LINSTRUCTION PAR LES EXEMPLES PAR OUSAMA IBN MOUNKIDH ET CEST - TopicsExpress



          

LINSTRUCTION PAR LES EXEMPLES PAR OUSAMA IBN MOUNKIDH ET CEST AINSI QUON DÉSIGNE MOUAYYAD AD-DAULA ABOU L-MOUTHAFFAR OUSÂMA, FILS DE MOURSCHID, DE LA TRIBU DE KINÂNA, DE LA VILLE DE SCHAIZAR, DE LA RACE DES MOUNKIDHITES. Nous étions un jour auprès de mon père (quAllah lait en pitié !), lorsque vint à lui un homme dentre les laboureurs (fallâh) de Maarrat an-Nomân, apportant un faucon dressé, avec des plumes brisées aux ailes et à la queue. Ce faucon avait la taille du plus grand aigle. Jamais je navais vu faucon pareil. Le laboureur dit : « O mon maître, je tendais mon arçon à laine comme filet pour prendre les ramiers, lorsque ce faucon heurta un ramier pris dans larçon. Je pris le faucon et je te lapportai. » Mon père accepta le cadeau et se montra généreux envers celui qui le lui avait fait. Le fauconnier rapprocha de nouveau les ailes de loiseau, le prit avec lui et lapprivoisa. Ce faucon était accoutumé à la chasse, bien conformé, ayant mué dans une maison. Il sétait enfui de chez les Francs, avait mué alors sur la montagne qui domine Maarrat an-Nomân. Peu doiseaux de proie pouvaient lui être comparés pour lagilité et pour ladresse. Jai assisté à une partie de chasse avec mon père (quAllah lait en pitié !). A distance apparut un homme qui savançait vers nous, porteur dun objet que nous ne distinguions pas. Lorsquil sapprocha, voici que cétait un petit de gerfaut, remarquable par sa taille et par sa beauté, qui lui avait déchiré les mains tandis quil le portait. Il relâcha ses liens et ne retint que les deux entraves de ses pieds, de sorte que le gerfaut, un peu dégagé, pouvait déployer ses ailes. Lorsque cet homme nous eut rejoint, il dit : « O mon maître, jai atteint à lâchasse cet oiseau et je te lai apporté. » Mon père confia le gerfaut au fauconnier, qui le remit en état et répara celles de ses plumes qui avaient été brisées. Mais sa renommée ne répondit pas à son apparence. Le chasseur lavait perdu par sa maladresse à le manier. Le gerfaut, en effet, ressemble à la balance, que le moindre accident fausse et gâte. Quant au fauconnier, cétait un spécialiste supérieur dans lart de dresser les gerfauts. Nous sortions par la porte de Schaïzar pour nous rendre à la chasse, avec tout lappareil nécessaire, jusques y compris les filets, les haches, les pelles et les harpons pour le gibier qui se réfugierait dans ses antres. Nous amenions les oiseaux de proie, les faucons, les sacres, les gerfauts et les chiens. Dès notre sortie, mon père faisait tournoyer deux gerfauts qui ne cessaient pas de planer au-dessus de léquipage. Si lun deux déviait du but, le fauconnier toussait à dessein et indiquait avec sa main la direction où il tendait. Aussitôt, par Allah, le gerfaut reprenait cette direction. Jétais présent, lorsque mon père fit tournoyer un gerfaut au-dessus dune troupe de pigeons ramiers, qui reposaient au milieu dun marécage. Lorsque le gerfaut eut pris position, on frappa sur le tambour pour faire envoler les ramiers. Le gerfaut décrivit des cercles au-dessus deux, heurta la tête dun ramier, la trancha, saisit loiseau et descendit. Par Allah, nous recherchâmes en tous sens cette tête sans la trouver. Sa trace nous apparut à distance dans leau, lendroit où nous étions avoisinant le fleuve. Un jeune homme, nommé Ahmad ibn Moudjîr, qui ne chevauchait pas dans lescorte de mon père, lui dit un jour : « O mon maître, je désirerais être admis à ta chasse. » — « Avancez, dit mon père, un cheval pour Ahmad. Il le montera et sortira avec nous. » Nous sortîmes pour chasser les francolins. Un mâle se mit à voler et agita ses ailes comme il en avait lhabitude. Sur la main de mon père (quAllah lait en pitié !), était le faucon Al-Yahschoûr, que mon père lança sur le francolin. Le faucon vola à fleur de terre, les herbes lui battant la poitrine, tandis que le francolin sétait élevé à une grande hauteur. Ahmad dit à mon père : « O mon maître, par ta vie, le faucon joue avec sa proie avant de la saisir. » Mon père recevait du pays des Grecs (Ar-Roum) des chiens braques excellents, mâles et femelles. Ils se multipliaient ensuite chez nous. La chasse aux oiseaux leur est naturelle. Jai vu un petit de braque tout jeune, qui était sorti derrière les chiens conduits par le valet. Celui-ci lança un faucon sur un francolin qui rappelait dans les broussailles situées sur la rive du fleuve. On