Quest-ce que la philosophie ? page modifée le 23/09/2003 - TopicsExpress



          

Quest-ce que la philosophie ? page modifée le 23/09/2003 Plan Introduction I- LA NAISSANCE DE LA PHILOSOPHIE DANS LA GRECE ANTIQUE : LE DIALOGUE SOCRATIQUE. A- Socrate ou linvention du concept 1) Quest-ce que la beauté ? 2) Le dialogue socratique : la philosophie comme réflexion critique. a) lironie b) la maïeutique 3) Point historique : pourquoi a-t-on assassiné Socrate ? a) La torpille b) Le taon c) Le procès Conclusion : la philosophie comme réflexion critique B- Le contexte de son émergence : Athènes au Ve siècle avant JC. Documents : textes de J.P. Vernant, sur le lien entre lémergence de la polis et lémergence de la philosophie dans la cité grecque II- LA PERIODE HELLENISTIQUE : LA PHILOSOPHIE COMME ART DE VIVRE. A- Introduction : le contexte historique. B- Un exemple : le stoïcisme : le Manuel dEpictète. C- La philosophie antique nest donc pas une affaire de spécialistes et de professionnels III- LA METAPHYSIQUE. A- En totale opposition avec la philosophie aux sens (I) et (II), on trouve enfin la philosophie comme entreprise spéculative, dogmatique. Exemple : Leibniz, La monadologie B- La philosophie comme métaphysique : historique (Aristote) C- La métaphysique, discours dépourvu de sens ? (Carnap) Bibliographie Annexe I : Kant et la critique de la métaphysique Introduction Problème : le terme de philosophie est un terme ambigu, si bien quon lemploie souvent sans trop savoir ce quil signifie exactement. On va donc essayer de clarifier les divers sens de ce terme, qui se ramènera à en faire lhistorique. On peut dire quil y a trois emplois du terme de philosophie , et que ces trois emplois permettent de diviser les philosophes en trois groupes. Premier emploi et premier groupe : philosophie comme réflexion critique : Socrate Deuxième : philosophie comme art de vivre : Socrate ; stoïciens, épicuriens, sceptiques grecs Troisième : philosophie comme métaphysique (savoir absolu) : philosophes du 17ème (Descartes, Leibniz, Spinoza) ; pré-socratiques Nous cherchons ce qui peut bien être commun à ces types de discours ou plus généralement dactivité. Ce qui présuppose, bien entendu, quil y a des ou un point commun à ceux-ci, sans quoi, nous naurions aucune raison de les appeler tous philosophie . Or, comme par hasard (!), la philosophie semble être essentiellement liée, comme nous allons le voir avec le personnage de Socrate, à ce présupposé. Il définirait même la philosophie, qui est liée à linvention du concept/ définition. I- LA NAISSANCE DE LA PHILOSOPHIE DANS LA GRECE ANTIQUE : LE DIALOGUE SOCRATIQUE. Ainsi, tournons-nous vers linauguration du discours philosophique, dans lAthènes du Ve av. J.C. Celui avec qui nous allons parler, ou plutôt, dialoguer, cest Socrate. A- Socrate ou linvention du concept Historique rapide : Socrate est né en 470 av. JC et mort en 399 (condamné par sa cité à boire la ciguë, sous prétexte quil porte atteinte aux fondements de la cité, quil est corrupteur de la jeunesse, etc.). Fils dune sage-femme et dun sculpteur de pierres. Particularité : il na rien écrit (ne pas oublier que la Grèce est avant tout une civilisation de la parole). Les interprètes ont coutume de parler à ce propos du problème de Socrate : Socrate, en effet, ne nous est connu que par lintermédiaire de ceux qui nous ont parlé de lui. Parmi eux, cest avant tout à travers les écrits de Platon que nous connaissons Socrate, puisque Platon, surtout dans ses dialogues de jeunesse, sest fait son porte-parole. 