peuple, car Savané est aussi la traduction du nom Toucouleur de Si que porte la lignée des Almami du Bhundu 165. Cette terre sénégalaise, pépinière de hardis commerçants nourrit en effet une population assez hétérogène. Elle est à la charnière de deux ethnies mãndé puisque les Malinké du Bambuk commencent à sa frontière orientale, sur lautre rive de la Falémé, et les Sarakholé de Bakel sur ses marches du nord. Les autochtones du Bhundu se réclament de ces deux souches mais des lignées peules et toucouleures les submergent. Cest de Swima, près de Podor, sur le bas fleuve que vint au milieu du XVIIme siècle un certain Maliki Si qui fondit dans un cadre politique solide la mosaïque ethnique occupant alors le pays de la Falémé au Ferlo 166. Il était peut-être musulman mais ses descendants revinrent au paganisme, car lislamisation ne sopéra, sous linfluence des deux Futa, quà la fin du XVIIIme siècle. Cest de cet illustre ancêtre que se réclamait Mori-Sulèmani et rien ne permet de douter quil se rattachât à la lignée des Almami du Bhundu. Il se disait fils de Gisifu, fils lui-même de « Malikisi ». Celui-ci pourrait être le fondateur, si nous admettons un télescopage de la généalogie, mais il semble bien que ce nom illustre ait très tôt servi de prénom, comme cest encore le cas dans le Farmaya. Notre homme naquit en tout cas à Sénudèbu, résidence des Almami, dans le premier quart du XIXme siècle 167. Sa langue maternelle devait être le pular mais il parlait aussi le soninké (sarakholé) que linfluence de Bakèl a maintenu dans le Bhundu. Sur ses vieux jours, il ne fera usage que du malinké et du kisiyé qui sont les seuls parlers connus de ses descendants. Ce changement de langue illustre un déracinement. Musulman bien entendu et, dit-on, lettré en arabe, Mori-Sulèmani ne se consacra pas à la religion mais au commerce à longue distance, et particulièrement à celui des esclaves, ce qui était fort naturel de la part dun Bunduka. Ceci lamena dans le Futa-Dyalõ, grand acheteur de captifs, et, de là, vers les terres du Haut Niger où il vendait de la poudre aux Kisi. Il semble bien quil nait pas négligé le commerce des boeufs et du kola, mais seulement comme accessoire. Il aurait fréquenté dans sa jeunesse les Français de Bakèl où il se procurait des tissus et des armes, mais aucune tradition ne le signale sur la Côte des Rivières ou en Sierra Leone. Les installations successives quon lui prête montrent quil se rapprochait peu à peu du pays des esclaves. Cest ainsi quaprès avoir vécu chez les Almami de Timbo, il sétablit un moment à Banko, dans le Wulada, qui était au début du XIXme siècle le plus gros marché de bétail des frontières du Futa. Franchissant ensuite le Niger, il demeura quelque temps dans le Sãnkarã, au village de Sèrèkoro qui marque lentrée du Kõndédu 168. La carrière dun gros négociant C est de là quil partit pour la zone courtière, chez les Kurãnko du centre, mais au lieu de se fixer dans un foyer dyula, comme Albadariya, il choisit lantique village de Marèna-Ba, dans le Wasamandu, avant de sattacher au souverain animiste du Mankwadu, Ti-Brèma Mara. Les succès militaires de ce chef avaient établi sa prépondérance et sa résidence, Moriya, prenait de limportance. Ce village possédait un petit quartier dyula et une mosquée mais on ne peut le considérer comme un centre musulman (Ca. l855) 169. Ce nétait dailleurs là quune étape. Notre homme sut cultiver lamitié de Ti-Brèma et surtout celle de son belliqueux neveu, Kurani-Sori, quil pourvoyait en armes. Son trafic renforçait lhégémonie militaire de ses hôtes, mais il songeait surtout à employer leur influence sur le Farmaya pour étendre en terre Kisi son activité commerciale. En raison de létat social des « barbares », il nétait pas question de traiter au hasard, mais seulement en