lança les chiens dans les broussailles, afin que le francolin senvolât, le jeune braque restant immobile sur la rive. Dès que loiseau senvola, le jeune braque quitta la rive pour sauter à sa poursuite et tomba au milieu du fleuve. Il ne savait rien de la chasse et cétait sa première tentative. Jai encore vu lun de ces chiens braques, alors quune perdrix avait rappelé sur la montagne, dans des touffes de jusquiame inextricables. Le chien avait pénétré jusquà elle et sy était attardé. Puis, nous entendîmes un bruit violent à lintérieur des touffes de jusquiame. Mon père (quAllah lait en pitié !) dit : « Il doit y avoir dans ces touffes une bête fauve qui aura tué le chien. » Puis, au bout dun certain temps, le chien sortit, traînant par le pied un chacal quil y avait rencontré, quil avait tué, traîné et apporté jusquà nous. Mon père (quAllah lait en pitié !) avait voyagé jusquà Ispahan, jusquau palais du sultan Malik-Schah (quAllah lait en pitié !).[201] Il ma raconté ce qui suit : « Lorsque mes affaires furent réglées avec le sultan et que je me disposai à partir, je voulus me munir de quelques oiseaux de proie pour me divertir pendant la route. On maccorda des faucons et une belette savante qui attirait les oiseaux à sortir des touffes de jusquiame. Je pris aussi des sacres qui sattaquent aux lièvres et aux outardes. Les soins quil fallut donner aux faucons ajoutèrent beaucoup pour moi aux embarras de cette pérégrination. » Il y avait également chez mon père (quAllah lait en pitié !) des lévriers parfaits. Un jour, mon père lançait les sacres contre les gazelles sur le soi gras de boue après une pluie. Jétais avec lui, adolescent monté sur une mazette, mon bien ; tandis que les autres chevaux avaient fait halte, ne pouvant galoper dans la boue, ma rosse, grâce à la légèreté de mon corps, triomphait des difficultés. Les sacres et les chiens avaient terrassé une gazelle. Mon père me dit : « O Ousâma, va rejoindre la gazelle, descends de cheval, retiens-la par les pieds jusquà notre arrivée. » Jobéis. Il arriva ensuite (quAllah lait en pitié !) et égorgea la gazelle. Mon père avait avec lui une chienne au poil jaunâtre, pleine daudace, que lon nommait la Hamatite (al-hamawiyya) et qui avait terrassé la gazelle. Elle était en arrêt, lorsquune troupe de gazelles, que nous avions décimée, passa devant nous en sen retournant. Mon père (quAllah lait en pitié !) prit le collier de la Hamatite et lemporta dun pas régulier pour indiquer les gazelles à la chienne quil lança sur la troupe. La chienne attrapa une seconde gazelle. Malgré la lourdeur de son corps, malgré son grand âge, malgré sa persévérance à jeûner, mon père (quAllah lait en pitié !) galopait toute la journée et ne chassait que sur un cheval de race ou sur un bon petit cheval. Nous étions avec lui, ses quatre fils, fatigués et épuisés, tandis quil nétait affaibli, ni par épuisement, ni par fatigue. Il nautorisait aucun serviteur, aucun écuyer de monture tenue en laisse, aucun porteur darmes, à ralentir le galop à la poursuite du gibier. Javais à mon service un jeune homme, nommé Yousouf, qui portait ma lance et mon bouclier, qui maintenait sur le côté mon cheval, qui, pour ne pas le fatiguer, sabstenait de trotter à la poursuite du gibier. Mon père ne cessait pas de sirriter contre lui à ce sujet. Yousouf lui dit : « O mon maître, aucun des assistants (et le recours est vers Allah !) ne te rend autant de services que ton fils Ousâma. Laisse-moi rester à sa suite, avec son cheval et ses armes. Si tu as besoin de lui, tu le trouveras. Et tiens compte que moi, je ne suis pas avec vous. » Mon père renonça à le blâmer et à lui adresser des reproches sur ce quil ne galopait pas à la poursuite du gibier. Le prince dAntioche[202] campa pour nous combattre et se retira sans quil y eût de réconciliation. Aussitôt mon père (quAllah lait en pitié !) monta à cheval pour aller à la chasse, sans attendre que larrière-garde des Francs se fût éloignée de Schaïzar. Nos cavaliers poursuivirent lennemi qui se retourna contre eux. Quant à mon père, il était déjà loin quand les Francs parvinrent jusquà la ville. Il était monté sur le Tell Sikkîn, doù il les voyait occupant lespace situé entre lui et la ville. Il ne cessa pas de se tenir sur la colline jusquà ce que les Francs se fussent éloignés de la ville et que lui, il fût retourné à la chasse.. Mon père (quAllah lait en pitié !) poursuivait les chevreuils sur le territoire