1) Quest-ce que la beauté ? Platon, Hippias majeur Contexte : Socrate dialogue avec Hippias. Ce dernier est en train de raconter à Socrate que récemment, il a emporté un grand succès concernant un discours concernant les belles occupations auxquelles un jeune homme doit se livrer . Socrate en profite pour le mettre à la question. Il raconte à Hippias que récemment, en discutant avec un ami, il avait blâmé des choses comme laides, et dautres, comme belles. Or, quelquun lui a demandé : Dis-moi, Socrate, doù sais-tu quelles sont les choses belles et quelles sont les choses qui sont laides ? Voyons, peux-tu me dire ce quest le beau ? . Nayant pas réussi à répondre à cette question (car Socrate ne sait rien !), il va donc profiter dêtre en compagnie dun savant, Hippias, qui prétend savoir ce quest le beau. Il va revêtir le personnage de celui qui la mis dans lembarras, et poser à Hippias les questions quil aurait posées à Socrate sil avait prétendu savoir ce quest le beau. Socrate : dis-moi maintenant, étranger, poursuivra-t-il, ce que cest que cette beauté Hippias : le questionneur, nest-ce pas, Socrate, veut savoir quelle chose est belle ? Socrate : je ne crois pas, Hippias, il veut savoir ce quest le beau Hippias : et quelle différence y a-t-il de cette question à lautre ? Socrate : tu nen vois pas ? Hippias : je nen vois aucune Socrate : il est évident que tu ty entends mieux que moi. Néanmoins, fais attention, mon bon ami : il ne te demande pas quelle chose est belle, mais ce quest le beau. Hippias : (...) le beau, cest une belle fille (...) Socrate : permets, Hippias, que je prenne à mon compte ce que tu viens de dire. Lui va me poser la question suivante : allons, Socrate, réponds. Toutes ces choses que tu qualifies de belles ne sauraient être belles que si le beau en soi existe ? . Pour ma part, je confesserai que, si une belle fille est belle, cest quil existe quelque chose qui donne leur beauté aux belles choses. Socrate posait donc sans arrêt la question quest-ce que . Exemple : quest-ce que la beauté? La bonne manière de répondre à la question quest-ce que , ne consiste pas à donner des exemples (dans le cas de la beauté, on ne répond pas à la question quest-ce que la beauté en répondant : une belle fille, une belle marmite, une œuvre dart, etc.). Mais elle consiste à dire ce quest en soi, partout et toujours, la beauté, ce qui peut sappliquer à tous les exemples. Cest une définition, un concept NB : voilà pourquoi lexemple est anti-philosophique : il est anti-conceptuel. Un exemple peut toujours être démenti. Cf. induction et déduction : Linduction La déduction Raisonnement qui consiste à partir des cas particuliers et à généraliser à partir deux. Exemple : (1) t1 est (y), t2 aussi, t3 aussi, ... tx (y) (2) donc tous les t sont verts. Raisonnement qui part du général pour aller vers le particulier. Et plus précisément, qui part de propositions tenues pour vraies pour en tirer des inférences. Exemple : (1) tous les hommes sont mortels (2) or, Socrate est un homme (3) donc Socrate est mortel NB : ce serait un raisonnement non valide si on avait dit nombreux au lieu de tous les . Or, dans une inférence inductive, la vérité des prémisses ne garantit pas la vérité de la conclusion Exemple : la dinde inductiviste de Russell Dès le matin de son arrivée dans la ferme pour dindes, une dinde saperçut quon la nourrissait à 9h00 du matin. Toutefois, en bonne inductiviste, elle ne sempressa pas den conclure quoi que ce soit. Elle attendit donc davoir observé de nombreuses fois quelle était nourrie à 9h00 du matin, et elle recueillit ces observations dans des circonstances fort différentes, les mercredis et jeudis, les jours chauds et les jours froids, les jours de pluie et les jours sans pluie. Chaque jour, elle ajoutait un nouvel énoncé dobservation à sa liste. Elle recourut donc à un raisonnement inductif pour conclure : je suis toujours nourrie à 9h00 du matin . Or, cette conclusion se révéla fausse quand, un jour de noël, à la même heure, on lui tordit le cou. Leçon de lhistoire : le raisonnement inductif se caractérise donc par le fait que toutes les prémisses peuvent être vraies et pourtant mener à une conclusion fausse. Si à tel moment la dinde a constaté quelle a été nourrie, il se peut toujours que le moment daprès, elle ne le soit pas. Linduction est un raisonnement non fondé logiquement. 