quelques points où des alliances garantissaient la sûreté du négociant. Au-delà de Moriya, il fallait renoncer aux petits ânes du Soudan et se fier exclusivement au portage humain. Mori-Sulèmani, qui était déjà un gros négociant, installa des gîtes détapes rapprochés dans les villages qui acceptaient son amitié. Son réseau sétendit vite vers le sud, à travers les montagnes de la Dorsale, et finit par déboucher sur le versant atlantique, dans la vallée supérieure de la Wau. Dans les principales étapes, il construisit bientôt des magasins ou de véritables factoreries que géraient ses parents ou amis. Les principaux se trouvaient à Bãmbaya, chez les Kurãnko du Wöri, vassaux de Kurani-Sori, à Mara, capitale historique du Farmaya, et enfin à Buyé, Walto et Tinkéa, au coeur du morcellement Kisi. Ce monde étrange souvrait à Mori. On raconte quà son premier voyage, notre Toucouleur se présenta avec 38 porteurs chargés de poudre et que Famisa Lèno, qui navait jamais vu autant détrangers à la fois et ne pouvait pas les nourrir, les envoya chez son parent Fawuri, le chef de Kõngola. dans le Sagbè. Cest pourtant avec Famisa, dont il épousa la fille, que létranger noua les plus étroites relations. A la mort de son beau-père, il se fixa définitivement à Mara où le nouveau chef, Bura, lui assigna comme hôte son frère Silimani. Ces deux homonymes nouèrent bientôt une telle amitié quils décidèrent déchanger leurs enfants, Silimani confiant au Toucouleur son fils Kaba et prenant en charge le jeune Sumaila, le premier des nombreux Savané mis au monde par des mères Kisi. Au-delà du Haut Nyãdã, Mori-Sulèmani se lia également par mariage avec Kafi Millimuno, le chef de Buyé, et le commandement de ce village échut bientôt à Kyokyure, le beau-père de létranger. Plus au sud, linfluence des Malinké devenait imperceptible chez les groupements Kisi qui pratiquent linitiation Sandoa. Le Toucouleur trouva un hôte À Walto, chez le notable Yoma et il fournit ses premiers fusils au chef Lasimõ Wèndéno qui allait en profiter pour imposer son hégémonie à ses voisins 170. Mori-Sulèmani arrêtait généralement ses voyages à Tinkéa dont les chefs furent successivement Kandé Kunduno et son fils Wiyamano. Une alliance matrimoniale consolida cette amitié dune façon plus efficace que les services rendus à Walto. Notre négociant ne savançait plus loin au sud quoccasionnellement, mais nous savons, quil vendit des fusils à Yabelo Yõmbuno, chef de Gbèlo et allié des Kunduwa. Ici encore, il en découla bientôt la cristallisation dune chefferie guerrière sur la Haute Wau. Mori-Sulèmani circulait sans arrêt sur cet itinéraire tandis que ses hommes de confiance allaient à Banko vendre les captifs et en ramener bétail, armes et tissus. Jusquà la fin de sa carrière commerciale, cet homme puissant et respecté sappliqua à visiter Tinkéa à chaque saison sèche pour contrôler laction de ses agents. La constitution de ce réseau sétale certainement sur de nombreuses années, mais les traditions ne permettent pas den dater les étapes. On nous dit cependant à Tinkéa que le Bunduka y serait venu quinze années de suite, ce qui couvrirait une grande partie de sa vie commerciale, depuis son arrivée à Moriya, sans doute voisine de 1855, jusquau début des guerres qui ont commencé, selon nous, vers 1875 171. Le fait significatif fut évidemment létablissement du Bunduka en Pays Kisi (Ca., 1860 ?). Kurani-Sori exigea pour ly autoriser quil laissât à Moriya une partie de ses gens. Il ny eut donc pas rupture, mais une fois acquise, linstallation à Mara allait être définitive 172. Notre commerçant senracina profondément dans le Farmaya, la langue maternelle de ses fils fut le kisiyé et leurs mères entraînaient nécessairement leur époux dans les querelles intestines des Lèa 173. Cette assimilation au milieu