La problématique de l’unité africaine (1958-1963) La - TopicsExpress



          

La problématique de l’unité africaine (1958-1963) La problématique de l’unité africaine se pose aujourd’hui avec beaucoup plus d’acuité que par le passé. Après quarante ans d’existence, l’OUA apparaît comme une institution essoufflée, une diète germanique incapable à cause de l’attachement de ses membres à leur souveraineté, à l’incertitude qui plane sur les pouvoirs de certains organes principaux comme le secrétariat général, à la désuétude ou à l’inefficacité de certaines de ses structures[1] [1] E. Kodjo, Et demain l’Afrique, Paris, Stock,... suite comme le comité de libération... 2 Cette hérésie de l’institution ne puise-t-elle pas ses racines dans la genèse de sa création, à savoir : 3 —le contexte politico-idéologique qui a prévalu en Afrique et dans le monde à la veille de la création de l’OUA ; 4 —l’évolution des rapports Nord-Sud, c’est-à-dire de la colonisation à la coopération ; 5 —les rivalités inter-blocs dans le contexte de la guerre froide ; 6 —les relations interafricaines et l’affirmation des souverainetés locales ; 7 —le besoin de développement axé sur le micro-nationalisme aigu ? 8 Paradoxalement considéré comme un continent pauvre, l’Afrique a toujours été un enjeu capital pour les puissances étrangères. C’est pourquoi, contrainte sous la pression des événements, la Belgique concéda l’indépendance au Congo. Mais elle s’ingénia à y semer les germes de la désunion afin de lui en détacher les plus riches régions que sont le Katanga et le Kasaï. Les Français, de leur côté, n’entendaient pas renoncer à leur influence dans les possessions d’Afrique que les gouvernements qui se sont succédé depuis 1945 soupçonnaient Américains et Soviétiques de vouloir détacher de la France. La Grande-Bretagne tenait tant à ses intérêts au Kenya qu’elle déclara une guerre atroce aux Mau-Mau afin d’y conserver ses intérêts[2] [2]Ibid. , p. 118. ... suite. Quoi de plus normal que d’orienter et de canaliser les mouvements d’indépendance pour instaurer une coopération dont les objectifs se confondent manifestement à ceux de la colonisation ? Au Nigeria, les services secrets britanniques manœuvrèrent si bien que l’indépendance fut accordée aux dirigeants acquis à la cause britannique. 9 La pléthore de leaders politiques africains issue de la colonisation du continent par des métropoles différentes et de son morcellement en de multiples entités politiques indépendantes constitue une sérieuse difficulté qui pèse et pèsera encore sur les tentatives de regroupement en Afrique[3] [3] C. A. Diop, Les fondements économiques et culturels... suite. Les divisions politico-idéologiques dont ils sont victimes, les divergences d’intérêts économiques et stratégiques qui les opposent attestent l’exacerbation du micro-nationalisme, l’abandon et la négation du panafricanisme. Les responsables politiques africains ne sont-ils pas à la hauteur des problèmes qui leur sont posés pour amorcer la voie d’une véritable union du continent ?, s’interroge Cheik Anta Diop. 10 Cette réflexion est d’autant opportune que le panafricanisme, qui est un legs transatlantique, ne put s’intégrer aux réalités politico-idéologiques du continent africain. S’il a servi de levain à la création de l’OUA en mai 1963, il ne put exorciser les maux dont souffrait l’institution à la veille de sa création. 