2) Le dialogue socratique : la philosophie comme réflexion critique Le discours philosophique inauguré par Socrate lest donc, non par un contenu déterminé, mais avant tout par sa forme. Ce nest pas un enseignement dune vérité établie et à transmettre, mais dun dialogue qui renvoie chacun à sa vérité et à son non-savoir. Le discours philosophique est alors interrogation. Platon, Charmide (xii) eh mais, Critias! tu me parles comme si je prétendais connaître les choses sur lesquelles je pose des questions, (or) jexamine avec toi les problèmes au fur et à mesure quils se présentent, parce que je nen connais pas la solution. Cette interrogation socratique se déroule sous le double mode de lironie et de la maïeutique. a) lironie Air candide avec lequel Socrate enquête. Cest une sorte dhumour qui refuse de prendre totalement au sérieux aussi bien les autres que soi-même, parce que tout ce qui est humain est chose bien peu assurée, et dont on ne peut senorgueillir. Cest une attitude qui consiste donc à feindre de vouloir apprendre quelque chose de son interlocuteur, pour lamener à découvrir quil ne connaît rien dans le domaine où il prétend être savant. Pour bien comprendre ce procédé, point historique : La mission de Socrate Socrate ne cesse de répéter quil a reçu une mission divine, celle déduquer ses contemporains : Platon, Apologie de Socrate, 30 a sq., La mission de Socrate : réveiller la conscience de ses contemporains Je nai pas dautre but, en allant par les rues, que de vous persuader, jeunes et vieux, quil ne faut pas donner le pas au corps et aux richesses et sen occuper avec autant dardeur que du perfectionnement de lâme. Je vous répète que ce ne sont pas les richesses qui donnent la vertu, mais que cest de la vertu que proviennent les richesses et tout ce qui est avantageux, soit aux particuliers, soit à lEtat (...) Je suis le taon, qui, de tout le jour ne cesse jamais de vous réveiller., de vous conseiller, de morigéner chacun de vous et que vous trouverez partout, posé près de vous. (...) Je me mets à la disposition des pauvres aussi bien que des riches, pour quils minterrogent, ou, sils le préfèrent, pour que je les questionne et quils entendent ce que jai à dire (...). Cest, je vous le répète, le dieu qui ma prescrit cette tâche par des oracles, par des songes et par tous les moyens dont un dieu quelconque peut user pour assigner à un homme une mission à remplir. Il dit que son enquête est née de la déclaration de la Pythie, selon laquelle il serait le plus sage. En effet, il a voulu vérifier cette déclaration. Il va donc interroger les autres, et, plus précisément, ceux que la cité considère comme les plus sages (les spécialistes). Platon, Apologie de Socrate, Enquête de Socrate sur loracle de Delphes (...) Un jour donc que (Chéréphon) sétait rendu à Delphes, il eut le front de consulter lOracle et (...) de lui demander sil y avait un homme plus sage que moi. Or, la réponse émise par la Pythie fut quil nexistait personne de plus sage ! (...) Une fois informé de cette réponse, je me faisais des réflexions de ce genre : que peut bien vouloir dire le Dieu ? Quel sens peut bien avoir cette énigme ? Car enfin, je nai, ni peu ni prou, conscience en mon for intérieur dêtre un sage ! Que veut-il donc dire en déclarant que je suis le plus sage des hommes ? Bien sûr, en effet, il ne ment pas, car cela ne lui est pas permis ! Depuis longtemps durait mon embarras sur ce quil pouvait bien vouloir dire, quand à la fin, non sans beaucoup de peine, jen vins à prendre le parti de men enquérir (...) Ce que je sais, cest que je ne sais rien. Or, il saperçoit que ceux-ci nont aucune conscience de ce quils font et même, ne savent pas ce quils disent : il estimera que sa supériorité réside justement dans son ignorance, dans une sorte de non-savoir, qui est dêtre conscient de son ignorance. Les spécialistes savent, certes, faire quelque chose, mais ils ne savent pas ce quils font. Exemple : le politique, le juge, le prêtre, ne savent pas justifier la valeur de leurs conduites- et, pour aggraver leur cas, ils nont même pas conscience de cette ignorance. Ce qui signifie que les plus savants des hommes ignorent lessentiel. Cf.le cas dAlcibiade La philosophie comme réflexion morale Cest ainsi quil va chercher à rendre les citoyens meilleurs, en les invitant à se détourner de linessentiel, des fausses valeurs, en leur faisant réfléchir sur celles-ci (cf. questions comme : quest-ce que la justice? quest-ce que la vertu? etc.). Il invite tout un chacun