de la Citadelle du pont (housn al-djisr). Il en renversa un certain jour cinq ou six, étant monté sur une jument cap de more, qui lui appartenait, nommée la jument de Kourdjî daprès son ancien propriétaire qui la lui avait vendue et à qui il lavait achetée pour trois cent vingt dinars. Après quil eut attaqué le dernier de ces chevreuils, les pieds de devant de la jument tombèrent dans une fosse, comme lon en creuse pour les sangliers ; la jument se renversa sur lui, lui brisa la clavicule, puis se releva et galopa sur un espace de vingt coudées, tandis quil était étendu sur le sol, revint ensuite se tenir près de sa tête en gémissant et en hennissant, jusquà ce quil se relevât à son tour et que ses écuyers vinssent le hisser sur sa monture. Voici comment agissent les chevaux arabes. Je sortis avec mon père (quAllah lait en pitié !) dans la direction de la montagne, pour aller chasser les perdrix. Un de ses écuyers, nommé Loulou (quAllah lait en pitié !), nous quitta pour une affaire personnelle, alors que nous étions dans le voisinage de Schaïzar. Il était monté sur un cheval de bât, qui, en voyant lombre du carquois de son cavalier courir en avant, le jeta à terre et se renversa. Je partis au galop, par Allah, pour atteindre le cheval, moi et un écuyer, depuis laube jusque tard dans laprès-midi. A la fin, nous le mîmes à labri auprès dun possesseur décurie, dans une des cannaies. Les palefreniers soccupèrent de lattacher avec des cordes et prirent possession de lui, comme lon prend possession des bêtes fauves. Je le pris et je men retournai, tandis que mon père (quAllah lait en pitié !) se tenait en dehors de la ville pour mattendre, ne chassant plus, ne rentrant pas encore dans sa demeure. Les chevaux de bât, en effet, ressemblent plus aux fauves quaux coursiers. Mon père (quAllah lait en pitié !) ma rapporté en propres termes : « Je sortais pour aller à la chasse, et avec moi sortait le chef (ar-raïs) Abou Tourâb Haidara, fils de Katrama (quAllah lait en pitié !). » Or, il avait été son précepteur (schaïkh), sous la direction duquel mon père avait appris par cœur le Coran et étudié la langue arabe. Mon père poursuivit : « Lorsque nous arrivions au rendez-vous de chasse, il descendait de cheval, sasseyait sur un rocher et lisait le Coran, pendant que nous chassions aux alentours. Puis, lorsque nous avions fini notre expédition, il remontait à cheval et partait avec nous. « Il me dit un jour : « O notre seigneur, jétais assis sur un rocher, quand une petite perdrix vint en hâte, en dépit de sa lassitude, jusquà ce rocher dans le creux duquel elle entra. Et voici que le faucon arriva à ses trousses, mais fondit à distance, et descendit en face de moi, tandis que Loulou criait : « Prends garde à toi, prends garde à toi, ô notre maître. » Loulou vint au galop au moment où je disais : « O Allah, cache la perdrix. » Alors, il dit : « O notre maître, où est la perdrix ? ». — Je répondis : « Je nai rien vu, elle na point paru ici. » Loulou mit pied à terre, tourna autour du rocher, regarda au-dessous, aperçut la perdrix et dit : « Jaffirme quelle est ici ; toi, tu prétends que non. » Il la saisit, ô notre seigneur, lui brisa les deux pieds et la jeta au faucon. Son sort me brisait le cœur. » Ce Loulou (quAllah lait en pitié !) était le plus expérimenté des chasseurs. Jétais à ses côtés un jour que des lièvres nous étaient arrivés, sans se dissimuler, du désert. Nous sortions pour faire un butin considérable de ces lièvres, petits, au poil rouge. Je laperçus un autre jour où il avait découvert dix lièvres, dont il frappa et saisit neuf à laide de ses faucons Nablî. Pour ce qui était du dixième, mon père (quAllah lait en pitié !) lui dit : « Réserve-le aux chiens ; il sera pour eux une distraction. » On le réserva et on lança sur lui les chiens. Le lièvre prit les devants et séchappa. Loulou dit alors : « O mon maître, si tu mavais laissé libre, je laurais frappé et saisi. » Jai aperçu un jour un lièvre que nous avions fait sortir de son gîte et sur lequel nous avions lancé les chiens. Il rentra dans son antre, sur le territoire dAl-Houbaiba. Une chienne noire pénétra à sa suite dans le repaire, puis en ressortit immédiatement, toute transformée, tomba et mourut. Nous ne la quittâmes pas, avant que ses poils fussent tombés, quelle fût morte et quon leût dépecée. Son mal provenait de ce quelle avait été mordue par un serpent dans le repaire. Parmi les spectacles