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MARIE PELTIER : MARIE PELTIER : Superbe - "La nature du Mal, c’est précisément de n’avoir ni bornes ni pays. Le pays du Mal, si l’on veut en faire une métaphore, c’est l’étoffe universelle et dégradable dont nous sommes tous faits : c’est l’espèce humaine. Et c’est bien cette chose, ce ressort increvable de la cruauté, que nous avons tant de mal à penser, depuis la nuit des temps." (Texte complet ci-dessous) 26 septembre 2013 La Syrie, le pays du «Mal» ? Tribune. Par DOMINIQUE EDDÉ Ecrivaine libanaise «J’ai rencontré le pays du Mal», écrivait Domenico Quirico à propos de ses cinq mois d’enfer en Syrie (1). L’effroi et la compassion, que nous inspire sa terrible expérience, n’en rendent pas moins sa phrase inquiétante, au même titre que sa conclusion : «Notre histoire, c’est celle de deux chrétiens dans le monde de Mahomet et de la comparaison entre deux fois différentes : la mienne, simple, faite de don de soi et d’amour, et la leur, qui est faite de rituels.» La métaphore - «le pays du Mal» - n’est pas une image dans l’esprit de son auteur. C’est une réalité : c’est la Syrie. L’affirmation - j’ai rencontré le pays du Mal - est donc un non-sens assorti d’une négation. Un non-sens évident puisque «le pays du Mal» n’existe pas, ni ne peut exister. Une négation, parce qu’à travers ce raccourci foudroyant, c’est la Syrie tout entière qui est implicitement condamnée, réduite de A à Z à l’image de ses bourreaux. On peut comprendre qu’après tant de souffrance, l’auteur se soit laissé déborder. Il ne me paraît pas moins dangereux de passer son propos sous silence. Au moment où le régime de Damas regagne du terrain sur la scène internationale, où le peuple syrien est plus que jamais pris en otage par la tenaille - forces d’Assad d’un côté, jihadistes et bandes mafieuses de l’autre - réduire la Syrie et son peuple à un seul et même mot - le Mal - est inacceptable. Quand bien même l’auteur ne l’entendait pas ainsi, sa phrase sonne comme un «laissez tomber», ils sont tous mauvais, tous méchants, tous incapables d’humanité. Ce que sous-entend cette réduction, déclinée en postulat, est terrible. C’est une sentence. Elle crée de l’abstraction là où la vie réclame de l’oxygène, au lieu du gaz et des obus. Elle tue la différence. Elle pose un même masque sur des millions de visages. Elle apaise à bon compte les esprits qui veulent la paix de leur conscience au prix de la conscience. Quirico a rencontré le Mal et il a eu besoin de lui donner des bornes en lui donnant un pays. Disons que c’est humain, mais c’est grave et c’est faux. La nature du Mal, c’est précisément de n’avoir ni bornes ni pays. Le pays du Mal, si l’on veut en faire une métaphore, c’est l’étoffe universelle et dégradable dont nous sommes tous faits : c’est l’espèce humaine. Et c’est bien cette chose, ce ressort increvable de la cruauté, que nous avons tant de mal à penser, depuis la nuit des temps. Penser le Mal nous oblige à tout penser à la fois - ses origines historiques, familiales, sociales, autant que son noyau dur : l’homme qui échappe à l’entendement de l’homme. Comment un être humain en arrive-t-il à ne voir dans l’autre qu’une vermine ? Nombreux sont ceux qui ont essayé de comprendre, de massacre en massacre, cette chose immonde qui nous concerne tous. C’est dans l’exigence que réclame de nous cette question terrifiante que repose le sort de notre humanité. Nul n’a le monopole du Mal, nul du Bien, nul de la souffrance. Plutôt que d’injonctions du type «plus jamais ça», la pensée pour survivre a besoin de creuser les raisons du «pourquoi toujours et encore ça ?». L’auteur voudrait s’acquitter de cette question abyssale en nous proposant une opposition, à peine déguisée, entre le Bien du monde chrétien d’un côté, et le Mal du «monde de Mahomet» de l’autre. Et