à se connaître soi-même. Sil faut se connaître soi-même, cest parce que nous ne nous soucions plus de ce que nous sommes, mais seulement de lextériorité. cf. Apologie, 38 a : non, vraiment, une vie sans examen nest pas vivable pour lhomme. Précision : ce nest pas un appel à lintrospection individuelle, mais une exhortation à la rationalité morale. Cest ce quon a appelé léveil de la conscience morale. Sa signification est tout simplement que chacun doit savoir ce quil fait, et pourquoi il le fait. Il sagit de nous faire prendre conscience des présupposés de ce que nous disons, et que nous ignorons, mais que nous sommes tous capables de trouver, par un retour critique, par nous-mêmes. b) la maïeutique Platon, Théétète, 150 e La maïeutique ou lart daccoucher les âmes Socrate : Mon art daccoucheur comprend donc toutes les fonctions que remplissent les sages-femmes; mais il diffère du leur en ce quil délivre des hommes et non des femmes et quil surveille leurs âmes en travail et non leurs corps. Mais le principal avantage de mon art, cest quil rend capable de discerner à coup sûr si lesprit du jeune homme enfante une chimère et une fausseté, ou un fruit réel et vrai. Jai dailleurs cela de commun avec les sages-femmes que je suis stérile en matière de sagesse, et le reproche quon ma fait souvent dinterroger les autres sans me déclarer sur aucune chose, parce que je nai en moi aucune sagesse, est un reproche qui ne manque pas de vérité. Et la raison, la voici : cest que le dieu me contraint daccoucher les autres, mais ne ma pas permis dengendrer. Je ne suis donc pas du tout sage moi-même et je ne puis présenter aucune trouvaille de sagesse à laquelle mon âme ait donné le jour. Mais ceux qui sattachent à moi, bien que certains dentre eux paraissent complètement ignorants, font tous, au cours de leur commerce avec moi, si le dieu le leur permet, des progrès merveilleux, non seulement à leur jugement, mais à celui des autres. Et il est clair comme le jour quils nont jamais rien appris de moi, et quils ont eux-mêmes trouvé en eux et enfanté beaucoup de belles choses. Mais sils en ont accouché, cest grâce au dieu et à moi. Et voici qui le prouve. Plusieurs déjà, méconnaissant mon assistance et sattribuant à eux-mêmes leurs progrès sans tenir aucun compte de moi, mont, soit deux-mêmes, soit à linstigation dautrui, quitté plutôt quil ne fallait. Loin de moi, sous linfluence de mauvais maîtres, ils ont avorté de tous les mauvais germes quils portaient, et ceux dont je les avais accouchés, ils les ont mal nourris et les ont laissé périr, parce quils faisaient plus de cas de mensonges et de vaines apparences que de la vérité, et ils ont fini par paraître ignorants à leurs propres yeux comme aux yeux des autres. (...) Ceux qui sattachent à moi ressemblent encore en ce point aux femmes en mal denfants : ils sont en proie aux douleurs et sont nuit et jour remplis dinquiétudes plus vives que celles des femmes. Or ces douleurs, mon art est capable et de les éveiller et de les faire cesser. Voilà ce que je fais pour ceux qui me fréquentent. Mais il sen trouve, Théétète, dont lâme ne paraît pas grosse. Si je me suis étendu là-dessus, excellent Théétète, cest que je soupçonne, comme tu ten doutes toi-même, que ton âme est grosse et que tu es en travail denfantement. Confie-toi donc à moi comme au fils dune accoucheuse qui est accoucheur lui aussi, et quand je te poserai des questions, applique-toi à y répondre de ton mieux. Et si, en examinant telle ou telle des choses que tu diras, je juge que ce nest quun fantôme sans réalité, et qualors je te larrache et la rejette, ne te chagrine pas comme le font au sujet de leurs enfants les femmes qui sont mères pour la première fois. Jen ai vu plusieurs, mon admirable ami, tellement fâchés contre moi quils étaient véritablement prêts à me mordre, pour leur avoir ôté quelque opinion extravagante. Ils ne croient pas que cest par bienveillance que je le fais. Ils sont loin de savoir quaucune divinité ne veut du mal aux hommes et que moi non plus, ce nest point par malveillance que jagis comme je le fais, mais quil ne mest permis en aucune manière ni dacquiescer