11 Le présent article, en quatre points, explore, explique et analyse les péripéties et les difficultés qui ont émaillé le processus de la création de l’OUA. I. AUX SOURCES DE L’INITIATIVE UNITAIRE EN AFRIQUE 12 Il est plus que nécessaire ici de s’appesantir sur les origines transatlantiques du panafricanisme et de reconnaître le rôle prépondérant joué par certains de ses précurseurs. Aussi faudrait-il savoir comment le mouvement a été transplanté en Afrique par les nouveaux leaders africains issus de la décolonisation du continent africain. A. Le panafricanisme ou le legs transatlantique 13 La question de l’unité africaine puise ses origines dans le rude combat mené par les Noirs américains et antillais contre la domination blanche. Cette lutte, traduite en un élan de solidarité, s’est ensuite identifiée à l’union de tous les Noirs du monde dans le dessein primordial de briser l’oppression raciste des Blancs[4] [4] Ph. Decraene, Le panafricanisme, Paris, PUF,... suite. Le mouvement était pan-nègre, sinon raciste à l’origine[5] [5] J. Buchmann, Paris, L’Afrique noire indépendante,... suite. Les grandes figures de ce mouvement appelé panafricanisme sont, entre autres : le professeur et diplomate Blyden Edward (né en 1832 à Saint-Thomas dans les Caraïbes), Williams Henry Sylvester (avocat de Trinidad et inscrit au barreau anglais à la fin du XIXe siècle), le Dr W. E. Dubois (1868-1963 ; écrivain-journaliste, il naquit en 1868 dans un village du Massachusetts, près de Boston), Marcus Aurelus Garvey (1885-1940 ; Jamaïcain qui prônait le retour aux sources – «back to Africa»), Price-Mars Jean (1876-1969 ; né à Haïti), l’Antillais Padmore Georges (artisan et théoricien du panafricanisme ghanéen)[6] [6]Encyclopædia Universalis, vol. 12, p. 465. ... suite. 14 En effet, la première initiative de regroupement en Afrique fut lancée par Edward Blyden. Professeur d’université, diplomate, ministre des Affaires étrangères et recteur d’université au Liberia de 1862 à 1884, Edward Blyden fut le premier à proposer et à envisager l’idée d’une « Fédération des États de l’Afrique de l’Ouest ». Il s’intéressa au continent africain à travers le commerce et l’islam[7] [7] L. Kaba, N’Krumah et le rêve de l’Unité... suite. Mais, selon le Dr W. E. Dubois, c’est à la conférence de Westminster Hall du 23 au 25 juillet 1900 à Londres que Henry Sylvester William prononça pour la première fois le mot « panafricanisme »[8] [8] Ph. Decraene, op. cit. , p. 12. ... suite. Cependant, l’impulsion donnée au panafricanisme ou aux initiatives de regroupement en Afrique relève surtout de l’œuvre du Dr W. E. Dubois à travers la conférence de Manchester en 1945. Déjà à la conférence panafricaine de Paris, en 1919, il réclama, conformément aux principes proclamés par le président américain Woodrow Wilson, « le droit des peuples noirs à disposer d’eux-mêmes »[9] [9] G. Padmore, Panafricanisme ou communisme ?... suite. En effet, il fut le premier leader noir américain à se rendre compte de l’importance des mouvements coloniaux de libération en tant que partie intégrante de la lutte des races de couleur d’Asie et d’Afrique. Il fut aussi le premier à prendre conscience de l’importance du développement d’une solidarité et d’une coopération plus agissante entre les Africains de naissance et les peuples d’ascendance noire vivant dans l’hémisphère Nord[10] [10] M. Sarr, La naissance de l’OUA, mémoire de... suite. En somme, il incita les Noirs américains à renouer avec leurs origines africaines. 15 C’est dans cet esprit de solidarité transatlantique et dans la perspective d’une transplantation du panafricanisme en Afrique qu’il organisa la Conférence panafricaine de Manchester en 1945 avec, à ses côtés, les futurs leaders africains comme Kwamé N’Krumah, Namdi Azikiwe, Jomo Kenyatta, Wallace Johnson (Sierra Leone), Banda Hasting (Malawi). Mais étaient aussi de la partie Georges Padmore et Peter Adams[11] [11] Ph. Decraene, op. cit. , p. 128. ... suite. À ce congrès il exigea dès cette époque la réalisation de l’unité africaine dans les meilleurs délais. « Peuples colonisés et assujettis du monde, unissez-vous ! »[12] [12] A. Wade, Un destin pour l’Afrique, Paris,... suite, s’écria alors N’Krumah. B. Le