Loiseau bleu. partie 1.1. Mme dAulnoy. Et doù vous viennent, - TopicsExpress



          

Loiseau bleu. partie 1.1. Mme dAulnoy. Et doù vous viennent, madame, dit la reine, ces pierreries qui brillent plus que le soleil ? Nous ferez-vous accroire quil y en a des mines dans cette tour ? - Je les y ai trouvées, répliqua Florine ; cest tout ce que jen sais. La reine la regardait attentivement, pour pénétrer jusquau fond de son cœur ce qui sy passait. Nous ne sommes pas vos dupes, dit-elle ; vous pensez nous en faire accroire ; mais, princesse, nous savons ce que vous faites depuis le matin jusquau soir. On vous a donné tous ces bijoux dans la seule vue de vous obliger à vendre le royaume de votre père. - Je serais fort en état de le livrer ! répondit-elle avec un sourire dédaigneux : une princesse infortunée, qui languit dans les fers depuis si longtemps, peut beaucoup dans un complot de cette nature ! - Et pour qui donc, reprit la reine, êtes-vous coiffée comme une petite coquette, votre chambre pleine dodeurs, et votre personne si magnifique, quau milieu de la cour vous seriez moins parée ? - Jai assez de loisir, dit la princesse ; il nest pas extraordinaire que jen donne quelques moments à mhabiller ; jen passe tant dautres à pleurer mes malheurs, que ceux-là ne sont pas à me reprocher. - Çà, çà, voyons, dit la reine, si cette innocente personne na point quelque traité fait avec les ennemis. Elle chercha elle-même partout ; et venant à la paillasse, quelle fit vider, elle y trouva une si grande quantité de diamants, de perles, de rubis, démeraudes et de topazes, quelle ne savait doù cela venait. Elle avait résolu de mettre en quelque lieu des papiers pour perdre la princesse ; dans le temps quon ny prenait pas garde, elle en cacha dans la cheminée : mais par bonheur lOiseau Bleu était perché au-dessus, qui voyait mieux quun lynx, et qui écoutait tout. Il sécria : Prends garde à toi, Florine, voilà ton ennemie qui veut te faire une trahison. Cette voix si peu attendue épouvanta à tel point la reine, quelle nosa faire ce quelle avait médité. Vous voyez, madame, dit la princesse, que les esprits qui volent en lair me sont favorables. - Je crois, dit la reine outrée de colère, que les démons sintéressent pour vous ; mais malgré eux votre père saura se faire justice. - Plût au Ciel, sécria Florine, navoir à craindre que la fureur de mon père ! Mais la vôtre, madame, est plus terrible. La reine la quitta, troublée de tout ce quelle venait de voir et dentendre. Elle tint conseil sur ce quelle devait faire contre la princesse : on lui dit que, si quelque fée ou quelque enchanteur la prenaient sous leur protection, le vrai secret pour les irriter serait de lui faire de nouvelles peines, et quil serait mieux dessayer de découvrir son intrigue. La reine approuva cette pensée ; elle envoya coucher dans sa chambre une jeune fille qui contrefaisait linnocente : elle eut lordre de lui dire quon la mettait auprès delle pour la servir. Mais quelle apparence de donner dans un panneau si grossier ? La princesse la regarda comme une espionne, elle ne put ressentir une douleur plus violente. Quoi ! je ne parlerais plus à cet Oiseau qui mest si cher ! disait-elle. Il maidait à supporter mes malheurs, je soulageais les siens ; notre tendresse nous suffisait. Que va-t-il faire ? Que ferai-je moi-même ? En pensant à toutes ces choses, elle versait des ruisseaux de larmes. Elle nosait plus se mettre à la petite fenêtre, quoiquelle entendît voltiger autour : elle mourait denvie de lui ouvrir, mais elle craignait dexposer la vie de ce cher amant. Elle passa un mois entier sans paraître ; lOiseau Bleu se désespérait : quelles plaintes ne faisait-il pas ! Comment vivre sans voir sa princesse ? Il