ENTRETIEN AVEC MOHAMED TAYEB DEHIMI, COMEDIEN ET METTEUR EN SCENE - TopicsExpress



          

ENTRETIEN AVEC MOHAMED TAYEB DEHIMI, COMEDIEN ET METTEUR EN SCENE DU THEATRE REGIONAL DE CONSTANTINE (1985) Par Ahmed CHENIKI A.C : Votre pièce « Def el Goul ouel Bendir » reprend des personnages tirés de l’hériitage arabe et universel. C’est une sorte de parodie, n’est-ce pas ? M.T.D : Effectivement, c’est une parodie. Elle permet la définition et la prise en charge de certains mécanismes régissant l’héritage culturel. Elle fait mouvoir et fonctionner l’écriture théâtrale. Elle transforme notre rapport à la représentation et constitue un lien permettant la critique de certains phénomènes et l’explication simple et différente, c’est-à-dire plaisante, des mécanismes régissant le fait social traité. Toute la pièce repose sur la parodie. A.C : Ce qui nous semble intéressant, c’est surtout le traitement du temps et de l’espace. On est en présence d’un enchevêtrement des éléments spatiaux et temporels. Du temps mythique, on passe au temps historique et réel. Le passé et le présent se mêlent pour engendrer un dialogue vivant. Pourquoi ce jeu ? M.T.D : Ce n’est pas une pièce historique. Je prends l’Histoire comme prétexte pour montrer et déconstruire certains mécanismes de l’héritage qui passent obligatoirement par la reconnaissance officielle. Dire l’héritage, c’est lire le présent et interroger toutes les tentatives de récupération. Mais le passé n’est pas du tout détaché du présent. Il sert d’élément catalyseur au présent. Dans ma pièce, El Hallaj en bicyclette brise les cadrans du temps mythique pour aboutir au présent et participer à la mise en œuvre de l’Histoire actuelle. Il donne d’ailleurs son avis. Antar pénètre sur scène, portant un parapluie et une bouteille de vin. Ces objets (vélo, bouteille de vin, parapluie) provoquent un certain effet de distanciation et marquent un espace de rencontre du temps et de l’espace. Le présent traverse toute la pièce. Les personnages emploient souvent un langage actuel et le discours théâtral permet la détermination de l’entité dramatique du lieu exploré. A.C : C’est bon de renouer avec le gouwal comme vous le faites dans cette pièce, mais est-il possible de réussir l’entreprise dans un lieu théâtral conventionnel ? M.TD : L’utilisation du gouwal sert comme référence culturelle et comme moyen permettant l’établissement d’une nouvelle structure dramatique et d’un nouveau discours théâtral. Aujourd’hui, je sens la nécessité de remettre en question le théâtre « classique » et de découvrir une nouvelle théâtralité, un lieu différent de théâtralisation. C’est une option nécessaire, mais qui ne peut se faire sans une relecture du lieu théâtral tel qu’il existe aujourd’hui. Même en Europe, des hommes comme Peter Brook et Lucien Attoun proposent d’autres espèces de théâtralité rompant avec le type de représentation dominant. Antonin Artaud ne voulait-il pas en finir avec le théâtre « classique ». Pour mettre en place une autre organisation scénique, il faudrait remettre en question le lieu théâtral. Si on opte pour la halqa par exemple, je crois que tout doit changer sur le plan de l’espace et du temps. On peut « démolir » le lieu théâtral conventionnel en juxtaposant salle et scène, en brisant la frontière séparant ces entités, intimement liées dans le théâtre traditionnel. Là, le lieu prendra une dimension nouvelle, une autre dynamique. Le gouwal, intelligemment employé, peut prendre en charge plusieurs fonctions dont celle de lieu mémoriel collectif. Il faut que nous nous mettions à réfléchir sur sa dynamique dans la structuration du spectacle. Son utilisation ne peut-être sérieuse que si le lieu théâtral est remis en question. A.C : Le jeu sur la (les) langue(s) participe, nous semble t-il, au travail sur le temps, l’espace et l’héritage. C’est cela, n’est-ce pas ? M.T.D : J’avais, au départ, des problèmes sérieux : quelle langue utiliser ? Opter pour une langue commune pour les personnages centraux ou bien fournir à chacu d’eux un langage correspondant à leur espace socio-historique. Finalement, j’ai fini par opter pour la seconde version parce que plus logique et plus objective. Antar El Hallaj possèdent une charge linguistique et culturelle convenant aux espaces culturels de l’époque. Plusieurs paramètres régissent une forme d’écriture. Le langage théâtral ne se réduit pas uniquement à l’outil linguistique, mais comprend toutes les contrées de l’imaginaire et de la construction dramatique. A.C : Quels rapports entretiennent entre eux les personnages légendaires (Antar, Al Hallaj et Othello) d’une part et le gouwal (les gouwals) et les personnages historiques d’autre part. M.T.D : Les personnages sont très proches. Ils représentent l’espace des dominés et des opprimés. Leurs luttes pour l’édification d’une société nouvelle sont similaires. Chacun d’eux véhicule une idée-clé et se bat pour elle : la liberté. Leur révolte est commune, collective. Les trois, rejetés, exclus et marginalisés par la culture officielle, visent l’absolue liberté, c’est-à-dire le combat pour la justice et l’établissement de rapports égalitaires. Le gouwal représente la sagesse, la vérité du peuple. C’est la mémoire collective opposée à l’Histoire officielle. Le gouwal est le lieu où s’articule le récit. Il fait parler et agir les personnages. Il leur donne la liberté de se raconter et de revivre un passé pris dans les mailles du présent. Ici, c’est une approche sur la légende et l’héritage culturel. Je ne cherche pas l’exactitude des faits. Je ne suis pas historien. Pour moi, les personnages démythifient l’Histoire ou plutôt proposent une autre lecture de cette Histoire, encore et toujours piégée, perdue dans les arcanes de la récupération. Les personnages légendaires ne sont pas très ancrés dans le passé, ils portent souvent les oripeaux des gens d’aujourd’hui. Ils sont en perpétuelle révolte. Ce sont d’éternels révoltés. Ils sont là pour rectifier le tir et suggérer un autre type de représentation du monde. A.C : Comment fonctionne le théâtre dans le théâtre dans votre pièce ? Pourquoi avez-vous utilisé ce procédé ? M.T.D : La forme du théâtre dans le théâtre permet la réalisation d’un style d’écriture différencié et varié et de mettre en question l’appareil théâtral et les techniques dominantes de mise en scène. La mise en scène a obéi à deux tendances : le lieu théâtral concret et figuré et l’espace imaginé. Aucun espace théâtral n’est défini à l’avance. L’imaginaire participe de la mise en œuvre des espaces-clés de la réalisation scénique. Le personnage peut-être le lieu de rencontre et de manifestation de plusieurs espaces. Le théâtre dans le théâtre provoque une distance entre le comédien et le personnage d’une part, et les spectateurs d’autre part. Ce procédé, brechtien, n’est pas nouveau, mais chaque représentation fournit sa propre forme.
Posted on: Wed, 23 Oct 2013 21:41:00 +0000

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