panafricanisme et la naissance du nationalisme africain 16 Rappelons que, depuis la conférence de Paris en 1919, un secrétariat permanent du panafricanisme avait été créé. Il avait pour objet, d’une part, d’entretenir un contact régulier entre les représentants qui ont participé aux diverses rencontres panafricaines, et, d’autre part, de maintenir vivace l’idée panafricaine jusqu’à l’enracinement du nationalisme en Afrique[13] [13] M. Sarr, op. cit. , p. 3. ... suite. En effet, depuis la conférence de Manchester en 1945, le centre d’intérêt du panafricanisme s’est déplacé en Afrique sous l’impulsion du Dr Dubois, de Kwamé N’Krumah et de Georges Padmore, véritable théoricien et idéologue du panafricanisme politique[14] [14] J. Buchmann, op. cit. , p. 154. ... suite en Afrique. Par la réalité des événements, les luttes d’indépendance pour l’autodétermination et pour l’unité africaine, le panafricanisme ouvrit la vie au nationalisme africain, donc à l’anticolonialisme. Mais il fallut attendre les conférences d’Accra du 15 au 22 avril et du 6 au 13 décembre 1958 pour que l’esprit panafricaniste serve de levain à l’éclosion et à la prise en compte effective des idées panafricanistes. 17 Les artisans de ce nationalisme africain en terre africaine étaient entre autres Kwamé N’Krumah et son conseiller politique Georges Padmore, Namdi Azikiwe (Nigeria), Jomo Kenyatta (Kenya), Gamal Abd El Nasser (Égypte), Wallace Johnson (Sierra Leone), Banda Hasting (Malawi), Sékou Touré (Guinée)[15] [15] M. Sarr, op. cit. , p. 12-13, 36. ... suite. 18 Rappelons que la revue Présence africaine créée par Alioune Diop à Paris dans la perspective panafricaine avait organisé deux conférences panafricaines respectivement en 1956 à la Sorbonne, à Paris, et en 1959 à Rome, en Italie. Le congrès constitutif du PRA (Parti du Regroupement africain) du 25 au 27 juillet 1958 à Cotonou avait à son tour encouragé les initiatives d’union et de regroupement en Afrique, en engageant la lutte pour l’indépendance des États africains et en préconisant une Fédération multinationale des peuples libres et égaux basée sur la solidarité panafricaine. Les slogans du Congrès « Indépendance immédiate », « États-Unis d’Afrique » en disent assez long sur les engagements panafricanistes en Afrique. Mais l’enlisement des tensions nées de la guerre froide, l’opposition entre les fédéralistes et les antifédéralistes, les contradictions idéologiques entre l’Afrique modérée et l’Afrique progressiste, notamment entre le RDA et le PRA, et enfin les accessions à l’indépendance en ordre dispersé présageaient d’ores et déjà l’effritement du panafricanisme en Afrique. Pour cause, l’absence du RDA à la conférence panafricaine d’Accra du 6 au 13 décembre 1958 et la faible représentation des États de l’AOF à ladite conférence confirmaient déjà les divergences sur les modes et les méthodes de regroupement en Afrique[16] [16]Revue française d’études politiques africaines,... suite. 19 Il en ressort que le panafricanisme, qui apparaît comme un legs transatlantique, a été mal interprété et mal intégré aux réalités politico-idéologiques en Afrique. Cependant la volonté de regroupement demeurait une réalité très vivace dans les mentalités et la vie politique en Afrique. Mais comment y procéder ? Et quelle forme de regroupement fallait-il adopter au lendemain des indépendances africaines ? En tout cas, il reste évident que l’idée de fédération et d’union africaine doit refléter chez tous les Africains, notamment chez les responsables politiques, un souci de survie. Il faut la réaliser solidement et dans les meilleurs délais[17] [17] C. A. Diop, op. cit. , p. 31. ... suite. Revue française d’études politiques africaines
Posted on: Sun, 11 Aug 2013 21:20:48 +0000

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