navait jamais mieux ressenti les maux de labsence et ceux de la métamorphose ; il cherchait inutilement des remèdes à lune et à lautre : après sêtre creusé la tête, il ne trouvait rien qui le soulageât. Lespionne de la princesse, qui veillait jour et nuit depuis un mois, se sentit si accablée de sommeil, quenfin elle sendormit profondément. Florine sen aperçut ; elle ouvrit sa petite fenêtre, et dit : Oiseau Bleu, couleur du temps, Vole à moi promptement. Ce sont là ses propres paroles, auxquelles lon na rien voulu changer. LOiseau les entendit si bien, quil vint promptement sur la fenêtre. Quelle joie de se revoir ! Quils avaient de choses à se dire ! Les amitiés et les protestations de fidélité se renouvelèrent mille et mille fois : la princesse nayant pu sempêcher de répandre des larmes, son amant sattendrit beaucoup et la consola de son mieux. Enfin, lheure de se quitter étant venue, sans que la geôlière se fût réveillée, ils se dirent ladieu du monde le plus touchant. Le lendemain encore lespionne sendormit ; la princesse diligemment se mit à la fenêtre, puis elle dit comme la première fois : Oiseau Bleu, couleur du temps, Vole à moi promptement. Aussitôt lOiseau vint, et la nuit se passa comme lautre, sans bruit et sans éclat, dont nos amants étaient ravis : ils se flattaient que la surveillante prendrait tant de plaisir à dormir, quelle en ferait autant toutes les nuits. Effectivement, la troisième se passa encore très heureusement ; mais pour celle qui suivit, la dormeuse ayant entendu du bruit, elle écouta sans faire semblant de rien ; puis elle regarda de son mieux, et vit au clair de la lune le plus bel oiseau de lunivers qui parlait à la princesse, qui la caressait avec sa patte, qui la becquetait doucement ; enfin elle entendit plusieurs choses de leur conversation, et demeura très étonnée : car lOiseau parlait comme un amant, et la belle Florine lui répondait avec tendresse. Le jour parut, ils se dirent adieu ; et, comme sils eussent eu un pressentiment de leur prochaine disgrâce, ils se quittèrent avec une peine extrême. La princesse se jeta sur son lit toute baignée de ses larmes, et le roi retourna dans le creux de son arbre. Sa geôlière courut chez la reine ; elle lui apprit tout ce quelle avait vu et entendu. La reine envoya quérir Truitonne et ses confidentes ; elles raisonnèrent longtemps ensemble, et conclurent que lOiseau Bleu était le roi Charmant. Quel affront ! sécria la reine, quel affront, ma Truitonne ! Cette insolente princesse, que je croyais si affligée, jouissait en repos des agréables conversations de notre ingrat ! Ah ! je me vengerai dune manière si sanglante quil en sera parlé. Truitonne la pria de ny perdre pas un moment ; et, comme elle se croyait plus intéressée dans laffaire que la reine, elle mourait de joie lorsquelle pensait à tout ce quon ferait pour désoler lamant et la maîtresse. La reine renvoya lespionne dans la tour ; elle lui ordonna de ne témoigner ni soupçon, ni curiosité, et de paraître plus endormie quà lordinaire. Elle se coucha de bonne heure, elle ronfla de son mieux, et la pauvre princesse déçue, ouvrant la petite fenêtre, sécria : Oiseau Bleu, couleur du temps, Vole à moi promptement. Mais elle lappela toute la nuit inutilement, il ne parut point : car la méchante reine avait fait attacher au cyprès des épées, des couteaux, des rasoirs, des poignards ; et, lorsquil vint à tire-daile sabattre dessus, ces armes meurtrières lui coupèrent les pieds ; il tomba sur dautres, qui lui coupèrent les ailes ; et enfin, tout percé, il se sauva avec mille peines jusquà son arbre, laissant une longue trace de sang. Que nétiez-vous là, belle princesse, pour soulager cet Oiseau royal ? Mais elle serait morte, si elle lavait vu dans