merveilleux de la chasse au faucon que jai vus, je me rappelle être sorti avec mon père (quAllah lait en pitié !), après des pluies successives qui nous avaient, pendant plusieurs jours, empêchés de monter à cheval. La pluie sétant arrêtée, nous emportâmes les faucons, afin dattaquer les oiseaux aquatiques. Sous nos yeux, des oiseaux barbotaient dans un marécage au-dessous dune hauteur. Mon père (quAllah lait en pitié !) ordonna quon lançât sur eux un faucon domestiqué, qui monta avec les oiseaux, en atteignit quelques-uns et redescendit. Il ne paraissait en possession daucune proie. Nous étant approchés de lui, nous pûmes constater quil avait fait la chasse à un étourneau, quil lavait enveloppé de sa main, sans être blessé, ni endommagé. Le fauconnier survint alors et dégagea le faucon qui était sain et sauf. Jai remarqué chez loie au plumage isabelle[203] une ardeur et une bravoure pareilles à lardeur et à la bravoure des hommes. Cest ainsi que nous lançâmes les sacres sur une bande doies au plumage isabelle, quau roulement de nos tambours, la bande prit sa volée, les sacres lièrent une oie quils portèrent bas, loin de ses compagnes. Nous étions à distance. Loie cria. Alors cinq ou six oies se dirigèrent vers elle pour frapper les sacres de leurs ailes. Si nous nétions pas accourus, elles auraient dégagé loie et brisé les ailes des sacres avec leurs becs. Lardeur de loutarde est toute différente. Car, lorsque le sacre sapproche delle, elle descend vers le sol ; et, selon les tours que le sacre décrit autour delle, loutarde laccueille avec sa queue ; sil vient près delle, elle lui jette ses excréments, lui asperge les plumes, lui remplit les deux yeux et senvole. Mais, si elle le manque avec ce quelle fait, il sempare delle. Parmi les chasses au faucon les plus extraordinaires quait dirigées mon père (quAllah lait en pitié !), je raconterai quil avait sur la main un faucon sor, à lallure fière. Au-dessus dun cours deau il y avait une aima, oiseau de grande taille, de la même couleur que le héron, plus haut que la grue, large de quatorze empans de lextrémité dune de ses ailes à lextrémité de lautre. Mon père mit le faucon en position, pour quil poursuivît la aima, et le lança sur elle. Au roulement du tambour, loiseau senvola, le faucon latteignit, le saisit et tous deux tombèrent dans leau. Ce fut pour le faucon une cause de salut. Car, autrement, la aima laurait tué avec son bec. Lun de nos écuyers se jeta à leau avec ses vêtements et ses armes, saisit la aima et la fit remonter à la surface. Lorsquelle fut sur la terre ferme, le faucon se mit à la regarder, à crier et à voler à distance, sans jamais plus se présenter à elle. Je nai du reste jamais vu faucon, excepté celui-là, qui ait chassé la aima ; car on peut dire delle ce quAbou l-Alâ, fils de Soulaimân, a dit du griffon : Je considère le griffon comme trop grand, pour être chassé. Mon père (quAllah lait en pitié !) se rendait aussi à la Citadelle du pont (housn al-djisr), région très giboyeuse, où il restait plusieurs jours de suite et où nous faisions avec lui la chasse aux perdrix, aux francolins, aux oiseaux aquatiques, aux chevreuils et aux lièvres. Il y alla un jour et nous montâmes à cheval pour chasser les francolins. Il lança un faucon, que portait et que dressait lun de ses mamlouks, nommé Nicolas (Nihoûlâ), sur un francolin. Nicolas le poursuivit en galopant, tandis que le francolin avait rappelé au milieu des broussailles. Tout à coup, les cris de Nicolas nous remplirent les oreilles et il revint en galopant. Nous lui dîmes : « Quas-tu ? » — Il répondit : « Le lion est sorti des broussailles, dans lesquelles le francolin sétait abattu. Jai abandonné le faucon et je me suis enfui. » Or, voici que le lion lui-même avait été aussi lâche que Nicolas. Dès quil avait entendu le son produit par le cri du faucon, il était sorti des broussailles pour senfuir vers les bas-fonds (al-gâb). Nous allions à la chasse et, au retour, nous faisions halte auprès du Boûschamîr, petite rivière voisine du château fort, nous envoyions chercher les pêcheurs et nous voyions merveilles de leur habileté. Cest ainsi que lun deux avait un roseau terminé par une lame entrée dans le creux du manche, le tout ressemblant à une pique, sinon que de ce même creux, se détachaient trois branches en fer, dune étendue chacune dune coudée. A lextrémité du roseau avait été passé un fil long, attaché à la main du pêcheur. Celui-ci. se