à ce qui est faux ni de cacher ce qui est vrai. Définition de la maïeutique : art daccoucher les esprits. Métaphore : son procédé à légard des esprits est semblable à celui des sages-femmes à légard des corps. Il sagit, quand une âme est pleine de toutes sortes dopinions, déprouver si la pensée donne naissance à du faux ou à du vrai. Ce nest pas lui qui conçoit le savoir, mais, lâme de son interlocuteur. Celui-ci, grâce à la maïeutique, va pouvoir opérer la distinction entre les opinions vraies et les opinions fausses. Exemple : le Lachès Lachès est un vieux général, bien connu des athéniens, qui sest illustré dans des batailles célèbres. Le dialogue commence par la demande de deux pères de famille qui viennent interroger Lachès et Nicias (stratège lui aussi, mais plus jeune). Les deux pères de famille les interrogent donc pour savoir sil faut faire donner des leçons dart militaire et descrime à leurs enfants. Ils ont demandé à Socrate de se joindre à eux pour tenter de répondre à cette question. Les deux spécialistes, Lachès et Nicias, interviennent : - pour Lachès, les leçons sont inutiles : lart militaire sapprend sur le terrain - pour Nicias, les leçons sont indispensables : lui-même sest trouvé très bien de celles quil a reçues. Comme il y a une voix pour et une voix contre, et que ces pères de famille sont habitués à la démocratie, ils se tournent vers une troisième personne, Socrate, pour les départager. Pour qui va-t-il voter? Socrate répond quil est désolé, mais quil ne procède pas ainsi. Il ne peut pas répondre à la question posée, car il ne ferait que donner un avis subjectif qui na aucune importance. Il a besoin de Lachès et Nicias et il leur demande la permission de les interroger : pourquoi as-tu dit ceci? pourquoi as-tu pris tel exemple? pourquoi, à tel moment, as-tu changé de ton? Il mène une enquête très subtile et, au bout dun certain temps, il apparaît pour tous les interlocuteurs que Lachès et Nicias ne savaient pas ce quils disaient, quils parlaient par pur mécanisme, quils ont fabriqué leur argumentation à partir dune idée préconçue, mais quelle nest pas probante. Les deux pères de famille se retournent alors vers Socrate, et lui demandent ce quil faut faire. Cest là quil prend le chemin de linvention de la philosophie. Il dit que la question de savoir sil faut faire donner des leçons dart militaire à des enfants nest pas une bonne question. Il faut dabord savoir à quoi cela sert. Que veut-on? Que nos enfants soient capables de se défendre sur le terrain, de vaincre lennemi, dhonorer notre nom en se battant comme il faut, et de rester en vie. Donc : lart militaire a pour fin lacquisition de la vertu militaire. Dès lors, il faut, si on ne veut pas répondre à côté du problème, savoir ce quest la vertu militaire. Socrate va donc interroger les deux militaires afin de savoir ce quest la vertu militaire. Or, aucun des deux généraux nest capable de répondre à cette question. Socrate na aucun mal, devant les démonstrations données, à montrer que ce quils disent na pas de sens et ne résiste pas à largumentation. Mais, Socrate ne tranche pas : le dialogue se termine sans réponse. Si Socrate a dit, certes, que pour répondre à la question posée, il fallait savoir ce quest la vertu militaire, il na jamais dit que lui le savait. (se rappeler que sa devise est que ce que je sais, cest que je ne sais rien : on retrouve bien ici sa découverte essentielle, qui est que nul ne sait rien de ce quil croit savoir). Largumentation Le procédé de Socrate est le suivant : 1) recherche dune définition 2) un interlocuteur sûr de lui donne aussitôt une définition 3) Socrate sémerveille, accepte la définition de linterlocuteur qui sengorge, et en tire, avec son consentement, des déductions de plus en plus précises 4) linterlocuteur ne cesse de suivre Socrate et dapprouver, fort satisfait de voir que sa définition était encore plus profonde et riche quil ne lavait cru lui-même 5) Socrate sarrête soudain et montre que le point darrivée est en contradiction formelle avec le point de départ 6) si linterlocuteur est de bonne foi, il en conclut que la définition ne valait rien et quil faut en proposer une autre ; Socrate reprend alors la discussion et passe au crible les définitions successives quon lui propose. Souvent, le dialogue ne conclut pas et Socrate quitte son interlocuteur décontenancé, en lui disant quune autre fois peut-être, ils pourront examiner à nouveau le problème. (cf. laporie : les dialogues mènent à une impasse). 