un état si déplorable. Il ne voulait prendre aucun soin de sa vie, persuadé que cétait Florine qui lui avait fait jouer ce mauvais tour. Ah ! barbare, disait-il douloureusement, est-ce ainsi que tu paies la passion la plus pure et la plus tendre qui sera jamais ? Si tu voulais ma mort, que ne me la demandais-tu toi-même ? Elle maurait été chère de ta main. Je venais te trouver avec tant damour et de confiance ! Je souffrais pour toi, et je souffrais sans me plaindre ! Quoi ! tu mas sacrifié à la plus cruelle des femmes ! Elle était notre ennemie commune ; tu viens de faire ta paix à mes dépens. Cest toi, Florine, cest toi qui me poignardes ! Tu as emprunté la main de Truitonne, et tu las conduite jusque dans mon sein ! Ces funestes idées laccablèrent à un tel point quil résolut de mourir. Mais son ami lenchanteur, qui avait vu revenir chez lui les grenouilles volantes avec le chariot sans que le roi parût, se mit si en peine de ce qui pouvait lui être arrivé, quil parcourut huit fois toute la terre pour le chercher, sans quil lui fût possible de le trouver. Il faisait son neuvième tour, lorsquil passa dans le bois où il était, et, suivant les règles quil sétait prescrites, il sonna du cor assez longtemps, et puis il cria cinq fois de toute sa force: Roi Charmant, roi Charmant, où êtes-vous ? Le roi reconnut la voix de son meilleur ami : Approchez, lui dit-il, de cet arbre, et voyez le malheureux roi que vous chérissez, noyé dans son sang. Lenchanteur, tout surpris, regardait de tous côtés sans rien voir : Je suis Oiseau Bleu, dit le roi dune voix faible et languissante. A ces mots, lenchanteur le trouva sans peine dans son petit nid. Un autre que lui aurait été étonné plus quil ne le fut ; mais il nignorait aucun tour de lart nécromancien : il ne lui en coûta que quelques paroles pour arrêter le sang qui coulait encore ; et avec des herbes quil trouva dans le bois, et sur lesquelles il dit deux mots de grimoire, il guérit le roi aussi parfaitement que sil navait pas été blessé. Il le pria ensuite de lui apprendre par quelle aventure il était devenu Oiseau, et qui lavait blessé si cruellement. Le roi contenta sa curiosité : il lui dit que cétait Florine qui avait décelé le mystère amoureux des visites secrètes quil lui rendait, et que, pour faire sa paix avec la reine, elle avait consenti à laisser garnir le cyprès de poignards et de rasoirs, par lesquels il avait été presque haché ; il se récria mille fois sur linfidélité de cette princesse, et dit quil sestimerait heureux dêtre mort avant davoir connu son méchant cœur. Le magicien se déchaîna contre elle et contre toutes les femmes ; il conseilla au roi de loublier. Quel malheur serait le vôtre, lui dit-il, si vous étiez capable daimer plus longtemps cette ingrate ! Après ce quelle vient de vous faire, lon en doit tout craindre. LOiseau Bleu nen put demeurer daccord, il aimait encore trop chèrement Florine ; et lenchanteur, qui connut ses sentiments malgré le soin quil prenait de les cacher, lui dit dune manière agréable : Accablé dun cruel malheur, En vain lon parle et lon raisonne, On nécoute que sa douleur, Et point les conseils quon nous donne. Il faut laisser faire le temps ; Chaque chose a son point de vue ; Et quand lheure nest pas venue, On se tourmente vainement. Le royal Oiseau en convint, et pria son ami de le porter chez lui et de le mettre dans une cage où il fût à couvert de la patte du chat et de toute arme meurtrière. Mais, lui dit lenchanteur, resterez-vous encore cinq ans dans un état si déplorable et si peu convenable à vos affaires et à votre dignité? Car enfin, vous avez des ennemis qui soutiennent que vous êtes mort ; ils veulent envahir votre royaume : je crains bien que vous ne layez perdu avant