tenait sur la berge étroite de la rivière, regardait le poisson, le pointait avec le roseau muni de fer, ne le manquait pas, puis le tirait à lui grâce au fil. Le roseau remontait, chargé de poisson. Un autre pêcheur avait avec lui un bois, de la grosseur du poing, terminé dun côté par un croc et de lautre par un fil attaché à la main du pêcheur. Celui-ci descendait dans leau, y nageait, regardait le poisson, lui enfonçait son fer crochu quil laissait dans son corps, remontait, tirait son butin par ce fil, faisant ainsi remonter la pointe et le poisson. Un troisième pêcheur descendait dans la rivière, nageait et faisait passer ses mains à travers les saules des rives sur le poisson, auquel il parvenait à entrer ses doigts sous les cartilages des ouïes, de sorte que le poisson ne pouvait ni remuer, ni séchapper. Alors il le prenait et remontait. Ces hommes nous procuraient des distractions comme celles dont nous jouissions par la chasse au faucon. La pluie et les coups de vent se succédèrent, à notre détriment, pendant plusieurs jours, alors que nous étions dans la Citadelle du pont (housn al-djisr). Ensuite la pluie se calma un moment. Ganâim le fauconnier vint à nous et dit à mon père : « Les faucons sont essimés et excellents pour la chasse. Il fait beau temps et la pluie a cessé. Ne monteras-tu pas à cheval ? » — « Mais si », répondit-il. Nous montâmes à cheval. Mais nous étions à peine sortis vers la plaine que les portes du ciel souvrirent et lancèrent la pluie. Nous dîmes à Ganâim : « Tu avais prétendu quil faisait beau et que le ciel était serein. Tu as réussi à nous faire sortir par cette pluie. » —11 répondit : « Navez-vous pas des yeux pour voir les nuages et les indices de la pluie ? Vous auriez dû me dire : Tu mens dans ta barbe. Il ne fait pas beau et le ciel nest pas serein. » Ce Ganâim était un spécialiste excellent dans lart de dresser les gerfauts et les faucons, ayant lexpérience des oiseaux de proie. Il était de plus un causeur spirituel, un compagnon agréable. Devant lui avaient passé, en fait doiseaux de proie, et les plus remarquables et les moins dignes dêtre connus. Un jour, nous avions quitté pour la chasse la citadelle de Schaïzar. Nous vîmes quelque chose près du Moulin Al-Djalâlî. Voici que cétait une grue étendue sur le sol. Un écuyer descendit de cheval et la retourna. Elle était morte, mais elle était chaude et son corps ne sétait pas encore refroidi. Ganâim la vit et dit : « Elle a été la victime du faucon Al-Lazîk. Inspecte le dessous de son aile. » Le côté de la grue présentait une brèche et son cœur avait été mangé. Ganâim reprit : « Al-Lazîk est un oiseau de proie, comme le faucon Al-Ausak.[204] Il sattache à la grue, se cramponne au-dessous de son aile, perce une brèche dans ses côtes et lui mange le cœur. » Allah (gloire à lui !) décréta que je passerais au service de latabek Zengui (quAllah lait en pitié !).[205] On lui apporta un oiseau de proie qui, comme le faucon Al-Ausak, avait le bec, les pieds et les paupières rouges. Cet oiseau de proie magnifique, qui était, dit-on, Al-Lazîk, ne resta chez lui que peu de jours ; il rongea ses lanières avec son bec et senvola. Mon père (quAllah lait en pitié !) sortit un jour pour chasser les gazelles. Jétais avec lui, presque enfant. Il parvint à la Vallée des ponts (wâdî al-kanâtir), où se trouvaient des individus, des vauriens qui interceptaient les routes. Il mit la main sur eux, les garrotta et les confia à quelques-uns de ses écuyers, pour les faire conduire en prison à Schaïzar. Quant à moi, je pris à lun des brigands une pique et nous partîmes en chasse. Voici quapparut une troupe dânes sauvages. Je dis à mon père : « O mon maître, je nai jamais vu auparavant dânes sauvages. Ordonne, et je partirai au galop pour les regarder. » — « Fais », répondit-il. Javais sous moi une jument alezane excellente : je galopai, tenant dans la main cette pique, que javais enlevée aux brigands, et jarrivai au milieu de la troupe. Jisolai un âne et je mefforçai de le pointer avec cette pique, mais sans quelle lui fît aucun mal, soit parce que ma main était trop faible, soit parce que la pointe nétait pas assez tranchante. Je poussai lâne devant moi jusquà ce que je leusse entraîné vers mes compagnons, qui le prirent. Mon père et son entourage sétonnèrent de la course fournie par cette jument. Allah (gloire à lui !) décréta que je sortirais un jour pour me distraire sur les bords du fleuve de Schaïzar.