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Le vent du désert souffle par les fenêtres ouvertes de cette usine du Caire, laquelle abrite l’un des secrets les mieux gardés des grands noms de la mode italienne : les couturières égyptiennes. Des femmes coiffées d’un foulard cousent des épaulettes, repassent des poches doublées de soie et piquent du tissu italien sur des machines à coudre numériques. Elles travaillent sur des costumes pour homme à 1 079 euros pièce pour Valentino, l’un des noms mythiques du luxe italien, marque du groupe textile Marzotto. Cela fait des années que les industriels du luxe font fabriquer leurs tee-shirts et leurs jeans en Europe de l’Est et au Maghreb. Mais aujourd’hui, face à l’augmentation des coûts de main-d’œuvre, aux fluctuations monétaires et à la concurrence des marques plus abordables, Valentino et d’autres sociétés brisent l’un des plus grands tabous du prêt-à-porter de luxe, en produisant certains articles de leurs lignes les plus chères – ceux dont le prix étaient précisément justifiés par la mention made in Italy – dans les pays en développement. Céline, une société du géant du luxe LVMH, fabriquerait ainsi certains sacs à main en Chine, y compris le modèle Macadam, en jean et cuir, vendu plus de 400 euros. Et, même si la production de sa ligne la plus chic reste en Italie, Giorgio Armani produit 18 % de ses Armani Collezioni – dont des pantalons de laine à 375 euros et des vestes en soie à 1 200 euros – en Europe de l’Est. Certains inconditionnels du made in Italy, comme Prada, Gucci et Tod’s, avouent entrer, sur la pointe des pieds, dans le monde de la sous-traitance étrangère. Depuis l’année dernière, Gucci fait coudre des chaussures de sport dans une usine de Serbie. Quant au maroquinier Tod’s, il fabrique ses souliers de toile Hogan en Hongrie et envisage d’en délocaliser la production en Chine. “Qu’est-ce que ça peut vous faire de savoir où je fais fabriquer mes chaussures ?” demande le PDG de Prada, Patrizio Bertelli. Le dessus de certaines chaussures Prada est cousu en Slovénie, et des éléments de ses sacs à main sortent d’ateliers turcs. Là où la législation locale le permet, Patrizio Bertelli préfère mettre une étiquette made by Prada sur ses produits. Le mouvement de délocalisation qui touche la France et l’Italie n’en est qu’à ses débuts. Des dirigeants d’entreprises de mode affirment que la production en petite quantité d’articles très élaborés – les sacs en cuir tressé à la main, les talons aiguille cousus main ou les tailleurs pour femme sur mesure – ne partira jamais vers les pays à faibles coûts, car le savoir-faire des artisans italiens reste inégalé. Mais, pour le reste, c’est une simple question de temps. Des fabricants de chaussures de sport aux géants de l’automobile, les entreprises ont depuis longtemps externalisé leur production en Chine et au Mexique. En revanche, les marques de prestige ont toujours présenté la production italienne et française comme un élément essentiel du luxe. L’étiquette made in Italy, chargée d’une histoire artisanale de plusieurs siècles, a ainsi justifié des prix exorbitants. Si leurs vêtements sont désormais cousus dans des ateliers à bas coûts, comment réagiront les clients ? Les marques de luxe seront-elles finalement obligées de céder à la pression et de baisser leurs prix, au lieu d’améliorer leurs marges ? De nombreuses maisons de mode italiennes redoutent un retour de bâton si elles donnent l’impression de précipiter le déclin de l’industrie textile dans la péninsule. Pendant plus d’un siècle, ce secteur a été l’un des moteurs de l’économie italienne, la quatrième d’Europe. Depuis que les entreprises ont délocalisé leur production, les ventes de textiles italiens ont chuté de plus de 10 % en trois ans, entraînant la suppression de 24 000 emplois industriels rien que pour l’année dernière, selon l’organisation professionnelle du textile. Comment