davoir recouvré votre première forme. - Ne pourrais-je pas, répliqua-t-il, aller dans mon palais et gouverner tout comme je faisais ordinairement ? - Oh ! sécria son ami, la chose est difficile ! Tel qui veut obéir à un homme ne veut pas obéir à un perroquet ; tel vous craint étant roi, étant environné de grandeur et de faste, qui vous arrachera toutes les plumes, vous voyant un petit oiseau. - Ah ! faiblesse humaine ! brillant extérieur ! sécria le roi, encore que tu ne signifies rien pour le mérite et la vertu, tu ne laisses pas davoir des endroits décevants, dont on ne saurait presque se défendre ! Eh bien, continua-t-il, soyons philosophe, méprisons ce que nous ne pouvons obtenir : notre parti ne sera point le plus mauvais. - Je ne me rends pas sitôt, dit le magicien, jespère trouver quelques bons expédients. Florine, la triste Florine, désespérée de ne plus voir le roi, passait les jours et les nuits à la fenêtre, répétant sans cesse : Oiseau Bleu, couleur du temps, Vole à moi promptement. La présence de son espionne ne len empêchait point ; son désespoir était tel, quelle ne ménageait plus rien. Quêtes-vous devenu, roi Charmant ? sécria-t-elle. Nos communs ennemis vous ont-ils fait ressentir les cruels effets de leur rage ? Avez-vous été sacrifié à leurs fureurs ? Hélas ! hélas ! nêtes-vous plus ? Ne dois-je plus vous voir ? ou, fatigué de mes malheurs, mavez-vous abandonnée à la dureté de mon sort ? Que de larmes, que de sanglots suivaient ces tendres plaintes ! Que les heures étaient devenues longues par labsence dun amant si aimable et si cher ! La princesse, abattue, malade, maigre et changée, pouvait à peine se soutenir; elle était persuadée que tout ce quil y a de plus funeste était arrivé au roi. La reine et Truitonne triomphaient ; la vengeance leur faisait plus de plaisir que loffense ne leur avait fait de peine. Et, au fond, de quelle offense sagissait-il ? Le roi Charmant navait pas voulu épouser un petit monstre quil avait mille sujets de haïr. Cependant le père de Florine, qui devenait vieux, tomba malade et mourut. La fortune de la méchante reine et sa fille changea de face : elles étaient regardées comme des favorites qui avaient abusé de leur faveur, le peuple mutiné courut au palais demander la princesse Florine, la reconnaissant pour souveraine. La reine, irritée, voulut traiter laffaire avec hauteur ; elle parut sur un balcon et menaça les mutins. En même temps la sédition devint générale ; on enfonce les portes de son appartement, on le pille, et on lassomme à coups de pierres. Truitonne senfuit chez sa marraine la fée Soussio ; elle ne courait pas moins de dangers que sa mère. Les grands du royaume sassemblèrent promptement et montèrent à la tour, où la princesse était fort malade : elle ignorait la mort de son père et le supplice de son ennemie. Quand elle entendit tant de bruit, elle ne douta pas quon ne vînt la prendre pour la faire mourir ; elle nen fut point effrayée : la vie lui était odieuse depuis quelle avait perdu lOiseau Bleu. Mais ses sujets sétant jetés à ses pieds, lui apprirent le changement qui venait darriver à sa fortune; elle nen fut point émue. Ils la portèrent dans son palais et la couronnèrent. Les soins infinis que lon prit de sa santé, et lenvie quelle avait daller chercher lOiseau Bleu, contribuèrent beaucoup à la rétablir, et lui donnèrent bientôt assez de force pour nommer un conseil, afin davoir soin de son royaume en son absence ; et puis elle prit pour des mille millions de pierreries, et elle partit une nuit toute seule, sans que personne sût où elle allait. Lenchanteur qui prenait soin des affaires du roi Charmant, nayant pas assez de pouvoir pour détruire ce que Soussio avait fait, savisa de laller trouver et