Treblinka, Sobibór, Auschwitz, Buchenwald, Dachau ? Et les camps de la mort sous Staline ? Et le Cambodge, la Serbie, le Rwanda ou le Congo ? Et aux frontières de la Syrie, le Liban d’où je viens où quinze ans durant, l’horreur succédant à l’horreur, les milices chrétiennes ne furent pas plus amènes, loin de là, que les musulmanes ? La barbarie des uns ou des autres, méthodiquement alimentée par des puissances étrangères, ne faisait pas, que je sache, de tout Libanais un barbare. Faudrait-il qu’outre leur solitude et leur souffrance, des millions de Syriens se voient maintenant retirer leur dernier droit : celui de n’être pas confondus avec les auteurs de leur souffrance ? La barbarie syrienne a une histoire. Un temps durant lequel la pourriture a trouvé de quoi vivre, s’incruster et durer. Elle a été soutenue, renforcée, par de puissants partenaires qui n’ont pas trouvé à redire tant que les prisonniers étaient torturés sous terre et que les morts, par milliers, étaient enterrés dans la nuit sans que les médias ne s’en mêlent. La bonne vieille méthode de ce régime abject, nous la connaissons : faire croire à un danger supérieur à celui qu’il représente. Raffiner et varier les formes de l’horreur, les mettre en scène côte à côte, puis face à face, en faux duels. Autrement dit : terroriser, en manipulant la terreur. Se fabriquer des ennemis capables de rivaliser dans l’atrocité qui est la sienne, les accueillir et les dénoncer à la fois, et du même coup décourager toute velléité d’aller au secours des ennemis véritables : les résistants pris entre deux feux et seuls au monde. Et surtout, encore et toujours, gagner du temps. Attiser le confessionnalisme pour attiser le feu et ainsi, la peur, voire la haine, de tous envers tous. En quoi ils ont été tacitement entendus par les puissances qui ont laissé faire au moment où il était encore temps de sauver les assoiffés de liberté du piège qui leur était tendu. Et non pas d’ajouter de la guerre à la guerre. Il est vrai que ces mêmes puissances ont d’encombrants amis - saoudiens, qataris et autres - qui arment et financent les milices islamistes aux pratiques et aux projets effrayants. D’un bord ou de l’autre, les professionnels de la cruauté en Syrie sont les enfants de ça. Par «ça», j’entends une association dégénérée de conflits et d’intérêts plus ou moins complémentaires, de plus en plus imbriqués, inextricables, nous impliquant tous, à des degrés divers, et qui, à défaut de toute censure, de tout barrage, de toute halte à la confusion - c’est-à-dire en l’absence de surmoi - accouche de monstres de plus en plus nombreux. Ce Mal, si l’on veut bien constater le degré d’impuissance de ceux qui sont censés le combattre, est en voie d’atteindre une forme redoutable d’autonomie et de perfection. Il est en train de ronger tout le Moyen-Orient, et peut-être bien le reste du monde, tant celui-ci est désormais contagieux. Il est aussi en train d’affecter dangereusement les défenses de la démocratie au profit de celles de la dictature. Il est certes plus facile de traiter l’impuissance - syndrome général de notre époque - par le déni que de la nommer par son nom et de la reconnaître. S’il reste pourtant un espoir dans le cauchemar que nous vivons, c’est par là qu’il passe : par la reconnaissance de ce qui est. C’est-à-dire par la pensée. Elle est notre dernier bastion de résistance. (1) Enlevé en Syrie en avril, ce journaliste de «La Stampa» a été libéré le 8 septembre. La Syrie, le pays du «Mal» ? liberation.fr «J’ai rencontré le pays du Mal», écrivait Domenico Quirico à propos de ses cinq mois d’enfer en Syrie (1). L’effroi et la compassion, que nous inspire... Envie de voir plus de contenu de Liberation ? 3Je n’aime plus · · Partager Vous et 6 autres personnes aime
Posted on: Sun, 29 Sep 2013 07:08:03 +0000

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