endiguer la tendance, qui contribue au marasme économique actuel ? Cette question politique soulève un débat houleux. “Il faut défendre vigoureusement notre made in Italy”, a martelé, fin septembre, Claudio Scajola, le ministre de l’Industrie, lors des défilés de mode de Milan où l’on présentait les collections de prêt-à-porter féminin printemps-été 2006. Alaa Arafa, l’homme d’affaires propriétaire de l’usine égyptienne qui fabrique les costumes Valentino, n’éprouve guère de sympathie pour ce genre de lamentations. “Oui, des emplois italiens seront détruits, mais c’est inéluctable, assure-t-il. Aucune Italienne n’acceptera plus de s’asseoir devant une machine à coudre, quel que soit le salaire qu’on lui offrira.” L’étiquette “made in…” est facultative en Europe Depuis deux ans, de nouveaux problèmes accélèrent ce mouvement de délocalisation. Les groupes du luxe ne se sont jamais vraiment relevés de la crise économique amorcée en 2001. Parallèlement, des concurrents comme l’espagnol Inditex (Zara) ou le suédois Hennes & Mauritz (H&M) ont inondé le marché de leurs copies, bon marché mais très tendance, des modèles présentés dans les défilés, accentuant de ce fait les pressions subies par le secteur. Enfin, l’euro fort rogne les marges des entreprises du luxe, qui achètent leurs matières premières et paient leur personnel en euros, mais vendent leurs produits essentiellement hors de la zone euro, en particulier aux Etats-Unis et au Japon. Dans ce contexte, réduire les coûts de production pour améliorer les marges devient une option des plus tentantes. Ces profonds changements s’accompagnent toutefois de problèmes épineux, notamment en matière de gestion de la logistique. En 2002, le maroquinier italien Furla a démarré la production en Chine de porte-monnaie et de sacs à main, dans l’espoir d’en réduire de moitié le prix de revient, rapporte sa PDG, Giovanna Furlanetto. Mais, comme Furla veut approvisionner rapidement les magasins, il dépense plus que prévu pour expédier les produits par avion et non par bateau, ce dernier mode de transport étant moins cher mais plus lent. Résultat, les coûts n’ont finalement baissé que de 30 %. Par ailleurs, la mode change si rapidement que les entreprises n’ont pas droit à l’erreur pour sortir leurs collections. Le contrôle de la qualité devient donc la grande priorité. Gucci a tenté de faire appel à une usine en Chine pour coudre des chaussures de sport, mais n’a pas été satisfait de la qualité. Lorsque Prada a confié une partie de la production de souliers à une usine slovène, l’année dernière, il a fait venir les ouvriers en Toscane pour les former. Certaines sociétés prétendent toutefois n’avoir rien à perdre en délocalisant. Car elles ne trouvent plus les compétences qui étaient au cœur du travail artisanal en Italie, comme la couture des dessus de chaussures, qui n’ont pas été transmises aux jeunes générations. Mais bien plus que la qualité, concèdent-elles, c’est la perception du consommateur qui est difficile à gérer. Valentino enlève d’ailleurs les étiquettes made in Egypt de ses costumes avant de les expédier aux boutiques en Europe. Pour les marchés américain et japonais, soumis à des règles d’étiquetage plus strictes, Valentino envoie des costumes produits en Italie, où la marque fabrique également ses articles les plus chers. Dans ces pays, “la qualité perçue est plus importante que la qualité réelle”, assure son PDG, Michele Norsa. Au Caire, personne n’a jamais dit aux cadres de l’usine d’Alaa Arafa que les étiquettes made in Egypt étaient arrachées une fois les costumes arrivés en Italie. Lorsque nous lui révélons le pot aux roses, le chef de produit, Yaser Husein Nada, “trouve ça triste”. Mais, ajoute-t-il, “je suis quand même très heureux de fabriquer des produits pour les Européens”. WALL STREET JOURNAL
Posted on: Wed, 23 Oct 2013 07:07:16 +0000

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