de lui proposer quelque accommodement en faveur duquel elle rendrait au roi sa figure naturelle : il prit les grenouilles et vola chez la fée, qui causait dans ce moment avec Truitonne. Dun enchanteur à une fée il ny a que la main ; ils se connaissaient depuis cinq ou six cents ans, et dans cet espace de temps ils avaient été mille fois bien et mal ensemble. Elle le reçut très agréablement : Que veut mon compère ? lui dit-elle (cest ainsi quils se nomment tous). Y a-til quelque chose pour son service qui dépende de moi ? - Oui, ma commère, dit le magicien ; vous pouvez tout pour ma satisfaction ; il sagit du meilleur de mes amis, dun roi que vous avez rendu infortuné. - Ah ! ah ! je vous entends, compère, sécria Soussio ; jen suis fâchée, mais il ny a point de grâce à espérer pour lui, sil ne veut épouser ma filleule ; la voilà belle et jolie, comme vous voyez : quil se consulte. Lenchanteur pensa demeurer muet, il la trouva laide ; cependant il ne pouvait se résoudre à sen aller sans régler quelque chose avec elle, parce que le roi avait couru mille risques depuis quil était en cage. Le clou qui laccrochait sétait rompu ; la cage était tombée, et Sa Majesté emplumée souffrit beaucoup de cette chute ; Minet, qui se trouvait dans la chambre lorsque cet accident arriva, lui donna un coup de griffe dans lœil dont il pensa rester borgne. Une autre fois on avait oublié de lui donner à boire ; il allait le grand chemin davoir la pépie, quand on len garantit par quelques gouttes deau. Un petit coquin de singe, sétant échappé, attrapa ses plumes au travers des barreaux de sa cage, et il lépargna aussi peu quil aurait fait un geai ou un merle. Le pire de tout cela, cest quil était sur le point de perdre son royaume ; ses héritiers faisaient tous les jours des fourberies nouvelles pour prouver quil était mort. Enfin lenchanteur conclut avec sa commère Soussio quelle mènerait Truitonne dans le palais du roi Charmant ; quelle y resterait quelques mois, pendant lesquels il prendrait sa résolution de lépouser, et quelle lui rendrait sa figure ; quitte à reprendre celle doiseau, sil ne voulait pas se marier. La fée donna des habits tout dor et dargent à Truitonne, puis elle la fit monter en trousse derrière elle sur un dragon, et elles se rendirent au royaume de Charmant, qui venait dy arriver avec son fidèle ami lenchanteur. En trois coups de baguette il se vit le même quil avait été, beau, aimable, spirituel et magnifique ; mais il achetait bien cher le temps dont on diminuait sa pénitence : la seule pensée dépouser Truitonne le faisait frémir. Lenchanteur lui disait les meilleures raisons quil pouvait, elles ne faisaient quune médiocre impression sur son esprit ; et il était moins occupé de la conduite de son royaume que des moyens de proroger le terme que Soussio lui avait donné pour épouser Truitonne. Cependant la reine Florine, déguisée sous un habit de paysanne, avec ses cheveux épars et mêlés, qui cachaient son visage, un chapeau de paille sur la tête, un sac de toile sur son épaule, commença son voyage, tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt par mer, tantôt par terre : elle faisait toute la diligence possible ; mais, ne sachant où elle devait tourner ses pas, elle craignait toujours daller dun côté pendant que son aimable roi serait de lautre. Un jour quelle sétait arrêtée au bord dune fontaine dont leau argentée bondissait sur de petits cailloux, elle eut envie de se laver les pieds ; elle sassit sur le gazon, elle releva ses blonds cheveux avec un ruban, et mit ses pieds dans le ruisseau : elle ressemblait à Diane qui se baigne au retour dune chasse. Il passa dans cet endroit une petite vieille toute voûtée, appuyée sur un gros bâton ; elle sarrêta, et lui dit : Que faites-vous là, ma belle fille ? vous êtes bien seule ! - Ma bonne mère, dit la reine, je ne laisse pas dêtre en grande compagnie, car jai avec moi les chagrins, les inquiétudes et les déplaisirs. A ces mots, ses yeux se couvrirent de larmes. Quoi ! si jeune, vous pleurez, dit la bonne femme. Ah ! ma fille, ne vous affligez pas. Dites-moi ce que vous avez sincèrement, et jespère vous soulager. La reine le voulut bien ; elle lui conta ses ennuis, la conduite que la fée Soussio avait tenue dans cette affaire, et enfin comme elle cherchait lOiseau Bleu. La petite vieille se redresse, sagence, change tout dun coup de visage, paraît belle, jeune, habillée superbement; et regardant la reine avec un sourire gracieux : Incomparable Florine, lui dit-elle, le roi que vous cherchez nest plus oiseau : ma sœur Soussio lui a rendu sa première figure, il est dans son royaume ; ne vous affligez point ; vous y arriverez, et vous viendrez à bout de votre dessein. Voici quatre œufs ; vous les casserez dans vos pressants besoins, et vous y trouverez des secours qui vous seront utiles. En achevant ces mots, elle disparut. Florine se sentit fort consolée de ce quelle venait dentendre ; elle mit les œufs dans son sac, et tourna ses pas vers le royaume de Charmant. Après avoir marché huit jours et huit nuits sans sarrêter, elle arrive au pied dune montagne prodigieuse par sa hauteur, toute divoire, et si droite que lon ny pouvait mettre les pieds sans tomber. Elle fit mille tentatives inutiles ; elle glissait, elle se fatiguait, et, désespérée dun obstacle si insurmontable, elle se coucha au pied de la montagne, résolue de sy laisser mourir, quand elle se souvint des œufs que la fée lui avait donnés. Elle en prit un : Voyons, dit-elle, si elle ne sest point moquée de moi en me promettant les secours dont jaurais besoin. Dès quelle leut cassé, elle y trouva de petits crampons dor, quelle mit à ses pieds et à ses mains. Quand elle les eut, elle monta la montagne divoire sans aucune peine, car les crampons entraient dedans et lempêchaient de glisser. Lorsquelle fut tout en haut, elle eut de nouvelles peines pour descendre : toute la vallée était dune seule glace de miroir. Il y avait autour plus de soixante mille femmes qui sy miraient avec un plaisir extrême, car ce miroir avait bien deux lieues de large et six de haut. Chacune sy voyait selon ce quelle voulait être : la rouge y paraissait blonde, la brune avait les cheveux noirs, la vieille croyait être jeune, la jeune ny vieillissait point ; enfin, tous les défauts y étaient si bien cachés, que lon y venait des quatre coins du monde. Il y avait de quoi mourir de rire, de voir les grimaces et les minauderies que la plupart de ces coquettes faisaient. Cette circonstance ny attirait pas moins dhommes ; le miroir leur plaisait aussi. Il faisait paraître aux uns de beaux cheveux, aux autres la taille plus haute et mieux prise, lair martial, et meilleure mine. Les femmes, dont ils se moquaient, ne se moquaient pas moins deux ; de sorte que lon appelait cette montagne de mille noms différents. Personne nétait jamais parvenu jusquau sommet ; et, quand on vit Florine, les dames poussèrent de longs cris de désespoir : Où va cette malavisée ? disaient-elles. Sans doute quelle a assez desprit pour marcher sur notre glace ; du premier pas elle brisera tout. Elles faisaient un bruit épouvantable. La reine ne savait comment faire, car elle voyait un grand péril à descendre par là ; elle cassa un autre œuf, dont il sortit deux pigeons et un chariot, qui devint en même temps assez grand pour sy placer commodément ; puis les pigeons descendirent doucement avec la reine, sans quil lui arrivât rien de fâcheux. Elle leur dit : Mes petits amis, si vous vouliez