7) mais il se peut faire que linterlocuteur soit de mauvaise foi, et quil refuse alors de participer à lentretien (exemple : Dans le Gorgias, Calliclès, pris au piège, refuse de se prêter au jeu de Socrate parce quil a été battu). Le dialogue socratique sert donc à amener les autres au même point de conscience critique que lui. 3) Point historique : pourquoi a-t-on assassiné Socrate ? Cest quil est apparu comme semeur de troubles. Pressant les hommes de ses questions, il na eu de cesse que de troubler leur conscience pour les convertir à la recherche des vraies valeurs. (Faisant parler les autres sur ce quils disent, il les fait par là réfléchir sur ce quils font). Il répète à qui veut lentendre quil ne sait rien, quil na rien à enseigner, ni personne à former -quil na rien à offrir que sa fréquentation. Que chacun na quà penser par lui-même pour sapercevoir quil en sait plus que lui. Problème : il gênait ses concitoyens. Il était comparé soit à une torpille, soit à un taon. a) La torpille Tout comme la torpille paralyse (engourdit) sa proie, de même, Socrate paralyse linterlocuteur sûr de lui-même et qui ne voit pas que son savoir est un pseudo-savoir, une ignorance qui signore. Platon, Ménon, 79e-80c, La métaphore de la torpille Socrate : Réponds-moi donc de nouveau à partir du commencement. En quoi faites-vous consister la vertu, ton ami et toi? Ménon : Javais ouï dire, Socrate, avant même de me rencontrer avec toi, que tu ne faisais pas autre chose que de mettre toi-même tout en doute et de jeter les autres dans le même doute. En ce moment même, à ce quil me semble, tu mas véritablement ensorcelé par tes charmes et tes maléfices : cest au point que jai la tête remplie de doutes. Il me semble, si je puis hasarder une plaisanterie, que tu ressembles exactement pour la forme et pour tout le reste à ce large poisson de mer quon appelle une torpille. Chaque fois quon sapproche delle et quon la touche, elle vous engourdit. Cest un effet du même genre que tu me parais avoir produit sur moi; car je suis vraiment engourdi dâme et de corps, et je ne trouve rien à te répondre. Et pourtant jai discouru mille fois sur la vertu, et fort bien, à ce quil me paraissait; mais en ce moment je suis absolument incapable de dire même ce quelle est. Aussi mest avis que tu fais bien de ne pas naviguer et voyager hors dici; car si, expatrié dans quelque autre ville, tu te livrais aux mêmes pratiques, tu ne tarderais pas à être arrêté comme sorcier. Socrate : Tu es un rusé, Ménon, et jai failli être ta dupe. Ménon : Comment cela, Socrate? Socrate : Je devine pourquoi tu mas ainsi comparé. Ménon : Pourquoi donc, à ton avis? Socrate : Pour que je te compare à mon tour; car je sais que les beaux garçons aiment toutes ces comparaisons. Elles tournent à leur avantage; car les images de la beauté sont belles aussi, jimagine. Mais je ne te rendrai pas comparaison pour comparaison. Quant à moi, si la torpille est elle-même engourdie quand elle engourdit les autres, je lui ressemble; sinon, non. Car, si jembarrasse les autres, ce nest pas que je sois sûr de moi; cest parce que je suis moi-même embarrassé plus que personne que jembarrasse les autres. Cest ainsi quà présent, au sujet de la vertu, jignore ce quelle est; peut-être le savais-tu, toi, avant dêtre en contact avec moi, mais en ce moment, tu parais ne plus le savoir. b) Le taon Socrate est aussi le taon qui réveille et interdit la torpeur paresseuse à ceux qui se contentent de solutions toutes faites là où se posent des problèmes. Cf. Apologie, 30e sq. c) Le procès En 399, Socrate fut en effet condamné à boire la ciguë, suite à laccusation portée contre lui par Mélétos (poète), Anytos (riche commerçant) et Lycon. Cela peut paraître étrange, surtout si on considère que Socrate était un