animiste ne saurait tromper. Ce musulman lettré était tolérant, sinon tiède, assurément étranger à tout prosélytisme. Sil recrutait des coreligionnaires, cétait uniquement pour la bonne marche de son entreprise. Les caravanes de ce marchand desclaves étaient certainement armées, mais il sagissait de protéger ses biens et non de préparer la guerre. Pendant un bon quart de siècle, notre Toucouleur paraît navoir eu dautre but que détendre ses affaires, et non dimposer sa religion, encore moins dasservir ses voisins à la façon de Mori-Ulé ou de ce Fodé Dramé dont nous parlerons bientôt. Origines de la guerre Il reste à expliquer pourquoi cet homme dâge mûr, ce négociant solidement établi, changea soudain dattitude et recourut un beau jour aux armes, vers lannée 1875. Laffaire de créances irrecouvrées quil invoqua à cette occasion nest pas convaincante car ce nétait certainement pas son premier mécompte depuis quil travaillait dans la région, et il navait jamais réagi de la sorte. Les troubles du Haut Milo me paraissent fournir la seule explication raisonnable. Il est vrai que la « guerre sainte » de Mori-Ulé datait déjà dune quarantaine dannées et Mori-Sulémani en avait évidemment entendu parler. Mais cest seulement en 1871 , avec lirruption de Samori au Basãndo, que le danger frappa à la porte des Kisi. Le ralliement au nouveau conquérant de Denda-Soghoma, le puissant Mãsa du Kurãnko oriental, fit certainement alors une impression profonde. Samori affectait, on le verra, de ne pas diriger une guerre religieuse, mais il diffusait déjà le thème de louverture des routes aux dyula. Ce fut certainement une révélation pour ceux ci, car ils acceptaient jusque là les brimades des chefs animistes comme un mal inévitable. On peut penser que Mori-Sulémani y fut particulièrement sensible sil est exact quil connaissait personnellement Samori. Grâce à son prestige maraboutique et à ses stocks darmes, il avait sans doute les moyens dagir, dautant plus que, dans leur morcellement général, les Kisi ne pouvaient lui opposer que des adversaires particulièrement faibles. Les idées venues de lest nauraient pourtant pas suffi à notre avis, si elles navaient pas coïncidé avec de fortes suggestions dorigine locale. Lenracinement de Mori-Sulémani en Pays Kisi paraît avoir joué un rôle décisif car il lincita à intervenir dans les querelles autochtones au côté des parents de ses femmes. Ceux-ci comptaient visiblement sur son prestige et son habileté pour régler à leur profit les conflits en cours, mais, de son côté, sans leur aide, le Toucouleur naurait rien pu faire. Avant lintervention des Samoriens, ses guerres furent menées presque exclusivement au moyen de partisans Kisi, car les dyula ou Bunduka lui fournissaient seulement quelques cadres. Contrairement à Mori-Ulé ou à Fodé Dramé, il ne tenta jamais de détruire lordre coutumier et de semparer du pouvoir, car il se contentait dun contrôle indirect sur les autorités traditionnelles. Son entreprise neut donc rien dune guerre de conquête et on pourrait la définir comme un faciès Kisi de la révolution dyula. Les affaires du Sud La crise éclata dans la région de Walto en 1874 ou 1875. Mori-Sulémani avait lhabitude de donner sa poudre crédit en allant à Tinkéa et de prendre les esclaves en paiement quelques semaines plus tard, lors du voyage de retour. Deux villages nhonorèrent pas leurs engagements : Badãngba, dans le groupe de Bèlyan, et Solõnto dans celui de Walto 174. Laffaire de Badãngba serait la plus ancienne. Mori-Sulémani voulait y acheter un captif pour le compte de Kurani-Sori, mais le chef Tõnkélé-Mamari Wèndéno refusa de le livrer comme convenu. Mori-Sulèmani rendit compte à Moriya, constitua une troupe à laquelle que joignirent les compagnons de son « fils » Kaba, et alla brûler le village (avant 1875). Nous avons plus de détails sur la guerre de Solõnto dont les conséquences furent considérables. Ici encore, le chef Famèsa Tolno avait pris de la poudre à crédit et promis deux esclaves en paiement. Au retour de Mori-Sulémani, il nen fournit quun seul. Notre commerçant alla se plaindre à Walto, puisque Solõnto en dépendait théoriquement, mais Lasimõ savoua incapable dimposer son arbitrage aux Tolla, avec qui il était en mauvais termes 175. Mori-Sulémani rentra alors à Mara où un conseil de famille présidé par Bura décida de le soutenir, puis à Moriya où Kurani-Sori lui donna une troupe. Ce rassemblement de Kisi et de Kurãnko détruisit Solõnto sans difficulté. Famèsa fut pris et égorgé à Bendu, dans le Nyamãndu, où les alliés sinstallèrent 176. Au lieu de disloquer sa colonne, une fois laffaire terminée, Mori-Sulèmani parait avoir voulu profiter de ces premiers succès pour imposer sa loi commerciale à toute région. Les exécutions auxquelles il venait de procéder avaient en effet rempli les Kisi de crainte et de colère, si bien que les groupes de Kosã et de Yèndé-Lãñ qui contrôlaient la route de Tinkéa venaient de lui fermer leurs frontières. Le Toucouleur exigeait en outre réparation du chef de Walto qui navait pas rempli, selon lui, ses devoirs dhôte. Ce dernier sindignait au contraire de la prétention nouvelle de ces commerçants qui refusaient de rester à leur place. Lasimõ, comme la plupart de ses voisins, nétait pas prêt à sincliner devant cette outrecuidance, si bien quil décida de rompre avec les dyula et prit bientôt figure de chef de la résistance (Ca., 1875). La parole était donc aux armes et Mori-Sulémani fit appel à ses alliés Kisi et Kurãnko, en labsence dun peuplement dyula ou dun rassemblement de disciples assez fort pour le soutenir 177. Pour payer lappui de ses amis, il était dès lors contraint dépouser leurs querelles et il ne pouvait élargir sa zone dinfluence quen les aidant à écraser leurs ennemis. Walto fermant la route de Tinkéa, le plus urgent était douvrir un autre itinéraire qui mènerait vers les pays du Sud en contournant ce village. Tel sera jusquà la fin le fil directeur de la politique de Mori-Sulèmani. Il semble quil ait dabord voulu se frayer une route parmi les groupes très morcelés qui tenaient la chaîne tourmentée du Kõñba à lest de Walto et la vallée de la Koku en direction de Bardu 178. Cela explique quil ait établi sa première hase à Bèndu où il avait des partisans. De là, il pouvait surveiller les réfugiés de Solõnto installés à Lèla, sans trop séloigner de ses alliés de Mara et Buyé. Il attira dans son camp les Dyalla de Gbãngadu quune lointaine ascendance peule rendait moins hostiles aux influences exotiques 179. Le Toucouleur ne pouvait pourtant pas senfoncer dans le Sud sans assurer ses arrières. Cest dans ce but quil épousa la querelle de Buyé contre Fèrmèsadu-Pompo et Wènde-Lãñ 180 au sujet des rizières de la Nay. Les chefs adverses, Amari et Falé Tinkéano commirent limprudence daccepter une réunion darbitrage à Bèndu où ils furent saisis et égorgés. Ce ne fut quun demi-succès. Fabindi, frère dAmari, se soumit aussitôt, mais Yèdi, annonça à Wènde-Lãñ quil vengerait son frère Falè et senferma dans une position dhostilité sans compromis (Ca., 1876). Guerre civile au Farmaya Mori-Sulèmani se transporta alors à Buyé et se consacra à la prise en main du Farmaya, sans laide duquel il eût vite été à bout de ressources (Ca. 1877). Kaba Lèno qui animait les partisans de Bura, était en effet seul à lui fournir quelque assistance. Sépé, le Mãsa titulaire, navait pas bougé de Korodu et cachait mal son hostilité. La collusion du Toucouleur avec son vieux rival, Bura, le faisait enrager et toute réconciliation était impossible puis que leurs enfants reprenaient la querelle à leur compte