[206] Jétais monté sur cette jument. Javais avec moi un professeur qui, tantôt récitait des poésies, tantôt psalmodiait des passages du Coran, tantôt chantait. Je descendis masseoir sous un arbre et je laissai la jument à un écuyer qui lui mit des entraves, au bord du fleuve. Elle senfuit et tomba sur le flanc dans leau. Toutes les fois quelle voulait remonter, elle retombait à cause des entraves. Lécuyer était tout jeune, incapable de la dégager. Nous ne savions rien, nous ignorions tout. Lorsque la jument fut sur le point de mourir, elle nous appela par ses cris. A notre arrivée, elle rendit le dernier soupir. Nous coupâmes les entraves et nous la fîmes remonter. Elle était morte, bien que leau dans laquelle elle sétait noyée ne lui arrivât pas jusquà lépaule. Cétaient les entraves seules qui lavaient tuée. Un jour, mon père (quAllah lait en pitié !) partit pour la chasse[207] et amena avec lui un émir quon appelait Samsam ad-Daula (As-Samsam), ancien compagnon darmes de Fakhr al-Moulk Ibn Ammar, seigneur de Tripoli, quil avait servi. Cétait un chasseur peu expérimenté. Mon père lança sur des oiseaux aquatiques un faucon qui lia lun deux et tomba au milieu du fleuve. Samsam ad-Daula se mit à se frapper une main contre lautre et à dire : « Il ny a de force et de puissance quen Allah. Pourquoi suis-je sorti aujourdhui ? » — Je lui dis : « O Samsam ad-Daula, crains-tu que le faucon se noie ? » — « Oui », répondit-il. — Je repris : « Lui, il a noyé un canard, ce qui la fait se jeter à leau, mais non se noyer. » Je ris et jajoutai : « A linstant même, il va remonter. » En effet, le faucon avait saisi la tête de loiseau et avait nagé en lemportant, puis lavait ramené captif. Samsam ad-Daula resta dans ladmiration de ce que le faucon avait échappé, et dit : « Gloire à Allah ! » et « Louange à Allah ! » Les animaux ne meurent pas tous de la même manière. Mon père (quAllah lait en pitié !) avait lancé un épervier blanc sur un francolin. Celui-ci sabattit dans des broussailles, où lépervier entra avec lui. Dans ces broussailles était un renard qui saisit lépervier et lui coupa la tête. Or, cétait un des oiseaux de proie les plus vaillants et les plus agiles. Jai vu mourir bien des oiseaux de proie. Un jour, jétais monté à cheval, et devant moi était un de mes serviteurs ayant avec lui un épervier blanc. Lancé sur des passereaux, il en prit un. Le serviteur vint, enveloppa dans sa robe le passereau suspendu au pied de lépervier, qui secoua la tête, vomit du sang et tomba mort, tandis que le passereau, cause de sa mort, était égorgé. Gloire à Celui qui détermine lépoque des trépas ! Je passai un jour devant une porte que nous avions ouverte dans la citadelle pour une construction placée là. Javais avec moi une sarbacane. Je vis un passereau sur un mur au-dessous duquel je me tenais ; je le visai avec une balle qui le manqua ; le passereau senvola, tandis que mes yeux suivaient la balle qui descendit le long du mur. Or, le passereau avait passé sa tête par une brèche dans le mur. La balle tomba sur sa tête et le tua. Il vint tomber devant moi et je légorgeai. Cette manière de latteindre nétait, ni avec préméditation, ni de propos délibéré. Mon père (quAllah lait en pitié !) lança un jour le faucon sur un lièvre qui sétait montré à nous dans une cannaie très épineuse. Le faucon le saisit, mais il réussit à lui échapper Le faucon sassit sur le sol ; le lièvre était parti. Je me mis à galoper moi-même sur une jument cap de more, une bête excellente, pour faire rebrousser chemin au lièvre. Les pieds de devant de ma jument se prirent dans un trou ; elle se retourna sur moi et remplit mes mains, ainsi que mon visage, de ces épines, pendant que ses pieds de derrière étaient disloqués. Puis le faucon se releva du sol après que le lièvre se fut éloigné, le rejoignit et lui fit la chasse. On eût dit que son but était de faire périr ma jument et de me nuire par ma chute au milieu des épines. Un matin, le premier de redjeb, nous jeûnions. Je dis à mon père (quAllah lait en pitié !) : « Jaimerais sortir et moccuper exclusivement de la chasse, au lieu de jeûner. » — Mon père répondit : « Soit. » Je sortis aussitôt, moi et mon frère Bahâ ad-Daula Abou ‘l-Mouguîth Mounkidh (quAllah lait en pitié !), emportant un faucon, vers les cannaies. Nous venions de pénétrer dans des plants de réglisse, lorsque se dressa devant nous un sanglier mâle. Mon frère le frappa et le blessa. Le sanglier