citoyen exemplaire (cf. Banquet, 219e et 220c; Apologie de Socrate, 32c; 38e sq.). Il a toujours défendu sa patrie lorsquelle était en danger, et, même après son procès, il fut un honnête citoyen, lui qui refusa de senfuir pour ne pas contrevenir aux lois de sa patrie. Cest tout simplement que le procès de Socrate fut un procès intellectuel, dû au fait quà lépoque, on cherche à redonner à Athènes ses assises traditionnelles. Socrate, qui harcelait les athéniens comme un taon, les empêchait de dormir et de se reposer dans des solutions morales ou sociales toutes faites; il est celui qui, en nous étonnant, nous interdit de penser selon les habitudes acquises. Son entreprise, toute entière dirigée contre le confort intellectuel, est donc la cause même de son procès. Il est apparu coupable de crime de non conformisme, et même de lèse-majesté (critique des évidences, et de lautorité). Il était vu comme un danger pour lordre social, qui corrompt la jeunesse. Ainsi a-t-on pu dire que le procès de Socrate, cest le procès fait à la pensée qui recherche, en dehors de la médiocrité quotidienne, les problèmes véritables. Conclusion : la philosophie comme réflexion critique Cest donc de son enseignement et de sa mort exemplaire que va naître la philosophie (avec Platon, qui va se faire ladministrateur du message socratique, pour que la cité change et que des hommes comme Socrate puissent rester en vie - cf. lettre VII). La philosophie est une activité avant tout questionnante, qui sadresse à chacun dentre nous et na rien à voir avec un quelconque savoir positif. On peut dire quelle na pas de contenu propre. Comme nous lavons bien vu avec Socrate, elle est avant tout réflexion critique sur ce que nous savons déjà (ou même sur ce que nous croyons spontanément savoir), donc perpétuelle remise en cause. Elle se définit comme une tentative pour comprendre les principes généraux et les idées qui se cachent derrière les divers aspects de la vie. On peut ainsi la diviser en autant de domaines quil y en a dans la vie : il y a une philosophie de la religion, de lart, du droit, des affaires même, etc. Aujourdhui, elle sintéresse plus particulièrement à la personne, léthique, lintelligence artificielle. Exemple : la philosophie politique : a) elle pose des questions au sujet de la justice et de légalité, au sujet de savoir comment un Etat devrait être organisé, et au sujet de savoir ce que signifient des idées telles que la démocratie; b) elle utilise souvent les mêmes termes que ceux quon emploie dans les débats politiques quotidiens, mais elle les examine, afin daller plus loin que le sens commun dans la signification exacte des termes, et de comprendre quel est le but de lentreprise politique. Elle se demande donc : que voulons-nous dire par ces mots? Comment pouvons-nous savoir si cest vrai? Quelles sont ses implications? A travers cet exemple, on voit bien que la philosophie a pour but en général la clarification (que ce soit celle des pensées, des concepts, et du sens du langage). Philosopher, cest penser clairement et de façon précise. La majeure partie de la philosophie est donc concernée essentiellement par le langage. Dailleurs, certains philosophes considèrent leur tâche comme essentiellement linguistique (ce sont les philosophes analytiques, mouvement anglo-saxon né au début du XXe siècle, avec Wittgenstein et Russell). Pour bien comprendre ce que fait la philo, on doit distinguer deux sortes de langages : de premier ordre de second ordre a est la cause de b quest-ce que cela signifie de dire que a est la cause de b? est-il juste de faire ceci ou cela? quest-ce que cela signifie de dire que quelque chose est juste? Dieu nexiste pas quest-ce que le langage religieux, et comment les assertions religieuses peuvent-elles être vérifiées? Ces exemples nous montrent bien que le langage de second ordre (celui quemploie la philosophie) clarifie le langage de premier ordre, quelle prend pour objet. Par là, il clarifie aussi ce qui se cache derrière le langage. Si la philo nest peut-être pas capable, comme on la vu avec Socrate, de vous dire si quelque chose est vrai ou faux, elle clarifie les