avec une ardeur accrue. Kaba, auquel nous donnerons désormais le nom illustre de Kisi-Kaba, disputait à Esana, fils de Sépé, le titre de Kuntilãñba, ou chef des jeunes gens, pour tout le Farmaya. Le prestige de son père adoptif lui avait donné lavantage mais son adversaire ne se résignait pas, si bien que les Lèa étaient mûrs pour la guerre civile. Sépé sera accusé, avec vraisemblance, davoir excité Fèrmèsadu et Wènde-Lãñ contre Mori-Sulèmani. Celui-ci ne pouvait tirer du pays les ressources nécessaires à son grand dessein que si cette querelle de famille était dabord tranchée au profit de Bura et de son lignage. Laffaire sannonçait difficile. Kisi-Kaba sefforçait de déconsidérer Sépé, mais il ne pouvait contester sa légitimité comme héritier de Fadaka 181. Les partisans du vieux chef étaient, il est vrai, fâcheusement dispersés. Il ne tenait solidement que le Sud du Farmaya, où il était pris à revers par Mori-Sulèmani, tandis que ses amis de Bérèndu et du Lundi étaient paralysés par une guerre interminable contre les Kurãnko de Dèmbayara 182. Kisi Kaba allait jouer habilement de cette situation en bloquant Korodu entre ses gens concentrés à Mara, et ceux de son père adoptif, basés sur Buyé. Quand les hostilités commencèrent 183, les deux alliés se montrèrent pourtant incapables daboutir et senfoncèrent dans une interminable guérilla. Les appel, quils lancèrent à Kurani-Sori neurent aucune suite car le chef Kurãnko avait justement besoin de toutes ses forces contre les Sisé qui submergeaient alors le Sãnkarã (1878-1879). Une fois ce danger dissipé, en 1880, les Kurãnko ne seront toujours pas disponibles car Samori les convoquera, avec les Sãnkaranké de Dala-Ularè-Mori, pour laider à assiéger Kankan. Pendant trois longues années, la petite guerre du Farmaya se poursuivit donc, Mori-Sulèmani et Kaba, livrés à leurs seules forces, narrivant pas à éliminer les partisans de Sépé. La tradition nous permet de deviner une série de trêves, de trahisons et de ruptures, car, bien entendu, on ne se battait pas sans relâche. Cette affaire dapparence mesquine nest pourtant pas dénuée dintérêt car cest elle qui allait déclencher lintervention des Samoriens, qui donnera un nouvel essor aux ambitions de Mori-Sulèmani. Le Toucouleur passa ces années à Buyé où ses vassaux du Sud pouvaient le rejoindre en quelques heures et doù il surveillait aisément Sépé dont lautorité était désormais limitée à trois malheureux villages. Notre homme affectait la plus grande modération, répétant à qui voulait lentendre quil était seulement le « gendre » des Lèa et quil souhaitait arbitrer leur querelle. Pendant les premières années du conflit, il demeura immobile tandis que Kaba lançait contre Korodu trois assauts qui échouèrent tous (Ca., 1877-1879). Sépé avait construit des sanyé pour renforcer la défense naturelle de la forêt et ses partisans de Sõngbo et Fèro accouraient au premier appel. Durant cette guerre fratricide, on trouvait le moyen de cultiver et la trêve nétait rompue chaque année quaprès la récolte, quand la saison sèche donnait enfin le loisir de se battre. Cest sans doute vers 1880 que Mori-Sulèmani, ayant épuisé une longue patience, se décida à intervenir. Franchissant le Nyãdã, il détruisit sans peine Fèro 184 et se retrancha dans un sanyé à lorée de la forêt de Korodu 185. Au mépris de la coutume, il organisa un véritable blocus, et refusa lhonnête trêve de lhivernage. Ce coup de force intimida Kènèma Põmpo et Kèrèdu qui abandonnèrent leur neutralité et prirent parti contre Sépé 186. Celui-ci tenait pourtant bon et le Toucouleur se trouva dans une situation difficile quand un village sujet, Dopè, près de Bendu, se révolta sur lautre rive du fleuve.
Posted on: Mon, 02 Dec 2013 22:27:56 +0000

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