me conduire jusquau lieu où le roi Charmant tient sa cour, vous nobligeriez point une ingrate. Les pigeons, civils et obéissants, ne sarrêtèrent ni jour ni nuit quils ne fussent arrivés aux portes de la ville. Florine descendit et leur donna à chacun un doux baiser plus estimable quune couronne. Oh ! que le cœur lui battit en entrant ! elle se barbouilla le visage pour nêtre point connue. Elle demanda aux passants où elle pouvait voir le roi. Quelques-uns se prirent à rire ! Voir le roi ? lui dirent-ils ; oh ! que lui veux-tu, ma mie Souillon ? Va, va te décrasser, tu nas pas les yeux assez bons pour voir un tel monarque. La reine ne répondit rien : elle séloigna doucement et demanda encore à ceux quelle rencontra où elle se pourrait mettre pour voir le roi. Il doit venir demain au temple avec la princesse Truitonne lui dit-on ; car enfin il consent à lépouser. Ciel ! quelle nouvelle ! Truitonne, lindigne Truitonne sur le point dépouser le roi ! Florine pensa mourir ; elle neut plus de force pour parler ni pour marcher : elle se mit sous une porte, assise sur des pierres, bien cachée de ses cheveux et de son chapeau de paille. Infortunée que je suis ! disait-elle, je viens ici pour augmenter le triomphe de ma rivale et me rendre témoin de sa satisfaction ! Cétait donc à cause delle que lOiseau Bleu cessa de me venir voir ! Cétait pour ce petit monstre quil me faisait la plus cruelle de toutes les infidélités, pendant quabîmée dans la douleur je minquiétais pour la conservation de sa vie ! Le traître avait changé ; et, se souvenant moins de moi que sil ne mavait jamais vue, il me laissait le soin de maffliger de sa trop longue absence, sans se soucier de la mienne. Quand on a beaucoup de chagrin, il est rare davoir bon appétit ; la reine chercha où se loger, et se coucha sans souper. Elle se leva avec le jour, elle courut au temple ; elle ny entra quaprès avoir essuyé mille rebuffades des gardes et des soldats. Elle vit le trône du roi et celui de Truitonne, quon regardait déjà comme la reine. Quelle douleur pour une personne aussi tendre et aussi délicate que Florine ! Elle sapprocha du trône de sa rivale ; elle se tint debout, appuyée contre un pilier de marbre. Le roi vint le premier, plus beau et plus aimable quil eût été de sa vie. Truitonne parut ensuite, richement vêtue, et si laide, quelle en faisait peur. Elle regarda la reine en fronçant le sourcil. Qui es-tu, lui dit-elle, pour oser tapprocher de mon excellente figure, et si près de mon trône dor ? - Je me nomme Mie-Souillon, répondit-elle ; je viens de loin pour vous vendre des raretés. Elle fouilla aussitôt dans son sac de toile ; elle en tira des bracelets démeraude que le roi Charmant lui avait donnés. Ho ! ho ! dit Truitonne, voilà de jolies verrines ; en veux-tu une pièce de cinq sous ? - Montrez-les, madame, aux connaisseurs, dit la reine, et puis nous ferons notre marché. Truitonne, qui aimait le roi plus tendrement quune telle bête nen était capable, étant ravie de trouver des occasions de lui parler, savança jusquà son trône et lui montra les bracelets, le priant de lui dire son sentiment. A la vue de ces bracelets, il se souvint de ceux quil avait donnés à Florine ; il pâlit, il soupira, et fut longtemps sans répondre ; enfin, craignant quon ne saperçût de létat où ses différentes pensées le réduisaient, il se fit un effort et lui répliqua : Ces bracelets valent, je crois, autant que mon royaume ; je pensais quil ny en avait quune paire au monde, mais en voilà de semblables. Truitonne revint de son trône, où elle avait moins bonne mine quune huître à lécaille ; elle demanda à la reine combien, sans surfaire, elle voulait de ces bracelets. Vous auriez trop de peine à me les payer, madame, dit-elle ; il vaut mieux vous proposer un autre marché. Si vous me voulez procurer de coucher une nuit dans le cabinet des Echos qui est au palais du roi, je vous donnerai mes émeraudes. - Je le veux bien, Mie-Souillon , dit Truitonne en riant comme une perdue et montrant des, dents plus longues que les défenses dun sanglier. Le roi ne sinforma point doù venaient ces bracelets, moins par indifférence pour celle qui les présentait (bien quelle ne fût guère propre à faire naître la curiosité), que par un éloignement invincible quil sentait pour Truitonne. Or, il est à propos quon sache que, pendant quil était Oiseau Bleu, il avait conté à la princesse quil y avait sous son appartement un cabinet, quon appelait le cabinet des Échos, qui était si ingénieusement fait, que tout ce qui sy disait fort bas était entendu du roi lorsquil était couché dans sa chambre ; et, comme Florine voulait lui reprocher son infidélité, elle nen avait point imaginé de meilleur moyen. On la mena dans le cabinet par ordre de Truitonne : elle commença ses plaintes et ses regrets. Le malheur dont je voulais douter nest que trop certain, cruel Oiseau Bleu ! dit-elle ; tu mas oubliée, tu aimes mon indigne rivale! Les bracelets que jai reçus de ta déloyale main nont pu me rappeler à ton souvenir, tant jen suis éloignée ! Alors les sanglots interrompirent ses paroles, et, quand elle eut assez de forces pour parler, elle se plaignit encore et continua jusquau jour. Les valets de chambre lavaient entendue toute la nuit gémir et soupirer : ils le dirent à Truitonne, qui lui demanda quel tintamarre elle avait fait. La reine lui dit quelle dormait si bien, quordinairement elle rêvait et quelle parlait très souvent haut. Pour le roi, il ne lavait point entendue, par une fatalité étrange : cest que, depuis quil avait aimé Florine, il ne pouvait plus dormir, et lorsquil se mettait au lit pour prendre quelque repos, on lui donnait de lopium. La reine passa une partie du jour dans une étrange inquiétude. Sil ma entendue, disait-elle, se peut-il une indifférence plus cruelle ? Sil ne ma pas entendue, que ferai-je pour parvenir à me faire entendre ? Il ne se trouvait plus de raretés extraordinaires, car des pierreries sont toujours belles ; mais il fallait quelque chose qui piquât le goût de Truitonne : elle eut recours à ses œufs. Elle en cassa un ; aussitôt il en sortit un petit carrosse dacier poli, garni dor de rapport : il était attelé de six souris vertes, conduites par un raton couleur de rose, et le postillon, qui était aussi de famille ratonnière, était gris de lin. Il y avait dans ce carrosse quatre marionnettes plus fringantes et plus spirituelles que toutes celles qui paraissent aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent ; elles faisaient des choses surprenantes, particulièrement deux petites Égyptiennes qui, pour danser la sarabande et les passe-pieds, ne lauraient pas cédé à Léance. La reine demeura ravie de ce nouveau chef-d’œuvre de lart nécromancien ; elle ne dit mot jusquau soir, qui était lheure que Truitonne allait à la promenade ; elle se mit dans une allée, faisant galoper ses souris, qui traînaient le carrosse, les ratons et les marionnettes. Cette nouveauté étonna si fort Truitonne, quelle sécria deux ou trois fois : Mie-Souillon, Mie-Souillon, veux-tu cinq sous du carrosse et de ton attelage souriquois ? - Demandez aux gens de lettres et aux docteurs de ce royaume, dit Florine, ce quune telle merveille peut valoir, et je men rapporterai à lestimation du plus savant. Truitonne, qui était absolue en tout, lui répliqua : Sans mimportuner plus longtemps de ta crasseuse présence, dis-men le prix.
Posted on: Sun, 13 Oct 2013 13:35:03 +0000

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