sen retourna vers les réglisses. Mon frère dit : « Sa blessure le fera revenir et il ressortira. Jirai à sa rencontre, je le frapperai, je le tuerai. » — Je répondis : « Ne le fais pas ! Il frappera ta jument et la tuera. » Nous nous entretenions ainsi, lorsque le sanglier sortit pour gagner une autre cannaie. Mon frère savança vers lui, le frappa sur la saillie de son dos, où se brisa la pointe de la lance avec laquelle il lavait frappé. Ce sanglier sintroduisit au-dessous dune jument alezane, que mon frère montait, jument pleine depuis dix mois, au pelage blanc des pieds et de la queue, la frappa, la renversa et le renversa à terre. Quant à la jument, sa cuisse fut disloquée et elle périt. Pour ce qui est de mon frère, lun de ses petits doigts fut détaché et son cachet fut brisé. Je galopai à la poursuite du sanglier, qui entra dans un plant de réglisse fertile et dans un champ dasphodèles, où dormaient des bœufs, que je ne voyais pas du marécage où jétais. Un des taureaux se leva et sattaqua au poitrail de mon cheval, quil jeta à terre. Je tombai et mon cheval tomba, son mors ayant été brisé. Je me levai, je saisis ma lance, je montai à cheval et je poursuivis le taureau qui sétait précipité dans la rivière. De la berge où je métais arrêté, je le pointai avec ma lance qui senfonça dans son corps et sy brisa sur une longueur de deux coudées. Le fer y resta après que la lance sy fut brisée. Le taureau nagea vers lautre rive. Nous appelâmes à grands cris des gens qui, de ce côté-là, frappaient sur des briques de terre destinées à la construction de maisons dans un village que possédait mon oncle paternel. Ils vinrent, se tinrent en observation, aperçurent le taureau sous une berge par laquelle il tentait en vain de remonter et se mirent à lassommer avec des pierres immenses, jusquà ce quils leussent tué. Je dis à lun de mes aides de camp : « Descends vers lui. » Il se débarrassa de son équipement, se déshabilla, prit son épée et nagea jusquà lui, lacheva, le tira par le pied et apporta sa dépouille, en disant : « Puisse Allah vous faire connaître les bénédictions du jeûne de redjeb, que nous avons inauguré par la souillure du sanglier ! » Si le sanglier avait des griffes et des dents canines semblables à celle du lion, il ferait plus de mal que lui. Jai vu, en effet, une femelle de sanglier que nous avions séparée de ses petits. Lun deux frappait avec son groin le sabot dun cheval monté par un écuyer qui maccompagnait. A la taille il semblait le petit dun chat. Mon écuyer tira de son carquois une flèche en bois, sinclina vers le petit du sanglier, len perça et le tint en lair sur sa flèche. Je métonnai de laudace à combattre et à frapper un sabot de cheval chez un petit quon portait sur la flèche dun archer. Parmi les merveilles de la chasse, il est que nous sortions vers la montagne pour traquer les perdrix, à laide de dix faucons que nous occupions toute la journée, tandis que les fauconniers se dispersaient dans la montagne. Chaque fauconnier avait avec lui deux ou trois cavaliers dentre les mamlouks. Avec nous, étaient deux valets dont lun se nommait Pierre (Boutrous) et lautre Zarzoûr Bâdiya. Toutes les fois que le fauconnier lançait le faucon sur une perdrix et quelle rappelait, on criait : « O Pierre » ; il accourait vers eux, rapide comme le dromadaire ; et ainsi, tout le jour, il courait dune montagne à lautre, lui et son camarade. Puis, lorsque nous avions fait paître les faucons et que nous étions revenus, Pierre prenait un gros caillou, courait à la poursuite dun mamlouk et len frappait. Le serviteur prenait un gros caillou et frappait Pierre. Les serviteurs ne cessaient pas de se combattre, eux à cheval, lui à pied, et de se lancer de gros cailloux de la montagne jusquà leur arrivée à la porte de Schaïzar. Pierre navait pas lair davoir passé la journée entière à courir dune montagne à lautre. Parmi les merveilles des chiens braques, je raconterai quils ne mangent pas les oiseaux, sauf pourtant les têtes et les pieds, où il ny a pas de chair, ainsi que les os dont les faucons ont mangé la viande. Mon père (quAllah lait en pitié !) possédait une chienne noire braque, sur la tête de laquelle les serviteurs posaient pendant la nuit le luminaire. Ils sasseyaient ensuite pour jouer aux échecs, tandis que cette chienne restait immobile. Elle ne séloignait pas jusquà ce que ses yeux devinssent chassieux. Mon père (quAllah lait en pitié) sirritait contre