INTERVIEW – Romain Gitenet, coordinateur à Médecins sans - TopicsExpress



          

INTERVIEW – Romain Gitenet, coordinateur à Médecins sans Frontières, revient tout juste de Syrie après une mission de deux mois dans le Nord du pays. Son témoignage est rare, MSF étant la seule ONG qui envoie encore des expatriés dans la région malgré les risques. Il le livre en exclusivité à «20 Minutes»... Vous avez passé deux mois dans le Nord de la Syrie de fin août à fin octobre, pour Médecins sans Frontières. Quelle est la situation sur place? Les bombardements sont quotidiens. On est installé dans les zones rebelles –on a demandé à travailler aussi en zone gouvernementale, mais cela nous a été refusé. Le régime cible les civils, les écoles et les hôpitaux. C’est intélorable, cela nous empêche de travailler et provoque des mouvements de population. L’Hôpital d’al Bab a été bombardé pendant que j’étais là-bas, faisant une dizaine de morts. A Maarrat an Numan, la grande ville au sud d’Idlid, j’ai comptabilisé au moins 22 bombardements pendant le mois d’octobre. Il s’agit de scuds ou de barrils remplis de métal et de TNT, qui soufflent les bâtiments quand ils tombent. Quelles sont les blessures les plus fréquentes? Les éclats et perforations provoqués par les bombardements. Les blessures par balle sont moins nombreuses. Hormis ces blessures causées directement par la guerre, il y a aussi celles liées aux conditions précaires dans lesquels vivent les dizaines de milliers de déplacés dans le Nord Parallèlement, un nouveau phénomène se développe dans le Nord avec les voitures piégées. Il y en a eu trois ou quatre ces dernières semaines. Au début on pensait qu’elles visaient les rebelles, mais on s’est vite aperçu que les civils étaient ciblés eux aussi. Ces voitures viennent notamment d’Idlib, une ville contrôlée par le gouvernement. Comment parvenez-vous à soigner les blessés? Un véritable réseau clandestin s’est mis en place. On a créé six hôpitaux qu’on gère nous-mêmes dans le Nord, et on soutient des dizaines d’autres structures auxquelles ont envoie des médicaments. Comme on est une cible –l’un de nos chirurgiens syriens a été tué en septembre, on fait profil bas et on ne dit pas où ils sont situés exactement. Tout se sait par un système de relais pour transférer les blessés au bon endroit. Des médecins syriens expatriés aux Etats-Unis ou en Europe sont revenus en Syrie pour aider et s’investir. D’autres opèrent dans les zones non visibles. En France, la diaspora médicale syrienne active nous a aussi aidés à trouver des contacts. Mais malgré ce réseau de solidarité, le déficit en personnel médical est réel, alors que le système fonctionnait bien avant la guerre, avec des équipements de pointe... Est-il encore possible d’opérer? Un bloc opératoire doit être intégré d’ici quelques semaines dans un «hôpital» aménagé dans une cave. Il sert actuellement à stabiliser les patients. C’est un anesthésiste qui l’a aménagé il y a un peu plus d’un an. Il a été tué depuis dans un bombardement. L’hôpital a été repris par un dentiste et un médecin, qui a dû interrompre sa formation au bout de quatre ans à cause de la guerre et n’a donc pas les compétences requises pour opérer. Parfois, par manque de connaissance, les blessés ne peuvent pas être sauvés. Quand c’est possible, on transfère le patient ou l’on fait venir des expatriés qui puissent les opérer. Le Nord fait face à un afflux de déplacés. Comment cela se passe-t-il pour eux? Dans la zone où j’étais, ils étaient 80.000. Ils ont fui à cause des bombardements. Ceux qui ont de la famille dans la région s’entassent dans les maisons. Les autres se retrouvent dans des espèces de «camps» anarchiques et où ils ne trouvent pas de quoi vivre. Certains ont des tentes, d’autres non. Ils en sont réduits à chercher des morceaux de plastique pour s’abriter. Comme en France, l’hiver approche et on va vers du grand froid. Pour vous donner une idée, je dormais avec deux couvertures dans une maison en dur. Eux dormaient dehors sans couverture. Ils attendent de l’aide qui n’arrive pas. La dernière fois que j’y suis allé, une famille m’a montré son enfant mort. Elle m’a dit qu’il avait succombé au froid. MSF a pu envoyer des kits de survie pour un montant de 500.000 dollars, mais cela n’a pu aider que 20.000 déplacés sur les 80.000. Le problème, derrière tout ça, c’est l’ONU. Pourquoi? Les agences onusiennes présentes en Syrie, comme Unicef, le PAM et le HCR, ont un mandat et les moyens nécessaires pour approvisionner les populations en nourriture, couvertures et vaccins. Habituellement, c’est ce qu’elle font dans les zones de conflit. Or là, elles ne sont pas présentes du tout dans les zones sous le contrôle des rebelles! L’ONU a demandé à accéder à ces zones, mais le régime de Bachar al Assad a refusé. Et comme elle argue du respect de la souveraineté nationale, elle n’est présente que dans les zones contrôlées par le régime à Damas, où elle a été autorisée à intervenir. Résultat, dans les zones rebelles, les aides ne proviennent que de MSF, dont le budget est limité, de quelques Syriens volontaires, et d’ONG situées dans les pays limitrophes et qui n’entrent pas en Syrie par crainte des enlèvements. C’est un problème grave. Il faut rompre avec cette lâcheté politique. L’ONU doit faire pression dans le domaine humanitaire comme elle l’a fait avec les armes chimiques. On arrive à une situation ridicule où des experts en armes chimiques peuvent entrer dans des zones contrôlées autour de Damas où, selon des informations qui nous parviennent, la situation humanitaire est critique, la malnutrition sévit et les médicaments n’arrivent pas. Que préconisez-vous? Si l’approche diplomatique ne marche pas, il faut que l’ONU fasse de la désobéissance morale. L’autre moyen de contourner le problème de la souverainté nationale, c’est que l’ONU donne les médicaments et le matériel aux ONG situées dans les pays limitrophes, qui le transfèreront aux populations syriennes. Il faut faire pression sur l’ONU pour qu’elle agisse. Il n’y a plus de média sur place, pas d’images. Nous, en tant qu’humanitaires, on ne peut pas prendre de photos sinon on serait accusés d’espionnage. Personne ne voit la détresse des déplacés et, une fois encore, l’impératif politique a pris le pas sur l’urgence humanitaire.
Posted on: Thu, 31 Oct 2013 21:36:20 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015