fondements de ce que vous dites, croyez, faites (est-ce juste de faire cela?). Exercice en classe : différence entre le spécialiste x et le philosophe : le mathématicien : étudie les relations entre les nombres le philosophe : quest-ce que le nombre? lhistorien : se pose des questions sur ce qui a lieu à un certain moment dans le passé le philosophe : quest-ce que le temps le psychologue : comment par exemple les enfants apprennent un langage le philosophe : quest-ce qui fait quun mot peut signifier quelque chose? nimporte qui peut se demander si cest mal de se faufiler dans une salle de cinéma sans payer mais un philosophe se demande : quest-ce qui rend une action bonne ou mauvaise? le physicien : de quoi sont faits les atomes, ou encore, ce qui explique la gravité le philosophe : comment pouvons- nous savoir quil y a quoi que ce soit à lextérieur de nos esprits? Elle intéresse donc tout homme en tant quhomme, et accompagne souvent la recherche scientifique. Einstein, par exemple, a beaucoup lu les grands philosophes (Platon, Kant, etc.) et médité de façon philosophique. Si la démarche philosophique accompagne la science, alors cela peut permettre de ne pas faire nimporte quoi (car si la science invente de nouvelles techniques et fait telles sortes de recherche, cest bien le philosophe, ou le scientifique en tant que philosophe, qui se demandera si cest bien, etc.) B- Le contexte de son émergence : Athènes au Ve siècle avant JC. Documents : textes de J.P. Vernant, sur le lien entre lémergence de la polis et lémergence de la philosophie dans la cité grecque Jean Pierre Vernant, Les origines de la pensée grecque, Paris, P.U.F, 1962 § 1 Lapparition de la polis constitue, dans lhistoire de la pensée grecque, un événement décisif. Certes, sur le plan intellectuel comme dans le domaine des institutions, il ne portera toutes ses conséquences quà terme ; la polis connaîtra des étapes multiples, des formes variées. Cependant, dès son avènement, quon peut situer entre le VIIIe et le VIIe siècle, elle marque un commencement, une véritable invention ; par elle, la vie sociale et les relations entre les hommes prennent une forme neuve, dont les Grecs sentiront pleinement loriginalité. § 2 Ce quimplique le système de la polis, cest dabord une extraordinaire prééminence de la parole sur tous les autres instruments du pouvoir. Elle devient loutil politique par excellence, la clé de toute autorité dans lEtat, le moyen de commandement et de domination sur autrui. Cette puissance de la parole -dont les Grecs feront une divinité : Peitho, la force de persuasion - rappelle lefficacité des mots et des formules dans certains rituels religieux, ou la valeur attribuée aux dits du roi quand il prononce souverainement la thémis ; cependant, il sagit, en réalité, de tout autre chose. La parole nest plus le mot rituel, la formule juste, mais le débat contradictoire, la discussion, largumentation. Elle suppose un public auquel elle sadresse comme à un juge qui décide en dernier ressort, à mains levées, entre les deux partis qui lui sont présentés ; cest ce choix purement humain qui mesure la force de persuasion respective des deux discours, assurant la victoire dun des orateurs sur son adversaire. § 3 Un second trait de la polis est le caractère de pleine publicité donnée aux manifestations les plus importantes de la vie sociale. On peut même dire que la polis existe dans la mesure seulement où sest dégagé un domaine public, aux deux sens, différents, mais solidaires, du terme : un secteur dintérêt commun, sopposant aux affaires privées ; des pratiques ouvertes, établies au grand jour, sopposant à des procédures secrètes. Cette exigence de publicité conduit à confisquer progressivement au profit du groupe et à placer sous le regard de tous lensemble des conduites, des procédures, des savoirs qui constituaient à lorigine le privilège exclusif du basileus , ou des genè détenteurs de l archè . Ce double mouvement de démocratisation et de divulgation aura, sur le plan intellectuel, des conséquences décisives.
Posted on: Fri, 25 Oct 2013 01:55:59 +0000

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