ses serviteurs et disait : « Vous avez aveuglé cette chienne » ; mais eux, ils ne se laissaient pas dissuader. Lémir Schihâb ad-Dîn Malik, fils de Salim, fils de Malik, seigneur de Kalat Djabar, conduisit à mon père une chienne savante quon lançait au-dessous des sacres sur les gazelles. Nous voyions merveille de cette chienne, la chasse avec les sacres étant bien organisée. Celui dentre eux qui occupait le premier rang était lancé dabord, saccrochait à loreille dune gazelle, lui portait un coup. Lauxiliaire était lancé après le premier sacre et frappait une autre gazelle. Le deuxième auxiliaire était lancé et en faisait autant. Enfin, un quatrième sacre était lancé dans les mêmes conditions. Chacun de ces sacres frappait une gazelle. Le premier dentre eux saisissait loreille dune gazelle quil isolait de ses compagnes. Alors les autres sacres venaient tous le rejoindre et lâchaient les gazelles quils étaient en train de frapper. Quant à la chienne, placée au-dessous des sacres, elle ne sinquiétait daucune gazelle sur laquelle il ny eût pas un sacre. Si par hasard laigle se montrait, les sacres séloignaient des gazelles devenues libres de senfuir et se remettaient à tournoyer. Nous voyions alors la chienne séloigner des gazelles, en même temps que les sacres, et décrire sur le sol au-dessous des sacres les mêmes tours circulaires que ceux-ci décrivaient dans lair. La chienne ne cessait pas ses mouvements de rotation sous les sacres jusquà ce quils descendissent à lappel. Elle sarrêtait alors et suivait les chevaux. Il y avait entre Schihâb ad-Dîn et mon père (quAllah les ait tous deux en pitié !) une amitié, des relations par correspondance et par des messages. Schihâb ad-Dîn envoya un jour dire à mon père : « Je suis sorti pour chasser les gazelles. Nous avons attrapé trois mille petits en un jour. » Et cela provient de ce que les gazelles abondent chez eux, sur le territoire de Kalat Djabar. Ils font campagne contre elles, à cheval et à pied, à lépoque où les gazelles mettent bas, pour prendre ce qui vient dêtre enfanté dans cette dernière nuit, dans la précédente, et deux ou trois nuits auparavant. On les ramasse comme on ramasse le bois à brûler et lherbe. Les francolins pullulent chez eux dans les cannaies, sur les bords de lEuphrate. Lorsque lon fend le ventre du francolin, quon le vide et quon le bourre de poils, son odeur ne saltère pas pendant nombre de jours. Il mest arrivé de voir un francolin, dont on avait fendu le ventre et dont on avait sorti lestomac. Il contenait un serpent, long dun empan environ, quil avait mangé. Nous tuâmes un jour à la chasse un serpent, du ventre duquel sortit un autre serpent quil avait avalé, qui séchappa au-dessous de lui, à peu près bien portant. Dans les natures de tous les êtres vivants, existe lhostilité du fort contre le faible. Linjustice est un des caractères distinctifs des âmes. Si tu trouves quelquun qui sen abstient, cest quil a un motif pour ne pas nuire. Il serait impossible dénumérer toutes les chasses auxquelles jai assisté pendant soixante-dix années de ma vie ; je ny parviendrais pas. Et dailleurs, perdre son temps à des futilités est parmi les accidents les plus redoutables. Pour ma part, je demande pardon à Allah le Très Haut de gaspiller le peu qui reste de mon existence, en lemployant à autre chose quà la soumission, quà la conquête dune rétribution et dune récompense. Et Allah (quil soit béni et exalté !) pardonnera le péché et prodiguera les trésors de sa miséricorde. Il est le Noble qui ne trompe pas quiconque met son espoir en lui, qui ne repousse pas quiconque limplore. On lisait à la fin du livre en propres termes[208] : « Jai lu ce livre dun bout à lautre en quelques séances, sous la direction de mon maître, mon grand-père, lémir éminent, le savant supérieur, le chef parfait, Adoud ad-Dîn, le familier des rois et des sultans, lautorité reconnue par les Arabes, lhomme plein dun attachement pur pour lémir des croyants (puisse Allah prolonger sa félicité !). Et je lui ai demandé dattester que javais exactement reproduit la tradition dont il est détenteur. Il y consentit en ma faveur et apposa son attestation autographe le jeudi 13 de safer, en lan 610[209] : cest la rédaction authentique ; je laffirme, moi, son grand-père, Mourhaf, fils dOusâma, en glorifiant Allah et en lui adressant mes prières. »
Posted on: Tue, 26 Nov 2013 00:01:45 +0000

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